mercredi 22 décembre 2010

Revue des fêtes

ANOTHER YEAR / UN BALCON SUR LA MER / ARMADILLO / LE PRESIDENT / MYSTERES DE LISBONNE

La période de Noël est propice aux sorties en tous genres. Voici une sélection de longs métrages visibles pendant les fêtes. 

Commençons par "le grand oublié du Festival de Cannes" dixit de nombreux journaux, le bien nommé Another Year de Mike Leigh, soit une année ordinaire dans la vie d'un couple ordinaire avec des gens qui le sont un peu moins. Depuis Secrets et Mensonges, on aime le penchant humaniste de Mike Leigh qui sait dépeindre des personnages dans leur vulnérabilité et leur détresse en n'oubliant jamais quelques pointes d'humour ici et là. Cette fois, le cinéaste n'a pas de grand sujet à traiter (la maternité nouvelle, l'avortement), il filme des êtres paumés qui vont trouver en Tom et Gerry (belle trouvaille !) le réconfort attendu. Un couple comme on en voit plus, paisible, sincère, s'aimant après trente ans de vie commune. Leur vie familiale est aussi sans histoires. Le cinéaste ne remet jamais en cause cette vie bien réglée mais la bouscule légèrement par les personnages périphériques qui gravitent autour d'eux. Lesley Manville, une fidèle du réalisateur, campe une Mary alcoolique et larguée, ne trouvant sa place nulle part. Le frère de Tom, beau personnage taciturne, apporte de la gravité dans ce film faussement gai. Maîtrise de la mise en scène, interprétation idoine des comédiens, Another Year est une mécanique des saisons parfaitement huilée. Refusant la dramatisation, Mike Leigh filme le temps qui passe avec une justesse et une économie de chaque instant mais n'apporte rien de neuf à sa filmographie. 

Un balcon sur la mer devait donner au bien aimé Jean Dujardin son grand rôle dramatique. Hélas, l'acteur, plutôt bon, ne sauvera pas le nouveau film de Nicole Garcia. La réalisatrice qu'on a connu plus inspirée a voulu courir trop de lièvres à la fois : l'enfance oubliée, le thriller hitchockien, la crise identitaire. Elle se perd dans les méandres d'un passé algérien qui lui est personnel (elle est née là-bas) sans que l'on ressente l'implication suffisante. Reste de belles images d'Oran au petit matin, une interprétation troublante de Marie-Josée Croze et certains passages réussis. Mais, de flash-backs explicatifs en dialogues poussifs, la réalisatrice ne trouve jamais le ton juste. Après le médiocre Selon Charlie, Nicole Garcia est décidément sur une mauvaise passe. 

Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes, Armadillo est un documentaire choc sur des jeunes appelés danois partis en Afghanistan. Dès les premières séquences, très "hollywoodiennes", le doute s'installe quant à la véracité des images. La suite confirmera cette désagréable impression de manipulation. Comme dans un bon scénario qui rappelle l'excellent Jarhead, les soldats s'ennuient puis, après avoir perdu un des leurs, se font plaisir en exécutant des talibans. Tendancieux, extrêmement ambigu, le film peut se voir comme un manifeste pro-militariste particulièrement déplaisant. Sans point de vue, le réalisateur Janus Metz suit ses hommes au coeur d'un bourbier et les filme comme s'il les mettait en scène. Esthétisant, ce "faux" documentaire n'apporte aucune perspective géopolitique sur un conflit qui a déjà fait des milliers de morts même si l'on voit bien le décalage grandissant entre les soldats et la population, première victime des talibans. Autant voir ou revoir Démineurs de Kathryn Bigelow qui ne s'embarrassait pas de considérations psychologiques mais se révélait diaboliquement efficace. 

Aucun sentiment de détournement en revanche à la vision du formidable documentaire d'Yves Jeuland Le président consacré à Georges Frêche décédé en octobre dernier. L'ancien président de la région Languedoc-Roussillon avait accepté de se laisser filmer sans aucun droit de regard sur le montage final. Une initiative rare qui permet au réalisateur de brosser une image cruelle et incisive de ce franc-tireur. Toujours à bonne distance de son sujet, ne cédant ni à la complaisance ni à la facilité, Jeuland filme Frêche et son entourage en pleine campagne électorale. Dans la tempête de ses propos douteux sur Fabius, les Harkis et les noirs en équipe de France, Frêche se révèle être un "tueur" comme il l'avoue lui-même, redoutable et affable, populiste à ses heures, s'érigeant en victime d'un Parti Socialiste qu'il l'a exclu. Le réalisateur montre surtout les moeurs politiques locales qui n'ont rien à envier à celles de  nos ténors nationaux. Dans une séquence glaçante, sans doute la plus importante, Jeuland filme Frêche et sa cour mangeant, buvant, ripaillant où "le Président" avoue avoir menti sur son père lors d'un meeting pour émouvoir les foules. Le cynisme, la manipulation, le pouvoir ne semblent alors que les seuls moteurs d'hommes prêts à tout pour rester en place. De conseillers en communication obnubilés par l'image de leur maître aux journalistes séduits par cet iconoclaste, le Président est le portrait authentique d'un monarque tout puissant. Indispensable. 

Enfin, nous ne pouvons pas terminer cette revue sans évoquer brièvement le Prix Louis Delluc 2010, soit l'une des plus prestigieuses récompenses françaises du cinéma, remis aux Mystères de Lisbonne de Raul Ruiz. Tourné majoritairement en portugais, le film fait s'entrecroiser un abbé confident, une comtesse blessée, un marquis bafoué et tant d'autres personnages qui gravitent à travers les époques. D'une impressionnante virtuosité narrative, le cinéaste chilien nous embarque dans ce feuilleton romanesque d'une durée de 4h25 ! (un peu long certes). Projet atypique dans le paysage cinématographique mondial, Mystères de Lisbonne mérite qu'on s'y perde car l'élégance et le raffinement de la mise en scène nous offrent de beaux écrins. Mais l'on regrette que le réalisateur n'ait pas davantage poussé ses expérimentations formelles comme il avait su si bien le faire dans sa très belle adaptation de Proust, le Temps retrouvé. Si vous ne pouvez pas le découvrir sur grand écran, le nombre de salles étant très limité, vous pourrez vous rattraper sur Arte qui diffusera prochainement une version télévisée de six heures ! A bon entendeur.

Antoine Jullien

mercredi 15 décembre 2010

Mardi, après Noël

Un homme et une femme dans un lit. Dès les premiers plans, on devine un couple interdit. Lui est marié, a une petite fille de huit ans. Elle est dentiste à Bucarest, célibataire. Une relation adultère comme on en a vu mille fois au cinéma. Mais il est signé par un jeune cinéaste roumain dont c'est le deuxième long métrage. Et depuis quelques années, on sait cette cinématographie prompte à bousculer les codes établis. 

Pourtant, l'impression de banalité ne quitte jamais le film de Radu Muntean. Des séquences épurées, un rythme lent, des décors froids, on ne sent pas le cinéaste dérégler la norme du drame psychologique classique. Mais si Bergman demeure loin, le réalisateur arrive à instaurer un curieux suspense reposant sur une question toute simple : va-t-il quitter sa femme ? La réponse se trouve dans une saisissante séquence de rupture où la durée presque excessive des plans lui donne une impressionnante tension. Le cinéaste ne dramatise rien et la quotidienneté du sujet se retourne alors à son avantage. 

Mais comme dans Policier, Adjectif sorti quelques mois plus tôt, on ne perçoit plus le sel qui faisait la spécificité du cinéma roumain. La singularité, l'humour à froid, le décalage que l'on retrouvaient dans des oeuvres admirables tels La mort de Dante Lazarescu ou 12h08 à l'est de Bucarest semblent avoir disparus. Si les cinéastes imprègnent toujours la rétine, ils rentrent désormais dans un moule plus convenu. Les festivals ne sont sans doute pas étrangers à cette évolution, sélectionnant systématiquement ces longs métrages dans les grandes compétitions alors qu'ils ne sont pas tous à la hauteur de leur prétention artistique. Un mouvement que l'on espère voir rebondir.

