A l'occasion de la grande rétrospective Alfred Hitchcock, Mon Cinématographe a rencontré Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque française.
- Qu'est-ce qui a conduit la Cinémathèque à proposer cette intégrale Hitchcock ?
La première raison est la parution de la biographie de Patrick McGilligan Alfred Hitchcock : une vie d'ombres et de lumière qui s'accompagnait de la rétrospective proposée par l'Institut Lumière de Lyon, co-éditeur de cette biographie. La deuxième raison est l'envie de revoir ses films sur grand écran, avec de bonnes copies pour faire en sorte que se renouvelle l'expérience de la vision des films d'Hitchcock en salle qui est une expérience vraiment unique et le succès de la rétrospective le démontre. Je suis persuadé que ceux qui vont voir ou revoir les films d'Hitchcock les ont déjà en DVD mais ils savent que c'est une expérience qui ne se remplace pas. Enfin, la filmographie d'Hitchcock fait partie de ces oeuvres qui continuent de nous parler. Il faut régulièrement y revenir car c'est une oeuvre essentielle non seulement dans l'histoire de cinéma mais dans l'histoire du Xxème siècle.
- Pourquoi, plus de trente ans après sa mort, Hitchcock est-il aussi vivant ?
Parce que son cinéma parle de choses essentielles, ancrées chez les individus. C'est un cinéma qui n'est jamais daté, qui travaille sur les archétypes, les questions morales, les questions métaphysiques, le voyeurisme, le transfert de culpabilité. Hitchcock est important aussi car il a légué une méthode qui consiste à manipuler le spectateur, à travailler son inconscient, à développer chez lui des stimuli. Il a donc d'une certaine façon légué quelque chose du cinéma d'aujourd'hui qui continue de produire ses effets.
La mort aux trousses (1959)
- Comment êtes-vous parvenus à récupérer les copies de ses 53 longs métrages ainsi que les films réalisés pour la télévision ?
Hitchcock n'est pas le cinéaste le moins diffusé, beaucoup de ses films sont distribués en France. Un certain nombre d'entre eux étant considérés comme des classiques, ils ont fait l'objet d'un soin particulier en matière de conservation, ce n'est pas l'oeuvre la plus difficile à rassembler.
- Mais vous en diffusez tout de même l'intégralité !
C'est comme ça que l'on travaille, c'est ce qui distingue la Cinémathèque des salles art et essai ou d'exploitation commerciale, la possibilité de montrer l'intégralité d'une oeuvre dont les films rares.
Sabotage (1936) période anglaise
- Y-at-il des films en particulier qui méritent d'être redécouverts, notamment ceux de la période anglaise ?
La période anglaise a pendant longtemps été un peu sous-estimée par rapport à la période américaine qui est quand même, selon moi, la plus intéressante. Mais il y a des choses très belles dans la période anglaise et dans les films muets. Ce qu'il faudrait vraiment évaluer, ce sont ses films pour la télévision dont on se rend compte aujourd'hui qu'ils font partie pleinement de la filmographie d'Hitchcock. Son oeuvre télévisuelle n'a pas été jugée à sa juste valeur.
- En quoi ce média a-t-il bouleversé ou influencé son cinéma ?
On dit beaucoup que la télévision a influencé son cinéma parce que Psychose est un film qui a été tourné avec l'équipe de la série Alfred Hitchcock présente et doté d'un petit budget. Ce qui a frappé les spectateurs à l'époque de la sortie du film, c'était le contraste entre l'esthétique télévisuelle (le noir et blanc, des acteurs peu connus à l'exception de Janet Leigh) et un certain maniérisme de la violence, impensable à la télévision. Ce média intéressait Hitchcock dans la mesure où il lui permettait de rentrer dans l'intimité des gens. Il va donc filmer des scènes intimes dans de nombreux épisodes télévisuels. Et des passerelles se feront entre ces films et ceux réalisés pour le cinéma. Le cas de Mr Pelham, l'histoire d'un type qui a un double annoncera plus tard La Mort aux trousses ou The crystal trench qui est une sorte de Vertigo à l'envers, très métaphorique.
Psychose (1960)
- Préférez-vous l'appellation, jugée réductrice, de « maître du suspense » où plutôt celle, que l'on doit à Rohmer et Chabrol, de « plus grand inventeur de formes du Xxème siècle » ?
Les deux sont liées. Pour créer une situation de suspense, il faut inventer une manière de le faire. On invente des formes pour manipuler le spectateur, déclencher chez lui un certain nombre d'émotions et le déstabiliser. Cela se fait par un travail sur l'image, le montage, la direction d'acteurs.
- En quoi consiste le cycle « Après Hitchcock » proposé à la suite de cette rétrospective ?
Hitchcock a légué à l'industrie cinématographique une méthode pour provoquer des émotions chez le public. Une grande partie des thrillers hollywoodiens et des films d'épouvante ont assimilé ces méthodes. L'objet de cette programmation est de montrer les films qui ont consciemment travaillé une forme hitchcockienne en proposant une relecture de son cinéma. Il y aura les films de Brian De Palma qui filmait des relectures maniéristes du cinéma d'Hitchcock, en faisant des variations sur Fenêtre sur Cour, Psychose ou Vertigo. Il y a aura également des films de la série B italienne, des remakes qui se sont réclamés d'Hitchcock de manière sérieuse mais aussi parodique.
Obsession de Brian de Palma (1976), relecture de Vertigo
- Quelques mots sur la richesse de la programmation 2010-2011 (Lynch, Lubitsch, Eisenstein, Melville...) ?
La rétrospective Lubitsch était un projet que l'on avait depuis longtemps avec le festival de Locarno, on s'est rendu compte que c'était le bon moment de le faire et ça été un immense succès. On a profité de la présence de David Lynch en Europe car on le considère comme un des cinéastes américains les plus importants. Quant à Eisenstein, on l'a proposé à l'occasion de l'année France-Russie mais il faut le montrer régulièrement. Voilà l'autre grand créateur de formes, le laboureur de l'inconscient humain avec Hitchcock qui était lui-même très influencé par les théories du montage de l'école russe.
- Pouvez-vous nous parler de l'évènement Kubrick à venir ?
L'évènement vient du fait que la Cinémathèque accueille l'exposition Stanley Kubrick qui a déjà circulé dans plusieurs villes : Berlin, Zurich, Gand, Rome et Melbourne. On consacre deux étages du bâtiment à cette exposition qui nous permettra de voyager à travers les films de Kubrick. A cette occasion, on les remontrera tous en copie neuve. Et par la suite, on proposera une programmation sur les films influencés par Kubrick. On s'est posé cette question : y-a-t-il un cinéma kubrickien ? On a donc décliné un certain nombre de motifs et de particularités de son oeuvre pour voir comment ils se retrouvaient dans des films contemporains. David Fincher, Gaspar Noé ou Ridley Scott sont des réalisateurs qui ne peuvent pas ne pas avoir été influencés par Kubrick.
Propos recueillis par Antoine Jullien
Propos recueillis par Antoine Jullien
Rétrospective Alfred Hitchcock jusqu'au 28 février à la Cinémathèque française
et jusqu'au 3 avril à l'Institut Lumière de Lyon.
et jusqu'au 3 avril à l'Institut Lumière de Lyon.
Cycle "Après Hitchcock" du 2 au 14 mars.
Exposition Stanley Kubrick du 23 mars au 31 juillet.
Informations : 01.71.19.33.33. ou www.cinematheque.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire