mercredi 17 novembre 2010

OFNI : objet filmique non identifié

BURIED / RUBBER

Et s'il l'on se réveillait un matin avec l'idée étrange de raconter l'histoire d'un type enfermé dans un cercueil où la vie d'un pneu au milieu du désert américain ? Deux cinéastes, Rodrigo Cortès et Quentin Dupieux, aiment se lancer des paris impossibles. La preuve cette semaine.


Buried repose sur un principe que n'aurait sans doute pas renier Alfred Hitchcock : enfermer son personnage principal en maintenant le suspense jusqu'au bout pour savoir s'il va ou non s'en sortir. Rodrigo Cortès a su relevé ce tour de force un peu fou. Alors que, dans Kill Bill 2, Tarantino avait mis six pieds sous terre la pauvre Uma Thurman pendant dix minutes seulement, Cortès lui, claquemure Ryan Renolds pendant une heure trente ! 

Plus connu comme mari de Scarlett Johanson que comme comédien réputé, il joue avec une intensité rare un camionneur victime d'une attaque en Irak. Enfermé dans un cercueil, il devient l'otage de terroristes qui réclament une exorbitante rançon s'il veut rester vivant. Muni d'une lampe torche et d'un téléphone portable, l'homme va devoir faire face à la bureaucratie américaine insensible à son sort, plus préoccupée par protéger ses intérêts que sauver la vie d'un de leurs ressortissants.

Ryan Reynolds

Dès les premières minutes, le cinéaste impose immédiatement une tension : face à un écran noir, on entend un homme haleter jusqu'à ce que l'on découvre, effaré, le réalité de sa situation. Cortès va constamment maintenir cet état de pression permanente, filmant le visage sali de son comédien sous toutes les coutures, créant un terrible suspense dont les seuls ressorts sont un homme au téléphone et la voix lointaine qui lui fait office d'interlocuteur. A l'instar du personnage, le spectateur se met lui aussi à respirer difficilement, les sens en alerte, un sentiment de peur de plus en plus galopant. 

Un peu à l'étroit dans son dispositif, le réalisateur s'est senti obligé d'utiliser des plans impossibles qui déforcent son film. La musique pompière et le scénario qui patît d'invraisemblances finissent par nous désintéresser. Mais le final, manipulateur en diable et d'une sidérante noirceur, nous cloue au fauteuil. Et au regard du contexte, on se dit que Rodrigo Cortès n'a pas livré qu'un redoutable thriller claustrophobique mais aussi une critique à peine voilée de la politique actuelle. Chapeau !



Les réalisateurs arrivent encore à surprendre. En choisissant un pneu comme héros de son deuxième long métrage, Quentin Dupieux a voulu transformer une série Z en objet conceptuel. Ce personnage aussi improbable que fascinant, le réalisateur lui donne vie de manière presque "naturelle". Il se réveille au beau milieu du désert américain et, comme un enfant, va découvrir petit à petit ses facultés grandissantes. Une naissance qui restera probablement dans l'histoire du cinéma comme l'un des moments les plus abstraits qu'il nous ait été donné de voir. 

La poésie du début laisse place à l'horreur teintée d'absurdité. Alors que Rubber se découvre des pouvoirs de télépathe au point de faire exploser les tête des gens qu'il croise sur sa route, un groupe de spectateurs, les spectateurs du film en cours, assiste au carnage de ce pneu tueur. Le principe du film dans le film n'est pas spécialement nouveau et cette mise en abîme a déjà fait l'objet de nombreux longs métrages. En grand amateur de Bunuel, Quentin Dupieux prend ce décalage à son compte.


Mais Rubber a le défaut de ses qualités. Car s'il réinvente un genre, il a la faiblesse de se croire plus intelligent que lui. On peut reprocher au film son côté arty qui se prend un peu trop au sérieux et qui prive le spectateur du plaisir coupable ressenti devant ce type de film. Car Quentin Dupieux a l'air de croire dur comme fer à son histoire de pneu en le filmant d'ailleurs comme un être de chair et sang, épousant ses trajectoires zigzagantes grâce à l'usage d'un appareil photo numérique. Rubber est en effet l'un des premiers longs métrages à avoir été tourné ainsi. Le rendu bluffant du dispositif capte très bien les étendues désertiques même si le réalisateur a tendance à abuser de la profondeur de champ. 