Antoine Jullien

De vrais mensonges

Un beau matin, Emilie reçoit une vibrante lettre d'amour anonyme. Peu réceptive, elle jette le papier à la poubelle sous la stupéfaction de Jean, son employé, l'auteur secret de cette déclaration enflammée. Triste de voir sa mère dépressive depuis le départ de son mari, elle décide de lui envoyer la dite lettre, espérant ainsi la sauver de son chagrin. Elle n'imagine pas que son geste va être le début d'une série de quiproquos ininterrompus. 

Pierre Salvadori s'est toujours fixé le but cher à son maître Lubitsch : révéler la vérité des personnages au travers de leur mensonges. Il ne faut pas voir ce film comme un plagiat ou même un hommage au cinéaste de To Be Or Not To Be. S'il maîtrise parfaitement la mécanique de la comédie, Salvadori a, dans l'écriture du moins, son propre style. Aidé de son scénariste Benoît Graffin, il a élaboré une savante architecture de malentendus se répondant les uns aux aux avec un sens inné du rythme. Basée sur un délicieux trio, l'histoire fait la part belle aux personnages qui ont chacun une réelle épaisseur. Audrey Tautou, en voulant faire le bien, se rend coupable de lâcheté, même de cruauté à certains moments. Nathalie Baye, femme délaissée, retrouve une nouvelle jeunesse dans un amour illusoire et mensonger et finira par se dévoiler sous un jour innatendu. Quant à Sami Bouajila, le jeune homme poli et cultivé qu'il est au début laissera la place à un personnage manipulateur à son tour. 


De vrais mensonges possède une qualité rare dans la comédie française : le charme. Fuyant tout vérisme, Salvadori s'attache à rendre vraisemblable les situations les plus incongrues et l'on suit, amusé, ce réjouissant théâtre de boulevard où les bons mots, sans être une banale signature, ont toute leur place, où les décors un brin désuets permettent aux personnages d'évoluer. 

Si sa mise en scène n'est pas toujours à la hauteur de son intrigue, le réalisateur nous offre de jolis moments visuels, comme lorsque Nathalie Baye apprend la vérité en voyant le couple Tautou-Bouajila en ombre chinoise. Et à regarder de plus près, le film se montre joyeusement transgressif, n'éludant pas la perversité ni la méchanceté. Ce savoureux divertissement nous fait croire qu'il y a des auteurs qui ont encore une haute considération de la construction scénaristique, travaillant d'arrache-pied pour que l'ensemble soit harmonieux et élégant. Une telle exigence est à saluer !

Antoine Jullien

Monsters / Machete

La frontière americano-mexicaine a toujours inspiré les cinéastes, tous genres confondus. Pour son premier long métrage, le britannique Gareth Edwards a imaginé qu'une sonde de la Nasa s'écrase dans la jungle mexicaine, libérant sur terre des particules de forme extra-terreste. Six ans plus tard, le pays est devenu une zone de guerre désertée, peuplée de créatures monstrueuses. Deux américains vont tenter de rejoindre la frontière en traversant ce territoire dévasté. 

Le cinéma de science-fiction est un terreau fertile pour évoquer les problèmes actuels que vivent les deux pays, à commencer par l'immigration. C'est sous une forme originale que Gareth Edwards dépeint ce phénomène, en prenant pour sujet les aliens victimes de la violence des hommes. Si cet aspect politique est moins présent que dans le récent District 9, la réalisation, elle, s'en rapproche sensiblement. Même style documentaire, même ancrage contemporain. Mais à contrario du film de Neil Blomkamp, Gareth Edwards ne cède jamais à la surenchère ou au film d'action lambda. Pendant 1h30, il installe une atmosphère particulière, où le danger menace mais rattrapé sans cesse par l'histoire que vivent les deux protagonistes. Une "love-story" peu banale qui prend sens au fur et à mesure que les extra-terrestes apparaissent.  


S'il on a suffisamment de talent et d'astuces dans sa besace, on peut réaliser un long métrage ultra-réaliste sans disposer de budget pharaonique. Avec moins d'un million de dollars en poche (autant dire une panouille pour un long métrage de cet acabit), le réalisateur a réussi le prodige de créer un monde totalement vraisemblable qui aide beaucoup à l'identification des personnages. Bestioles en arrière-plan, carcasses d'avions et de bateaux, ville dévastée, Gareth Edwards est parvenu, grâce à un minimalisme minutieux, a jouer sur le hors-champ et compenser son manque de moyens par une créativité étonnante. Pris dans cette aventure à l'issue incertaine, le spectateur est désarçonné, balloté entre virée intimiste et film de monstres. 

Monsters pourra décevoir les amateurs du genre, frustrés par le manque d'action et le rythme en dents de scie. Les autres se réjouiront d'une oeuvre qui empreinte des chemins de traverse avant de se terminer sur une note poétique, un accouplement aussi étrange que beau. Gareth Edwards est un cinéaste à suivre. On redoute seulement qu'il se fasse un jour rattraper par le rouleau compresseur hollywoodien, comme tant d'autres avant lui.


Robert Rodriguez, lui, vient d'offrir à ses fans ce qu'ils attendaient. Après le dyptique Grindhouse co-réalisé avec son compère Tarantino, il donne à Danny Trejo, éternel second couteau qui accède enfin à la première marche du podium, un rôle de policier vengeur, adepte de la machète, des têtes coupées et des viscères exploitées. Un gars qu'il ne faut pas trop chercher, pris pour cible par un sénateur texan corrompu, adepte de la tolérance zéro et prompt à lâcher ses chiens quand ses projets politiques deviennent contrariés. Sans oublier une vengeresse borgne et une flicquette incorruptible. 

On rit devant ce spectacle grand guignolesque assumé de bout de bout. Si le côté vintage lorgne vers les séries Z des années 70 qu'affectionnent tant Rodriguez, le film, aussi étonnant soit-il, parle des flux migratoires à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, à sa manière bien sûr, décomplexée et sans fioritures. La politique sécuritaire en prend un méchant coup comme tous ceux que Machete envoie à ses ennemis. Parfois jubilatoire, le film s'entiche d'un casting improbable, de Steven Seagal en maître ès sabres à Don Johnson en flic pourri, sans oublier De Niro en politicien véreux. 

Trop long, répétitif, le plaisir des premières séquences s'amenuise et les clichés accumulés finissent par lasser. Le film manque peut-être du parfum de liberté de ses modèles, une déconnade un peu trop maîtrisée pour être totalement honnête. Gore, vulgaire, parodique, Machete ne pourra pas frustrer les amateurs du genre. Mais décevoir ceux qui en attendaient un peu plus.

Antoine Jullien

mercredi 8 décembre 2010

A bout portant


Qu'est-ce exactement qu'un bon polar ? Fred Cavayé a du se poser cette question plus d'une fois en préparant A bout portant. Reprenant le canevas hitchockien classique, le héros accusé à tort devant prouver son innoncence, le réalisateur a eu en tête les modèles du genre. Sans crainte, il reprend le même titre que le classique de Don Siegel avec Lee Marvin, lui-même un remake des Tueurs de Siodmack. Mais arrêtons les références pesantes qui ne servent ni le réalisateur ni le film. 

Samuel est aide-soignant. Sa femme, qui va bientôt accoucher, est brutalement kidnappée sous ses yeux. A son réveil, le téléphone retentit : il a trois heures pour sortir de l'hôpital un truand recherché par la police. S'il veut retrouver sa femme vivante, il va devoir faire vite.

Gilles Lellouche et Roschdy Zem 

Un pitch accrocheur, un réalisateur prometteur, un casting ad hoc (Lellouche, Lanvin, Zem) et à l'arrivée, une grosse déception. Le réalisateur, malgré ses bonnes cartes en main, ne nous livre pas le thriller haletant recherché, la faute à un scénario qui accumule les invraisemblances avec la rapidité d'un sprinter. Passé l'introduction, le film tombe dans les incohérences les plus grossières et perd de fait le spectateur en route. Bien qu'il ne réalise pas un polar réaliste ou documentaire, Fred Cavayé se devait d'apporter un semblant de crédibilité à son histoire. De flic ripoux improbables en guérilla urbaine aussi soudaine que fumeuse en passant par des personnages unidimensionnels, le cinéaste est incapable de renouveler le genre ou de lui apporter un semblant de personnalité. Sans parler de la musique envahissante et de l'épilogue inutile. 

