mercredi 27 avril 2011

Rétrospective Jacques Perrin


A partir d'aujourd'hui et jusqu'au 30 mai, la Cinémathèque française consacre une rétrospective à Jacques Perrin. Acteur, réalisateur, producteur, ce touche-à-tout aventureux et discret a débuté sa carrière au début des années 60 grâce au cinéma italien et La Fille à la valise de Valério Zurlini qui le fit découvrir. Mais c'est Pierre Schoendoerffer, avec La 317ème section en 1965, qui donne un tournant à sa carrière. Sensible aux problèmes du monde, Perrin devient alors producteur et présente Z de Costa-Gavras au festival de Cannes. Dénonciation de la dictature des colonels en Grèce, le film obtient un énorme retentissement et fut nommé à l'Oscar du meilleur film étranger en 1970.

Perrin continuera en parallèle sa carrière d'acteur chez Jacques Demy (Les demoiselles de Rochefort), Paul Vechialli (L'étrangleur) et Pierre Granier-Deferre (Le grand dadais) et celle de producteur où il rencontrera des succès divers (Le désert des Tartares, Les Choristes, Himalaya, l'enfance d'un chef).

Lors de la dernière décennie, il s'est attelé, en tant que réalisateur, à des projets hors normes qui ont repoussé les limites physiques et technologiques : Océans et Le peuple Migrateur. A la suite de la projection de ce dernier, le samedi 30 avril à 17h, Jacques Perrin viendra faire une rencontre avec le public.

Rétrospective Jacques Perrin à la Cinémathèque française du 27 avril au 30 mai.
Renseignements : 01.71.19.33.33 ou www.cinematheque.fr

Il était une fois le cinéma allemand

JOHN RABE / IL ETAIT UNE FOIS UN MEURTRE / L'ETRANGERE

Trois longs métrages allemands sortent cette semaine. Une belle occasion de se plonger dans une cinématographie riche et variée qui a su trouver un nouveau vivier de réalisateurs talentueux. 


John Rabe de Florian Gallenberger relate un fait historique majeur et pourtant très peu connu. En 1937, John Rabe dirige l'entreprise allemande Siemens et vit à Nankin, la capitale de la Chine. Suite à un bombardement de l'aviation japonaise, il ouvre les grilles de son usine aux habitants terrorisés pour leur offrir un refuge, sauvant ainsi la vie de plusieurs centaines de personnes. Le lendemain, aidé de diplomates étrangers, John Rabe décide de mettre en place une zone de sécurité pour les civils de Nankin afin de protéger la population chinoise. Mais l'invasion japonaise et les massacres qui en découlent vont mettre Rabe et ses amis à rude épreuve... 

Le sujet se rapproche de La liste de Schindler où un individu se dresse contre la barbarie en devenant le sauveur de tout un peuple. L'image de John Rabe est restée longtemps controversée. Membre du parti nazi, il fut rapatrié de force en février 38 par le IIIème reich qui ne voyait pas d'un bon oeil cet opposant à l'allié japonais. A la fin de la guerre, sa demande de réhabilitation fut dans un premier temps refusée avant que le gouvernement chinois ne lui verse une petite pension jusqu'à sa mort, le 5 janvier 1950. Florian Gallenberger ne cherche nullement à héroïser davantage ce personnage que rien ne prédestinait à de tels actes. L'acteur Ulrich Tukur, vu dans La vie des autres et Amen, lui donne une touchante humanité, au départ peu concerné par la grave situation humanitaire qui l'entoure mais qui va, grâce à son autorité et son courage, résister à l'occupant nippon. Une image étonnante pourrait servir de symbole à ce film : le drapeau nazi tendu par John Rabe afin de stopper les bombardements de l'armée japonaise. Quant une barbarie en arrête une autre... 

On pourra regretter que les zones d'ombres du personnage et sa foi au nazisme soient mis de côté au profit d'un récit linéaire qui permet à des comédiens reconnus de se distinguer : Daniel Brühl en frêle diplomate, Anne Consigny dans le rôle de Valérie Duprès, la directrice de l'université de jeunes filles de Nankin, et Steve Buscemi en docteur américain qui aida Rabe à soigner et protéger la population. Un casting international au service d'une histoire dont le cinéma devait s'emparer. Même si le réalisateur fait preuve d'un certain académisme dans sa reconstitution, il filme le combat d'un homme avec sobriété et dénonce par la même les crimes odieux perpétués par l'armée japonaise. Une nécessaire leçon d'histoire.



