vendredi 28 novembre 2014

The Search


Fraîchement accueilli lors du dernier Festival de Cannes, The Search de Michel Hazanavicius sort cette semaine dans les salles dans une version raccourcie de 15 minutes. 

Librement inspiré des Anges Marqués de Fred Zinnemann, le film se déroule durant la guerre de Tchétchenie, en 1999, racontant quatre destins que la guerre va amener à se croiser : Hadji, un petit garçon rejoignant le flot des réfugiés après l'assassinat de ses parents, qui va faire la rencontre de Carole, chargée de mission à l'Union Européenne alors que sa grande sœur le recherche activement et qu'un jeune russe de 20 ans, enrôlé dans l'armée, va être mêlé de près au meurtre de ses parents.

Abdul Khalim Mamatsuiev et Bérénice Béjo

Payant sans doute sa volonté de changer de registre, le réalisateur de The Artist a subi une volée de bois vert injuste de la part de certains médias mais a su écouter les critiques (plusieurs de ses confrères devraient s'en inspirer). Il a décidé de réduire les scènes entre Bérénice Béjo et le petit garçon, les plus faibles du récit, livrant ainsi une œuvre qui, si elle n'échappe pas toujours à certaines maladresses, n'en demeure pas moins une évocation crûe et réaliste d'un conflit qu'on a préféré passer sous silence, d'une grande force par endroits et qui, grâce à la sobriété de sa mise en scène, ne sombre jamais dans le pathos dégoulinant. S'il est parfois éprouvant, notamment dans sa description de soldats devenant de véritables machines de guerre déshumanisées, The Search représente un choix courageux de la part de Michel Hazanavicius qui a voulu cette fois, et n'en déplaise aux grincheux, ne plus être cantonné au rôle de pasticheur talentueux auquel on l'a réduit.

Vous pouvez retrouver ci-dessous la critique de Mon Cinématographe réalisée lors du Festival de Cannes qui ne prend pas en compte ce nouveau montage.

France - 2h15
Réalisation et Scénario : Michel Hazanavicius 
Avec : Bérénice Béjo (Carole), Annette Bening (Helen), Maxim Emelianov (Kolia), Abdul Khalim Mamatsuiev (Hadji). 


mercredi 26 novembre 2014

Night Call


"Je n'aime pas les gens". La morale de Louis, reporter aux dents longues, est dans ces quelques mots. L'humain ne compte plus, seul le sensationnel prédomine. En s'attaquant à la télé poubelle et à ses multiples dérives, le néophyte Dan Gilroy, dont c'est le premier long métrage, ne signe pas seulement un magistral pamphlet sur notre société médiatique mais orchestre également la célébration d'un acteur absolument transfiguré. 

L'action de Night Call se déroule à Los Angeles, essentiellement de nuit. On y suit le parcours d'un jeune homme, au début du film sans emploi, qui va découvrir le métier de caméraman à la recherche d'images choc provenant de faits divers aussi glauques que sanglants et qu'il revend à prix d'or pour les chaînes d'informations locales. Braquages, fusillades, accidents de la route, ces chasseurs d'images sont sur tous les coups, arrivant le plus souvent avant la police pour obtenir le meilleur angle de caméra. Des vautours qui se livrent entre eux à une guerre impitoyable. 

Jake Gyllenhaal

A contrario de certains réalisateurs tombés dans les travers de ce qu'ils voulaient dénoncer, le plus grand mérite de Dan Gilroy est d'être parvenu à faire passer les situations les plus scabreuses grâce à l'extrême précision de sa mise en scène et à la superbe photographie de Robert Elswit (le chef opérateur de Paul Thomas Anderson) qui filme la Cité des Anges comme un labyrinthe tentaculaire. Le spectateur, voyeur malgré lui, devient fasciné devant ce ballet de la mort qui servira de petit déjeuner aux téléspectateurs consentants.

Rene Russo

Ces actes, aussi abjects soient-ils, sont légalisés par le système médiatique personnifié par Rene Russo. La comédienne, vue dans La Rançon et Thomas Crown et absente des écrans ces dernières années, incarne la rédactrice en chef d'un network en baisse d'audience. Sa rencontre avec Louis et la relation ambiguë qu'elle va nouer avec lui, mélange subtil de fascination et de répulsion, va lui permettre de remonter la pente. On reste subjugués lorsqu'en coulisses, elle diffuse l'un des reportages de son apprenti journaliste. Une séquence stupéfiante qui incarne à elle seule la toute puissante machine à manipuler les images. 

A l'instar du Loup de Wall Street et de Lord of War, Night Call se veut le reflet parfaitement amoral de notre époque. La rédemption, forcément illusoire, est bannie et il ne s'agit en rien d'une vaine complaisance de la part de l'auteur mais bien d'une vision lucide et sans concession de la nature humaine. Pour l'incarner dans toute sa complexité, il fallait un grand acteur et Jake Gyllenhaal trouve sans conteste le rôle de sa carrière. L’œil halluciné, le visage émacié, le comédien, qui a perdu quinze kilos, livre une prestation d'anthologie, ne cherchant jamais à sauver ce personnage des limbes dans lesquelles il s'est voracement engouffré. Un homme sans éthique qui ne reculera devant rien, sacrifiant ses proches, intimidant ses concurrents, déplaçant les corps des victimes, qu'on aimerait presque détesté, et qui, à l'image des ses courses effrénées dans les rues de Los Angeles, fonce toujours plus vite jusqu'à l'ivresse du scoop. Se dégage alors de cette odyssée nocturne en eaux troubles un parfum de futur film culte.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h57
Réalisation et Scénario : Dan Gilroy
Avec : Jake Gyllenhaal (Louis Bloom), Rene Russo (Nina Romina), Riz Ahmed (Rick). Bill Paxton (Joe Loder). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Orange Studio.

