vendredi 29 mai 2015

A la poursuite de demain

 
Brad Bird est sans doute l’un des meilleurs conteurs des années 2000, en tout cas l’un des plus créatifs. Après avoir réalisé quelques épisodes des Simpsons, le réalisateur américain signe en 1999 un premier long métrage d’animation, Le Géant de Fer dans lequel un petit garçon (orphelin de père) se lie d’amitié avec un robot géant capable de déclencher une guerre nucléaire. Même si ce film brillant ne trouva pas totalement son public, il lui permit d’être repéré par le studio Pixar qui l’engagea pour signer deux chefs d’œuvres que sont Les Indestructibles (2004) et Ratatouille (2007). Après ces trois films d’animation, il était temps pour Brad Bird de quitter sa zone de confort en prenant place derrière la caméra du surestimé Mission : Impossible - Protocole Fantôme dans lequel il relançait la franchise et un Tom Cruise en plein syndrome de Peter Pan. Ce très large succès critique et public lui offrit alors sur un plateau le pharaonique Tomorrowland (le titre original de À la Poursuite de Demain), s’inspirant directement, comme ce fut le cas de Pirates des Caraïbes en son temps, d'une attraction des parcs Disneyland. Avec un budget de 190 millions de dollars et un George Clooney vieillissant mais toujours aussi sympathique, le réalisateur américain a donc la lourde tâche de dévoiler l’un des blockbusters les plus risqués de l’année car… original (ce n’est pas une suite ni une adaptation). Au vu des précédents résultats de la firme aux grandes oreilles dans la catégorie (John Carter et Lone Ranger ont été deux catastrophes industrielles malgré leurs qualités évidentes), on a de quoi être inquiet. Et même si à bientôt 60 ans Brad Bird revient à son genre de prédilection, peut-il encore nous émerveiller avec ses mondes féériques et captivants sortis de son imagination ?

À la Poursuite de Demain raconte les aventures de Casey (l’inconnue Britt Robertson), une adolescente curieuse rêvant depuis toujours d’explorer l’univers. Elle se retrouve en possession d’un pin’s magique qui lui permet, lorsqu’elle le touche et pour un temps limité, de découvrir un monde merveilleux rempli d’inventions prodigieuses. Avec l’aide d’une jeune fille mystérieuse prénommée Athena, elle retrouve l’un des anciens pensionnaires de ce lieu baptisé Tomorrowland en la personne de Franck Walker (George Clooney), un inventeur de génie ayant perdu ses illusions. Traqués par des robots tueurs, nos trois aventuriers vont devoir retourner dans ce monde plein de promesses pour sauver leur vie… et peut être même le monde.

George Clooney

À la poursuite de Demain est un grand film d’aventure pour toute la famille comme on en avait plus vu depuis très longtemps. En nous faisant pénétrer dans un monde envoûtant dans lequel les garçons volent avec leurs Jetpacks, où les jeunes filles partent en vacances à des années-lumière de leurs parents et dans lequel la créativité est le maitre mot, difficile de ne pas s’emballer devant l’impressionnante inventivité dont fait preuve le film. Soutenu par des effets spéciaux particulièrement soignés, Tomorrowland nous offre un voyage époustouflant en faisant rejaillir avec une facilité déconcertante notre âme d’enfant, tout en évitant l’écueil de l’infantilisation abrutissante du public comme Disney sait parfois le faire.

Car Brad Bird ne recule devant rien et affronte sans rechigner des thèmes parfois lourds (les guerres, les catastrophes écologiques…) dans un scénario qui accepte la notion de mort, parfois même pour des personnages importants. Même si le film évite avec malice la moindre effusion de sang, il n’en reste pas moins relativement violent lorsqu’il s’agit de passer à l’action : fusillades impressionnantes, mise en danger des protagonistes, rien n’est fait pour aseptiser un film qui assume son côté écologiste, humaniste et touchant de naïveté quand il s’agit d’évoquer le futur de notre planète. 