Par une chaude journée d'été, une bicyclette est retrouvée dans un champ de blé. Une jeune fille a disparu depuis plusieurs jours. Vingt-trois ans plus tôt, au même endroit exactement, était assassiné Pia. Le cauchemar va t-il recommencer ? 

Pour son deuxième long métrage, Baran Bo Odar aborde de front le problème de la pédophilie. Un sujet hautement risqué que le cinéaste parvient à traiter de manière crue mais jamais complaisante, en tâchant de filmer l'humain derrière le monstre. Une atmosphère poisseuse colle à la peau du spectateur pendant ces deux heures d'enquête haletante que la multiplication des personnages et des points de vue enrichit. Des parents qui se disloquent sur le coup de la disparition de leur fille au flic obstiné qui veut à tout prix arrêter le tueur en passant par le mari idéal dissimulant une nature déviante, les destins de tous ces personnages vont être chacun emportés dans un tourbillon de sang et de larmes. 

D'une maîtrise confondante, s'attachant au moindre détail vestimentaire, le cinéaste récrée brillamment une époque qu'il sait rendre vivante, employant une musique malaisante très à propos, filmant les champs battus par le vent, théâtre de macabres découvertes. D'une grande densité, Il était une fois un meurtre captive de bout en bout et dérange à la fois. Le passé qui nous rattrape tôt ou tard, l'horreur située à quelques mètres de nous sans qu'on ne la voit, tout cela nous poursuit longtemps après la projection. Les faits divers récents s'entrecroisent soudain avec le film en nous rappelant que la bête immonde n'est malheureusement pas que dans les livres. A voir. 



La comédienne Feo Aladag s'est également attaquée à un sujet sensible. Elle nous raconte le combat d'Umay qui a fui la Turquie avec son petit garçon où elle était mariée de force et part retrouver sa famille à Berlin. Mais, prisonniers des valeurs de la communauté, ses parents et frères et soeurs la rejette. Elle est alors obligée de fuir à nouveau pour épargner le déshonneur des siens. 

S'affranchir des traditions tout en gardant l'amour et l'estime de ses proches : tel est le périlleux défi d'Umay. La réalisatrice filme très bien cette émancipation et le retour au sein d'une famille qui va progressivement la traiter comme une étrangère. La mère, compréhensive un temps puis distante et le père aimant mais rattrapé par ses "obligations" sont des personnages auxquels le scénario ne donnera aucune chance, enfermés dans des traditions d'un autre âge, incapables de se remettre en question. A partir du moment où la réalisatrice condamne tous ses protagonistes, le manichéisme pointe dangereusement. Bien qu'elle sache maintenir une tension permanente, pourquoi, alors qu'elle détenait un sujet aussi fort, Feo Aladag a-t-elle livré un film aussi démonstratif ? 

Tout semble en effet programmatique, de la victime expiatoire qui ne sortira pas de son rôle, martyrisée par une famille aveugle, au frère brutal et borné. Lors d'une scène de mariage, la réalisatrice insiste lourdement sur une situation déjà chargée dramatiquement. Elle filme son héroïne se faire humilier, à plusieurs reprises, implorant l'amour de ses parents et se confondant en excuses. A cet instant, la position de la cinéaste devient ambiguë. Soutient-elle son personnage, ou, dans un excès de masochisme, l'accable-t-elle car elle a osé enfreindre le code familial ? L'excès dans la souffrance est le ressort de tous les mélodrames sauf qu'il s'agit de notre époque et de problèmes très actuels qui ne permettent pas une mise en scène gorgée de pathos qui trouve son apothéose lors de la scène finale. Si le film est inspiré d'une histoire vraie avec le même dénouement, la surabondance de ralentis et l'utilisation de l'enfant sacrificiel pose question et agace. On ne doute pas de la sincérité de Feo Aladag qui veut soulever, à raison, notre indignation face à l'intolérance et l'archaïsme. Mais comme le dit l'adage "le mieux est l'ennemi du bien". 