On ressort de la salle tout à fait décontenancé devant cet Ofni, ne sachant trop s'il s'agit du lard ou du cochon. N'expliquant rien, jouant sur le "no reason" évoqué au début du film avec un sérieux papal, Rubber laisse songeur. A t-on à faire à un créateur génial ou à un malin plaisantin ? A vous de trouver la réponse.

Antoine Jullien

Potiche

"La femme est l'avenir de l'homme". Jean Ferrat était en avance sur son temps, à l'exact opposé de Robert Pujol, l'incarnation du mâle dominant des années soixante-dix. Menant d'une main de fer son entreprise de parapluies, il considère son entourage, et en premier lieu sa femme, comme quantité négligeable. Jusqu'au jour où, séquestré par ses employés en grève, il doit céder la direction de la société à sa tendre épouse qui va se révéler, contre toute attente, une remarquable patronne. 

Après Gouttes d'eau sur pierres brûlantes et 8 femmes, François Ozon adapte une nouvelle fois une pièce de théâtre. Ecrite par le tandem Barillet et Gredy, Potiche fut à sa création un triomphe grâce à la prestation tonitruante de Jacqueline Maillant. Prenant quelques libertés avec le texte original, Ozon a souhaité conserver l'époque du récit, 1977, pour mieux parler des problèmes d'aujourd'hui : la place de la femme dans la société, les relations tendues dans l'entreprise, l'émancipation au sein de la cellule familiale. En jouant à fond la carte du kitsch assumé, le réalisateur parvient à évoquer tous ces thèmes avec une légèreté bienvenue, en saupoudrant ça et là son film de quelques références malicieuses à la politique actuelle. 

Enchaînant les films avec de moins en moins de conviction et d'allant, Ozon avait besoin de se frotter à un matériau dont il n'était pas l'auteur pour laisser libre cours à ses envies stylistiques. Couleurs criardes, téléphone recouvert en cuir, cuisine flambant neuve, le réalisateur recréé le fantasme des années 70 avec bonheur. Prenant plaisir à vêtir ses acteurs de costumes "d'époque", il leur donne une délectable  partition, de Judith Godrèche en fausse féministe à Karin Viard en secrétaire engagée et pleine d'aplomb. Il en profite également pour reformer le couple mythique Catherine Deneuve-Gérard Depardieu. Retrouvant une belle complicité, les deux comédiens se révèlent touchants dans une séquence dansante où les amours et les regrets passés ressurgissent avec une douce mélancolie. 

Catherine Deneuve et François Ozon

Aux antipodes de l'interprète originale, Catherine Deneuve fait de sa potiche une étonnante incarnation moderniste. Alliant sa prestance à son élégance naturelle, l'actrice joue les situations en ne forçant jamais le trait. Triturant l'image de sa comédienne affublée d'un jogging rouge impayable puis chantant avec une décontraction infinie, le cinéaste pose sur elle un regard ambigu sans que l'on sache véritablement s'il s'en moque ou s'il lui rend hommage. 

Mais le théâtre à l'écran peut aussi avoir ses travers qu'Ozon n'évite pas toujours. Alors qu'il a eu l'intelligence de confier son casting à des acteurs de cinéma, il a eu la mauvaise idée de donner à un habitué des planches, Fabrice Luchini, le rôle de l'odieux patron réac. Incapable d'aller au-delà de la simple caricature, il fait de Robert Pujol un personnage un temps cocasse mais rapidement lassant. Le réalisateur tombe également dans les pièges du théâtre filmé en gardant les ressorts comiques les plus éculés et en se reposant trop souvent sur un découpage plan-plan. Lors de la dernière séquence, le film se termine pour ce qu'il est : une plaisante comédie, plus amusante que drôle. Et même s'il finit par brocarder la politique spectacle, tout cela reste très inoffensif. Ozon ose encore, mais en mode mineur.