lundi 24 novembre 2014

Astérix - Le domaine des Dieux

 
Depuis quinze ans, les aventures du petit gaulois le plus célèbre de France déboulent régulièrement dans nos salles obscures avec, il faut bien le dire, assez peu de réussite. Si l’on excepte une Mission Cléopâtre délirante sous la direction d’Alain Chabat en 2002, les quatre autres épisodes (Astérix et Obélix contre César (1999), Astérix et les Vikings (2006), le nullissime Astérix aux Jeux Olympiques (2008) et Au service de sa Majesté (2012)) n’auront pas laissé un souvenir indélébile, loin s’en faut. En cette fin d’année, un nouvel opus nous est proposé avec l’espoir insensé que cette fois-ci, ce ne sera pas la même limonade…

Le Domaine des Dieux garde la même trame que celle du 17ème album de Goscinny et Uderzo : Jules César décide de faire construire aux abords du village d'Astérix un domaine destiné aux civils romains dans l’espoir de coloniser ces irréductibles gaulois. Malmené dans un premier temps, le projet prend forme et menace insidieusement nos héros.


Derrière ce nouveau volet se cache Alexandre Astier, maître à tout faire de la série Kaamelott et acteur, réalisateur, producteur et compositeur de son premier long métrage David et Madame Hansen, passé injustement inaperçu en 2012. Mais pour Astérix, l’homme a décidé de lâcher du lest en se concentrant essentiellement sur le travail d’écriture. Tout en prêtant sa voix au centurion Oursenplus et en s’occupant de la direction d’acteurs, ce disciple de Christopher Vogler (script doctor américain, auteur de l’incontournable « Guide du scénariste ») s’approprie le matériau de base et réussit à le transcender.

Car il s’agit bien d’une véritable adaptation de l’album et non d’une simple transposition, Astier parvenant à distiller les références essentielles de la bande dessinée avec élégance. Derrière ce divertissement bon enfant, certains sujets d’actualité (la mondialisation, l’appât du gain, l’écologie…) viennent enrichir une trame mature et universelle. Les enjeux dramatiques sont plus forts que dans la BD et augmentent considérablement l’impact émotionnel du film, notamment avec l’ajout du personnage d’Apeuljus. Ce jeune romain pose un regard fasciné et un peu terrifié sur l’ogre Obélix qui dévoile une dimension touchante inhabituelle. A contrario de Mission Cléopâtre, Astier reste totalement en adéquation avec l’esprit de la BD, à savoir tout public et parfois très subtil, où l'humour, légèrement modernisé, est constant, multipliant, dans la plus pure tradition des albums, les clins d’œil à des œuvres intemporelles telles que Le Seigneur des Anneaux ou King Kong.


Pour sa première tentative du côté de l’animation 3D, on avait un peu peur que le ciel ne nous tombe sur la tête. Mais là encore, le succès est total. Dès les premières images, on retrouve l’univers d’Albert Uderzo dans lequel on a tellement voyagé. Sans être au même niveau technique que les productions américaines, la direction artistique porte très haut ce Domaine des Dieux. Les personnages et les décors sont identifiables instantanément. Le film se permet même d’être par moment tout simplement sublime avec des effets de lumières, de fumée et de caméra particulièrement pertinents. Cette réussite visuelle, on la doit à Louis Clichy, qui, après avoir œuvré sur Là-Haut et Wall-e pour les studios Pixar, signe ici sa première réalisation.

Si plaisir pour les yeux il y a, la partie sonore du film n’est pas en reste. La musique composée par Philippe Rombi enchante, les quelques passages clipés aèrent un récit trépidant et le mixage participe à la mise en scène, notamment lorsque le barde Assurancetourix entre en piste. Évoquons d’ailleurs ce casting qui nous permet de retrouver avec joie Roger Carel, un des plus grands spécialistes de l’exercice qui prête sa voix à Astérix depuis 1967, parfaitement épaulé par Guillaume Briat, successeur du regretté Pierre Tornade pour celle d’Obélix. Se succèdent des guests plus ou moins discrètes : si on reconnaît immédiatement les voix d’Elie Semoun en Cubitus ou de Lorànt Deutsch en Anglaigus, il est plus difficile de percevoir celle d'Alain Chabat en Prospectus ou François Morel en Ordralfabétix. Et l’utilisation particulièrement osée de Laurent Lafitte en Duplicatha, l’esclave Nubien, et de Florence Foresti en Bonemine, prouvent qu’Alexandre Astier a su sortir des sentiers battus avec brio. A croire qu’après avoir cherché cette camelote de Saint Graal pendant des années, il a fini par découvrir la formule de la potion magique. Trop fort ! 

Alexandre Robinne  

France / Belgique - 1h25
Réalisation : Louis Clichy et Alexandre Astier - Scénario : Alexandre Astier, Jean-Rémi François et Philip LaZbenik d'après la bande dessinée de René Goscinny et Albert Uderzo. 
Avec les voix de : Roger Carel (Astérix), Guillaume Briat (Obélix), Lorant Deutsch (Anglaigus), Laurent Lafitte (Duplicatha). 
 

samedi 22 novembre 2014

Hunger Games - La révolte : Partie 1

 
En 2012, le premier volet de Hunger Games, basé sur la saga littéraire éponyme, lançait une franchise surprenante par sa qualité. Le spectateur plongeait dans un monde imaginaire nommé Panem, dystopie divisée entre une population riche et puissante réfugiée au Capitole et une population pauvre et soumise répartie en plusieurs districts. Afin de maintenir l’ordre dans cette pseudo république, le Capitole a créé les terrifiants Hunger Games, opposant douze héros (représentant chacun un district) dans une lutte à mort. Après avoir survécu une première fois, Katniss Everdeen (Jennifer Lawrence) avait dû rempiler pour une deuxième session dans Hunger Games - l’embrasement, sorti l’année dernière. Ce second volet, moins intense que le premier mais de bonne facture, se terminait par la destruction de l’enceinte des jeux, provoquant ainsi un vent de révolte dans les différents districts.