Votre serviteur étant un friand des films noirs, on se devra de terminer sur une note plus optimiste en constatant que le réalisateur, sans effets tape à l'oeil, maîtrise sa mise en scène et qu'il nous offre un moment jouissif, une captivante course poursuite dans le métro parisien filmée au cordeau avec une réelle efficacité. Espérons que pour son prochain film, Fred Cavayé nous réservera davantage d'adrénaline que ces quelques minutes palpitantes.

Antoine Jullien

Le nom des gens

"Vous savez, trouver un jospiniste aujourd'hui, c'est aussi rare qu'un canard mandarin à l'ile de Ré !" Cette cinglante réplique dans la bouche de l'ancien premier ministre socialiste, pour la première fois ironique sur lui-même, est l'une des nombreuses incongruités du Nom des Gens

D'un côté, nous avons Bahia Benmahmoud, une jeune femme débordante d'énergie, vivante, excessive, prête à tout pour convertir les gens de droite à sa cause, à commencer par coucher avec eux, persuadée qu'au moment de l'orgasme, ils pourront plus facilement se laisser convaincre. Mais comme elle le dit elle-même, la difficulté est plus grande en fonction du candidat : " Pour un mec du FN, il me faut bien au moins dix jours alors que pour un fan de Bayrou, en une après-midi c'est plié". 

De l'autre, Arthur Martin (comme les cuisines !), un homme terne et discret, jospiniste et adepte du principe de précaution. Il va tomber fou amoureux de cette tornade qu'il n'aurait jamais du rencontrer.

Sara Forestier et Jacques Gamblin

Pour son deuxième long métrage, Michel Leclerc a osé mêler la politique à la légèreté en évoquant une multitude de thèmes plus proches des drames sociaux contemporains que de la gaudriole. N'appartenant pas à ces deux registres, le film creuse son sillon, personnel et décalé. Dès les premières minutes, le réalisateur se permet une audacieuse rupture de récit, filmant ses personnages adultes intervenant dans leur passé, les faisant même se confronter à eux plus jeunes. Une fantaisie payante qui n'écrase jamais les situations mais les aèrent d'une drôlerie bienvenue. 

La recherche de notre identité, les origines cachées, la culpabilité, la transmission, Le nom des Gens en parle avec lucidité et sensibilité. La judéité refoulée de la famille d'Arthur donne au long métrage ses moments les plus justes grâce au beau couple de parents formé par Michelle Moretti et Jacques Boudet.


Mais l'on rit aussi, et souvent, lors d'un irrésistible dîner dans lequel les mots "four" et "camp" prennent une tournure surprenante où lorsque Bahia se sent responsable, en plein accouchement, de l'élection de  notre président actuel. Et puis, ça et là, des instants de vraie liberté envahissent la vie des personnages qui décident de faire l'amour en se rhabillant où de se promener nu dans une station de métro, sans l'ombre d'une gêne.

Même s'il frôle le politiquement correct et n'évite pas la bonne conscience finale en simplifiant des problèmes complexes, le Nom des Gens rafraîchit la tête et les jambes, et le spectateur est heureux que les clichés du départ aient su accoucher d'une histoire tendre et originale portée par deux comédiens inspirés, Jacques Gamblin et Sara Forestier.

Antoine Jullien

mercredi 1 décembre 2010

Quartier lointain

Qui n'a jamais souhaité pouvoir revivre son passé ? Cette question a obsédé l'auteur japonais Jiro Tanigushi au point d'en faire un manga devenu culte "Quartier Lointain". Le réalisateur Sam Gabarski  (à qui l'on doit le remarqué Irina Palm) l'adapte au cinéma en situant son intrigue non pas au pays du Soleil Levant mais dans un village français des Alpes durant les années 60. 

Alors qu'il vient à Angoulême signer une dédicace, un auteur de bande dessinée se retrouve par un hasard malencontreux dans son village d'enfance où il n'était pas revenu depuis une éternité. Se recueillant sur la tombe de sa mère, il tombe dans les pommes et se réveille dans son corps d'adolescent quelque quarante ans plus tôt. Parviendra-t-il à empêcher son père de quitter le foyer pour ne plus jamais revenir ? 

Accompagné par la douce et enveloppante musique d'Air (déjà auteur de la magnifique BO de Virgin Suicides), Quartier Lointain nous plonge dans un tendre parfum nostalgique avec volupté et légèreté. Filmant ce petit village isolé loin de tout naturalisme, Sam Gabarski retrouve le charme et la candeur de l'adolescence. Grâce à un jeune acteur prometteur, Leo Legrand, le cinéaste montre très bien le décalage qui s'opère lorsque l'on se retrouve soudain ado dans la tête d'un adulte. 

Jonathan Zaccaï et Leo Legrand

Bouleversant le calme familial, le jeune garçon va tout faire pour mieux connaître son père. Incarné par Jonathan Zaccaï, ce personnage renfermé, peu aimable et si distant avec les siens avait besoin de toute la sensibilité du comédien pour qu'il ne soit pas qu'une vague figure patriarcale. Ce mystérieux rapport père-fils est le coeur d'un film qui nous interroge sur notre besoin, à un moment de notre vie, de revenir vers nos racines en tâchant de mieux les comprendre. Le film de Sam Gabarski est lucide car le retour vers le passé ne peut malheureusement pas éviter les mêmes peines. Mais cet attachant voyage temporel finira par nous apporter une pointe de sérénité. En ces temps ombragés, voilà une bonne nouvelle.

Antoine Jullien


Inside Job


Quelques mois après Cleveland contre Wall Street, Inside Job pose un nouveau regard sur la crise financière. De manière plus vaste que le documentaire de Jean-Stéphane Bron qui partait d'un cas précis pour décrypter les causes du désastre, le réalisateur américain Charles Ferguson a vu grand en interviewant les principaux acteurs de la crise, économistes, conseillers, professeurs, analystes et même deux célèbres frenchies : le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn et la ministre des finances, Christine Lagarde. 

Découpé en cinq chapitres, Inside Job brosse toutes les étapes du fiasco, des origines du mal aux conséquences dramatiques que l'on connaît. Pédagogique et palpitant comme les meilleurs thrillers, le film, commenté sobrement par Matt Damon, nous éclaire sur des points généralement restés dans l'ombre : l'importance ahurissante des agences de notation et la compromission des enseignants des plus prestigieuses écoles américaines (Harvard, Columbia), pieds et poings liés avec les yuppies de Wall Street. Cet immense conflit d'intérêt révélé au grand jour nous laisse dans un état d'effroi. Car le film démontre avec une précision diabolique la collusion générale de tous les secteurs de la finance, des banques d'investissement aux assurances en passant par les fonds de pension qui se sont tous entendus  pour créer une immense bulle qui menaçait d'éclater à tout instant. 

Salvateur et terrifiant, le documentaire ne se veut pas un pamphlet simpliste à la Michael Moore. Même si Charles Ferguson a son point de vue, il ne l'assène jamais, interrogant ses interlocuteurs de manière pugnace, les plaçant devant leurs contradictions, les prenant parfois en flagrant délit de mensonge. Bien que les principaux "coupables" n'aient pas souhaité participer, les images d'archives et le commentaire les révèlent tels qu'ils sont, des êtres cyniques et irresponsables menant le monde à leur guise sans se soucier une seconde des dégâts qu'il commettent. Mais contrairement aux films hollywoodiens et leurs habituels happy ends, Inside Job se termine sur une note amère, où l'on voit un président américain soit-disant porteur d'espoir et d'intégrité s'entourer des fautifs d'hier, où les criminels ne sont ni jugés ni condamnés. Comme dirait notre grand maître penseur, George Abitbol : Monde de merde. 


