mercredi 25 mai 2011

Cannes - Séances de rattrapage

Que ceux qui ont hâte de voir les films présentés au dernier festival de Cannes peuvent se réjouir ! Le forum des Images propose de découvrir, du 25 mai 5 juin, les longs métrages de la Quinzaine des Réalisateurs.

Parmi les plus attendus, citons les nouveaux films du trio Abel-Gordon-Romy, La fée, et de Bouli Lanners Les Géants ainsi que de nombreux premiers longs métrages : Atmen, Après le Sud, Corpo Celeste, The other side of sleep et En Ville.

Les Géants de Bouli Lanners
 © Dominique Houcmant 

Le cinéma Le reflet Médécis propose également un retour sur les films de la sélection Un Certain Regard, du 25 au 31 mai, parmi lesquels Au Revoir de Mohammad Rasoulof, Restless de Gus Van Sant et Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin qui ont déjà été évoqués dans Mon Cinématographe.

Parmi les autres films attendus, citons Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki, L'exercice de l'état de Pierre Schoeller et les deux films qui ont remportés le prix un Certain Regard, Arrêt en pleine voie d'Andréas Dresen et Arirang de Kim Ki-duk.

Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images, du 25 mai au 5 juin.
2, rue du Cinéma - 75001 Paris. Renseignements : www.forumdesimages.fr 
Un Certain Regard au Reflet Médécis, du 25 au 31 mai.
3, rue Champollion - 75005 Paris. Renseignements : http://reflet.cine.allocine.fr/

La Conquête



"J'aurais dû l'écraser. Et du pied gauche, encore, ça m'aurait porté chance". Les répliques savoureuses ne manquent pas dans La Conquête, le premier long métrage français consacré à un président de la république en exercice, Nicolas Sarkozy. Cette phrase vacharde, on l'a doit à Jacques Chirac, l'un des protagonistes de cette farce politique qui prétend nous montrer les coulisses d'une campagne présidentielle. A la conclusion, beaucoup de bruit pour pas grand chose. 

Il faut d'abord évoquer l'acteur Denys Podalydès qui a réussi le prodige de ne pas imiter Sarkozy mais d'en garder la substance tout en créant un vrai personnage de cinéma. Cruel, grossier, calculateur, l'acteur incarne le ministre-candidat avec une réelle conviction en l'amenant vers une humanité inattendue, le rendant presque émouvant lorsque Cécilia le quitte. Leur relation fusionnelle est le noeud dramatique de l'intrigue qui débute le 6 mai 2007, le jour de l'élection, où le futur président, alors qu'il va enfin accéder à la fonction suprême, se retrouve désespérément seul. C'est l'aspect le plus réussi du film, un couple qui vole en éclats au moment où les ambitions deviennent trop fortes. Florence Pernel apporte une belle sensibilité au personnage de Cécilia, la seule à exister face à l'ogre Sarkozy. 

Denys Podalydès et Florence Pernel

Car tous les autres en sont réduits à des caricatures, formant un théâtre de guignols amusant mais vain. La haine Sarkozy-Villepin, l'ambiguité du rapport Chirac-Sarkozy en sont réduits à des échanges prévisibles où l'on compte les points. Le réalisateur Xavier Durringer et le scénariste Patrick Rotman ne sont pas parvenus à dépasser l'anecdote journalistique. Si l'on doit au second une description assez juste des moeurs politiques, on peut reprocher au premier la platitude de sa mise en scène qui ne cherche jamais à apporter un éclairage nouveau. Pire, certaines séquences font vraiment cheap, notamment lors de la recréation du 6 mai, digne d'un vulgaire téléfilm. 

A moins d'avoir été à l'écart de l'évènement, le spectateur se sentira frustré de ne rien apprendre de neuf sur un sujet largement rebattu. Et le fait de l'avoir tourné au moment où l'homme est toujours dans ses fonctions empêche d'avoir le recul nécessaire. 2007 semble déjà loin et le film lui-même paraît bien daté. 

Antoine Jullien 


DVD et Blu-Ray disponibles chez Gaumont.
Retrouvez L'INTERVIEW de Samuel Labarthe.

The tree of life


Pour paraphraser le célèbre discours de Stanley Kubrick, on pourrait dire de The Tree of life que quiconque à eu le privilège de le voir sait que peu de choses dans la vie peuvent se comparer à ce que l'on ressent alors. Une expérience de cinéma à laquelle nous convie Terrence Malick, l'ermite le plus célèbre et secret du cinéma mondial, ne se montrant pas en public à cause d'une timidité supposée maladive et n'allant pas chercher la récompense suprême que le jury de Robert De Niro lui a décernée, la Palme d'or, le Graal que tous les cinéastes rêvent un jour de détenir entre leurs mains. Une absence médiatique exceptionnelle qui ne fait qu'amplifier l'excitation autour de l'oeuvre du cinéaste. Mais les délires les plus fous ont pris fin le jour de sa présentation cannoise. On peut enfin parler de The Tree of life

Dans le Texas des années 50, Jack grandit entre un père autoritaire et une mère aimante et généreuse. La naissance de ses deux frères l'oblige bientôt à partager cet amour inconditionnel, puis à affronter l'individualisme forcené d'un père obsédé par la réussite de ses enfants. Jusqu'au jour où un évènement dramatique vient perturber cet équilibre fragile. 