Nous retrouvons dans ce troisième opus une Katniss traumatisée par cette expérience et orpheline de Peeta Mellark (Josh Hutcherson), son compagnon d’infortune, désormais entre les mains du président Snow (Donald Sutherland). Scandalisée par la répression exercée par le Capitole ainsi que par l’anéantissement de son propre district, elle accepte de repartir au combat en endossant à nouveau son personnage du Geai Moqueur, le symbole de la rébellion. La franchise perd donc son principal atout, à savoir ces fameux Hunger games qui tenaient en haleine le spectateur. 

Jennifer Lawrence 

La première partie de « La Révolte » revient donc au contexte politique de la trame en s’intéressant à la guerre d’image que se livre les deux camps. Lorsque les rebelles diffusent une vidéo du Geai Moqueur triomphant, le Capitole riposte par une vidéo de Peeta (manipulé ? torturé ? sincère ?) appelant au calme.  Dans cette guerre totale, les meilleurs atouts des deux parties ont des motivations avant tout personnelles, éloignées d'un quelconque héroïsme : l'envie de retrouver l'être aimé. Là réside d'ailleurs le seul intérêt du film.

Philip Seymour Hoffman et Julianne Moore

Car le reste est ennuyeux, la faute à des enjeux trop faibles et mal équilibrés. La relation Katniss/Peeta n’a jamais été vraiment convaincante dans la franchise et plombe ce troisième épisode en devenant le cœur de l’intrigue. Le spectacle n’est pas non plus au rendez-vous dans ce film bavard et sans surprise ou dorénavant tous les personnages sont du bon côté de la barrière, le seul ennemi restant étant le président Snow, vieux briscard un peu fourbe et sans scrupule qui passe son temps à bombarder à l’aveugle les districts. La violence froide des précédents opus a disparu et il faut attendre le dernier quart d’heure pour commencer à s’accrocher un peu à son siège dans la seule séquence haletante d'un film qui se contente d'enchaîner les scènes inutiles (la seconde visite du district 12) aux enjeux parfois ridicules (il faut sauver le chat !).

Même les acteurs ne semblent plus vraiment concernés : Jennifer Lawrence, en roue libre, verse sa larme à la moindre occasion en jouant les vierges effarouchées, Josh Hurcherson est toujours aussi insipide et Liam Hemsworth traverse le film tel un fantôme. Les vieux briscards font le boulot (Woody Harrelson, Jeffrey Wright, Julianne Moore, Stanley Tucci, Donald Sutherland et le regretté Philip Seymour Hoffman) dans des seconds rôles solides mais convenus. A se demander si cet épisode a vraiment une raison d’exister. Réponse dans un an avec Hunger Games - La révolte : Partie 2, suite et fin de la saga à qui l’on souhaite de retrouver son souffle épique et dramatique. 

Alexandre Robinne

Etats-Unis - 2h03
Réalisation : Francis Lawrence - Scénario : Peter Craig et Danny Strong d'après les livres de Suzanne Collins
Avec : Jennifer Lawrence (Katniss Everdeen), Josh Hutcherson (Peeta Mellark), Liam Hemsworth (Gale Hawthorne), Woody Harrelson.


vendredi 21 novembre 2014

La mort de Mike Nichols


Le réalisateur Mike Nichols est mort mercredi à l'âge de 83 ans d'une défaillance cardiaque. Discret au cinéma ces dernières années, le réalisateur était toujours très actif sur les planches, à voir le succès rencontré par sa mise en scène de Mort d'un commis voyageur en 2012, monté à Broadway avec dans le rôle titre un autre disparu, Philip Seymour Hoffman

Fils d'émigrés juifs russes, Mike Nichols débuta sa carrière à la fin des années 50 où il rencontra le succès grâce à son duo comique avec la comédienne Elaine May qui deviendra sa compagne. Après leur divorce, Nichols poursuit sa route au théâtre avant de signer, en 1966, son premier long métrage, Qui a peur de Virginia Woolf ? adapté de la pièce d'Edward Elbee. Le film offre à ses deux interprètes, Richard Burton et Elizabeth Taylor (qui remporta un Oscar pour ce rôle) de jouer un couple au bord du gouffre dans un grand numéro qui a un peu vieilli. 

Dustin Hoffman et Anne Bancroft dans Le Lauréat (1967)

Son film suivant, Le Lauréat, marque en revanche toujours par sa modernité et par le ton très irrévérencieux que le cinéaste lui a insuflé. Porté par la célèbre bande originale de Simon and Garfunkel, le film se voulait une remise en cause de l'ordre établi et le précurseur de la révolte générationnelle qui grondait aux Etats-Unis. Révélant Dustin Hoffman, Le Lauréat valu à Mike Nichols de remporter l'Oscar du meilleur réalisateur. 

Par la suite, sa carrière connaîtra des hauts et des bas, de Working Girl au Mystère Silkwood en passant par la satire politique La Guerre selon Charlie Wilson, son dernier long métrage. Aimant s'entourer de ses vedettes fétiches (Jack Nicholson, Meryl Streep), il était capable du meilleur (Closer) comme du pire (Wolf). En 2003, il s'était tourné vers le petit écran en réalisant la mini série HBO Angels in America, couronnée par de nombreux prix Outre-Atlantique. 

Mike Nichols demeure d'ailleurs l'un des rares metteurs en scène à avoir remporté un Oscar, un Emmy, un Grammy et un Tonny Award. 

Filmographie sélective 

1966 : Qui a peur de Virginia Woolf ?
1967 : Le Lauréat
1970 : Catch 22
1971 : Ce plaisir qu'on dit charnel
1975:  La bonne fortune
1983 : Le mystère Silkwood
1986 : La brûlure
1988 : Working Girl,
1991 : A propos d'Henry
1994 : Wolf
1998 : Primary Colors
2003 : Angels in America
2004 : Closer, entre adultes consentants
2007 : La guerre selon Charlie Wilson

Un extrait de Closer, entre adultes consentants, son avant-dernier film.

mercredi 19 novembre 2014

Les Opportunistes



Les Opportunistes fut l'un des plus gros succès de l'année en Italie. Adapté du roman américain Human Capital de Stephen Amidon, le film de Paolo Virzi raconte sur deux périodes (l'été et l'hiver), comment un accident de la route va bouleverser la destinée de plusieurs personnages, pris dans les tenailles de l'arrivisme, de la culpabilité et de la lutte des classes.