Antoine Jullien

jeudi 21 avril 2011

Source Code


Après le remarqué Moon (inédit dans les salles), Duncan Jones s'offre un film-concept comme Hollywood les affectionne tant (cf Inception). Il embarque Jake Gyllenhaal dans un train à destination de Chicago. Amnésique, il cherche à comprendre ce qu'il lui arrive mais une bombe explose tuant tout le monde à bord. Il se réveille alors dans une capsule où il comprend qu'il participe à un procédé expérimental permettant de se projeter dans le corps d'une personne et ainsi revivre les huit dernières minutes de sa vie. Sa mission : revivre les quelques minutes précédent l'explosion et retrouver le ou les poseurs de bombe afin d'empêcher un futur attentat. 

Les voyages spatio-temporels semblent plaire à Duncan Jones qui prend un malin plaisir à malmener son personnage projeté dans une situation répétitive dont la finalité diffère à chaque fois. C'est le côté ludique de l'entreprise qui est le plus réussi et qui maintient l'attention du spectateur. Celui-ci regarde cette plaisante intrigue à tiroirs où le whodunit semble moins précieux que la manière dont notre héros va trouver le coupable. Au fur et mesure de ces actions répétées se dessine un personnage évoluant et anticipant les attitudes des autres protagonistes, en particulier sa femme (Michelle Monaghan) qu'il ne connaît pas et qu'il va apprendre à aimer. 

Malgré un aspect visuel assez impersonnel, le réalisateur maîtrise son huis-clos, alternant des plans sur le visage refroidi de Gyllenhall dans sa capsule, les mines inquiétantes de ses mystérieux commanditaires et la population apparemment sans histoire de ce train qui ne va pas cesser d'exploser. Le scénario mêle habilement ces trois univers que Jake Gyllenhaal habite de sa présence singulière. Le comédien confirme de film en film son statut d'héros fragile tiraillé entre la raison et les sentiments. Malheureusement, dans son derniers tiers, le film vire à la romance un peu mièvre et fait oublier un discours plus intéressant sur l'éthique et le trouble identitaire que le long métrage ne fait qu'effleurer. Reste un très honorable divertissement qui vous fera à présent douter des paisibles trains baignés de soleil.

Antoine Jullien

vendredi 15 avril 2011

Sélection officielle Cannes 2011

La sélection officielle du 64ème festival de Cannes a été dévoilée hier par son délégué général Thierry Frémaux. Robert de Niro et son jury risquent d'avoir une tâche délicate car ils devront départager 19 longs métrages, les grands habitués de la Croisette côtoyant de nouveaux venus dont deux premiers films. Quatre femmes (un record !) ont les honneurs d'une compétition qui s'avère plutôt alléchante. 

Pedro Almodovar, avec son très mystérieux La piel que habito, retrouve Antonio Banderas plus de vingt ans après Attache-moi. Le film s'annonce comme l'un des évènements majeurs du festival tout comme le retour de la légende Terrence Malick qui présentera, trente-deux ans après Les moissons du Ciel, The tree of life dont nous avons déjà fait l'écho. 

Pedro Almodovar et Antonio Banderas sur le tournage de La piel que habito

Trois Palmes d'or reviennent sous les sunlights : les frères Dardenne (Le gamin au vélo), Nanni Moretti (Habemus papam avec Michel Piccoli dans le rôle d'un souverain pontife épris de doutes) et l'innénarable Lars Von Trier qui nous propose sa version de la fin du monde dans Melancholia, conviant au passage un casting d'américains reconnus (Kirsten Dunst et Kiefer "Jack Bauer" Sutherland) et rappelle Charlotte Gainsbourg manifestement remise d'AntiChrist

Quelques noms apparaissent pour la première fois dans la course à la Palme : le danois Nicolas Winding Refn (auteur de Bronson et Valhalla Rising) qui a réalisé son premier film américain, Drive, interprété par Ryan Gosling. Le survolté japonais Takashi Miike nous propose son film de samouraïs (Hara-kiri : death of a samuraï) et l'israélien Joseph Cedar foulera le tapis rouge après le très remarqué Beaufort. 

Sean Penn sera sans conteste l'acteur le plus en vue de la Croisette avec deux films en compétition : The Tree of life et This must be the place de Paolo Sorrentino où il joue un rockeur parti sur les traces de son père. Avec un look détonnant ! 

Sean Penn dans This must be the place 

Quant aux français, la sélection n'est pas très enthousiasmante : L'apollonide - Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello, Pater d'Alain Cavalier et Polisse, le troisième long métrage de l'électron libre Maïwenn sur le quotidien de la brigade de protection des mineurs. 