Antoine Jullien




mercredi 10 novembre 2010

Ressorties : Lenny et Les Duellistes


Il est bon de faire un saut dans le temps pour mesurer à quel point le cinématographe est un art jeune qui a déjà beaucoup inventé. A la vision de Lenny et des Duellistes, on est stupéfait par leur modernité et leur faculté à des détourner des genres codifiés. 

Bob Fosse, connu pour ses adaptations cinématographiques de ses spectacles de Broadway (Cabaret, All that Jazz), s'est pris de passion pour le comique contestataire Lenny Bruce, mort d'overdose en 1966. Personnage insaisissable, polémiste acéré, il développait dans ses spectacles une vision nouvelle de la société qui a détonné dans l'Amérique très puritaine des années 50-60. Dustin Hoffman incarne Lenny de manière saisissante, étourdissant de charisme dans ses one man show, sensible avec les femmes mais finalement rattrapé par ses démons. Si le personnage réel était plus noir, Hoffman ne gomme pas pour autant ses côtés négatifs. Impulsif, parfois incontrôlable, le personnage devient une victime d'un état aveugle aux mutations culturelles et intransigeant devant toute pensée critique. Coupable d'obscénité, Lenny révéla à l'Amérique ce qu'elle ne voulait pas voir. 

Bob Fosse a su réaliser une sorte de faux documentaire dans lequel il entrecoupe habilement des extraits de spectacles de Lenny Bruce avec certains épisodes de sa vie privée. Filmant magistralement l'atmosphère ténébreuse des cabarets dans un noir et blanc d'une beauté à couper le souffle, captant au plus près les saillies violentes de Lenny, il montre un homme en avance sur son temps, ne reculant jamais devant les pressions au risque d'en payer le prix fort. Un grand film. 


Il faut se souvenir qu'en d'autres temps, Ridley Scott était un grand cinéaste. Oublions le bon faiseur qu'il est devenu pour s'intéresser à l'artiste inspiré qu'il était jadis. Avant ses deux pièces maîtresses Alien et Blade Runner, il signait en 1977 Les Duellistes, son premier long métrage. Un affrontement aussi brutal qu'étrange entre deux capitaines de l'armée napoléonienne se livrant à des duels pendant quinze ans jusqu'à ce que le cours de l'histoire en fasse un vainqueur. 

Sorti deux ans après Barry Lyndon, Les Duellistes s'en rapproche dans le style visuel, avec ses paysages embrumés du petit matin, ses couleurs chaudes et l'utilisation de la caméra mobile. Mais Ridley Scott trouve déjà son propre style en racontant cette histoire de manière non conventionnelle. En effet, on ne sait pas très bien pourquoi ces deux hommes se battent. Partant d'un prétexte futile, le film explore la soif de pouvoir, l'engagement jusqu'au boutiste et la trahison. Magnifiquement interprété par Harvey Keitel et Keith Carradine, le film regorge de moments décalés, comme lorsque Carradine éternue avant de commencer son combat ou quand il déclare son amour à sa future femme hilare sans que l'on sache pour quelle raison (s'agissait-il d'une prise ratée ?). 

Plastiquement éblouissant, Les Duellistes, comme Lenny, est une des pépites des années 70, une décennie qui n'en finit plus d'inspirer des générations de spectateurs et de cinéastes, une période où la créativité artistique primait sur tout le reste. Une époque qui, heureusement, n'est pas totalement révolue.

Antoine Jullien

Fair Game / Draquila

La chose politique peut être traitée de deux manières : soit on privilégie l'effacement du point de vue derrière la fiction ou à contrario on met en avant l'engagement personnel pour accréditer une cause. L'américain Doug Liman et l'italienne Sabina Guzzanti le montrent à nouveau cette semaine. Sans que la fiction en sorte forcément grandie.