Ce synopsis ne rend pas compte des images que Terrence Malick nous projette. Car le film ne raconte pas seulement un drame familial et les réminiscences de Jack adulte sur son enfance, il nous parle également de la création de l'univers et de la confrontation de l'homme face à son milieu naturel. L'homme et la nature est un thème récurrent dans l'oeuvre de Terrence Malick et le cinéaste a toujours filmé des êtres que l'environnement fragilise ou élève. La dimension mystique est présente, plus que jamais, dans "l'arbre de vie" où l'ambition du cinéaste semble avoir atteint des proportions inédites. Mais si ses admirateurs attachaient une grande importance à son discours, les autres estimaient parfois qu'il débordait de poésie new-age pompière et naïve qui écrasait ses films (à l'exception des Moissons du ciel, son chef d'oeuvre). Là encore, Malick convie Dieu à chaque séquence et cette religiosité un peu envahissante pourra en irriter plus d'un. Mais comme tous les grands films qui nous échappent, l'important est ailleurs. 

L'image, ce mot n'aura jamais atteint un tel degré d'incarnation qu'à la vision de The tree of life. La première partie du long métrage, qui montre à la fois des moments de la vie de Jack enfant et de lui aujourd'hui se remémorant ces instants, est d'une puissance cinématographique inégalée. Dès le premier plan, un frisson ininterrompu vous parcourt et le cinéma devient alors sensoriel, organique et vous amène vers des sensations que nul autre film ne peut vous procurer. Un extraordinaire travail de la caméra permet à Malick de faire ressentir au spectateur les vibrations du corps et de l'âme, ces instants de flottement dans lesquels tous les repères semblent flous. Soudain, cette splendeur visuelle vous arrache des larmes sans que vous n'arriviez à comprendre pourquoi. Le cinéma, ce mot parfois trop galvaudé, retrouve une dimension que seuls quelques immenses créateurs arrivent à porter vers des territoires inconnus. Terrence Malick est de ceux-là. 


Mais le film dure 2h18 et ne tient cependant pas toutes les promesses que cette première partie pouvait laisser augurer. Si le cinéaste fascine encore avec ses images de big-bang, de volcans et d'océans, il déroule par la suite un récit plus linéaire où le drame familial prend toute la place. L'intrigue, jusqu'à alors nécessairement chaotique, devient presque fade, s'attachant à montrer la relation conflictuelle entre un père et ses enfants. Et la fin libératrice sur une plage où les morts côtoient les vivants pourra raviver chez les esprits moqueurs des critiques acides que l'on peut difficilement contester. De même que ces dinosaures, tout droit sortis de Jurassic Park, faisant plus de mal que de bien au récit. 

Alors, que retenir ? Un film inégal, incontestablement, et si Terrence Malick a épuisé cinq monteurs pour parvenir à ce résultat, c'est bien la preuve qu'il devait se nourrir de ces imperfections. Mais il ne peut pas mériter de jugement à l'emporte-pièce car il s'agit véritablement d'une oeuvre de création. Balourde et confuse, peut-être. Mais qui hante longtemps, au point de vouloir le revoir instantanément, rien que pour ces plans de la naissance d'un enfant, d'une grâce, osons le dire, divine. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Europa.

lundi 23 mai 2011

Cannes - Palmarès

The tree of life de Terrence Malick  Europa Corp.

Robert De Niro et son jury ont en décidé ainsi. Le film que tous les festivaliers attendaient repart avec la récompense suprême. Trente-deux ans après avoir décroché le prix de la mise en scène pour Les Moissons du Ciel, Terrence Malick remporte la Palme d'or. Depuis sa présentation le 16 mai, The tree of life divise profondément les critiques et le public dont une partie devrait rester de marbre face une oeuvre d'une telle exigence. Nous en reparlerons longuement mercredi mais la première partie du film est sans conteste l'un des plus grands moments de cinéma de la décennie. Une palme d'Or qui devrait faire date et qui ne mérite pas de jugement hâtif.  

Le gamin au vélo de Luc et Jean-Pierre Dardenne  Diaphana Distribution

Les deux grands prix ex-equo ont été attribués au frères Dardenne avec Le Gamin au vélo, leur oeuvre la plus accessible et la plus lumineuse (voir Cannes Jours 2 à 4) qui pourrait devenir leur plus grand succès, et Il était une fois en Anatolie de turc Nuri Belge Ceylan qui plaît tant aux critiques distingués. 

Jean Dujardin dans The Artist de Michel Hazavanicius  Warner Bros.