Et le reste de la sélection officielle ? Les films hors compétition alternent blockbuster (Pirates des Caraïbes 4), film d'auteur (Le complexe du Castor de et avec Jodie Foster), film politique (le redouté ou attendu La Conquête sur l'ascension au pouvoir d'un certain Nicolas S.) mais surtout le film français le plus intriguant de l'année, The Artist de Michel Hazavanicius, un long métrage intégralement muet sur le Hollywood des années 20 avec notre Jean Dujardin national. 

The Artist de Michel Hazavanicius 

Du côté d'Un Certain Regard, on est plutôt surpris de la présence de deux cinéastes maintes fois primés (Gus Van Sant et Bruno Dumont). On guettera particulièrement les nouveaux films de Hong Jin-Na (le réalisateur de The Chaser) et Kim Ki-duk (Arirang). 

Enfin, c'est Woody Allen qui ouvrira le bal le 11 mai avec Minuit à Paris, tourné l'été dernier dans la capitale avec Owen Wilson, Rachel McAdams, Adrien Brody, Marion Cotillard et... je vous laisse deviner le dernier nom manquant (cherchez bien, elle a un rapport avec l'un des films cités plus haut). 

Mon Cinématographe sera à Cannes et vous rendra compte des temps forts et des films marquants du festival. On en reparle très vite ! 

Film d'ouverture 

Minuit à Paris de Woody Allen

Compétition 

La piel que habito de Pedro Almodovar
L'apollonide - Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello
Pater d'Alain Cavalier
Footnote de Joseph Cedar
Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan
Le gamin au vélo de Luc et Jean-Pierre Dardenne
Le Havre d'Aki Kaurismäki
Hanezu no tsuki de Naomi Kawase
Sleeping Beauty de Julia Leigh - 1er film
Polisse de Maïwenn
The tree of life de Terrence Malick
La source des femmes de Radu Mihaileanu
Hara-Kiri : death of a samuraï de Takashi Miike
Habemus Papam de Nanni Moretti
We need to talk about Kevin de Lynn Ramsay
Michael de Markus Schleinzer - 1er film
This must be the place de Paolo Sorrentino
Melancholia de Lars Von Trier
Drive de Nicolas Winding Refn
The Artist de Michel Hazavanicius

Hors-Compétition 

La Conquête de Xavier Durringer
Le complexe du Castor de Jodie Foster
Pirates des Caraïbes : la fontaine de jouvence de Rob Marshall

mercredi 13 avril 2011

Rabbit Hole


Qu'il est bon de revoir une actrice que l'on a tant aimée. Nicole Kidman fut, dans un passé récent, une magnifique comédienne qui savait tout jouer, explorant les registres les plus divers, à l'aise dans la comédie et le drame, se confrontant aux univers de cinéastes parfois radicaux. Et puis le botox et la mauvaise célébrité ont davantage fait parlé d'elle que ses rôles de moins en moins bons dans des films de petite facture. Rabbit Hole ne marquera certainement pas sa filmographie mais on la retrouve belle et grave, dont la sobriété de jeu ne peut souffrir aucune contestation.

C'est l'actrice elle-même qui a tenu a raconter l'histoire d'un couple face à l'épreuve de la perte d'un enfant. Productrice, elle a engagé John Cameron Mitchell, le cinéaste extraverti et lubrique de Shortbus, soit le client inattendu pour un projet de cet acabit. Là vient d'ailleurs le défaut majeur du film.


Car l'on ne ressent jamais le cinéaste véritablement impliqué par cette histoire. Lui qui a pourtant vécu le deuil dans sa propre vie n'arrive pas à nous toucher suffisamment. Le cinéaste évite certes le pathos et tient le tire-larmes à distance mais il bute devant des personnages pas assez fouillés et une retenue qui nuit à l'ensemble.

Le mystère entretenu au début du film soulève cependant notre appétit. Ce couple apparemment normal intrigue d'autant plus que les attitudes de l'un et de l'autre face au drame divergent radicalement. Mais la théâtralité du projet (le film est adapté d'une pièce de David Lindsay-Abaire) étouffe les personnages et les emprisonne dans des carcans. Le film semble alors totalement fabriqué où chaque scène répond sagement à la précédente. Un beau moment retient toutefois l'attention lorsque Nicole Kidman demande à sa mère si la douleur demeure toujours. Une scène sensible et juste qui ne parvient pas à sauver ce film très anodin.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution.

