Le cinéma français s'intéresse enfin à la chose politique. Alors que La Conquête déroulait un récit des plus convenus sur l'accession au pouvoir, Pater brouille malicieusement les cartes de la fiction et de l'introspection. Durant plus d'une année, Alain Cavalier et Vincent Lindon ont endossé les rôles de président de la république et de premier ministre. Un rapport quasi filial lié également à la relation du réalisateur avec son comédien. Car la réalité et la fiction s'entremêlent au point de ne plus savoir si l'on se trouve devant l'acteur où l'homme politique.
Une démarche étonnante qui pourra en dérouter plus d'un. Depuis une décennie, Alain Cavalier a abandonné le cinéma "classique" au profit d'une caméra stylo qui se balade au gré de ses souvenirs et de ses réflexions. Sans équipe technique, il filme seul son duo avec Vincent Lindon qui lui-même prend la caméra pour filmer son président. Autour d'eux, une galerie d'amis, de parents qui jouent aux conseillers d'influence. Tournant dans l'appartement de l'un et de l'autre, Alain Cavalier propose au spectateur une expérience inédite de cinéma libre débarrassé de toutes les conventions. Avec une idée suprême que le président pose d'emblée en exergue : s'il existe un salaire minimum, pourquoi n'existerait-t-il pas un salaire maximum régi par la loi ?
Mais les lois de la politique étant ce qu'elles sont, le président lâchera ce concept impopulaire au profit de son premier ministre. Le débat d'idées s'en trouve renforcé et la notion d'engagement prend tout son sens. Mais on peut reprocher au cinéaste de se complaire dans une confortable réflexion en vase clos, loin de la réalité concrète. A moins qu'il ne s'agisse d'une métaphore sur les hommes politiques accusés d'être éloignés des problèmes de leurs concitoyens.
Le stimulant dispositif d'Alain Cavalier trouve aussi sa limite à force de digressions et de répétitions. Et au moment où la rivalité entre le président et le premier ministre pouvait donner lieu à un face à face passionnant, le réalisateur préfère revenir au comédien Vincent Lindon en laissant de côté l'aspect politique. Ce jeu de rôles presque imperceptible est aussi une allégorie sur le métier d'acteur. Lindon, déguisé en premier ministre au point de s'y croire réellement, trouve un dénuement et une vérité que le cinéma ne lui avait encore jamais donné. Révélant pour la première fois devant la caméra ses tics que ses films ont l'habitude de gommer, il est saississant lorsqu'il s'emporte contre le propriétaire de son appartement. Une colère noire qui dit les nombreuses contradictions d'un comédien sincère mais pourvu, comme tous les acteurs, d'un certain égo. Nombriliste alors ? Peut-être. Mais il est rare de voir un comédien se livrer à ce point à un cinéaste dont l'art de la manipulation ne doit pas nous laisser dupes.
Antoine Jullien
DVD disponible chez Pathé Vidéo.
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