On a déjà dit dans Mon Cinématographe à quel point on aime The Artist, une proposition de cinéma originale et euphorisante (voir Cannes Jour 5). Le réalisateur Michel Hazanavicius méritait largement le prix de la mise en scène pour son élégante récréation du Hollywood des années 20 mais c'est son acteur principal, Jean Dujardin, qui repart avec le prix d'interprétation. Quel chemin parcouru pour le comédien, d'Un Gars une Fille au firmament du cinéma mondial. Un prix qui ne souffre aucune contestation tant il  émeut et fascine dans le rôle d'une star déchue du cinéma muet.

Kirsten Dunst dans Melancholia de Lars Von Trier  Les Films du Losange

L'américaine Kirsten Dunst repart avec le prix d'interprétation féminine pour Melancholia de Lars Von Trier, devenu persona non grata depuis ses déclarations scandaleuses sur Hitler lors de la conférence de presse du film (voir Cannes jours 6 à 8). Ce qui n'a pas empêché l'actrice de Marie-Antoinette de rejoindre, après Björk et Charlotte Gainsbourg, le cercle des actrices primées dans les films de l'imprévisible danois. 

Drive de Nicolas Winding Refn  Le Pacte

Le prix de la mise en scène a été attribué au danois (décidément !) Nicolas Winding Refn pour Drive que nous n'avons pas encore vu. Le cinéaste réalise, après sa trilogie Pusher et Valhalla Rising, son premier film américain, l'histoire d'un cascadeur de cinéma poursuivi par une bande de mafieux.

Polisse de Maïwenn  Mars Distribution

Le prix du Jury est revenu dans les mains de Maïwenn, chouchoute de la presse française pour son troisième long métrage, Polisse, sur le quotidien d'une brigade de protection des mineurs. En revanche, on ne comprend pas le prix du meilleur scénario décerné à Joseph Cedar pour son Footnote, film qui n'est pas sans qualité mais beaucoup trop inégal (voir Cannes Jours 2 à 4). 

La Caméra d'or, qui récompense un premier film, a distingué l'argentin Pablo Giorgelli pour Les Acacias présenté à la Semaine de la critique. Notons que le Prix un Certain Regard est revenu ex-equo à Arirang de Kim Ki-Duk et Arrêt en pleine voie d'Andreas Dresen. Et signalons que le prix de la mise en scène de cette sélection a été décerné au très remarqué Au Revoir de l'iranien Mohammad Rasoulof qui, retenu par les autorités iraniennes, n'a pas pu aller chercher son prix(voir Cannes jour 5). Enfin, le Grand Prix de la Semaine de la critique est revenu au cinéaste américain Jeff Nichols pour Take Shelter dont nous avons plutôt dit du bien dans ces colonnes (voir Cannes jours 6 à 8). 

Le Havre d'Aki Kaurismaki  Pyramide Distribution

Tout palmarès a son lot d'oubliés. Deux absences nous paraissent injustes et cruelles, celle d'Aki Kaurismäki qui avait enchanté la Croisette avec Le Havre, belle fable humaniste portée par le lunaire André Wilms (voir Cannes jours 6 à 8) repartant tout de même avec le Prix de la Critique internationale, ainsi que le puissant et terrifiant We need to talk about Kevin de Lynn Ramsay qui repart inexplicablement bredouille (voir Cannes jour 1). Habemus Papam de Nanni Moretti était sans doute l'un des meilleurs films du cinéaste mais il semblait avoir été rapidement écarté (voir Cannes jours 2 à 4). Quant à Pedro Almodovar dont La piel que habito a reçu un accueil plutôt mitigé, aura-t-il un jour la palme ? Rien n'est moins sûr. 

Une sélection que d'aucun s'accorde à dire qu'elle fut de très grande qualité, comprenant plusieurs palmes d'or potentielles. Ces longs métrages vont dorénavant suivre le chemin des salles et retrouver un oeil neuf, loin de la frénésie cannoise. En toute sérénité. 


PALMARES - 64ème FESTIVAL DE CANNES

PALME D'OR
THE TREE OF LIFE de Terrence Malick

GRAND PRIX (ex-equo)
LE GAMIN AU VELO de Luc et Jean-Pierre Dardenne
IL ETAIT UNE FOIS EN ANATOLIE de Nuri Bilge Ceylan

PRIX D'INTERPRETATION MASCULINE
Jean Dujardin dans THE ARTIST de Michel Hazavanicius

PRIX D'INTERPRETATION FEMININE
Kirsten Dunst dans MELANCHOLIA de Lars Von Trier

PRIX DE LA MISE EN SCENE
DRIVE de Nicolas Winding Refn

PRIX DU JURY
POLISSE de Maïwenn

PRIX DU SCENARIO
FOOTNOTE de Joseph Cedar

PRIX UN CERTAIN REGARD (ex-equo)
ARIRANG de Kim Ki-duk
ARRÊT EN PLEINE VOIE d'Andreas Dresen