Antoine Jullien


mercredi 17 novembre 2010

OFNI : objet filmique non identifié

BURIED / RUBBER

Et s'il l'on se réveillait un matin avec l'idée étrange de raconter l'histoire d'un type enfermé dans un cercueil où la vie d'un pneu au milieu du désert américain ? Deux cinéastes, Rodrigo Cortès et Quentin Dupieux, aiment se lancer des paris impossibles. La preuve cette semaine.


Buried repose sur un principe que n'aurait sans doute pas renier Alfred Hitchcock : enfermer son personnage principal en maintenant le suspense jusqu'au bout pour savoir s'il va ou non s'en sortir. Rodrigo Cortès a su relevé ce tour de force un peu fou. Alors que, dans Kill Bill 2, Tarantino avait mis six pieds sous terre la pauvre Uma Thurman pendant dix minutes seulement, Cortès lui, claquemure Ryan Renolds pendant une heure trente ! 

Plus connu comme mari de Scarlett Johanson que comme comédien réputé, il joue avec une intensité rare un camionneur victime d'une attaque en Irak. Enfermé dans un cercueil, il devient l'otage de terroristes qui réclament une exorbitante rançon s'il veut rester vivant. Muni d'une lampe torche et d'un téléphone portable, l'homme va devoir faire face à la bureaucratie américaine insensible à son sort, plus préoccupée par protéger ses intérêts que sauver la vie d'un de leurs ressortissants.

Ryan Reynolds

Dès les premières minutes, le cinéaste impose immédiatement une tension : face à un écran noir, on entend un homme haleter jusqu'à ce que l'on découvre, effaré, le réalité de sa situation. Cortès va constamment maintenir cet état de pression permanente, filmant le visage sali de son comédien sous toutes les coutures, créant un terrible suspense dont les seuls ressorts sont un homme au téléphone et la voix lointaine qui lui fait office d'interlocuteur. A l'instar du personnage, le spectateur se met lui aussi à respirer difficilement, les sens en alerte, un sentiment de peur de plus en plus galopant. 

Un peu à l'étroit dans son dispositif, le réalisateur s'est senti obligé d'utiliser des plans impossibles qui déforcent son film. La musique pompière et le scénario qui patît d'invraisemblances finissent par nous désintéresser. Mais le final, manipulateur en diable et d'une sidérante noirceur, nous cloue au fauteuil. Et au regard du contexte, on se dit que Rodrigo Cortès n'a pas livré qu'un redoutable thriller claustrophobique mais aussi une critique à peine voilée de la politique actuelle. Chapeau !



Les réalisateurs arrivent encore à surprendre. En choisissant un pneu comme héros de son deuxième long métrage, Quentin Dupieux a voulu transformer une série Z en objet conceptuel. Ce personnage aussi improbable que fascinant, le réalisateur lui donne vie de manière presque "naturelle". Il se réveille au beau milieu du désert américain et, comme un enfant, va découvrir petit à petit ses facultés grandissantes. Une naissance qui restera probablement dans l'histoire du cinéma comme l'un des moments les plus abstraits qu'il nous ait été donné de voir. 

La poésie du début laisse place à l'horreur teintée d'absurdité. Alors que Rubber se découvre des pouvoirs de télépathe au point de faire exploser les tête des gens qu'il croise sur sa route, un groupe de spectateurs, les spectateurs du film en cours, assiste au carnage de ce pneu tueur. Le principe du film dans le film n'est pas spécialement nouveau et cette mise en abîme a déjà fait l'objet de nombreux longs métrages. En grand amateur de Bunuel, Quentin Dupieux prend ce décalage à son compte.


Mais Rubber a le défaut de ses qualités. Car s'il réinvente un genre, il a la faiblesse de se croire plus intelligent que lui. On peut reprocher au film son côté arty qui se prend un peu trop au sérieux et qui prive le spectateur du plaisir coupable ressenti devant ce type de film. Car Quentin Dupieux a l'air de croire dur comme fer à son histoire de pneu en le filmant d'ailleurs comme un être de chair et sang, épousant ses trajectoires zigzagantes grâce à l'usage d'un appareil photo numérique. Rubber est en effet l'un des premiers longs métrages à avoir été tourné ainsi. Le rendu bluffant du dispositif capte très bien les étendues désertiques même si le réalisateur a tendance à abuser de la profondeur de champ. 

On ressort de la salle tout à fait décontenancé devant cet Ofni, ne sachant trop s'il s'agit du lard ou du cochon. N'expliquant rien, jouant sur le "no reason" évoqué au début du film avec un sérieux papal, Rubber laisse songeur. A t-on à faire à un créateur génial ou à un malin plaisantin ? A vous de trouver la réponse.

Antoine Jullien

Potiche

"La femme est l'avenir de l'homme". Jean Ferrat était en avance sur son temps, à l'exact opposé de Robert Pujol, l'incarnation du mâle dominant des années soixante-dix. Menant d'une main de fer son entreprise de parapluies, il considère son entourage, et en premier lieu sa femme, comme quantité négligeable. Jusqu'au jour où, séquestré par ses employés en grève, il doit céder la direction de la société à sa tendre épouse qui va se révéler, contre toute attente, une remarquable patronne. 

Après Gouttes d'eau sur pierres brûlantes et 8 femmes, François Ozon adapte une nouvelle fois une pièce de théâtre. Ecrite par le tandem Barillet et Gredy, Potiche fut à sa création un triomphe grâce à la prestation tonitruante de Jacqueline Maillant. Prenant quelques libertés avec le texte original, Ozon a souhaité conserver l'époque du récit, 1977, pour mieux parler des problèmes d'aujourd'hui : la place de la femme dans la société, les relations tendues dans l'entreprise, l'émancipation au sein de la cellule familiale. En jouant à fond la carte du kitsch assumé, le réalisateur parvient à évoquer tous ces thèmes avec une légèreté bienvenue, en saupoudrant ça et là son film de quelques références malicieuses à la politique actuelle. 

Enchaînant les films avec de moins en moins de conviction et d'allant, Ozon avait besoin de se frotter à un matériau dont il n'était pas l'auteur pour laisser libre cours à ses envies stylistiques. Couleurs criardes, téléphone recouvert en cuir, cuisine flambant neuve, le réalisateur recréé le fantasme des années 70 avec bonheur. Prenant plaisir à vêtir ses acteurs de costumes "d'époque", il leur donne une délectable  partition, de Judith Godrèche en fausse féministe à Karin Viard en secrétaire engagée et pleine d'aplomb. Il en profite également pour reformer le couple mythique Catherine Deneuve-Gérard Depardieu. Retrouvant une belle complicité, les deux comédiens se révèlent touchants dans une séquence dansante où les amours et les regrets passés ressurgissent avec une douce mélancolie. 

Catherine Deneuve et François Ozon

Aux antipodes de l'interprète originale, Catherine Deneuve fait de sa potiche une étonnante incarnation moderniste. Alliant sa prestance à son élégance naturelle, l'actrice joue les situations en ne forçant jamais le trait. Triturant l'image de sa comédienne affublée d'un jogging rouge impayable puis chantant avec une décontraction infinie, le cinéaste pose sur elle un regard ambigu sans que l'on sache véritablement s'il s'en moque ou s'il lui rend hommage. 

Mais le théâtre à l'écran peut aussi avoir ses travers qu'Ozon n'évite pas toujours. Alors qu'il a eu l'intelligence de confier son casting à des acteurs de cinéma, il a eu la mauvaise idée de donner à un habitué des planches, Fabrice Luchini, le rôle de l'odieux patron réac. Incapable d'aller au-delà de la simple caricature, il fait de Robert Pujol un personnage un temps cocasse mais rapidement lassant. Le réalisateur tombe également dans les pièges du théâtre filmé en gardant les ressorts comiques les plus éculés et en se reposant trop souvent sur un découpage plan-plan. Lors de la dernière séquence, le film se termine pour ce qu'il est : une plaisante comédie, plus amusante que drôle. Et même s'il finit par brocarder la politique spectacle, tout cela reste très inoffensif. Ozon ose encore, mais en mode mineur.

Antoine Jullien




mercredi 10 novembre 2010

Ressorties : Lenny et Les Duellistes


Il est bon de faire un saut dans le temps pour mesurer à quel point le cinématographe est un art jeune qui a déjà beaucoup inventé. A la vision de Lenny et des Duellistes, on est stupéfait par leur modernité et leur faculté à des détourner des genres codifiés. 

