"La meilleure formation en matière de films est d'en faire un" selon Stanley Kubrick. Le génial cinéaste en a réalisé treize qui font partie d'une des oeuvres les plus importantes du XXème siècle. Un artiste démiurge, impressionnant, intimidant auquel la Cinémathèque française, onze ans après sa mort, consacre une exposition exceptionnelle ¹ occupant deux niveaux du bâtiment, soit près de 1000 m² (une première !). Créée en 2004 par le Deutsches Filmmuseum de Francfort en étroite collaboration avec Christiane Kubrick, l'épouse du cinéaste, et Jan Harlan, son beau-frère et producteur exécutif de tous ses films à partir de Barry Lyndon, l'exposition est déjà passée par plusieurs grandes villes : Berlin, Melbourne, Gand, Zurich et Rome avant de s'installer à Paris jusqu'au 31 juillet.
Installation de Lolita
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.
Conçu film par film, le parcours propose un voyage au coeur de la création du Maître. A travers de nombreux documents, plans de tournage, scénarios annotés, recherches préparatoires, dessins, l'obsession du détail chère au cinéaste éclate au grand jour. Le fichier de Napoleon en est l'un des exemples les plus frappants, Kubrick ayant répertorié chaque biographie de personnage par couleur soigneusement choisie. Dans l'une des interviews accordée à Michel Ciment que l'on peut savourer (l'un des rares journalistes qui a pu rencontré Kubrick, auteur d'un ouvrage de référence ²), il se disait, à propos de Barry Lyndon, passionné par la recherche documentaire où il se sentait l'âme d'un détective, épuisant tous les ouvrages possibles sur le sujet afin d'en connaître les moindres contours. Sa collaboration avec les physiciens de la NASA et l'auteur Arthur C. Clarke sur la préparation de 2001: l'odyssée de l'espace témoignent de ce perfectionnisme tout comme son souci du progrès technologique qu'il n'a eu de cesse de développer. Les effets spéciaux novateurs de 2001 (qui lui vaudront son unique Oscar !) ainsi que l'utilisation de l'objectif grande vitesse Zeiss pour le tournage à la bougie de Barry Lyndon ont marqué des étapes clefs dans l'histoire des techniques cinématographiques.
Korova milk bar. Décor d'Orange mécanique recréé pour l'exposition.
Photo: Uwe Dettmar /© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.
L'exposition présente des objets pour la première fois montrés au public : la hache meurtrière de Jack Nicholson, la machine à écrire et le costume des jumelles dans Shining, la tenue du Droogs d'Orange Mécanique, les costumes du XVIIIème siècle de Barry Lyndon où le crâne du singe de 2001. Deux maquettes de décor retiennent particulièrement l'attention, celle de la salle de contrôle de Docteur Folamour imaginée par Ken Adam et le labyrinthe en mousse de Shining.
Maquette en mousse du labyrinthe de Shining / Reconstruction : Daniel Simmer
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt
L'ampleur de l'oeuvre kubrickienne prend corps au fur et à mesure de notre déambulation. Les images inoubliables de ses films hantent et fascinent, et les extraits minutieusement choisis nous rappellent la cohérence d'une filmographie d'exception où tous les genres ont été abordés afin de les révolutionner de fond en comble. Kubrick disait lui-même : "Il m'est impossible de vous dire ce que je vais faire si ce n'est que je pense faire le meilleur film jamais réalisé". Mais l'exposition nous rappelle également l'incompréhension, voire le rejet que ses films ont suscité à leur sortie. On lit, effaré, les diatribes d'Henri Chapier qui qualifiait, en 1962, Lolita d'"'hypocrite contre-façon de Nabokov" avant de qualifier quelques années plus tard Orange Mécanique de "film génial". Victime de la censure à cause du son caractère antimilitariste, Les Sentiers de la gloire, violente dénonciation de l'attitude des généraux français durant la première guerre mondiale, vaudra au long métrage d'être interdit en France jusqu'en 1975.
Clap de Eyes Wide Shut
© Deutsches Filminstitut, Frankfurt.