Britt Robertson

Mais plusieurs petits détails viennent quelque peu gâcher la fête en commençant par la durée du film qui demande à des enfants de concentrer leur attention pendant plus de deux heures sur une aventure, certes grandiose, mais qui connait aussi des ralentissements lorsqu’il s’agit d’expliquer, de manière parfois laborieuse, les tenants et les aboutissants de certaines séquences. L’autre interrogation quant au succès du film réside dans l’acceptation (ou non) des plus jeunes spectateurs au rêve, peut être un peu suranné, de la conquête spatiale. Certes, les succès de Gravity et d’Interstellar montrent que l’être humain semble de nouveau regarder vers les étoiles, mais les plus jeunes ont-ils encore cette envie d’exploration à l’heure du numérique et d’Internet ? Le pin’s orné du logo Tomorrowland est-il le talisman le plus approprié pour les inviter dans cette aventure ? Le film n’est-il finalement pas le rêve d’un gamin de 57 ans ayant grandi en regardant les fusées Apollo s’envoler de Cap Canaveral ? On croise les doigts en tout cas pour Brad Bird de ne pas s’être trompé d’espace-temps pour nous lancer À la Poursuite de Demain, auquel cas Disney pourrait arrêter de tenter sa chance sur des projets ambitieux et originaux en remplissant son tiroir-caisse avec ses franchises Marvel, efficaces mais terriblement formatées.

Alexandre Robinne

Etats-Unis / Espagne - 2h10
Réalisation : Brad Bird - Scénario : Damon Lindelof, Brad Bird et Jeff Jensen
Avec : George Clooney (Frank Walker), Britt Robertson (Casey Newton), Hugh Laurie (Nix), Raffey Cassidy (Athena).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Walt Disney France.

jeudi 28 mai 2015

Cannes : Reprises Un Certain Regard et La Quinzaine des Réalisateurs

Que tous ceux qui n'ont pas pu découvrir les films lors du festival de Cannes se rassurent, ils vont pouvoir se rattraper. 


En effet, le cinéma Le Reflet Médicis à Paris propose comme chaque année la reprise de la sélection Un Certain Regard. On vous conseille particulièrement le film islandais Béliers de Grimur Hakornason, une histoire drôle et poignante autour de deux frères brouillés depuis quarante ans que des moutons vont finir par rapprocher. Le long métrage a obtenu le prix Un Certain Regard. 

Parmi les autres œuvres remarquées, citons les films roumains L'étage du dessous de Radu Muntean et Mon Trésor du réalisateur Corneliu Porumboiu, révélé il y a dix ans grâce à 12h08 à l'est de Bucarest, sans oublier le dernier opus du japonais Kiyoshi Kurosawa, Vers l'autre rive, récompensé par le prix de la mise en scène. 


La reprise de la Quinzaine des Réalisateurs est elle à découvrir au Forum des Images. Le film turc Mustang a déjà fait sensation en remportant le Prix Europa Cinémas et la trilogie de Miguel Gomes, Les Mille et Une Nuits, d'une durée de 6h découpée en trois parties, en a ébloui plus d'un. Et si vous souhaitez profiter d'une œuvre originale et irrévérencieuse, alors courez voir Le Tout Nouveau Testament, la dernière folie de Jaco Van Dormael. Tous ces films sont à voir en avant-première jusqu'au 7 juin.  

Reprise Un Certain Regard jusqu'au 2 juin au cinéma Le Reflet Médicis - 5, rue Champollion à Paris 
Reprise de La Quinzaine des Réalisateurs jusqu'au 7 juin au Forum des Images à Paris  

Le forum des Images peut se féliciter de la Reprise de la Quinzaine des Réalisateurs qui a attiré près de 9000 spectateurs. Une sélection de qualité portée notamment par le sensible Mustang, l'irrésistible Tout Nouveau Testament et le cru et réaliste Much Loved

mardi 26 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : Le Palmarès



Les frères Coen ont fait mentir ceux qui trouvaient la sélection française particulièrement faiblarde cette année même si l'on contestera certains films qui n'avaient pas leur place en compétition. 