Bob Fosse, connu pour ses adaptations cinématographiques de ses spectacles de Broadway (Cabaret, All that Jazz), s'est pris de passion pour le comique contestataire Lenny Bruce, mort d'overdose en 1966. Personnage insaisissable, polémiste acéré, il développait dans ses spectacles une vision nouvelle de la société qui a détonné dans l'Amérique très puritaine des années 50-60. Dustin Hoffman incarne Lenny de manière saisissante, étourdissant de charisme dans ses one man show, sensible avec les femmes mais finalement rattrapé par ses démons. Si le personnage réel était plus noir, Hoffman ne gomme pas pour autant ses côtés négatifs. Impulsif, parfois incontrôlable, le personnage devient une victime d'un état aveugle aux mutations culturelles et intransigeant devant toute pensée critique. Coupable d'obscénité, Lenny révéla à l'Amérique ce qu'elle ne voulait pas voir. 

Bob Fosse a su réaliser une sorte de faux documentaire dans lequel il entrecoupe habilement des extraits de spectacles de Lenny Bruce avec certains épisodes de sa vie privée. Filmant magistralement l'atmosphère ténébreuse des cabarets dans un noir et blanc d'une beauté à couper le souffle, captant au plus près les saillies violentes de Lenny, il montre un homme en avance sur son temps, ne reculant jamais devant les pressions au risque d'en payer le prix fort. Un grand film. 


Il faut se souvenir qu'en d'autres temps, Ridley Scott était un grand cinéaste. Oublions le bon faiseur qu'il est devenu pour s'intéresser à l'artiste inspiré qu'il était jadis. Avant ses deux pièces maîtresses Alien et Blade Runner, il signait en 1977 Les Duellistes, son premier long métrage. Un affrontement aussi brutal qu'étrange entre deux capitaines de l'armée napoléonienne se livrant à des duels pendant quinze ans jusqu'à ce que le cours de l'histoire en fasse un vainqueur. 

Sorti deux ans après Barry Lyndon, Les Duellistes s'en rapproche dans le style visuel, avec ses paysages embrumés du petit matin, ses couleurs chaudes et l'utilisation de la caméra mobile. Mais Ridley Scott trouve déjà son propre style en racontant cette histoire de manière non conventionnelle. En effet, on ne sait pas très bien pourquoi ces deux hommes se battent. Partant d'un prétexte futile, le film explore la soif de pouvoir, l'engagement jusqu'au boutiste et la trahison. Magnifiquement interprété par Harvey Keitel et Keith Carradine, le film regorge de moments décalés, comme lorsque Carradine éternue avant de commencer son combat ou quand il déclare son amour à sa future femme hilare sans que l'on sache pour quelle raison (s'agissait-il d'une prise ratée ?). 

Plastiquement éblouissant, Les Duellistes, comme Lenny, est une des pépites des années 70, une décennie qui n'en finit plus d'inspirer des générations de spectateurs et de cinéastes, une période où la créativité artistique primait sur tout le reste. Une époque qui, heureusement, n'est pas totalement révolue.

Antoine Jullien

Fair Game / Draquila

La chose politique peut être traitée de deux manières : soit on privilégie l'effacement du point de vue derrière la fiction ou à contrario on met en avant l'engagement personnel pour accréditer une cause. L'américain Doug Liman et l'italienne Sabina Guzzanti le montrent à nouveau cette semaine. Sans que la fiction en sorte forcément grandie.

Doug Liman, après plusieurs films d'action pétaradants (La mémoire dans la peau et le très mauvais Mr & Mrs Smith), décide de remettre à la surface une des plus ténébreuses affaires de l'ère Bush. Valérie Plame (Naomi Watts), agent de la CIA missionnée pour trouver des armes de destruction massive en Irak, voit brutalement son nom apparaître dans les journaux après que son mari (Sean Penn), ancien ambassadeur, ait révélé les mensonges de l'administration américaine. Sans sa couverture, l'espionne devient une proie facile et devra faire preuve de ténacité pour sauver son mariage et son honneur. 

Seul film américain en compétition à Cannes cette année (on plaint les sélectionneurs !), Fair Game est un honorable divertissement sur une histoire qui a fait grand bruit outre-atlantique mais restée relativement discrète chez nous. Doug Liman filme bien cet agent sur le terrain et dans les réunions de la CIA qui commence à douter sérieusement du bien fondé des arguments vendus par l'équipe de Dick Cheney (vice-président à l'époque). Il montre aussi finement ce couple obligé de se taire alors que leurs amis répètent à foison les mensonges du gouvernement. Dans la deuxième partie, le film bascule vers le drame familial dans lequel le mari s'expose en défendant sa femme devant les médias. Plus convenu, Fair Game devient académique à force de scènes attendues (apparition inutile de Sam Shepard) et de discours moralisateurs. Quant aux acteurs, si Sean Penn est un peu agaçant dans un rôle trop calibré pour lui, Naomi Watts brille par l'intensité de son jeu et de son regard. On aurait préféré que Doug Liman s'engage plus directement dans un film qui prouve une fois de plus la capacité des américains à prendre leur histoire à bras-le-corps. Mais timidement cette fois.


Sabina Guzzanti, elle, n'y va pas par quatre chemins. Ennemie déclarée de Silvio Berlusconi, elle tape fort avec son documentaire pamphlétaire Draquila - l'Italie qui tremble qui revient sur le séisme de l'Aquila dont le Cavaliere à bénéficié pour se refaire une image dégradée après des scandales successifs, en profitant également pour aider ses petits camarades à monter des opérations immobilières au mépris des habitants et de l'Etat. 

Contrairement à Michael Moore qui confond trop souvent militantisme et documentaire au risque d'être caricatural, Sabina Guzzanti fait preuve d'une vraie crédibilité journalistique bien que sa démonstration soit parfois embrouillée. Interrogant les victimes de l'Aquila, des journalistes, des officiels, elle décortique les rouages du système Berlusconi qui, selon elle, bafoue toutes les règles de la démocratie. On ne peut pas lui donner tort lorsque l'on assiste, médusé, aux interventions du bonhomme, un mélange de vulgarité crasse et de machisme rampant. Mais l'on est surtout scandalisé en voyant la désinvolture avec laquelle le président du Conseil italien contourne le fonctionnement de l'Etat, en détournant une Protection Civile à son seul profit et en établissant des lois protégeant ses intérêts. 

Devant le silence assourdissant de l'opposition, Guzzanti va au charbon, se déguise en faux Berlusconi pour haranguer les foules, laisse parler ses interlocuteurs et tourne en ridicule le Cavaliere avec moult animations et graphiques humoristiques. 

Mais le rire laisse place à la stupéfaction quand la réalisatrice démontre la main mise de Berlusconi sur les médias. On connaissait déjà la nature de ce couple incestueux qui prend ici une proportion inédite et terrifiante. Et quand Guzzanti filme l'Aquila, une ville riche de culture et d' histoire, laissée en ruines par le gouvernement et entendre la troublante confession d'un italien impuissant face à cette "dictature silencieuse", on se dit que l'on doit rester vigilant en toutes circonstances.

Antoine Jullien

mercredi 3 novembre 2010

Rétrospective Jean-Pierre Melville

A partir d'aujourd'hui et jusqu'à 22 novembre se tient à la Cinémathèque française une rétrospective intégrale consacrée à Jean-Pierre Melville. Le cinéaste sera à l'honneur à travers ses treize longs métrages mais aussi en tant qu'acteur furtif chez Godard, Cocteau ou Chabrol. 

Des conférences autour de l'oeuvre du réalisateur du Cercle Rouge seront proposées. Qui êtes-vous Jean-Pierre Melville ? par Jean-François Rauger le vendredi 5 novembre et Jean-Pierre Melville : cinéaste franc tireur le samedi 6 novembre où participeront Olivier Bohler, Eric Demarsan, Pierre Gabaston, Rémy Grumbach, Philippe Labro et Rui Nogueira. 