Le long métrage se déroule aux abords du Lac de Côme, dans la Lombardie italienne, l'une des régions les plus prospères du pays. Un choix qui n'est pas anodin pour dresser un état des lieux du libéralisme sans foi ni loi et de l’obsession de l'argent, incarnés par le couple campé par Fabrizio Gifuni et Valeria Bruni Tedeschi. Lui est un financier sans scrupules, elle est une ancienne comédienne qui décide de remettre à flot l'unique théâtre de la ville. Leur fils est en couple avec la fille d'un agent immobilier qui veut, à leur contact, monter dans l'ascenseur social. 

Valeria Bruni Tedeschi et Fabrizio Gifuni

Le scénario, habilement construit selon trois chapitres, prend tour à tour plusieurs points de vue, les mêmes scènes étant répétées sous différents angles. On suit dans un premier temps Dino, l'agent immobilier hâbleur et cynique, un parvenu prêt à accepter les marchés les plus risqués pour sortir de sa condition. Puis Carla qui a bien des difficultés à mettre en chantier ce théâtre sous l'indifférence polie de son mari cupide et les reproches de son fils immature. Malgré des personnages archétypaux, Paolo Virzi réussit à leur donner vie grâce au talent de ses interprètes qui évitent de les enfermer dans des caricatures stériles. 

Le cinéaste conduit son récit comme un thriller en dévoilant progressivement les clefs d'une intrigue bien ficelée qui va nous conduire à la recherche de la vérité des évènements. Mais il perd de sa force dans une dernière partie artificielle et tirée par les cheveux qui désamorce l'apparente férocité du film, soudain beaucoup plus lisse. De plus, les motivations et les attitudes de certains personnages demeurent confuses et peu crédibles (pourquoi la fille tient-elle tant à faire croire qu'elle est toujours avec le fils du financier ?) Et la dénonciation d'un capitalisme qui mise sur l’effondrement de son pays pour en tirer profit paraît tardive et un peu appuyée. Reste une comédie humaine assez réussie, à l'ironie acerbe, où le cynisme, le mensonge et le chantage sont les bases essentielles pour mener une existence bien ordonnée. 

Antoine Jullien 

Italie - 1h48
Réalisation : Paolo Virzi - Scénario : Francesco Bruni, Francesco Piccolo et Paolo Virzi d'après le roman de Stephen Amidon
Avec : Valeria Bruni-Tedeschi (Carla Bernaschi), Fabrizio Bentivoglio (Dino Ossola), Valeria Golino (Roberta Morelli), Fabrizio Gifuni.


dimanche 16 novembre 2014

La prochaine fois je viserai le coeur

 
Omar m'a tuer, Présumé coupable, 24 jours et bientôt L'Affaire Sk1, le cinéma français se délecte des faits divers qui deviennent désormais l'objet de toutes les attentions, étant la meilleure illustration de la formule "La réalité dépasse la fiction". Pour son troisième long métrage, Cédric Anger a sorti du tiroir une affaire criminelle qui défraya la chronique dans la France des années 70, celle d'Alain Lamarre, gendarme le jour, serial-killer la nuit, auteur d'un meurtre et de plusieurs agressions, arrêté puis reconnu irresponsable de ses actes. L'homme participait à sa propre traque, bien décidé à arrêter ce sinistre assassin qui n'était autre que lui-même, et assénait le courrier adressé à ses collègues de cette menace : "La prochaine fois, je viserai le cœur." Un sujet rêvé, encore fallait-il le rendre cinématographique. 

Cédric Anger a fait le pari risqué de raconter cette histoire uniquement du point de vue du gendarme. Il a voulu littéralement nous placer dans la tête du tueur alors que les réelles motivations de Lamarre ne seront jamais expliquées. Pour réussir ce défi, il choisi de confier le rôle à Guillaume Canet qui semble prendre un certain plaisir à se mettre dans le peau d'assassins réels ou supposés, après avoir campé Maurice Agnelet dans L'homme qu'on aimait trop (voir la critique du film). Avec ses allures de gendre idéal, l'acteur était tout désigné pour interpréter un homme au-dessus de tout soupçon, et il se révèle d'ailleurs très convaincant dans ce personnage ordinaire pris au piège de pulsions qui le sont beaucoup moins. 

Guillaume Canet

Malheureusement pour l'acteur, ni le scénario ni la mise en scène de Cédric Anger ne le servent. Pour tenter de sonder la folie du personnage, le réalisateur parsème son intrigue d'indices aussi grossiers qu'inutiles. En nous montrant Guillaume Canet s'automutiler et s'autoflageller, le cinéaste tombe dans les pires clichés du genre et contribue à provoquer l'inverse de l'effet recherché : l'indifférence. Incapable d'avoir un point de vue original sur son personnage, le cinéaste enchaîne les séquences mécaniquement, plombées par une musique envahissante, sombre dans l'invraisemblance à plus d'une reprise (le gendarme qui réussit à passer la journée dans de l'eau glacée sans se faire prendre !) et finit par faire de mauvais choix scénaristiques (la sous-intrigue boiteuse avec Ana Girardot).  

Cinéphile averti, Cédric Anger connaît ses classiques et à la vue des images embrumées et glacées de la campagne de l'Oise, on retrouve l'ambiance de certains polars d'Alain Corneau. Mais à partir du moment où il décide de nous révéler l'identité du tueur dès la première séquence, il vide son récit de tout suspense et, plus grave, de toute tension. Ne parvenant pas à créer une quelconque empathie envers son protagoniste, le réalisateur paye son refus de ne pas proposer de contrechamp au spectateur, l'enquête des gendarmes au sein des leurs n'est pas traitée et les relations entre les collègues sont plutôt caricaturales. Cédric Anger aurait dû faire appel à un scénariste chevronné pour donner davantage de substance à un film, qui, à l'image de son décor, demeure bien terne.