Dheepan de Jacques Audiard, Palme d'Or

Jacques Audiard obtient la consécration suprême, tant de fois promise, grâce à Dheepan qui remporte la Palme d'Or. Bien que le film ne soit pas le meilleur de son auteur (voir vidéo), il permet au réalisateur français de s'affirmer définitivement sur la scène du cinéma mondial. Ce western urbain sur un ancien guerrier tamoul débarquant dans une cité française sortira le 26 août prochain. 

Vincent Lindon, Prix d'interprétation pour La Loi du Marché 

Vincent Lindon remporte le Prix d’interprétation tant espéré pour La Loi du Marché de Stéphane Brizé. Incarnant un homme sans emploi qui devient vigile de supermarché, le comédien français se voit enfin couronné par ses pairs à l'instar d'Emmanuelle Bercot, prix d'interprétation féminine pour Mon Roi de Maïwenn. Une récompense qu'elle partage avec Rooney Mara, couronnée pour sa prestation dans Carol de Todd Haynes. A noter que Cate Blanchett, sa partenaire à l'écran, a été remarquablement snobée. 

Grand Prix pour Le fils de Saul

Le Grand Prix revient au Fils de Saul du hongrois Laszlo Nemes, une plongée dans le camp d'extermination d'Auschwitz qui a beaucoup impressionné les critiques et les festivaliers. The Assassin de Hou Hsiao-hsien a été distingué par le prix de la mise en scène et The Lobster de Yorgos Lanthimos remporte le prix du Jury (voir vidéo). 

Un palmarès assez cohérent qui oublie superbement la sélection italienne (rien pour Nanni Moretti, Paolo Sorrentino et Matteo Garrone) et qu'il sera tant d'évaluer à nouveau lors de la sortie de tous ces films dans les mois à venir. 


Palme d'Or
Dheepan de Jacques Audiard (sortie le 26 août)

Grand Prix
Le fils de Saul de Lazlo Némès (4 novembre)

Prix de la mise en scène
The Assassin de Hou-Hsiao-hsien (9 mars 2016)

Prix d'interprétation masculine
Vincent Lindon dans La Loi du Marché de Stéphane Brizé (en salles)

Prix d'interprétation féminine
Emmanuelle Bercot dans Mon Roi (21 octobre) et Rooney Mara dans Carol (13 janvier 2016)

Prix du Jury 
The Lobster de Yorgos Lanthimos (28 octobre)

Prix du Scénario
Chronic de Michel Franco (21 octobre)

Caméra d'Or 
La Tierra y la Sombra de César Augusto Acevedo (27 janvier 2016)

samedi 23 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : Audiard en territoire tamoul, Depardieu perdu dans la Vallée de la Mort



Le festival de Cannes se termine et la fatigue accumulée empêche de disposer encore d'une lucidité à toute épreuve. C'est la loi de l'évènement qui nous impose parfois des jugements hâtifs qu'il sera bon de remiser à tête reposée. 

Dheepan, le nouveau Jacques Audiard, représentait le dernier espoir d'une sélection plutôt faible. Le réalisateur de De Battre mon coeur s'est arrêté s'est intéressé à un ancien combattant tamoul qui fuit la guerre civile au Sri-Lanka, accompagné d'une femme et d'un enfant qui se font passer pour sa famille, afin de tenter de se reconstruire en France. 