Une occasion unique de découvrir ou redécouvrir l'oeuvre de l'un de nos plus importants cinéastes, instigateur du nouveau film noir français qui a influencé des générations de réalisateurs prestigieux, de Tarantino à Scorsese en passant par John Woo. Et le plaisir de revoir Delon, Belmondo et Ventura en antihéros majestueux d'une oeuvre d'une infinie richesse. 

Rétrospective Jean-Pierre Melville à la Cinémathèque Française. 51, rue de Bercy - Paris 12ème. Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr




L'ARMEE DES OMBRES 1969 TRAILER MELVILLE VENTURA SIGNORET HQ
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Exposition Brune/Blonde


"Parler de la chevelure, c'est embrasser l'histoire de l'art et celle de nos sociétés. Les cheveux des femmes entretiennent depuis toujours un rapport étroit à l'histoire des sociétés et à la mythologie. On y lit les rapports des hommes et des femmes, aussi bien du côté de la séduction que de la résistance". L'ambition affichée par Alain Bergala, le commissaire de l'exposition Brune/Blonde à la Cinémathèque française, n'est pas mince. On n'avait encore jamais évoqué ce mythe de la chevelure de manière aussi vaste, dans un parcours linéaire où se côtoient le cinéma, à travers des photos et extraits de films, mais aussi la peinture et la sculpture jusqu'à l'installation contemporaine d'Alice Anderson, une immense chevelure rousse recouvrant la façade de la Cinémathèque. 

"L'idée de Brune/Blonde : accueillir le visiteur dans le monde ludique et chatoyant du mythe, puis l'entraîner peu à peu vers d'autres cercles de compréhension" (Alain Bergala).  En effet, l'exposition est organisée selon plusieurs thématiques. Elle s'intéresse à l'histoire et à la géographie de la chevelure féminine en évoquant notamment l'impérialisme de la blondeur. Dès la fin des années 30, Hitler récupère le mythe de la blondeur nordique pour l'utiliser à des fins raciales. Hollywood va ensuite s'en emparer et toutes les stars de l'époque, de Lana Turner à Marilyn Monroe en passant par Veronica Lake, répondront à ces critères esthétiques, excluant de fait les minorités. Des archives télévisuelles montrent bien, à partir des années 60, l'émancipation des femmes à refuser le modèle imposé par le cinéma dominant, en témoignent la coupe "garçonne" de Jean Seberg dans A bout de souffle ou la coiffure afro des Black Panthers. 

Pierre Puvis De Chavannes, La toilette dite aussi Femme à sa toilette, 1883. Paris, Musée d'Orsay.

L'exposition explore des terrains plus inattendus comme la gestuelle liée à la chevelure. Dénouer, relever, lâcher, ces mouvements contribuent à la fascination qu'exercent les actrices sur le spectateur. En cela, le parallèle émis entre Alida Valli se brossant les cheveux dans Senso et le tableau Femme à sa toilette de Puvis de Chavannes est éloquent. 

L'avant-dernière salle est sans doute la plus intéressante car elle retrace les trois scénarios de la chevelure féminine. D'abord la rivalité entre les brunes et les blondes que deux cinéastes ont porté à un degré  d'envoûtement jamais atteint : Alfred Hitchcock avec Vertigo et David Lynch avec Mulholland Drive. Le travestissement et la métamorphose font aussi partie intégrante de nombreux films, l'image de la tête rasée de Maria Falconetti dans La passsion de Jeanne D'Arc de Dreyer reste dans toutes les mémoires. 

Mulholland Drive de David Lynch, 2001. © Studio Canal

L'exposition, un peu trop succincte, s'achève sur une sélection de six courts métrages inédits dans lesquels les cinéastes nous livrent leur vision de la chevelure féminine, discutable parfois, sans grand intérêt le plus souvent. Il est plutôt conseillé d'aller voir ou revoir cinquante longs métrages proposés par la Cinémathèque pendant toute la durée de l'exposition : chefs d'oeuvre, films rares et perles de séries B. En attendant l'Alfred Hitchcock en janvier 2011.

Antoine Jullien

Brune/Blonde. Une exposition Arts et Cinéma à la Cinémathèque française jusqu'au 16 janvier. Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr

The American


Les producteurs ont parfois des idées saugrenues. Envoyer une star américaine dans les paysages perdus des Abruzzes italiennes en le faisant jouer un tueur à gages mutique et solitaire, voilà une démarche résolument anti-commerciale. Mais la déception risque d'être grande si l'on fait croire au public le contraire de ce qu'il verra à l'écran. A cause de producteurs honteux de leur œuvre ou incapables de la vendre, l'échec était prévisible alors que la réussite du long métrage est là. Cruelle injustice. 

Le mérite en revient à Anton Corbijn, ancien photographe reconverti en prometteur cinéaste grâce à Control sur le groupe culte Joy Division. Prenant le contre-pied de ce qui a fait son succès, il s'est lancé dans un projet difficile qu'il n'aurait certainement pas pu mener à bien sans George Clooney. L'acteur est en effet le principal moteur et intérêt du film. Un étranger perdu au fin fond de l'Italie devant se cacher pour échapper à d'invisibles ennemis, le personnage semble être très éloigné des rôles confiés d'habitude au comédien. Si le réalisateur Clooney a souvent surpris par des choix audacieux, l'acteur (à une ou deux exceptions près) ne s'est jamais vraiment départi de son image de Cary Grant. Taiseux, le regard d'acier, il est ici constamment en décalage avec son environnement. De son arrivée inopportune dans un petit village transalpin à la chanson El Americano, les clins d’œil amusés du cinéaste à sa acteur sont légion, le vedette et le personnage épiés l'un et l'autre dans leur impossible anonymat. Et quand le comédien se met à boire un expresso dans un petit café déserté, la réalité et la fiction se brouillent de manière troublante. 


Le film est surtout réjouissant pour tout amateur du cinéma italo-américain des années 60-70 dans lesquels des acteurs anglo-saxons prestigieux sont venus s'afficher pour le meilleur et pour le pire. La mise en scène de Corbijn, nourrie d'influences allant d'Antonioni à Melville en passant par Boorman, est d'une grande minutie, chaque plan soigneusement choisi confinant au décor sa séduisante étrangeté. Sa précision d'horloger, qui arrive à maintenir un suspense inexistant sur le papier, renvoie au perfectionnisme du tueur à gages qui prépare son arme avec le plus grand soin. Et en habillant ses très belles comédiennes dans des tenues improbables et en les déshabillant avec le même plaisir, le réalisateur ne craint pas le ridicule et renforce ainsi la particularité de son oeuvre. 

Mais l'exercice de style périlleux tenu jusqu'à alors finit par s'enliser. De retournements de situation incohérents en clichés amoureux malvenus, Corbijn perd son projet initial. Et l'on se demande après coup si l'intrigue n'était pas qu'un vaste écran de fumée. Il n'empêche qu'il aura été le seul cinéaste à filmer Clooney dans des circonstances qu'on se gardera bien de révéler. Et pour paraphraser la fameuse réplique d'Arletty "Atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère !", The American en a une, assurément !

Antoine Jullien



Le DVD et  Blu-Ray sont disponibles chez Warner Home Video.

mercredi 27 octobre 2010

Biutiful

Alejandro Gonzalez Inarritu est devenu une cible sur laquelle certains aiment décocher leurs plus vilaines flèches. Victime de procès d'intention répétés pour sa prétendue lourdeur, le cinéaste mexicain ne s'est pas fait que des amis depuis l'enthousiasme qu'il avait suscité à la sortie d'Amours Chiennes, son premier long métrage. Avec Biutiful, le réalisateur de Babel et 21 grammes ne risque pas de prêcher les sceptiques. Tout ce qui fait le style Inarritu est sur l'écran mais sans son scénariste habituel, Guillermo Arriaga. 