Antoine Jullien

France - 1h50
Réalisation et Scénario : Cédric Anger
Avec : Guillaume Canet (Franck), Ana Girardot (Sophie), Jean-Yves Berteloot (Lacombe).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez TF1 Vidéo.

jeudi 13 novembre 2014

Interview de Michael R. Roskam pour Quand vient la nuit


Après le choc qu'a pu représenter Bullhead, on était très curieux de voir Michael R. Roskam se frotter au film noir américain. Pour son deuxième long métrage, le réalisateur flamand a décidé de franchir l'Atlantique pour adapter un scénario de Dennis Lehane, le célèbre romancier à qui l'on doit les intrigues de Shutter Island et Mystic River.

Le film nous plonge dans les bas-fonds de Brooklyn en racontant l'itinéraire d'un barman solitaire qui suit, désabusé, le système de blanchiment d'argent de la mafia basé sur des bars-dépôts appelés "Drop bars". Il va se retrouver mêlé à une enquête qui va réveiller des drames enfouis du passé. 

Tom Hardy et Noomi Rapace

Malgré un casting prestigieux où brille particulièrement Tom Hardy et le regretté James Gandolfini, Quand vient la nuit suit les chemins balisés du genre, superbement mise en scène mais manquant un peu de relief. 

Nous avons rencontré Michael R. Roskam, de passage à Paris, afin d'échanger avec lui sur cette riche expérience américaine. 

Etats-Unis - 1h46
Réalisation : Michael R. Roskam - Scénario : Dennis Lehane d'après sa nouvelle
Avec : Tom Hardy (Bob), Noomi Rapace (Nadia), James Gandolfini (Cousin Marv), Matthias Schoenaerts (Eric Deeds).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez 20th Century Fox Vidéo. 

mardi 11 novembre 2014

Paradise Lost


Après Che Guevara et désormais Pablo Escobar, Benicio Del Toro est en passe de devenir la principale incarnation des personnalités majeures de l'histoire sud-américaine. Rappelons en quelques lignes qui était Escobar : le plus important baron de la drogue dans la Colombie des années 80, régnant en maître sur le cartel de Medellin, soudoyant les autorités pour assoir son empire, multipliant les attentats et les exactions, élu même comme député en 1982 à la Chambre des représentants, puis décidé à se rendre en échange d'une peine réduite avant de s'évader de prison pour être finalement tué par l'armée colombienne. Un assassin impitoyable doublé d'une image de Robin Des Bois (il fit construire des maisons, des routes et des hôpitaux dans les quartiers pauvres) qui bénéficie encore aujourd'hui d'une grande aura au sein d'une partie de la population colombienne. 

Avec un tel personnage, il était normal que le cinéma s'y intéresse de prêt. Oliver Stone, Brad Furman et Joe Carnahan n'ont pas réussi à mener leur projet à bien avant que le néophyte Andrea Di Stefano ne s'y colle. Pour son premier long métrage, le réalisateur italien n'a pas souhaité faire un biopic sur la figure d'Escobar, privilégiant une fiction qui raconterait l'arrivée d'un jeune américain dans le clan du redoutable parrain, épousant la nièce de ce dernier. Dans un premier temps sous le charme du bonhomme, il va peu à peu découvrir sa face sombre et criminelle. 

Josh Hutscherson et Benicio Del Toro

Le Dernier Roi d'Ecosse de Kevin McDonald traitait sensiblement du même thème, la fascination d'un jeune homme un peu naïf pour le mal personnifié par Amin Dada, avant de réaliser tardivement dans dans quel piège il s'était fourré. Mais Paradise Lost passe malheureusement à côté de ce sujet, la faute à un scénario qui préfère s'attacher à la traque du héros par les hommes d'Escobar plutôt qu'à développer la relation entre les deux protagonistes. Et devant la vie hors-normes de celui qu'on surnommait Don Pablo, on ne peut que regretter que le cinéaste n'ait pas davantage fouillé cette insaisissable figure du crime, devenant au fur et à mesure du récit un personnage secondaire. 

Comparées à la fadeur de l'interprète principal, le bien pâle Josh Hutcherson, les brèves apparitions de Benicio Del Toro réussissent à maintenir notre intérêt. En un regard, on ne sait jamais s'il va vous embrasser ou vous tirer une balle dans la tête. Le charisme du comédien détonne une fois encore et contribue à se laisser embarquer dans ce thriller sans surprise mais efficace. 

Antoine Jullien

France / Espagne / Belgique - 1h55
Réalisation : Andrea Di Stefano - Scénario : Andrea Di Stefano et Francesca Marciano 
Avec : Josh Hutcherson (Nick), Benicio Del Toro (Pablo Escobar), Claudia Traisac (Maria), Brady Corbet (Dylan). 

Retrouvez Mon Cinématographe débattre de Paradise Lost dans Le Cercle de Canal +


lundi 10 novembre 2014

Une nouvelle amie

 
François Ozon aime la provocation depuis son premier long métrage, Sitcom, dans lequel il dynamitait la cellule familiale. Par la suite, il a malmené le mariage dans 5x2, bouleversé la  maternité dans Le Refuge et sublimé la prostitution dans Jeune & Jolie. Mais le cinéaste est-il un réalisateur militant ou bien un habile manipulateur qui aime jouer avec ses personnages comme avec des figurines ? Son quinzième long métrage, Une nouvelle amie, semble apporter un début de réponse. 

Ozon adapte librement une œuvre de Ruth Randell qu'il voulait à l'origine intituler Je suis femme. Un titre plus explicite que celui finalement retenu et qui résume bien l'intrigue du film, celle d'un homme (Romain Duris) qui, après le décès de son épouse, décide de s'habiller en femme. Un secret bientôt découvert par la meilleure amie de la disparue (Anaïs Demoustier) avec laquelle il va entretenir une curieuse relation.