PRIX DE LA MISE EN SCENE UN CERTAIN REGARD
AU REVOIR de Mohammad Rasoulof

CAMERA D'OR
LES ACACIAS de Pablo Giorgelli

GRAND PRIX DE LA SEMAINE DE LA CRITIQUE
TAKE SHELTER de Jeff Nichols

jeudi 19 mai 2011

Cannes - Jours 6 à 8


Le rythme du festival s'est ralenti depuis le week-end frénétique qui a vu s'enchaîner nombre de festivités cannoises. Alors qu'entre deux files d'attente, les spectateurs conversent sur l'affaire DSK, une autre polémique est née hier avec les propos pour le moins douteux de Lars Von Trier. L'iconoclaste cinéaste danois n'en n'est plus à une provocation près mais il semble que ses paroles aient ces fois franchi la ligne rouge. La direction du festival l'a sommé de s'excuser après ses déclarations sur Hitler lors de la conférence de presse de Melancholia, présenté en compétition. "Pendant longtemps, j'ai pensé que j'étais juif et j'étais heureux. Puis j'ai découvert que j'étais nazi. Ca m'a donné un certain plaisir. Je comprends Hitler même s'il a fait des choses mauvaises. Je dis seulement que je comprends l'homme, je sympathise un peu avec lui" avant de conclure "je ne suis pas antisémite. En fait, je suis même solidaire des juifs. Mais Israël fait vraiment chier. Comment est-ce que je vais m'en sortir ? Bon, ok, je suis nazi."  Le réalisateur s'est sans doute grillé auprès du jury qui, s'il lui remette un prix dimanche soir, devrait s'attirer quelques sifflets. 

André Wilms et Jean-Pierre Darroussin dans Le Havre d'Aki Kaurismaki  Pyramide Distribution

Un autre cinéaste excentrique, Aki Kaurismäki, était sur la Croisette pour présenter son nouveau long métrage, sobrement intitulé Le Havre. On est guère surpris que cette ville ait pu nourrir l'imagination du réalisateur finlandais tant il aime filmer les ports sous toutes les coutures, et celui d'Helsinki en particulier.  Non seulement il situe l'action de son film en France mais en français avec des comédiens de l'hexagone. André Wilms incarne Marcel Marx, un ancien écrivain devenu cireur de chaussures qui va devenir le protecteur d'un jeune africain sans papiers pourchassé par la police et son inquiétant commissaire interprété par Jean-Pierre Darroussin. Le réalisateur de l'Homme sans Passé retrouve son style expressionniste et désuet si caractéristique dans lequel les personnages semblent hors du temps, se mouvant dans des lieux intemporels. Les choix de cadre et de lumière prouvent une fois encore combien Kaurismäki sait regarder ses protagonistes qu'il illumine de son humour décalé. L'interprétation est en parfaite osmose avec cet univers, André Wilms qui trouve enfin un rôle d'importance au cinéma, est irrésistible en homme lunaire et généreux et Jean-Pierre Darroussin campe un flic tout droit sorti d'une bande dessinée, peu locaque mais plus humain qu'on ne pouvait l'imaginer au départ. Car Kaurismäki, sur un sujet pouvant prêter à la facilité, filme des êtres humbles pris dans l'adversité avec une merveilleuse simplicité . Il est surprenant de voir le cinéaste céder au happy-end que l'on pourrait penser un peu too much mais il se dégage des dernières images une bienveillance un peu irréelle qui fait du bien. Coup de coeur rock n' roll des festivaliers et candidat sérieux pour la Palme. 

Loverboy de Catalin Mitulescu

En revanche, la sélection Un certain Regard nous a proposé l'un des pires films de la sélection, Loverboy du roumain Catalin Mitulescu. Le cinéaste, déjà peu prometteur après son premier long métrage (et une inexplicable Palme d'or du Court métrage), raconte une histoire vide de tout, de substance, d'originalité, d'intérêt. Une présence incompréhensible dans le plus grand festival de cinéma et une imposture qui se confirme de film en film.

Elisabeth Olsen dans Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin  20th Century Fox

Toujours à Un certain Regard, on a pu découvrir le premier long métrage de Sean Durkin, Martha Marcy May Marlene. Un titre alambiqué pour une histoire de secte dont une jeune femme s'échappe pour retrouver sa soeur qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Ce retour familial ne masque pas longtemps la fragilité de la jeune femme qui semble avoir vécu une expérience traumatisante. Le film fait l'aller-retour entre la réintégration difficile auprès des siens et la vie au sein de cette étrange communauté. Le cinéaste se montre un peu trop elliptique dans sa narration et peine à nous intéresser davantage au destin de son personnage. Mais l'interprétation impressionnante d'Elisabeth Olsen et l'intensité de son regard méritent que l'on s'y arrête. 