Essential Killing


Trois hommes dans le désert sont observés par un hélicoptère qui sillonne la zone. Ils semblent tous à la recherche d'un ennemi invisible. Soudain, la caméra devient subjective et filme un individu que l'on ne peut pas identifier. Profitant d'un instant de repos, les trois hommes s'arrêtent un moment. Puis survient, du fin fond d'un rocher, une roquette qui déchiquette les trois corps. Le tueur est interpellé. Jusqu'à son évasion... 

La première séquence d'Essential Killing est stupéfiante. Par un audacieux changement de point de vue, Jerzy Skolimowski brouille les repères du spectateur qui assiste, intrigué, à cette étrange mise en scène. Le cinéaste continue d'étonner dès lors qu'il montre enfin le visage du tueur : un taliban incarné par l'acteur américain Vincent Gallo. Donner le rôle de l'ennemi juré des USA à un acteur yankee ne manque pas de piquant. A cet instant, on pense suivre Skolimowski sur la route d'une dénonciation de la politique américaine en Afghanistan et des traitements inhumains infligés aux prisonniers. Mais un brutal accident vient tout remettre en perpective. Désormais traqué, Vincent Gallo devient une proie avant de se muer en chasseur dans les forêts enneigées d'un pays fantôme. 


Lors de la dernière Mostra de Venise, le comédien a reçu un prix d'interprétation mérité pour un rôle intégralement muet. La volonté de Skolimowski est tenue jusqu'au bout, filmer, sans aucune parole, un être dans son état le plus primitif. La présence animale du comédien suffit à l'intrigue minimaliste que le cinéaste ne cherche nullement à charger d'éléments extérieurs, à l'exception notable de flash-backs et de rêves sur le passé religieux du personnage qui ont le malheur d'alourdir un film fascinant mais moins radical qu'espéré. 

Le cinéaste polonais n'est pas le premier à traiter de l'instinct de survie d'un homme réduit à sa bestialité la plus sauvage. Mais le réalisateur a compris l'importance du décor qui peut contribuer grandement aux péripéties de l'action. Essential Killing en est nourri et, mise à part quelques disgressions superflues, ne relâche pas l'attention du spectateur grâce aux éléments naturels qui malmènent le personnage. Celui-ci perd le peu d'identité qui lui reste et se transforme en bête n'hésitant pas, dans la séquence la plus choquante, à téter le sein d'une femme pour ne pas mourir de faim. 

La dernière étape de son parcours se situe dans une maison habitée par une femme également mutique (Emmanuelle Seigner). Cet effet de style qui était la principale qualité du long métrage devient soudain sa limite. Skolimowski ne parvient pas à élargir son sujet et termine son film sur une image hautement symbolique : un cheval baigné de sang trottant dans la neige en l'absence de son cavalier. Beau mais frustrant.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Studio Canal Video. 

Disparition de Sidney Lumet


L'un des plus grands observateurs de la société américaine nous a quitté samedi à l'âge de 86 ans. Sidney Lumet, cinéaste new-yorkais par excellence, a filmé sa ville aimée dans ses travers les moins reluisants. Corruption, injustice, violence policière, Lumet traitait ces dérives frontalement avec l'humilité et la sécheresse qui caractérisent si bien son cinéma. 

Né en 1924 à Philadelphie, Sidney Lumet brasse d'abord une carrière d'acteur, montant sur les planches pour la première fois à l'âge de quatre ans au Yiddish Art Theater de New York. Au début des années 50, il est engagé à la télévision où il met en scène plusieurs séries télévisées. C'est en 1957, sous l'impulsion d'Henry Fonda, qu'il réalise son premier long métrage, l'implaccable et captivant 12 hommes en colère. Lumet va alors tourné une quarantaine de longs métrages parmi lesquels plusieurs adaptations de pièces de théâtre (La Mouette d'après Tchekov, L'homme à la peau de serpent d'après Tennessee Williams). 

12 hommes en colère (1957)

Au début des années 70, Lumet entame une série de films qui vont mettre à mal les fondements de la société américaine. Il redonne au polar une couleur sociale dans Serpico dans lequel Al Pacino, flic marginal et barbu, lutte contre la corruption qui gangrène la police de New-York. Un après-midi de chien, l'année suivante, où le même Pacino, dans l'un de ses plus grands rôles, interprète un homme aux abois qui braque une banque pour sauver son amant transsexuel. Virulente dénonciation de la violence policière, Lumet filme magistralement la frénésie médiatique dans le traitement des faits divers. La télévision passera d'ailleurs à sa moulinette dans Network en 1976, satire d'une férocité extrême sur des hommes et des femmes déjà obsédés par l'audience et les parts de marché qui finissent par perdre toute humanité. Un film précurseur qui n'a rien perdu de son mordant. 

Al Pacino dans Serpico (1973)

Outre Pacino, de grands acteurs et actrices ont brillé dans les films de Lumet : Paul Newman, avocat alcoolique et persuasif du Verdict, River Phoenix, adolescent victime de parents activistes dans le très beau A bout de Course, Anne Bancroft en Greta Garbo dans A la recherche de Garbo ou encore Nick Nolte, flic pourri jusqu'à la moelle dans le mésestimé Contre-Enquête. 

Au début des années 90, la carrière de Lumet décline jusqu'à sa rémission inespérée en 2007 grâce au magnifique 7h58 ce samedi-là qui marque le retour en force du cinéaste. Ce qui restera comme son dernier film est un brillant polar familial aux forts accents tragiques.

Ethan Hawke et Philip Seymour Hoffman dans 7h58 ce samedi-là (2007)

D'une discrétion admirable, infatigable raconteur d'histoires, Lumet avait raté l'Oscar à quatre reprises avant que l'Académie ne lui en décerne un pour l'ensemble de sa carrière. Il a marqué de son empreinte le paysage cinématographique mondial en redonnant ses lettres de noblesse au cinéma engagé où le divertissement le plus accompli côtoyait une rigueur formelle irréprochable. 

Un extrait de The Offence, réalisé en 1972un de ses films injustement méconnus où Sean Connery, méconnaissable en flic brutal rongé par la culpabilité, livre son interprétation la plus saisissante. 


lundi 11 avril 2011

Séries Mania


Après une première édition couronnée de succès, le Forum des Images propose une nouvelle programmation Séries Mania qui s'étend désormais sur une semaine, du 11 au 17 avril. 

Si Mon Cinématographe parle avant tout de cinéma, force est de constater que les séries ont révolutionner le paysage au point, parfois, de supplanter le septième art par une créativité et une liberté de ton étonnantes, en témoignent les formidables Mad Men et Breaking Bad

Vous pourrez découvrir pour la première fois de nombreuses séries sur grand écran. Les Etats-Unis sont bien évidemment à l'honneur grâce à l'ambitieuse série produite par Martin Scorsese sur la prohibition à Atlantic City, Boardwalk Empire, mais aussi Treme, la série écrite par David Simon, auteur de The Wire, qui a pour décor la Nouvelle Orléans trois mois après l'ouragan Katrina, Rubicon qui s'inspire des films conspirationnistes des années 70, The Big C sur le portrait d'une mère de famille atteinte d'un cancer et Glee, la série musicale à succès.


Un large panorama sera aussi consacré aux séries venues de Grande-Bretagne à travers les premières saisons de Down Abbey, This is England 86 et la saison 2 des Misfits. Le mardi 12 avril à 19h, Peter Kosminky, le scénariste, producteur et réalisateur britannique du mémorable Warriors participera à une rencontre avec le public. 

Les français seront de la partie grâce à la présentation de six nouvelles créations projetées en présence de leurs équipes. Le dimanche 17 avril, lors de la cérémonie de clôture, le jury de la presse internationale remettra trois prix qui distingueront des oeuvres qui, on l'espère, apporteront un peu de vent frais à une production hexagonale jugée encore trop frileuse. 

Le Forum des Images s'ouvre également sur le reste du monde avec des fictions venant d'Australie, du Canada, d'Israël et de Corée du Sud, s'inspirant des réalités sociales, historiques et culturelles de chaque pays. 

Et si vous êtes vraiment accrocs, vous pourrez visionner l'intégralité des saisons 1 de The Walking Dead, Xanadu et Mary Lou au cours de trois journées spéciales ! 

Pour compléter cette riche programmation, le Forum des Images propose des débats entre les auteurs et le public et plusieurs tables rondes avec des professionnels des séries télé pour aborder des problématiques essentielles : le financement, les nouveaux talents et la production. 

L'entrée est libre, alors, avides de séries ou novices, précipitez-vous ! 