Mais c'est le visage de Kubrick qui se voit soudain transfiguré. Lui, le grand créateur dictatorial et reclus que les médias ont dépeint durant toute sa vie nous apparaît avec une touchante simplicité. Les aquarelles de Christiane Kubrick le dessinant paisiblement dans sa propriété londonienne mais surtout les images de tournage, jusqu'à présentes inédites, de Full Métal Jacket ainsi que certains clichés du tournage d'Eyes Wide Shut nous révèlent un homme d'une espièglerie et d'une sagesse étonnantes, entouré d'une équipe réduite alors que ses tournages représentaient des entreprises monumentales.
Tom Cruise, Nicole Kidman et Stanley Kubrick sur le tournage de Eyes Wide Shut
(Eyes Wide Shut, GB/USA 1999) Photo: Manuel Harlan/ © Warner Bros.Entertainment Inc.
Outre ses longs métrages, un espace est dédié aux projets qui n'ont pas pu voir le jour dont le fameux Napoléon annulé quelques semaines avant le début du tournage ou le film de science-fiction A.I. - Intelligence Artificielle dont Kubrick confiera la réalisation à Steven Spielberg. On peut découvrir également les premiers clichés du cinéaste alors qu'il était photographe pour le magazine américain Look et qui montrent déjà sa science du cadrage et des perspectives, le magasinier pleurant la mort du président Roosevelt interpelle encore par sa puissance et sa simplicité. Enfin, une très instructive salle musicale permet de mieux comprendre l'importance de la musique dans l'oeuvre kubrickienne et la pertinence de ses choix où l'utilisation avant-gardiste du classique côtoie la pop et les standards jazzie.
Stanley Kubrick sur le tournage de 2001: L’Odyssée de l’espace
(2001: A Space Odyssey, GB/USA 1965-68) © The Stanley Kubrick Archive.
"En tant que metteur en scène et producteur, Kubrick a créé des mondes d'images qui, jusqu'à ce jour, exercent une fascination sans faille et continuent d'inspirer et de déranger le spectateur". Le commissaire de l'exposition, Hans-Peter Reichmann, résume bien l'importance de Stanley Kubrick aujourd'hui. Il est l'un des réalisateurs le plus commentés et sans doute le plus proche des jeunes générations curieuses de découvrir un cinéaste qui a su accomplir une oeuvre exigeante et populaire, traversant les décennies sans rien perdre de son génie visionnaire. Pour l'éternité.
Antoine Jullien
Filmographie
1953 : Fear and Desire
¹ Un audioguide avec la voix de Marisa Berenson en français et Malcom McDowell en anglais parcourt l'exposition ainsi que des images du documentaire de Jan Harlan Stanley Kubrick : une vie en images
² Kubrick de Michel Ciment - Editions Calmann-Levy (Réédition incluant une préface de Martin Scorsese).
Filmographie
1953 : Fear and Desire
1955 : Le baiser du tueur (Killer's kiss)
1956 : L'ultime razzia (The Killing)
1957 : Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory)
1960 : Spartacus
1962 : Lolita
1964 : Docteur Folamour (Dr Strangelove)
1968 : 2001 : l'odyssée de l'espace (2001 : a space odyssey)
1971 : Orange Mécanique (A Clockwork Orange)
1975 : Barry Lyndon
1980 : Shining (The Shining)
1987 : Full Metal Jacket
1999 : Eyes Wide Shut
1956 : L'ultime razzia (The Killing)
1957 : Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory)
1960 : Spartacus
1962 : Lolita
1964 : Docteur Folamour (Dr Strangelove)
1968 : 2001 : l'odyssée de l'espace (2001 : a space odyssey)
1971 : Orange Mécanique (A Clockwork Orange)
1975 : Barry Lyndon
1980 : Shining (The Shining)
1987 : Full Metal Jacket
1999 : Eyes Wide Shut
Exposition Stanley Kubrick à la Cinémathèque française du 23 mars au 31 juillet.
Rétrospective de ses films du 23 mars au 18 avril avec des conférences et des tables rondes.
Cycle Autour de Stanley Kubrick du 20 avril au 2 mai.
Coffret Stanley Kubrick réunissant pour la première fois l'intégralité de sa filmographie en DVD ainsi que le livre référence Stanley Kubrick Archives édité par Taschen (544 pages).
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