Michael Shannon dans Take Shelter de Jeff Nichols  Ad Vitam

Sélection parallèle du festival, la Semaine de la critique fête cette année ses 50 ans et pour la dernière fois dirigée par Jean-Christophe Berjon. Pour l'occasion, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli a fait l'ouverture et provoqué une vive émotion à la sortie de la projection. Autre long métrage remarqué, Take Shelter de l'américain Jeff Nichols avec Michael Shannon, acteur montant vu dans Les Noces Rebelles et la série Boardwalk Empire et l'une des comédiennes majeures de ce festival, Jessica Chastain vue dans The tree of life de Malick. Take Shelter aborde le glissement progressif de John vers un état d'instabilité, faisant des cauchemars à répétition, se sentant menacé par des ouragans au point de se construire un abri (le shelter du titre). Réalisation efficace diffusant une angoisse latente, le film ne va cependant pas au bout de son sujet empreint de paranoïa mais confirme les attentes que l'on pouvait avoir envers ces deux excellents comédiens.

Les Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné  Pathé Distribution

Cannes est aussi l'occasion de se (re)plonger dans les grands classiques du cinéma à travers la sélection Cannes Classics. A cette occasion, Thierry Frémaux, le délégué général du festival, a présenté une version restaurée des Enfants du paradis de Marcel Carné que je n'avais jamais vu, j'ose le confesser. L'erreur est réparée devant cette magnifique copie numérique que les spectateurs cinéphiles ont pu admirer. Le jeu du trio Arletty-Jean-Louis Barrault-Pierre Brasseur impressionne encore, soixante-six ans après. Malheureusement, la fatigue accumulée m'a fait décrocher à plusieurs reprises. Le film sortira en salles au mois de décembre. 

Les étoiles de la Critique du Film Français (au 18 mai)

Pour Mon Cinématographe, le festival s'achève aujourd'hui mais il continue jusqu'à dimanche. Quelques films très attendus vont être projetés, en particulier le mystérieux La piel que habito de Pedro Almodovar dont on espère secrètement qu'il repartira (enfin !) avec la Palme ainsi que This must be the place de Paolo Sorrentino avec un Sean Penn méconnaissable en rockeur parti sur les traces de son père. La cadence infernale de tout festivalier qui se respecte (4, 5 heures de sommeil pour 3 à 4 films vus par jour) peut incontestablement altérer le jugement de certains films qui auront droit à une séance de rattrapage lors de leurs sorties. Mais alors que les français sont actuellement durement critiqués par les américains au motif qu'ils ne font pas leur travail de journaliste, il est amusant de constater, à la lecture des tableaux des critiques parus dans les revues Le film Français et Screen International, que le regard de la presse française et étrangère sur nos films présentés en compétition diverge radicalement. Si Polisse de Maïwenn a séduit nos journalistes et si, dans cette même presse, l'Apollonide de Bertrand Bonello (voir Cannes Jour 5) a trouvé quelques défenseurs (on se demande comment ?!), les journalistes américains, australiens, britanniques, brésiliens, italiens et danois se sont montrés nettement plus sévères, leur accordant pour le premier la note médiocre de 1,7 et pour l'autre la plus mauvaise de leur classement, soit 1,1. En revanche, The Artist (voir Cannes Jour 5) obtient tous les suffrages, tous pays confondus. Quand on dit que le cinéma n'a pas de frontières... 

Je vous laisse maintenant découvrir les quelques films présentés actuellement en salles : The Tree of life, Le Gamin au vélo (l'un des films les plus aimés du festival), et hors compétition Minuit à Paris de Woody Allen et La Conquête de Xavier Durringer dont on reparlera la semaine prochaine. En attendant le palmarès dimanche soir ! 

Antoine Jullien

mardi 17 mai 2011

Cannes - Jour 5

Brad Pitt avant la conférence de presse de The Tree of life

L'évènement du jour, c'était bien sûr la présentation du tant attendu The tree of life de Terrence Malick. Le cinéaste, fidèle à sa légende, n'a pas foulé le tapis rouge, laissant ses admirateurs languir au bas des marches avant de découvrir le Saint Graal. Nous reparlons du film prochainement mais il a plutôt divisé les festivaliers, entre fascination et ricanements. 

The Artist de Michel Hazavanicius  Warner Bros.

La France est particulièrement présente cette année avec quatre longs métrages en compétition dont deux que l'on a pu découvrir ces derniers jours. Commençons par ce qui est sans doute jusqu'à maintenant le long métrage le plus enthousiasmant du festival. The Artist reforme la paire gagnante de OSS 117 - Jean Dujardin et Michel Hazanavicius en tentant un pari fou, réaliser un film intégralement muet comme ceux des années 20 avec musique accompagnante et intertitres. Le projet, soutenu courageusement par le producteur Thomas Langmann, semblait inconcevable. Mais Michel Hazanavicius nous a déjà prouvé sa faculté à récréer une époque avec une élégance esthétique très rare dans la comédie française. L'ambition est cette fois montée d'un cran car le cinéaste s'attaque à l'âge d'or du cinéma muet qu'il vénère : Murnau, Lang, Chaplin, les premiers Lubitsch. En référence à Chantons sur la  pluie, le film évoque l'arrivée du parlant qui provoque la mort artistique de George Valentin alors que Peggy Miller, jeune figurante, va elle être propulsée au rang de star. Un plaisir immédiat se dégage des premières images, splendides, en hommage à Métropolis. Mais Hazanavicius ne se contente pas de récréer un style de film aujourd'hui disparu, il en réalise une variation personnelle avec les codes établis du cinéma muet. Les acteurs, au diapason, ont adopté les expressions et les mimiques de l'époque. Une interprétation convaincante au service d'une mise en scène d'une légèreté admirable, ne cherchant jamais à supplanter ses modèles indépassables. Le film nous saisit rapidement pour ne plus nous lâcher malgré un derniers tiers répétitif. Une merveille d'invention qui va jusqu'au bout de son ambition et une déclaration d'amour à un cinéma qui ne cesse de nous hanter. On ne voit pas comment il pourrait repartir bredouille du palmarès...


L'Apollonide - souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello  Haut et Court

Le pire du cinéma français est venu de Bertrand Bonello qui nous a infligé son Apollonide - souvenirs de la maison close, une chronique de la vie d'un bordel en 1900. Sans aucune idée de mise en scène à part celle très éculée de plaquer de la musique rock sur un film d'époque, Bonello enchaîne mécaniquement les séquences montrant ces jeunes femmes subir les désirs malsains de leurs clients. Si certaines scènes sonnent justes et l'interprétation ne fait pas défaut, on ne sent jamais le réalisateur impliqué par son sujet et encore moins par ses personnages. 2h08 qui finissent par nous paraître interminables, s'achevant sur le final le plus consternant que l'on pouvait imaginer. Il y a parfois des cinéastes qui ne méritent pas les honneurs qu'on leur fait. Bonello est de ceux-là... 

Au revoir de Mohammad Rasoulof  Pretty Pictures

Au moment ou Jafar Panahi s'apprête à présenter son film, un autre cinéaste iranien, Mohammad Rasoulof, était, lui, à un Certain Regard avec Au revoir. Tourné clandestinement à Téhéran, le cinéaste suit une jeune femme avocate à qui l'on a retiré sa licence de travail. Vivant seule car son mari journaliste est entré dans la clandestinité, elle décide, alors qu'elle est enceinte de quelques mois, de quitter le pays. Car selon elle, il vaut mieux être étrangère à l'étranger qu'étrangère dans son propre pays. Cette idée résume parfaitement ce long métrage froid mais marquant. Le réalisateur dépeint une société secrètement répressive dont la corruption gangrène toutes les strates de la population, de l'agence de voyage que l'on soudoie afin d'obtenir un visa à l'hôtelier auquel on donne quelques billets pour avoir le droit de passer une nuit seule. Un film qui nous parle d'un Iran malade de son état totalitaire dont les habitants ne ressentent que peur et suspicion. Mohammad Rasoulof, en longs plans fixes, nous donnent à voir et à entendre une situation terrifiante qui lui vaut d'être actuellement sous le coup d'une procédure judiciaire dans son pays. 

Antoine Jullien

lundi 16 mai 2011

Cannes - Jour 1


Cannes, c'est parti ! Votre serviteur va tâcher (humblement) de vous faire vivre l'évènement et de vous rendre compte au mieux des films présentés. En toute subjectivité bien sûr !

Le festival, quand on le découvre pour la toute première fois, est un grand barnum avec plein de gens venus du monde entier munis de badges de toutes les couleurs ! On se demande bien si les « bleus » sont prioritaires par rapport aux « jaunes » avant de les voir tous faire la queue dès 8h le matin sous un soleil de plomb. Une effervescence qui désarçonne d'abord avant de vous gagner progressivement.

Le palais, le « bunker » comme on le désigne ironiquement, est impressionnant, regorgeant d'allées interminables, de souterrains, de terrasses inaccessibles (sauf pour quelques happy fews) et de la plus prestigieuse salle de cinéma, le théâtre lumière où j'ai fait mes premiers pas aujourd'hui. L'endroit est chargé d'histoire, tant de grands films (et quelques médiocres) ont eu cette chance suprême d'être présentés dans ce temple du cinéma.

Cannes est un rassemblement de tous les acteurs de l'industrie cinématographique : producteurs, comédiens et réalisateurs sont dans la lumière du festival mais il y aussi tous les autres, distributeurs, exploitants, journalistes, attachés de presse, techniciens qui, dans l'ombre, découvrent les films, les accompagnent, les défendent, les critiquent ou les achètent lors du Marché du film, le plus important au monde.

Minuit à Paris de Woody Allen  Mars Distribution

Le gala à commencé hier soir avec la présentation de Minuit à Paris de Woody Allen, une agréable déambulation dans une capitale fantasmée par le cinéaste qui, en s'amusant des clichés, s'interroge avec malice sur notre rapport au temps. La projection était précédée de celle du Voyage dans la Lune de Georges Méliès dont la seule copie couleur, peinte par Méliès et son équipe en 1907, a été miraculeusement retrouvée et restaurée grâce au travail de l'historien et archiviste Serge Bromberg, redécouvreur de l'Enfer de Clouzot.

La compétition, elle, a commencé aujourd'hui avec la présentation de Sleeping Beauty, l'un des deux premiers longs métrages de cette sélection.

Sleeping Beauty de Julia Leigh  ARP Sélection

Le film réalisé par l'australienne Julia Leigh a provoqué un buzz depuis l'annonce de sa sélection. Le sujet est pour le moins étrange : une jeune étudiante sans le sous accepte un mystérieux travail, laisser des hommes riches profiter de son corps alors qu'elle est endormie. A son réveil, elle ne souvient plus de rien et poursuit ses journées à la fac, comme si rien ne s'était passé...



La première séquence donne la tonalité visuelle du long métrage : un plan soigneusement travaillé, d'un blanc immaculé, où la jeune femme se fait insérer un long tuyau dans la bouche. Un style clinique dont la sophistication intrigue un temps. Le personnage va progressivement rentrer dans un monde inconnu peuplé de créatures sombres et déshumanisées. On pense à Haneke et sa « glaciation émotionnelle » que Julia Leigh tente de rependre à son compte en y ajoutant une certaine élégance nourrie de longs travellings dans des décors luxueux et sans vie. La réalisatrice évoque surtout une sexualité malade qui nous échappe et qui mènera les personnages à leur perte. La réalisatrice filme son histoire avec une distance très « chic », refusant tout érotisme, montrant le corps de cette jeune femme que l'on manipule à loisir comme une métaphore de l'objet sexuel. Mais la réalisatrice ne va pas au bout de son sujet dérangeant et termine son film de manière un peu vaine. Une relative déception.

Tilda Swinton et John C. Reilly dans We need to talk about Kevin  Diaphana Distribution

En revanche, We need to talk about Kevin est le premier moment fort de cette compétition. La cinéaste Lynne Ramsay nous raconte la relation ambiguë et destructrice entre Eva et son fils. Dès le début, on sait qu'il a commis l'irréparable et le film ne va pas cesser de faire des allers et retours entre le passé d'Eva avec sa famille et le présent où elle est tiraillée entre la culpabilité et son sentiment personnel.

La réalisatrice nous immerge immédiatement dans le chaos et la confusion grâce à un incroyable sens du montage où se télescope plusieurs moments de la vie d'Eva incarnée par Tilda Swinton. La comédienne, déjà bien placée pour le prix d'interprétation, confirme son statut d'actrice unique, exerçant un mélange fascinant d'étrangeté et de fragilité. Son personnage de mère incomprise et meurtrie doit faire face à son enfant qui ne l'aime pas. Lynne Ramsay ose filmer un être pervers qui semble prendre un plaisir intense à faire souffrir sa mère. Mais loin du film fantastique, la réalisatrice l'inscrit dans un cadre réaliste et concret qui amplifie un malaise de plus en plus étouffant. D'une grande maîtrise formelle et narrative, la cinéaste nous saisit pour ne plus nous lâcher avant de nous révéler la catastrophe montrée jusque-là par petites touches. Un film dense et puissant qui mériterait une bonne place au palmarès.

Antoine Jullien

Cannes - Jours 2 à 4


Chers lecteurs, sachez qu'un festival comme celui de Cannes, lorsque vous êtes encore un novice, peut rapidement vous dépasser. C'est la raison pour laquelle les comptes-rendus ne sont pas aussi nombreux que mon exigence professionnelle devrait me les dicter. Dont acte. 

Le festival fait se confronter la cinéphilie la plus pointue à un monde d'artifice et de strass réduit sur quelques kilomètres carré. Sur la fameuse croisette, on rencontre des personnes en smoking cherchant désespérément une place qui leur donnerai l'accès à la mythique montée des marches, des créatures extravagantes que les photographes mitraillent à loisir, des stars que l'on peut croiser au bar du Carlton et des touristes qui regardent toute cette agitation d'un oeil amusé. Un monde qui s'arrête pendant douze jours et qui semble étranger aux évènements extérieurs. Quoique l'Affaire médiatico-politique du jour n'a quand même pas pu nous échapper !