Séries Mania-Saison 2, du 11 au 17 avril au Forum des Images - 2, rue du Cinéma, 75001 Paris.
Renseignements : 01.44.76.63.00 ou www.forumdesimages.fr

jeudi 7 avril 2011

Jeu-Concours UniversCiné

LE CONCOURS EST TERMINE. LA REPONSE ETAIT 1978.  BRAVO AUX GAGNANTS ! 


Mon Cinématographe s'associe à UniversCiné afin de vous proposer de visionner gratuitement sur leur plateforme VOD un film de la sélection du festival Cinéma du Réel. 

Pour cela, vous devez répondre à la question suivante : 

En quelle année fut créé le festival Cinéma du Réel ? 

Merci de donner votre réponse dans la section "Commentaires" en indiquant votre Email dans le nom du profil afin que nous puissions identifier les gagnants. Les réponses ne seront pas publiées. 

Les 10 premiers qui répondront correctement remporteront le concours. 

Attention, vous avez jusqu'à dimanche minuit pour participer. 

Bonne chance ! 

Pour en savoir plus sur la sélection des films proposés par UniversCiné, c'est ici
Pour voir l'article que Mon Cinématographe a consacré à Cinéma du Réel, c'est ici

mercredi 6 avril 2011

Pina



"Non, ce n'est pas un ouragan qui venait de balayer la scène. Il y a avait là... des gens qui se mouvaient différemment de ce à quoi j'étais habitué, et m'émouvaient autrement que tout ce qui m'avait ému auparavant." Wim Wenders raconte le choc qu'il a vécu lorsqu'il a vu pour la première fois un spectacle de Pina Bausch. Dès cet instant, il a senti l'envie irrépressible de lui consacrer un film. La collaboration entre le cinéaste des Ailes du Désir et la chorégraphe allemande va durer pendant des années sans que le réalisateur ne parvienne à trouver la forme la plus juste qui retranscrirait visuellement la danse-théâtre de Pina. Jusqu'au jour où il découvre, au Festival de Cannes, le concert de U2 en 3D numérique. Ebloui par les possibilités de ce nouvel outil, il propose alors à Pina Bausch un nouveau langage esthétique capable de rendre à l'écran la singularité de l'oeuvre de la chorégraphe. Celle-ci accepte et travaille avec le cinéaste à la préparation d'un documentaire. Jusqu'à sa mort brutale le 30 juin 2009. Wenders décide alors de tout arrêter. Mais encouragé par l'entourage de la chorégraphe et les danseurs de l'Ensemble du Tanztheater Wuppertal, il devient déterminé à mener le projet à bien. Pour Pina. 

La 3D est depuis plusieurs années l'apanage des grosses productions américaines. Wim Wenders est le premier cinéaste à l'expérimenter sur un film documentaire. Comme il le dit lui-même : "C'est seulement en intégrant la dimension spatiale que je pourrais me sentir capable, sans outrecuidance, de transposer à l'écran la danse-théâtre de Pina dans une forme appropriée". Il a filmé quatre spectacles de la chorégraphe dont plusieurs en public : Le sacre du printemps, Café Müller et Vollmond. On y voit également les membres de sa compagnie, l'ensemble du Tanztheater, danser les souvenirs personnels qu'ils gardent du regard rigoureux, critique et bienveillant de leur grande inspiratrice, dans différents endroits de Wuppertal et des environs, dans la nature de Bergisches Land, dans des installations industrielles, à des croisements de rues et dans le monorail suspendu de Wuppertal. Avec un résultat saisissant. 

Le réalisateur Wim Wenders sur le tournage de Pina 

Le choix de Wim Wenders, audacieux hier, semble aujourd'hui une évidence. Filmer la danse est une gageure que la 3D parvient à transcender, principalement lors de la captation du Sacre du Printemps, le cinéaste l'ayant tourné en direct et en intégralité. La scène est entièrement recouverte de tourbe jusqu'à la hauteur des chevilles : les mouvements des danseurs laissent donc des traces. Et pour la première fois, grâce au relief, le spectateur a vraiment l'impression de faire corps avec eux, d'épouser leurs gestes et de participer ainsi à la recherche artistique de Pina Bausch. Après ce premier passage éblouissant, la 3D se fera plus discrète et s'atténuera au fur et mesure des séquences. L'ambition visuelle de Wenders n'est donc qu'en partie atteinte car le cinéaste s'est manifestement confronter aux limites actuelles du procédé. 