Romain Duris et Anaïs Demoustier

Le prologue du film est magnifique. Le premier plan nous montre une femme, les yeux fermés, vêtue de sa robe de mariée. Une douceur plane à cet instant jusqu'à ce qu'un cercueil ne se referme sur elle. Puis un flash-back nous raconte, seulement par l'image, les vies des protagonistes avant qu'ils ne se retrouvent aux funérailles de la défunte. La mise en scène de François Ozon est alors d'une fluidité admirable et notre degré d'enthousiasme grimpe subitement. La suite va malheureusement nous donner tort. 

Certains ont vu dans Une nouvelle amie des réminiscences hitchcockiennes, et c'est bien le pire des arguments à donner pour défendre le film. Romain Duris incarne un personnage qui porte les vêtements de sa femme morte pour la faire revivre, évoquant entre les lignes la trame de Vertigo. Mais ce postulat ne tient pas plus de deux séquences tant Ozon s'en éloigne pour nous livrer une comédie pseudo subversive sur les grandes joies et les petites peines du travestissement. 

 
Se travestir est pour Ozon "l'élément déclencheur qui permet au spectateur et au personnage joué par Anaïs Demoustier de comprendre le comportement de David avant de l'accepter". Malin, le réalisateur insinue donc qu'il faut être forcément tolérant face aux préjugés, une démarche très habile qui ne nous empêche pourtant pas de s'interroger. Le travestissement est-il dans la normalité des choses ou bien marque-t-il une vérité plus trouble ? Il choisi de le filmer comme une sorte de jeu, un art ludique du déguisement qui ne prêterait pas à conséquence. Et pourtant, la destinée des protagonistes va s'en trouver totalement chamboulée.

Si tel est le propos, pourquoi sombrer ainsi dans la caricature ? Des répliques telles que "il faut souffrir pour être belle" étaient-elles indispensables ? Sans le vouloir, Ozon tombe dans les travers d'une médiocre parodie et s'il n'y avait pas l'implication assez stupéfiante de Romain Duris, semblant vouloir malmener son image avec gourmandise, le film ressemblerait davantage à La Cage aux folles qu'aux grands mélos revendiqués de Douglas Sirk, lesté d'une réalisation pataude qui ne sublime rien et alourdit tout.

Mais le personnage si anodin d'Anaïs Demoustier, la complète absence de réalisme (les jeunes chez Ozon vivent évidemment dans des baraques gigantesques), les clichés sur le personnage de Raphaël Personnaz et cette fin tellement improbable qu'elle en devient risible, tout concourt à penser que François Ozon n'est qu'un agitateur inoffensif qu'on a soudain un peu de mal à prendre au sérieux.

Antoine Jullien

France - 1h47
Réalisation et Scénario : François Ozon d'après l'oeuvre de Ruth Randell
Avec : Romain Duris (David/Virginia), Anaïs Desmoutier (Claire), Raphaël Personnaz (Gilles), Isild Le Besco (Laura).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévision Distribution

jeudi 6 novembre 2014

Interstellar

 
Les (rares) spectateurs qui auront la chance de découvrir Interstellar projeté en pellicule (le film a été tourné en Imax 70 mm) vivront cette expérience comme une madeleine de Proust, les ramenant dans des temps immémoriaux où la texture du 35mn émerveillait nos pupilles. Christopher Nolan croit fermement à la suprématie de la pellicule et l'impose contre les modes numérisées. Il ne s'agit pas là d'une coquetterie d'auteur mais bel et bien d'une vision de cinéaste. A l'opposé de la révolution technologie qu'a pu représenter Gravity, Interstellar aspire plutôt à devenir le 2001 du XXIème siècle. Mais comparer les deux films risque bien de desservir l’œuvre de Christopher Nolan.

De quoi veut nous parler le cinéaste en embarquant Matthew McConaughey dans ce voyage aux confins du cosmos ? Il plante d'emblée le décor, une campagne typiquement américaine qui se meure faute de nourriture suffisante et d'une pollution galopante. Ces tempêtes de poussière qui mettent à mal le peu d'écosystème qui reste à notre planète obligent les ingénieurs de la Nasa à trouver une solution. Matthew McConaughey, qui interprète un ancien pilote reconverti en agriculteur, se voit confier une mission périlleuse : partir à la recherche d'un trou de verre, situé à proximité de Saturne, afin d'explorer d'autres planètes habitables. La survie de la Terre en dépendra. 

Matthew McConaughey, Anne Hathaway et David Gyasi

On aime avec quelle manière Nolan dépeint cette ruralité si familière dans le cinéma américain, façonnée dans un beau classicisme. Le choix déchirant qui va conduire cet homme à quitter ses enfants pour le bien de l'humanité est traité sans pathos, et les échanges parfois houleux qu'il a avec sa fille émeuvent le plus souvent. Et puis "l'ultimate trip" commence. On sent bien à cet instant que Nolan ne va pas chambouler le film de science fiction de fond en comble, du moins pas formellement. Des images d'expéditions spatiales déjà vues ailleurs agrémentent la première partie du métrage mais le cinéaste les réalisent avec une telle suprématie qu'elles n'en demeurent pas moins fascinantes. Et l'utilisation du son, ou plutôt son absence, renforce cette impression. 


Plus le voyage dans la galaxie progresse et plus les questions fondamentales envahissent tous les ports d'Interstellar. Christopher Nolan et son frère, Jonathan, ont travaillé leur scénario selon les travaux du physicien théoricien Kip Thorne. Des sujets tel que la gravité et la relativité sont au cœur du film et la course effrénée contre l'espace-temps est le ressort majeur de l'intrigue. À des années lumières de la Terre, Mathew McConaughey voit le temps défiler et ses enfants grandir alors que lui-même n'a pas changé d'apparence. De ce bouleversement temporel naît la plus belle séquence du film lorsque le personnage voit, sur son écran d'ordinateur, sa fille devenue adulte se confier à lui. La dimension sacrificielle de son geste nous explose alors au visage : il aura perdu ses enfants pour le bien de l'humanité. 