Depuis ses débuts, le cinéaste mexicain veut donner au spectateur des nouvelles d'un monde qui ne tourne pas rond. Mais au lieu de fragmenter son histoire aux quatre coins de la planète, il fait reposer l'essentiel de son récit sur les épaules d'un homme, Uxbal, incarné magistralement par Javier Bardem, Prix d'interprétation à Cannes. Un personnage peu enclin à la sympathie, exploitant des clandestins pour subvenir aux besoins de sa famille, profitant sans cynisme de la misère humaine qui grouille autour de lui. Inarritu situe son protagoniste dans une ville incertaine, une mégalopole indéfinie jusqu'à ce qu'il glisse un plan furtif de la Sagrada Familia. Le cinéaste filme alors Barcelone à rebours des clichés communs véhiculés par le cinéma. C'est un univers souterrain qu'il dépeint, sale, désespéré dans lequel Uxbal est autant un coupable qu'une victime. Bon père, devant lutter contre sa femme "bipolaire", il tente de joindre les deux bouts. Jusqu'à ce que la maladie le rattrape... 

Alejandro Gonzalez Inarritu et Javier Bardem

Il faut vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître au cinéaste son talent d'embarquer le spectateur. Sa caméra déambule dans les rues, s'infiltre dans les ateliers des sans-papiers, capte les déchirements d'un couple et filme fébrilement une prise de sang qui révèle habilement le passé d'Uxbal. Le cinéaste est au plus près de l'humain et de ses douleurs, abyssales. On pourrait lui reprocher de surcharger une barque déjà pleine, toutes les souffrances s'accumulant les unes aux autres. Mais la densité de sa mise en scène éblouit une fois encore car elle n'est pas dans le dolorisme compassionnel. 

Javier Bardem est le corps et l'âme du film. Sans livrer de performance, le comédien ibérique laisse sa présence imprégner durablement la pellicule. Confronté à la mort, l'acteur est bel et bien en osmose avec son metteur en scène, incarnant cet instant avec retenue et sobriété. Cependant, une réserve se met à poindre. Pourquoi Inarritu est-t-il tombé dans le piège de la mort rédemptrice ? La répétition finale de l'image de la neige immaculée ne conclue-t-elle pas à une trop évidente fin libératrice  ? Et en finissant par se focaliser sur son protagoniste tout entier, le cinéaste, malgré une intrigue secondaire guère intéressante, semble oublier les victimes collatérales de son histoire. Inarritu n'en demeure pas moins un cinéaste qui compte et dont l'oeuvre s'élargit d'année en année. En déplaise aux pisses-froid soi-disants éclairés. 

Antoine Jullien


Les petits mouchoirs

Ils sont beaux, jeunes, aisés et vont, malgré un évènement dramatique, passer deux semaines de vacances au Cap Ferret. A mesure que les jours défilent, les petites rancoeurs et lâchetés se font jour. "Un film de potes" dixit la promotion du film. "Très personnel" selon son réalisateur Guillaume Canet. La recette est éprouvée mais tous les ingrédients semblent réunis pour que cela fonctionne. Et pourtant.

On ne peut pas nier les qualités réelles de fabrication dont Canet fait preuve une nouvelle fois. Malgré sa durée excessive (2h35), il arrive à maintenir presque constamment l'intérêt du spectateur grâce à un dosage bien équilibré entre instants d'humour et plages d'émotions. Il sait également parfaitement filmer un groupe et créer une harmonie entre eux. Enfin, comme dans Ne le dis a personne, il montre un art du casting certain, offrant à ses acteurs des rôles taillés sur mesure sans qu'aucun ne prenne la couverture à lui. Malin, il donne même au comédien français le plus aimé du moment un personnage fantomatique mais omniprésent dans l'histoire. Ces qualités accumulées, le film dégage-t-il de l'empathie ?


Les petits mouchoirs ne peut pas être considéré comme un film générationnel tant la génération dont il est question semble éloignée des réalités concrètes. Sans problèmes apparents à l'exception de leurs névroses du quotidien, les personnages naviguent dans un océan de petites choses sans importance. Pas vraiment sympathiques, obnubilés par leur nombril, aveugles au monde qui les entoure, ils forment un vase clos que Guillaume Canet a l'air de bien connaître. Et bien qu'il veuille montrer leurs travers et leur égoïsme, le réalisateur se prend les pieds dans le tapis avec une fin lacrymale surchargée de pathos. En l'espace de quinze minutes, il aligne tous les clichés possibles alors qu'il avait su plutôt adroitement les éviter jusqu'ici.

Le troisième long métrage du réalisateur pose le même problème que les deux précédents : son absence d'âme. Devenu un enfant (trop ?) gâté du cinéma français, Canet s'offre des jouets luxueux dont ils profitent pleinement mais qui ne stimulent aucun élan créatif. Malgré son ambition affichée, il reste l'auteur d'un cinéma efficace qui ne laisse pas de traces et qu'on oublie très vite. C'est déjà cela me direz-vous. Mais avec un zeste de modestie supplémentaire, s'il vous plaît !

Antoine Jullien

mercredi 20 octobre 2010

Illégal

Tania, qui élève seule son fils de quatorze ans, vit sans papiers en Belgique. Un jour, elle est arrêtée et placée dans un centre de rétention. Elle fera tout pour retrouver son fils mais n'échappera pas aux menaces d'expulsion. 

Un sujet comme celui-là peut conduire à tous les débordements. Le manichéisme et le pathos ne sont jamais loin. Le réalisateur Olivier Masset-Depasse s'est intéressé aux conditions des étrangers reconduits dans leur pays au moment où il apprenait qu'il existait un centre de rétention à quelques kilomètres de chez lui. Préférant la fiction au documentaire, il a opté pour un traitement réaliste et cru de la situation, filmant caméra à l'épaule sa compagne et actrice Anne Coesens qui a dû apprendre le russe pour l'occasion. Il souhaitait avant tout  "montrer tout ce que nous faisons endurer aux étrangers pour qu'ils rentrent chez eux". 

Anne Coesens

Le film nous montre en effet une réalité choquante et inhumaine. Le cinéaste décrit surtout la perversité du système qui pousse les sans-papiers, à force de torture psychologique et physique, à retourner dans leur pays qu'ils ne veulent retrouver à aucun prix.  Illégal, malgré son titre en forme de couperet, n'est pourtant pas un film désespéré. La détermination de Tania porte le long métrage d'une rage qui s'avèrera payante. Un espoir à relativiser toutefois tant le calvaire du personnage devient insupportable pour le spectateur.  

Quelques clichés ternissent un peu la dernière partie où l'on sent le réalisateur contraint de terminer son film par des conventions dramatiques convenues. Mais la caractérisation des protagonistes, ni héros ni salauds, et la justesse de l'ensemble sont impressionnants. Un profond sentiment de malaise et de révolte se diffuse progressivement. Quelque soit notre opinion politique, on ne peut pas rester insensible. Et même si le sort des sans papiers est infiniment complexe et ne peut souffrir d'aucun raccourci simplificateur, le film a le mérite de rendre le spectateur responsable et averti. Il ne pourra plus dire qu'il ne savait pas.

Antoine Jullien

mardi 19 octobre 2010

The Social Network

Un jeune homme discute avec sa copine. La conversation devient très vite un ping-pong verbal où les arguments des deux camps s'affrontent. La copine finit par le quitter. Le jeune homme décide alors de se venger en publiant des informations privées sur le site internet de son campus. Voilà comment a débuté la création du plus grand réseau social en activité, Facebook. 

Le jeune homme en question, un "nerd" comme le dit sa copine, est Mark Zuckerberg. L'homme qui pèse aujourd'hui plus de six milliards de dollars devient l'inattendu anti-héros du huitième long métrage de David Fincher. Avec l'aide du scénariste Aaron Sorkin à qui l'on doit la série A la Maison Blanche, il prouve une nouvelle fois ce que le cinéma américain peut produire de mieux, à savoir l'association parfaite entre deux grands artistes aussi talentueux dans leur spécialité au service d'une histoire foisonnante et romanesque. 