Mais la danse de Pina Bausch emporte tout sur son passage. Wim Wenders a su la filmer sans que sa mise en scène ne vienne l'étouffer ou la parasiter. Le fait d'avoir aérer son film en transposant les chorégraphies des danseurs hors les murs du théâtre donnent des instants magiques, en apesanteur, où la danse de Pina Bausch se révèle à nous de manière nouvelle. Bien qu'inégaux, certains passages resteront dans les mémoires, dont cette chorégraphie à l'extérieur d'une usine ou celle dans le monorail de Wuppertal qui comporte des accents à la limite du fantastique. 


En réalisant Pina, Wim Wenders lui a rendu le plus beau des hommages. Les néophytes de la chorégraphe comme les fins connaisseurs de son travail devraient se retrouver sur un point : la manière dont le cinéaste a su rendre palpable la recherche perpétuelle de la chorégraphe qui disait : "Lorsque l'on cherche, on ne peut se réclamer de rien : aucune tradition, aucune routine. Il n'y a rien à quoi on puisse se raccrocher. On est tout seul face à la vie et aux expériences que l'on fait, et c'est tout seul que l'on doit essayer de rendre visible ce que l'on sait depuis toujours, ou du moins d'en donner une vague idée. Il s'agit de trouver quelque chose qui se passe de toute question" *. Quoi de plus beau que ce langage des corps qui s'attirent et se repoussent dans un même élan, où le rapport du créateur avec sa créature se nourrit sans cesse l'un de l'autre, dégageant une puissance émotionnelle incomparable. Si quelques larmes coulent de vos lunettes, c'est qu'il s'est passé au fond de vous quelque chose de rare. "Dansez, dansez... sinon nous sommes perdus". Tout l'art de Pina Bausch. 

Antoine Jullien

* Extrait de The 2007 Kyoto Prize Workshop in Arts and Philosophy par Pina Bausch.


 
DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution

The Company Men


La crise n'est pas terminée, loin de là. Les personnages de The Company Men la subissent de plein fouet. Cadres dynamiques d'une importante entreprise de transport, ils se voient débarqués du jour au lendemain. Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes boivent la tasse sans exception. C'est la fin des illusions d'un monde bâti sur le seul souci de rentabilité qui oublie le facteur humain en ne prenant en considération que les desiderata des actionnaires. Le documentaire américain a déjà justement évoqué le problème, notamment à travers l'excellent et oscarisé Inside Job. Mais la fiction yankee s'était jusqu'à présent montrée plutôt timide sur le sujet. Le réalisateur John Wells, l'un des scénaristes de la série Urgences, s'y est attaqué avec efficacité mais modestie. 

Les protagonistes du film passent brutalement du statut de coupable à celui de victime. Car avant de se faire licencier, ils profitaient tous allègrement d'un système qu'aucun ne remettait en question. Le film ne s'inscrit d'ailleurs pas dans l'élan d'une révolte ni dans celui d'une virulente dénonciation du capitalisme sauvage. Il tente plutôt une approche optimiste saupoudrée d'humour noir. La relative neutralité de la mise en scène permet de ne pas surcharger les drames personnels que vivent les personnages ni d'asséner de message pontifiant. Cette apparente tranquillité ne doit pourtant pas faire oublier la violence des rapports entre les individus ni l'absence de solidarité. Le retour à cette dure réalité n'est pas facile pour tout le monde, et John Wells le montre bien grâce au couple formé par Ben Affleck et Rosemarie DeWitt où la femme est beaucoup plus lucide sur la situation familiale que son mari pétri de certitudes. 

Une arrogance que le réalisateur remet gentiment en cause. Car la sobriété du ton est la qualité mais aussi le principal défaut du long métrage. John Wells filme son histoire sur des sentiers très balisés dans laquelle tous les passages obligés sont au programme : grand discours, dépression, victoire. Ce conformisme est heureusement contrecarré par le brio des acteurs : le visage buriné de Tommy Lee Jones reste toujours un spectacle en soi, la candeur de Ben Affleck se bonifie de film en film, la tristesse sympathique de Chris Cooper a toujours autant de charme. Seul Kevin Costner semble un peu égaré, son personnage de maçon taciturne aurait mérité davantage de caractérisation. Malgré un happy-end un peu forcé, The Company Men se regarde sans déplaisir ni passion sans que l'on ne sache qui le film fâchera le plus.

Antoine Jullien



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