Mais l'héroïsme chez Nolan est sans cesse contrarié et la quête d'un avenir meilleur va devenir illusoire et se transformer en méditation douloureuse sur notre place dans l'univers. La sublime musique d'Hans Zimmer, qui signe l'une des meilleures partitions de sa carrière, accompagne magnifiquement les destinées de notre espèce. Alors que ce périple interstellaire se suffisait presque à lui-même, le cinéaste le fait s'alterner avec notre présent terrestre (ou proche futur, c'est selon). Une idée qui trouvera sa pertinence à la fin du récit mais qui demeure boiteuse et bien éloignée du caractère originel de 2001 : l'odyssée de l'espace. 

Christopher Nolan

Nolan ne s'en est jamais caché, il tient le chef d’œuvre de Stanley Kubrick comme l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma et le parallèle entre les deux films est tentant, de part certains éléments du scénario (le robot TARS ressemble étrangement au monolithe noir), plusieurs péripéties (l'astronaute qui ne peut plus rentrer dans la station spatiale) jusqu'au trip final qui nous fait entrer dans une nouvelle dimension. Mais il existe une différence majeure entre les deux films : le mystère. A contrario de Kubrick, Nolan utilise sans cesse un discours scientifique très érudit dans le but d'affirmer des thèses résolument passionnantes mais qui demeurent presque insondables, sauf pour des esprits très éclairés. Ce verbiage finit par anesthésier le film alors que le silence de l'espace suffisait à Kubrick pour nous captiver. Et cette logorrhée scientifique sert aussi de prétexte au réalisateur à des rebondissements scénaristiques majeurs très discutables, notamment dans la dernière partie du film.

On ne peut que louer l'immense ambition de Christopher Nolan, le fait d'imposer à un public habitué aux blockbusters décérébrés un film réflexif qui ne prenne pas le spectateur par la main. Mais la statue de démiurge que se forge peu à peu le cinéaste finit par se retourner contre lui, et on est soudain dubitatif face à ce que l'on vient de voir sur l'écran. Un problème de dimension ? Ou un monticule d'incohérences qui pourrait le faire tomber de son piédestal ? Nous ne sommes pas certains d'avoir la réponse.

Antoine Jullien

Etats-Unis / Grande-Bretagne - 2h50
Réalisation : Christopher Nolan - Scénario : Jonathan et Christopher Nolan
Avec : Matthew McConaughey (Cooper), Anne Hathaway (Amelia), Jessica Chastain (Murph), Michael Caine (Professeur Brand).

Retrouvez Mon Cinématographe débattre d'Interstellar dans l'émission Le Cercle de Canal +






Disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Home Vidéo.

mercredi 5 novembre 2014

Interview de July Jung pour la sortie de A Girl at my door

 
A Girl at my door est le premier long métrage de July Jung, produit par Lee Changdong, le réalisateur de Poetry. Présenté au dernier festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, le film raconte l'arrivée d'une lieutenant de police venant de Séoul dans un petit village coréen. Elle se retrouve confrontée au monde rural avec ses habitudes et ses secrets. Elle croise une jeune fille dont le comportement singulier et solitaire l'intrigue avant de la recueillir chez elle afin de la protéger des coups de son beau-père. 

July Jung signe une œuvre déconcertante, inconfortable, sur une relation ambivalente entre ces deux personnages où la délicatesse côtoie des zones plus troubles, et qui dénonce avec beaucoup de finesse l'intolérance d'une société pour laquelle l'homosexualité reste un tabou. 

Nous avons rencontré la réalisatrice qui revient avec nous sur ce coup de maître.

- Dans un pays, la Corée, où pour une femme il est difficile de trouver des postes de responsabilité, quelle a été votre expérience en tant que réalisatrice pour votre premier long métrage?

July Jung : En effet, la société est très patriarcale, et il y a dans ce film deux personnages principaux féminins qui partagent une très grande solitude. Dans le cas du lieutenant de police, une femme flic assez haut placée qui travaille dans un milieu très hiérarchisé, très masculin, et qui est homosexuelle, elle vit une situation difficile qui l'amène à intérioriser beaucoup de choses et à moins s'exprimer. Et en tant que réalisatrice, cela n'a pas non plus été évident de faire ce premier film.

- C'est un portrait contrasté de la société coréenne où vous montrez des villageois qui tolèrent qu'un homme puisse battre sa belle-fille. Est-ce un reflet de la réalité ?

Ce n'est pas une réalité parce qu'il s'agit avant tout d'une fiction. Mais ce qui se déroule dans ce village est largement plausible. Je me suis dit qu'il fallait que les habitants aient une raison valable pour ne pas dénoncer cette violence, montrer que parfois, les gens n'ont pas le choix, qu'ils doivent se taire face à la violence. 

Doona Bae

- Il y a un rebondissement majeur qui intervient dans la dernière partie du film et qui lui confère une autre tonalité. Pensez-vous que la fin puisse justifier les moyens ?

Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ?

- Je trouve très pertinent que vous ne jugiez pas vos personnages mais les actes que vous montrez interpellent, surtout venant de la part d'une jeune fille que vous n'idéalisez pas.

Lors de l'écriture du scénario, et même pendant le tournage, j'ai prêté une attention particulière à la scène que vous évoquez et qui est le climax du film. Pour Dohee, la jeune fille, le geste qu'elle accomplit est absolument vital et elle choisit à la fois la meilleure et la pire des solutions. Je sais que certains spectateurs ont été très surpris car ils pensaient qu'elle n'en serait pas capable. Mais je ne voulais pas la décrire comme une simple victime, je souhaitais qu'elle soit un personnage très complexe parce qu'elle a toujours évolué dans un environnement très violent et qu'un changement s'opère progressivement en elle.

- Au sein de cette violence, il y a une belle complicité qui se développe entre les deux personnages féminins, la jeune fille et la femme. Comment le tournage s'est-il déroulé entre les deux actrices, Doona Bae et Kim Sae-Ron, et comment ont-elles construit leur collaboration pour arriver à ce résultat à l'écran ?