Car The Social Network est un film passionnant. Fincher et Sorkin ont eu l'intelligence de construire l'intrigue en flashback où l'on découvre la gestation de Facebook à travers les témoignages des anciens camarades de Zuckerberg qui lui intentèrent un procès. Bien que le long métrage soit basé sur une enquête solidement documentée de Ben Mezrich "The Accidental Billionaires", l'histoire vraie importe finalement peu, Fincher réussissant l'exploit, grâce à une réalisation d'une précision d'orfèvre et des dialogues brillants, à nous faire comprendre les codes d'un monde qui nous est étranger. Chaque séquence serait à étudier tant l'art de la mise en scène et du montage se combinent de manière admirable. Le cinéaste ne relâche jamais la tension qui monte crescendo au fur et à mesure que l'histoire apporte son lots de trahisons et de coups bas. Les jeunes interprètent n'y sont pas étrangers et le débit robotique de Jesse Eisenberg fascine autant que la fausse décontraction branchée de Justin Timberlake irrite. 

Justin Timberlake et Jesse Eisenberg

A un seul moment toutefois, Fincher se permet un vrai tour de force, une course d'avirons qui est déjà un morceau d'anthologie. Ce moment détaché du film, comme une pause au milieu des joutes oratoires, est, par sa virtuosité visuelle et sa musique électrisante, digne de Stanley Kubrick

En glissant sa caméra dans les couloirs d'Harvard, filmant la jeunesse dorée américaine dans sa tranquillité feinte, le réalisateur décrit un monde en train de s'éteindre et un autre en train de naître. Le poids des institutions et des traditions se voit brutalement ringardisé par le génie de Zuckerberg. Ni une charge au vitriol ni une dithyrambe, le film s'attache à montrer un garçon en marge, blessé de ne pas être accepté parmi l'élite et incapable de la moindre relation humaine. Un être peu aimable à l'image d'une success story qui n'a rien de glorieuse. Et même si Fincher ne pointe pas les dangers de sa créature, il arrive à donner une vraie dimension à son créateur. La dernière image, amère, pathétique, le montrant seul face à son écran d'ordinateur, à la recherche d'un ami malgré ses cinq cent millions virtuels, est le symbole de notre époque, confuse et inconséquente.

Antoine Jullien

mercredi 13 octobre 2010

Une question de réputation

VOUS ALLEZ RENCONTRER UN BEL ET SOMBRE INCONNU / ELLE S'APPELAIT SARAH


Deux réalisateurs aux réputations diamétralement opposées nous reviennent cette semaine. Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu est le quarantième long métrage de Woody Allen. Le prolixe réalisateur pose à nouveau sa caméra à Londres pour conter les destinées de plusieurs personnages à la recherche du sens de la vie. Un homme qui ne supporte plus de vieillir va convoler aux bras d'une bimbo décervelée laissant sa pauvre femme désespérée accroc à l'hypnose, une jeune femme au mariage contrarié tombe sous le charme de son patron, le mari de la femme en question, un écrivain raté, noie sa frustration en séduisant sa voisine. Une galerie de personnages que Woody Allen peint avec détachement et ironie, sans se bercer d'illusions sur la condition humaine. "Nous sommes des médiocres", semble dire le cinéaste, et nos vies insignifiantes ne méritent même pas de fin. 

Un Woody mineur ? Cette expression galvaudée ne veut plus dire grand chose car elle ressort chaque année. Mais il est certain que le cinéaste s'est montré plus en forme que dans ce film routinier, plutôt amusant mais très paresseux. Le talent du cinéaste reste évidemment intact et le début du film suffit à nous en convaincre, passant d'un personnage à l'autre avec une facilité déconcertante en utilisant discrètement le plan séquence pour laisser vivre ses acteurs, une fois de plus excellents. 

Certaines intrigues sont plus réussies que d'autres mais aucune ne paraît vraiment aboutie. La critique du spiritisme n'intéresse pas le cinéaste qui s'en sert uniquement à des fins comiques un peu usées. La chaude photographie sépia dans laquelle il enrobe ses personnages est trompeuse car sous le vernis mondain se dévoile nos propres inconséquences. Mais le fait qu'il laisse leurs histoires en jachère montre aussi la limite de l'exercice, le cinéaste s'en désintéressant soudain comme si tout cela n'avait aucune importance. Peut-être est-ce la morale du film.



A l'inverse de Woody Allen, Gilles Paquet-Brenner n'a pas exactement la carte. Piètre réalisateur jusqu'ici (Gomez et Tavares a laissé des traces indélébiles !), il revient de manière inattendue avec l'adaptation du best-seller de Tatiana de Rosnay, Elle s'appelait Sarah. Lors d'une enquête sur la rafle du Vel d'Hiv, Julia Jarmond, une journaliste américaine, découvre que l'appartement où elle s'apprête à vivre avec son mari avait appartenu pendant la guerre à une famille juive. Seule la petite Sarah avait pu échapper à la déportation. La journaliste va tout faire pour retrouver sa trace et lier son destin à celui de la jeune fille. 

A l'inverse de La Rafle, gros succès lacrymal de l'année, Gilles Paquet-Brenner a eu la bonne idée de traiter son histoire avec sobriété et retenue. Enchevêtrant deux époques, il parvient à tisser une intrigue prenante où la découverte du passé va mener la journaliste à faire des choix qui ne seront pas sans conséquence. La rafle du Vel d'Hiv est évoquée justement, sans surdramatisation, le réalisateur parvenant, en un long travelling aérien sur les déportés, à donner la pleine mesure de l'horreur de l'évènement. 

Par sa sensibilité et son intelligence de jeu, Kristin Scott Thomas est la belle âme de ce film populaire au sens noble du terme. La jeune Mélusine Mayance apporte une innocence touchante et son évasion demeura comme l'un des plus beaux moments du film. Le réalisateur saura garder le mystère de Sarah, énigmatique image perdue au milieu de l'océan. Une vraie surprise de la part d'un réalisateur dont on ne misait plus rien. Toute rédemption est possible.

Antoine Jullien

Les Amours Imaginaires

Avoir 21 ans et signer déjà son deuxième long métrage. Le prodige québécois Xavier Dolan n'en finit plus d'intriguer et d'agacer. Son talent est d'une insolente jeunesse et son inventivité n'est en rien un effet de mode. Ce jeune garçon, après J'ai tué ma mère, confirme une patte très personnelle dans un univers cinématographique truffé de références à Wong Kar-Wai, Almodovar, Gus Van Sant et la Nouvelle Vague. 

L'acteur-réalisateur-scénariste-producteur-créateur de costumes a souhaité revisiter l'éternel triangle amoureux : deux personnes amoureuses du même homme. Sauf qu'il s'agit ici d'un homme et d'une femme. Dès les premières minutes, les corps des protagonistes au ralenti déambulent élégamment dans les rues de Montréal sur la chanson Bang Bang de Dalida. La mise en scène très maniériste de Dolan va se répéter tout au long du film mais sa signification va, elle, varier du tout au tout. 

Pendant une bonne moitié du métrage, on est bluffé par la maîtrise formelle du garçon mais aussi vaguement irrité par ses poses d'auteur qui ne semblent être, à cet instant, qu'un écran de fumée. Mais ce qu'il dit de la croyance sincère et véritable du sentiment amoureux va contredire cette impression première et nous amener à suivre les atermoiements du coeur de ses personnages avec un intérêt grandissant. Car Xavier Dolan ne fait jamais preuve de cynisme, il raconte dans toute sa complexité la rivalité du jeune homme et de la femme, ivres de désir pour leur ami à la gueule d'ange qui recèle pourtant une part d'ambiguité : est-il un bon camarade ou un amant manipulateur ? 

Xavier Dolan

Pour aérer cette délicate partition, Dolan filme des jeunes gens, face caméra, narrant leurs échecs amoureux. Désarmants de sincérité et portés par une langue québécoise haut en couleurs, ils nous disent la douleur de ne pas être aimé. A cet amer constat renvoie la très belle scène de confession du jeune homme à son ami qui lui répond par cette phrase lapidaire : "Mais comment as-tu pu penser que j'étais homosexuel ?" 

Grâce à la présence de comédiens remarquables, à commencer par la saisissante Monia Chokri, Xavier Dolan nous transporte dans cette atmosphère faussement douce en redéfinissant un genre que le cinéma français est aujourd'hui bien incapable de transcender. Malgré quelques scories et effets dispensables pointant par endroit un trop grand narcissisme, il confirme qu'il faudra d'ores et n'avant compter avec lui.

Antoine Jullien