Doug Liman, après plusieurs films d'action pétaradants (La mémoire dans la peau et le très mauvais Mr & Mrs Smith), décide de remettre à la surface une des plus ténébreuses affaires de l'ère Bush. Valérie Plame (Naomi Watts), agent de la CIA missionnée pour trouver des armes de destruction massive en Irak, voit brutalement son nom apparaître dans les journaux après que son mari (Sean Penn), ancien ambassadeur, ait révélé les mensonges de l'administration américaine. Sans sa couverture, l'espionne devient une proie facile et devra faire preuve de ténacité pour sauver son mariage et son honneur. 

Seul film américain en compétition à Cannes cette année (on plaint les sélectionneurs !), Fair Game est un honorable divertissement sur une histoire qui a fait grand bruit outre-atlantique mais restée relativement discrète chez nous. Doug Liman filme bien cet agent sur le terrain et dans les réunions de la CIA qui commence à douter sérieusement du bien fondé des arguments vendus par l'équipe de Dick Cheney (vice-président à l'époque). Il montre aussi finement ce couple obligé de se taire alors que leurs amis répètent à foison les mensonges du gouvernement. Dans la deuxième partie, le film bascule vers le drame familial dans lequel le mari s'expose en défendant sa femme devant les médias. Plus convenu, Fair Game devient académique à force de scènes attendues (apparition inutile de Sam Shepard) et de discours moralisateurs. Quant aux acteurs, si Sean Penn est un peu agaçant dans un rôle trop calibré pour lui, Naomi Watts brille par l'intensité de son jeu et de son regard. On aurait préféré que Doug Liman s'engage plus directement dans un film qui prouve une fois de plus la capacité des américains à prendre leur histoire à bras-le-corps. Mais timidement cette fois.


Sabina Guzzanti, elle, n'y va pas par quatre chemins. Ennemie déclarée de Silvio Berlusconi, elle tape fort avec son documentaire pamphlétaire Draquila - l'Italie qui tremble qui revient sur le séisme de l'Aquila dont le Cavaliere à bénéficié pour se refaire une image dégradée après des scandales successifs, en profitant également pour aider ses petits camarades à monter des opérations immobilières au mépris des habitants et de l'Etat. 

Contrairement à Michael Moore qui confond trop souvent militantisme et documentaire au risque d'être caricatural, Sabina Guzzanti fait preuve d'une vraie crédibilité journalistique bien que sa démonstration soit parfois embrouillée. Interrogant les victimes de l'Aquila, des journalistes, des officiels, elle décortique les rouages du système Berlusconi qui, selon elle, bafoue toutes les règles de la démocratie. On ne peut pas lui donner tort lorsque l'on assiste, médusé, aux interventions du bonhomme, un mélange de vulgarité crasse et de machisme rampant. Mais l'on est surtout scandalisé en voyant la désinvolture avec laquelle le président du Conseil italien contourne le fonctionnement de l'Etat, en détournant une Protection Civile à son seul profit et en établissant des lois protégeant ses intérêts. 

Devant le silence assourdissant de l'opposition, Guzzanti va au charbon, se déguise en faux Berlusconi pour haranguer les foules, laisse parler ses interlocuteurs et tourne en ridicule le Cavaliere avec moult animations et graphiques humoristiques. 

Mais le rire laisse place à la stupéfaction quand la réalisatrice démontre la main mise de Berlusconi sur les médias. On connaissait déjà la nature de ce couple incestueux qui prend ici une proportion inédite et terrifiante. Et quand Guzzanti filme l'Aquila, une ville riche de culture et d' histoire, laissée en ruines par le gouvernement et entendre la troublante confession d'un italien impuissant face à cette "dictature silencieuse", on se dit que l'on doit rester vigilant en toutes circonstances.