Effectivement, l'évolution des sentiments et des émotions des deux personnages est très importante. Je ne veux pas dire que les deux actrices devaient vivre la même chose que leurs personnages mais il fallait qu'il y ait une alchimie subtile entre elles. Et sur le tournage, elles se sont très bien entendues. Au début, comme dans le film, elle se sont cherchées. Et au fil du temps, elles ont fini par se rapprocher et mieux se connaître. 

Kim Sae-Ron

- Le film semble nous dire que les meilleures intentions risquent toujours de se retourner contre nous. Le but du lieutenant de police est de sauver cette jeune fille et son acte bienveillant va faire d'elle une coupable lors d'une éprouvante séquence de garde à vue.

C'est en écrivant le scénario que cette scène de garde à vue m'est venue. Je voulais qu'elle puisse être crédible. A ce moment du récit, Dohee ne comprend pas ce qui lui arrive, elle a peur, elle est désarçonnée. Elle parle de la lieutenant sans vraiment comprendre la gravité de ses propos. Auprès des flics qui l'interrogent, elle veut se vanter d'avoir été aimée par la lieutenant alors qu'elle l'enfonce. Son accusation renforce la solitude de la lieutenant, le fait qu'elle soit homosexuelle et toujours victime de préjugés et de malentendus. Elle pensait que sa solitude allait s'atténuer au contact de Dohee et c'est le contraire qui intervient. A travers cette scène d'interrogatoire, je voulais aussi que le public, qui n'avait jusqu'à présent qu'une vague idée de ce que la jeune fille avait enduré, puisse à cet instant sympathiser avec elle et être solidaire.

- Vous filmez une galerie de personnages haut en couleurs, le moindre rôle a de l'importance. Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

J'ai eu beaucoup de chance ! Tous les acteurs auxquels j'avais pensé ont donné leur accord dès la lecture du scénario. Lors du tournage, on arrêtait pas de vagabonder ici et là et un certain esprit de famille s'est créé au sein de l'équipe. Il y a bien sûr eu des tensions et des conflits mais je pense que ce mode de tournage a su générer certains sentiments très particuliers qui ont amené les acteurs à une sorte de solidarité. Je ne peux donc que les remercier !

Propos recueillis par Antoine Jullien

Corée du Sud - 1h59
Réalisation et Scénario : July Jung 
Avec : Doona Bae (Young-nam), Kim Sae-Ron (Dohee), Song Sae-Byeok (Yong-ha).

dimanche 2 novembre 2014

The Giver

 
Une énième adaptation de saga littéraire à succès pour ados débarque sur les écrans. Basé sur une dystopie (voir la critique du Labyrinthe), The Giver est la pierre angulaire du genre, l’œuvre qui a ouvert les portes aux Hunger Games et autre Divergente. Vingt ans après la sortie du livre de Lois Lowry, voici donc sa version cinématographique réalisée par le vétéran Phillip Noyce.

Le film s’attache au personnage de Jonas, un jeune homme vivant sur une île encerclée par une brume sans fin. Dans ce monde clôt et aseptisé, triste et sans relief, les contacts humains sont prohibés, toute émotion ou libre arbitre interdits. La quête de Jonas commence lorsque les « Sages » emmenés par la Doyenne (Meryl Streep), lui attribuent la mission de devenir le nouveau Passeur (The Giver donc) en se formant auprès de l’actuel Passeur (Jeff Bridges), vieil homme pantouflard fatigué de devoir porter seul la mémoire d’un passé dans lequel danser, écouter de la musique et faire de la luge était encore possible. En absorbant petit à petit les souvenirs de ce dernier, Jonas va découvrir aussi bien l’amour et la joie que la violence et la mort.

Le premier problème que rencontre le film est le manque de crédibilité de son point de départ. On a du mal à adhérer à l’existence même du Passeur dans cet univers totalitaire où Big Brother veille. Pourquoi sauvegarder le souvenir d’un monde que l’on a volontairement détruit ? Pourquoi laisser cette boîte de Pandore entre les mains d’un être humain, faillible par définition ? 

Meryl Streep et Jeff Bridges

Et les problèmes ne s’arrêtent pas là. Si le film est agréable à regarder dans son ensemble, la naïveté de son propos le rend assez décevant. Sans souffle épique ni véritable tension dramatique, The Giver ne surprend jamais et laisse place à un ennui poli. Même si la présence du noir et blanc au début du film souligne une certaine forme de courage dans l’adaptation, le reste est d’une platitude désolante. Les jeunes acteurs manquent cruellement de charisme et leurs aînés (Jeff Bridges et Meryl Streep) ne sortent jamais de leur zone de confort. La réalisation, noyée sous un amoncellement d’images YouTube, est tout aussi insipide et on a la désagréable sensation qu’un fossé générationnel sépare les fabricants du film de son public. En effet, Phillip Noyce tourne à l’ancienne, utilisant sans vergogne une shaky cam (caméra qui tremble volontairement) ringarde pour dynamiser ses rares séquences d’action alors qu’un découpage plus nerveux aurait fait l’affaire. Et lorsqu’il s’agit d’évoquer la guerre, le réalisateur fait ouvertement référence au Vietnam alors que la jeunesse d’aujourd’hui devrait plutôt être interpellée par des images rappelant l’Irak ou l’Afghanistan.

Malgré de nombreuses références intéressantes (1984 de George Orwell, Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley ou Métropolis de Fritz Lang), The Giver est dès lors obsolète, trop classique pour faire vibrer, trop incohérent pour passionner, et déjà oublié à peine visionné.

Alexandre Robinne

Etats-Unis - 1h37
Réalisation : Phillip Noyce - Scénario : Michael Mitnick et Robert W. Weide d'après le livre de Lois Lowry
Avec : Jeff Bridges (Le Passeur), Meryl Streep (Doyenne), Brenton Thwaites (Jonas), Alexander Skarsgard (Le père de Jonas).