Dheepan de Jacques Audiard

Le talent du cinéaste est à l’œuvre, qu'on se rassure, et il est presque embarrassant de voir qu'en seulement quelques séquences il surclasse presque tout le cinéma français. Dans les deux premiers tiers du récit, la maîtrise du réalisateur se déploie majestueusement tout en opérant quelques changements stylistiques marqués par l'absence inédite de son compositeur attitré Alexandre Desplat et l'arrivée d'une nouvelle chef opérateur, Eponine Momenceau, à qui l'on doit des images ensorcelantes évoquant le passé de Dheepan. Un renouveau dans sa mise en scène qui atteint une grande ampleur et quelque pics d'intensité, notamment lors d'une stupéfiante séquence de gunfight

Mais notre réserve vient justement de cette dernière partie qui semble effacer tout ce qui avait été entrepris jusque là. Audiard tombe dans le cliché de la guerre des gangs et le final, très ambigu, tend à donner une vision assez déplaisante de l'âme humaine, une sorte de loi du talion qui ne dirait pas son nom. Mais il faut souligner l'interprétation des deux comédiens principaux, non-professionnels, qui rejouent à l'écran ce qu'ils ont vécu, Antonythasan Jesuthasan ayant été enrôlé dès l'âge de 16 ans par les Tigres Tamoul. Ils mériteraient tous les deux le prix d'interprétation. A noter que le film a été présenté sans générique de fin, le signe évident qu'il était à peine terminé au moment de sa présentation. Jacques Audiard devrait peaufiner son montage avant la sortie du film prévue le 26 août et ainsi nous proposer cette fois le grand film espéré. 

Valley of Love de Guillaume Nicloux

Guillaume Nicloux a réuni le couple Huppert-Depardieu qui ne s'était pas reformé depuis Loulou de Maurice Pialat en 1980. C'est à l'initiative de l'heureuse productrice de Timbuktu, Sylvie Pialat, que l'on peut à nouveau les contempler dans Valley of Love. Ils jouent Isabelle et Gerard qui se retrouvent dans la Vallée de la Mort pour honorer une invitation qu'ils ont reçue de leur fils après son suicide. 

Si Nicloux dit avoir trouvé dans ce lieu insolite des réminiscences mystiques, le spectateur, lui, n'est pas embarqué. Le film est plombé par une solennité qui l'étouffe totalement. De plus, les acteurs semblent égarés à commencer par Isabelle Huppert, mal dirigée. Spectateur du film, Depardieu s'en tire mieux mais ne parvient pas à nous sortir de notre torpeur. Très mal dialogué, platement réalisé, Valley of Love ne convainc pas une seconde. Encore une fois un mystère de cette sélection. 

The Assassin de Hou Hsiao-hsien

Le cinéma asiatique avait aussi le droit de citer pendant ce festival qui représentait ces cinéastes les plus prestigieux. Si Jia Zhang-Ke délivre, avec Mountains May Depart, un nouveau portrait affûté de la société chinoise dont la mise en scène brille par son acuité et sa précision, on ne peut pas en dire autant du dernier opus du cinéaste taïwanais Hou Hsiao-hsien, The Assassin, dont la gestation fut très compliquée. On s'attendait à un film de sabre virevoltant, il faudra se contenter de deux scènes de bataille et d'une succession interminable de plans tableau, sublimes certes, mais qui provoquent un ennui très vite contagieux. Quant à l'intrigue, alambiquée à n'en plus finir, on s'en désintéresse rapidement. On aurait préféré éviter cette purge qui ravira uniquement ceux qui, droit dans les yeux, vous diront qu'ils ne sont pas tombés dans les bras de Morphée durant la projection. 

Antoine Jullien

mercredi 20 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : Pixar au sommet, Denis Villeneuve sous tension

 
Nous avons notre palme d'Or mais elle ne figure malheureusement pas en compétition ! Vice-Versa, la dernière création des studios Pixar, est une pure merveille, l'un des chefs d’œuvre du studio à qui l'on doit, rappelons-le tout de même, Toy Story, Ratatouille et Là-Haut.