Antoine Jullien

mercredi 3 novembre 2010

Rétrospective Jean-Pierre Melville

A partir d'aujourd'hui et jusqu'à 22 novembre se tient à la Cinémathèque française une rétrospective intégrale consacrée à Jean-Pierre Melville. Le cinéaste sera à l'honneur à travers ses treize longs métrages mais aussi en tant qu'acteur furtif chez Godard, Cocteau ou Chabrol. 

Des conférences autour de l'oeuvre du réalisateur du Cercle Rouge seront proposées. Qui êtes-vous Jean-Pierre Melville ? par Jean-François Rauger le vendredi 5 novembre et Jean-Pierre Melville : cinéaste franc tireur le samedi 6 novembre où participeront Olivier Bohler, Eric Demarsan, Pierre Gabaston, Rémy Grumbach, Philippe Labro et Rui Nogueira. 

Une occasion unique de découvrir ou redécouvrir l'oeuvre de l'un de nos plus importants cinéastes, instigateur du nouveau film noir français qui a influencé des générations de réalisateurs prestigieux, de Tarantino à Scorsese en passant par John Woo. Et le plaisir de revoir Delon, Belmondo et Ventura en antihéros majestueux d'une oeuvre d'une infinie richesse. 

Rétrospective Jean-Pierre Melville à la Cinémathèque Française. 51, rue de Bercy - Paris 12ème. Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr




L'ARMEE DES OMBRES 1969 TRAILER MELVILLE VENTURA SIGNORET HQ
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Exposition Brune/Blonde


"Parler de la chevelure, c'est embrasser l'histoire de l'art et celle de nos sociétés. Les cheveux des femmes entretiennent depuis toujours un rapport étroit à l'histoire des sociétés et à la mythologie. On y lit les rapports des hommes et des femmes, aussi bien du côté de la séduction que de la résistance". L'ambition affichée par Alain Bergala, le commissaire de l'exposition Brune/Blonde à la Cinémathèque française, n'est pas mince. On n'avait encore jamais évoqué ce mythe de la chevelure de manière aussi vaste, dans un parcours linéaire où se côtoient le cinéma, à travers des photos et extraits de films, mais aussi la peinture et la sculpture jusqu'à l'installation contemporaine d'Alice Anderson, une immense chevelure rousse recouvrant la façade de la Cinémathèque. 

"L'idée de Brune/Blonde : accueillir le visiteur dans le monde ludique et chatoyant du mythe, puis l'entraîner peu à peu vers d'autres cercles de compréhension" (Alain Bergala).  En effet, l'exposition est organisée selon plusieurs thématiques. Elle s'intéresse à l'histoire et à la géographie de la chevelure féminine en évoquant notamment l'impérialisme de la blondeur. Dès la fin des années 30, Hitler récupère le mythe de la blondeur nordique pour l'utiliser à des fins raciales. Hollywood va ensuite s'en emparer et toutes les stars de l'époque, de Lana Turner à Marilyn Monroe en passant par Veronica Lake, répondront à ces critères esthétiques, excluant de fait les minorités. Des archives télévisuelles montrent bien, à partir des années 60, l'émancipation des femmes à refuser le modèle imposé par le cinéma dominant, en témoignent la coupe "garçonne" de Jean Seberg dans A bout de souffle ou la coiffure afro des Black Panthers. 

Pierre Puvis De Chavannes, La toilette dite aussi Femme à sa toilette, 1883. Paris, Musée d'Orsay.

L'exposition explore des terrains plus inattendus comme la gestuelle liée à la chevelure. Dénouer, relever, lâcher, ces mouvements contribuent à la fascination qu'exercent les actrices sur le spectateur. En cela, le parallèle émis entre Alida Valli se brossant les cheveux dans Senso et le tableau Femme à sa toilette de Puvis de Chavannes est éloquent. 

L'avant-dernière salle est sans doute la plus intéressante car elle retrace les trois scénarios de la chevelure féminine. D'abord la rivalité entre les brunes et les blondes que deux cinéastes ont porté à un degré  d'envoûtement jamais atteint : Alfred Hitchcock avec Vertigo et David Lynch avec Mulholland Drive. Le travestissement et la métamorphose font aussi partie intégrante de nombreux films, l'image de la tête rasée de Maria Falconetti dans La passsion de Jeanne D'Arc de Dreyer reste dans toutes les mémoires. 

Mulholland Drive de David Lynch, 2001. © Studio Canal

L'exposition, un peu trop succincte, s'achève sur une sélection de six courts métrages inédits dans lesquels les cinéastes nous livrent leur vision de la chevelure féminine, discutable parfois, sans grand intérêt le plus souvent. Il est plutôt conseillé d'aller voir ou revoir cinquante longs métrages proposés par la Cinémathèque pendant toute la durée de l'exposition : chefs d'oeuvre, films rares et perles de séries B. En attendant l'Alfred Hitchcock en janvier 2011.

Antoine Jullien

Brune/Blonde. Une exposition Arts et Cinéma à la Cinémathèque française jusqu'au 16 janvier. Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr

The American


Les producteurs ont parfois des idées saugrenues. Envoyer une star américaine dans les paysages perdus des Abruzzes italiennes en le faisant jouer un tueur à gages mutique et solitaire, voilà une démarche résolument anti-commerciale. Mais la déception risque d'être grande si l'on fait croire au public le contraire de ce qu'il verra à l'écran. A cause de producteurs honteux de leur œuvre ou incapables de la vendre, l'échec était prévisible alors que la réussite du long métrage est là. Cruelle injustice. 

Le mérite en revient à Anton Corbijn, ancien photographe reconverti en prometteur cinéaste grâce à Control sur le groupe culte Joy Division. Prenant le contre-pied de ce qui a fait son succès, il s'est lancé dans un projet difficile qu'il n'aurait certainement pas pu mener à bien sans George Clooney. L'acteur est en effet le principal moteur et intérêt du film. Un étranger perdu au fin fond de l'Italie devant se cacher pour échapper à d'invisibles ennemis, le personnage semble être très éloigné des rôles confiés d'habitude au comédien. Si le réalisateur Clooney a souvent surpris par des choix audacieux, l'acteur (à une ou deux exceptions près) ne s'est jamais vraiment départi de son image de Cary Grant. Taiseux, le regard d'acier, il est ici constamment en décalage avec son environnement. De son arrivée inopportune dans un petit village transalpin à la chanson El Americano, les clins d’œil amusés du cinéaste à sa acteur sont légion, le vedette et le personnage épiés l'un et l'autre dans leur impossible anonymat. Et quand le comédien se met à boire un expresso dans un petit café déserté, la réalité et la fiction se brouillent de manière troublante. 


Le film est surtout réjouissant pour tout amateur du cinéma italo-américain des années 60-70 dans lesquels des acteurs anglo-saxons prestigieux sont venus s'afficher pour le meilleur et pour le pire. La mise en scène de Corbijn, nourrie d'influences allant d'Antonioni à Melville en passant par Boorman, est d'une grande minutie, chaque plan soigneusement choisi confinant au décor sa séduisante étrangeté. Sa précision d'horloger, qui arrive à maintenir un suspense inexistant sur le papier, renvoie au perfectionnisme du tueur à gages qui prépare son arme avec le plus grand soin. Et en habillant ses très belles comédiennes dans des tenues improbables et en les déshabillant avec le même plaisir, le réalisateur ne craint pas le ridicule et renforce ainsi la particularité de son oeuvre. 

Mais l'exercice de style périlleux tenu jusqu'à alors finit par s'enliser. De retournements de situation incohérents en clichés amoureux malvenus, Corbijn perd son projet initial. Et l'on se demande après coup si l'intrigue n'était pas qu'un vaste écran de fumée. Il n'empêche qu'il aura été le seul cinéaste à filmer Clooney dans des circonstances qu'on se gardera bien de révéler. Et pour paraphraser la fameuse réplique d'Arletty "Atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère !", The American en a une, assurément !

Antoine Jullien



Le DVD et  Blu-Ray sont disponibles chez Warner Home Video.