Vice-Versa de Pete Docter

Pete Docter, déjà à l’œuvre sur Wall-E, nous plonge dans la tête d'une petite fille, dénommée Riley, à travers ses émotions incarnées par cinq personnages : Joie, Tristesse, Colère, Dégoût et Peur. Alors que sa petite enfance s'est déroulée dans une parfaite harmonie, Riley doit désormais quitter son Minnesota natal pour la Californie. Un changement qui va fortement la perturber, à commencer par ses propres émotions.

C'est un trésor d'imagination, une aventure trépidante dans les souvenirs, le subconscient, les rêves, tout ce qui constitue l'âme humaine. Pete Docter a exploré toutes les possibilités que pouvait lui offrir ce concept ingénieux et atteint ici un sommet de créativité et d'inventivité, souvent hilarant et par instant véritablement poignant. On ne cache pas qu'on a verser notre petite larme devant cette réminiscence d'une enfance qu'on ne peut se résoudre à quitter. Le film a emballé le festival, accueilli sous des applaudissements chaleureux, et on regrette qu'il n'ait pas eu les honneurs de la compétition, au regard de la relative faiblesse de la sélection jusqu'à présent. A découvrir d'urgence en salles dès le 17 juin. 

Emily Blunt, Josh Brolin et Benicio Del Toro dans Sicario

Le nouveau film de Denis Villeneuve, Sicario, était très attendu en compétition. Le réalisateur révélé avec Incendies et qui avait surpris son monde grâce à l'excellent Prisoners ne nous a pas déçu. Sicario se passe à la zone frontalière entre le Mexique et les Etats-Unis où une jeune recrue du FBI (Emily Blunt) est enrôlée pour aider un groupe d'intervention d'élite dirigé par un agent du gouvernement (Josh Brolin) dans la lutte pour le trafic du drogue.

Denis Villeneuve ringardise tout ce qui se fait actuellement dans le genre, à l'opposé d' un maniérisme pompeux à base de caméra à l'épaule ostentatoire. Sa mise en scène, extrêmement travaillée, nourrie de plans très composés, installe une tension en sourdine qui ne quittera jamais l'écran, et arrive à créer un rythme particulièrement captivant. Les acteurs, au diapason, à commencer par un très énigmatique Benicio Del Toro, participent de cette nouvelle réussite du cinéaste qui maîtrise parfaitement l'art de la dissimulation. On voit mal comment les frères Coen pourraient demeurer insensibles à ce cinéma assez proche du leur, d''autant plus qu'il est éclairé par le même directeur de la photographie, le grand Roger Deakins. Le film sortira en salles 7 octobre prochain.

Antoine Jullien

mardi 19 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : Au coeur de la fête



Mon Cinématographe est au coeur des fêtes cannoises pour évoquer les films présentés en compétition, à commencer par le dernier long métrage de Nanni Moretti, Mia Madre, qui voit une réalisatrice se confronter à la mort prochaine de sa mère alors qu'elle tourne un film avec une star américaine égocentrique qui n'a de cesse que d'oublier son texte. 

Margherita Buy et John Turturro dans Mia Madre 

Margherita Buy interprète ce personnage fermé aux autres et pas très sympathique qui permet à Moretti d'échafauder un portrait en creux de son métier de cinéaste. Il mêle brillamment deux réalités, celle d'un tournage contrarié par une vedette qui prétend avoir tourné avec Stanley Kubrick, interprétée par un irrésistible John Turturro qui insuffle une réjouissante drôlerie au film contrebalancée par la gravité du thème de la mort prochaine. Le cinéaste montre comment on peut redécouvrir sa mère grâce au souvenir. Il le dit sans fioritures ni pathos, avec une certaine dignité. Un beau film, secrètement bouleversant. 

The Sea of Trees de Gus Van Sant

On ne pensait pas voir de navets en compétition officielle et pourtant Gus Van Sant a réussi ce prodige ! Massacré par l'ensemble de la critique, The Sea of Trees est une catastrophe artistique qui voit le pauvre Matthew McConaughey partir se suicider dans une forêt située au pied du mont Fuji au Japon. Là, il y rencontre un japonais qui a la même intention que lui. 

L'extrême banalité de la réalisation ajoutée à un scénario bête et consternant font que cette Forêt des Songes (le titre français) s'effondre en miettes. La pseudo philosophie du film, assénée avec une lourdeur stupéfiante, confine au ridicule. On est gêné par cette vision très caricaturale du Japon et par ces allers retours dans le scénario qui condamnent de manière très déplaisante la pauvre Naomi Watts auquel son personnage subit une sorte de double-peine. Quant à l'oscarisé Matthew McConaughey, il descend de son piédestal, la faute à une interprétation outrancière qui vire au lamentable cabotinage. La présence de ce film en compétition demeure un mystère pour lors insondable. 

Emmanuelle Bercot et Vincent Cassel dans Mon Roi 

Quatre ans après Polisse qui lui avait valu le prix du Jury, Maïwenn revient en compétition grâce à Mon Roi qui raconte une histoire d'amour sur une dizaine d'années, forcément autodestructrice et maladive (c'est Maïwenn), entre Emmanuelle Bercot (la réalisatrice de La Tête Haute) et Vincent Cassel. 

A coup d'improvisation, Maïwenn repose l'essentiel de son film sur les épaules de ses comédiens. Ils sont d'ailleurs très bons et demeurent la principale qualité du film. Pour le reste, la réalisatrice n'a pas grand chose de neuf à nous raconter sur un sujet qui a donné lieu à plusieurs films majeurs. Le relatif schématisme des personnages, l'opposition un poil binaire entre le bourreau charmeur (Cassel) et la  victime (Bercot) n'est pas d'une folle originalité. La réalisatrice ne brille pas non plus par l'audace de sa mise en scène qui se contente de faire hurler Emmanuelle Bercot sous la pluie lors d'une scène de rupture. Les allers-retours scénaristiques appuient de manière complaisante sur la supposée reconstruction du personnage féminin. Et le milieu autour de ce couple, cher à la réalisatrice, finit par irriter. Ce n'est pas avec ce Roi-là que l'on se réconciliera avec le cinéma de Maïwenn.  

Antoine Jullien 

dimanche 17 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : Natalie Portman et un homard


Un homard était au menu de la compétition. On a pu découvrir le nouveau film de l'auteur du radical Canine, Yorgos Lanthimos. The Lobster (le homard donc !) raconte un futur proche, une sorte de monde parallèle dans lequel il est interdit d'être célibataire sous peine de se voir transformer en animal. 

John C. Reilly, Ben Whishaw et Colin Farrel dans The Lobster

Un postulat intriguant et absurde qui ne tient pas ses promesses car une fois que ce dispositif très élaboré et très méticuleusement mis en scène est éventé, Lanthimos n'en fait plus grand chose et gâche son récit dans une deuxième partie très laborieuse. Une curiosité toutefois : Colin Farrell bedonnant et apathique comme on l'a rarement vu à l'écran. 

Une Histoire d'Amour et de Ténèbres de Natalie Portman

Pour son premier film en tant que réalisatrice, Natalie Portman ne s'est pas facilitée la tâche en décidant d'adapter l’œuvre du romancier Amos Moz Une histoire d'amour et de ténèbres dans lequel l'auteur évoque sa jeunesse au moment de la création d'Israël tout en dressant un beau portrait de sa mère revenue des pogroms à la fin de la guerre. 

Mais si les intentions sont louables, la réalisation est elle trop impersonnelle et empruntée, lestée de scènes de cauchemar et de rêves inutilement esthétisantes et lourdement amenées. L'apprentie cinéaste s'est en plus donnée le rôle de cette mère irrémédiablement dépressive qui ne nous touche que par intermittence. Et elle pêche enfin par une trop grande révérence envers l'écrivain, n'osant pas aborder la matière plus sulfureuse de cette histoire trop bancale pour nous convaincre.

Antoine Jullien

vendredi 15 mai 2015

Mon Cinématographe à Cannes : La Furie Mad Max



Le Festival de Cannes a débuté sa soixante-sixième édition de manière inattendue avec La Tête Haute d'Emmanuelle Bercot, présenté en ouverture Hors Compétition. Après le désastreux Grace de Monaco l'an passé, le festival devait réparer cet affront et la chose est faite, et bien.

La réalisatrice nous raconte le parcours très chaotique d'un jeune délinquant, victime d'une mère inconséquente campée par une Sara Forestier en mode zezette (on finit par s'y faire, rassurez-vous !). Autour de lui, un éducateur (Benoît Magimel) et une juge pour enfants (Catherine Deneuve) vont tâcher de le remettre dans le droit chemin.

Catherine Deneuve et Rod Paradot dans La Tête Haute 

Emmanuelle Bercot a effectué un important travail documentaire afin que son film sonne le plus justement. Dès la première séquence, on est saisi par l'urgence d'une situation qui semble déjà désespérée, la réalisatrice filmant un garçon irrémédiablement entraîné dans un infernal cercle de violence. Elle n'en n'oublie pas pour autant la fiction dans une dernière partie moins convaincante et un peu plus démonstrative. Mais le film nous prend à la gorge grâce également aux interprètes : Catherine Deneuve, superbe d'autorité et de dignité, Benoît Magimel, sobre et discrètement rageur, et la révélation Rod Paradot dont c'est le premier rôle au cinéma. 

Tom Hardy, le nouveau Mad Max de George Miller

L'évènement de ce début de festival est la présentation Hors Compétition de Mad Max : Fury Road de George Miller, le créateur visionnaire de ce personnage devenu mythique apparu pour la première fois sur les écrans en 1978 sous les traits de Mel Gibson. Le film était très attendu et il dépasse toutes les espérances. Démentiel, jouissif, renversant visuellement, ce reboot de Mad Max est un spectacle total. Et sous ses dehors de super film d'action rempli de testostérone se glisse un manifeste féministe incarné par Charlize Theron, la véritable héroïne du film. L'univers déviant de l'oeuvre originale, fait de tôle, de pétrole et d'acier, situé au coeur du désert namibien transformé en monde post-apocalyptique, est tout simplement dantesque. Incontournable !

Salma Hayek dans Tale of Tales de Matteo Garrone

Les premiers films de la compétition présentés ne sont en revanche pas très emballants, à commencer par Tale Of Tales de Matteo Garrone. Après Gomorra et Reality, le cinéaste italien s'est intéressé à plusieurs contes de l'auteur Gian Batista Basile. Il en a retenu trois histoires se déroulant au XVIIème siècle où se côtoient fées, monstres et sorcières dans un film qui, malgré de beaux éclats, ne trouve jamais sa note et tombe par moments dans une bien fâcheuse ringardise. Et à l'exception de Toby Jones, caustique en improbable roi s'attachant à une puce géante, les autres comédiens (Vincent Cassel, Salma Hayek) en sont réduits à jouer des archétypes. Si Garrone a le mérite de changer de registre à chaque film, son inspiration, elle, décroit dangereusement.

Notre Petite Soeur de Hirokazu Kore-Eda

Le japonais Hirokazu Kore-Eda n'a pas non plus livrer une oeuvre majeure avec Notre Petite Soeur. Très inférieur à son précédent film, le très beau Tel Père Tel Fils, le cinéaste met plus de deux heures pour nous raconter une énième chronique familiale qui voit trois soeurs recueillir leur cadette. On peut qualifier le film de "joli" et ce n'est pas un compliment tant il semble dépourvu du moindre enjeu dramatique. Les bons sentiments ne font pas toujours de bons films et cette Petite Soeur, mièvre par moments, lénifiante le plus souvent, n'a guère fait palpiter notre enthousiasme. 

Antoine Jullien