Habemus Papam de Nanni Moretti  Le Pacte

Et les films dans tout cela ? Débutons avec la compétition qui a déjà présenté six longs métrages. Après le puissant We need to talk about Kevin et le décevant Sleeping Beauty (voir cannes Jour 1), les festivités ont continué avec Habemus Papam de Nanni Moretti. Le cinéaste italien, Palme d'or avec La Chambre du fils, nous brosse le portrait d'un pape, qui, suite à son élection, refuse de se présenter à ses fidèles, ne supportant pas le poids d'une telle responsabilité. L'homme est incarné par un Michel Piccoli dont la démarche lasse et le timbre de voix déclinant accompagnent ce personnage bouleversé par le retour à son passé. Nanni Moretti nous montre pour la première fois l'élaboration d'un conclave et filme magistralement les regards et les poses de ces hommes d'église qui assistent, médusés, à la venue de la psychanalyse dans la cause papale. L'arrivée de Nanni Moretti dans ce rôle apporte au film des grands instants comiques, un mélange de bouffonnerie assumée et de critique à peine voilée du Vatican. Mais le cinéaste ne se contente pas d'une critique d'un système en vase-clos, il le dynamite en se donnant le rôle d'un agitateur de conscience saugrenu. Mais c'est la trajectoire de l'homme Piccoli qui émeut le plus, lorsque, pour ne pas dévoiler sa véritable identité, il se dit "acteur". Moretti filme une crise de foi qui s'achève vers une sorte d'apaisement. Le renoncement peut avoir de la grandeur.



Footnote de Joseph Cedar  Haut et Court

En revanche, la déception est forte quant au deuxième long métrage de Joseph Cédar, Footnote. Le cinéaste, remarqué avec son premier long métrage Beaufort, nous raconte la relation compliquée entre un père et son fils, tous les deux chercheurs. Quand l'un n'a jamais été reconnu par son travail, l'autre jouit d'une grande réputation dans le milieu universitaire. Jusqu'au jour où le père reçoit un coup de fil lui annonçant qu'il est lauréat du prix Israël. Sauf qu'il s'agit d'une erreur et que le lauréat véritable n'est autre que son fils... Le réalisateur livre un film très inégal, recelant de vrais moments originaux, parfois proches du burlesque et provoquant des ruptures de ton stimulantes mais ne parvient pas à bâtir une oeuvre cohérente. Trop long et chargé d'une musique qui singe grossièrement la comédie américaine, le film ne transforme pas l'essai. Pas sûr que les universitaires trouveraient cela très abouti...




Le gamin au vélo de Luc et Jean-Pierre Dardenne  Diaphana Distribution

Et les Dardenne ? Pour la cinquième fois en compétition (et 2 palmes d'Or !) ils nous racontent, dans Le Gamin au Vélo (sortie en salles le 18 mai), la recherche effrénée d'un jeune garçon pour retrouver son père qui l'a placé provisoirement dans un foyer pour enfants. Le gamin va être aidé par une jeune femme qui accepte de s'en occuper. Un amour qu'elle va savoir lui donner... Les Dardenne ne bougent plus autant leur caméra, tombent moins ouvertement dans le sordide et c'est tant mieux ! Ils nous proposent un film dont la sérénité émeut et où la direction d'acteurs fait une fois de plus merveille. Ils expurgent tout élément explicatif, laissant soigneusement de côté certains détails de la vie des personnages qui vivent et agissent, devant nous, pour des raisons que les cinéastes ne cherchent nullement à signifier. Un beau film solaire.



Restless de Gus Van Sant  Sony Pictures

Mais le festival ne se résume pas à la Compétition. Dans la sélection officielle, on retrouve Un Certain Regard qui a cette année fait l'ouverture avec le nouveau film de Gus Van Sant, Restless. Ni objet arty ni film hollywoodien, le long métrage se situe dans un entre deux très attachant. Une histoire d'amour entre un jeune homme fasciné par la mort au point d'aller régulièrement à des enterrements et une jeune femme atteinte d'un cancer. Porté par la candeur de Mia Wasikowska (l'Alice au pays des Merveilles) et la nonchalance de Henry Hooper (le fils du regretté Dennis), le film est empreint d'une drôlerie macabre que n'aurait certainement pas renié Tim Burton (la musique est d'ailleurs composée par Danny Elfman !). Malgré son statut d'oeuvre de commande, Gus Van Sant a su lui donner sa pâte, filmant comme à son habitude sa région de Portland dans des belles couleurs mordorées que l'on doit à son chef opérateur attitré Harris Savides. Une mélancolie profonde se dégage du film dont on ressort ému mais heureux. Les aficionados du cinéaste le considèreront sans doute comme une oeuvre mineure mais ceux dont je fais partie qui sont loin d'être des admirateurs éconduits le situe comme l'un de ses meilleurs films, nettement plus revigorant que ses grandes oeuvres supposées.



Quant il n'y a plus de films à voir, que fait-ton ? Longer la Croisette et atterrir dans l'une des très nombreuses fêtes organisées sur la plage. Les gens se ruent aux entrées, brandissent leur carton d'invitation comme un précieux sésame, espérant pénétrer dans la jet set du septième art. Une fois rentré, le fantasme s'estompe vite et l'on ne peut rester dupe longtemps du spectacle qui nous est offert. Mais voir se dandiner, une coupe de champagne à la main, tout ce beau monde dont on ne sait pas s'ils font partie du cinéma ou d'ailleurs a quelque chose de fascinant. Une schizophrénie cannoise de plus en plus contagieuse...

Antoine Jullien

La soirée du film Bonsaï à la villa Schweppes. 

jeudi 5 mai 2011

Jeu-Concours Amore


LE JEU EST TERMINE. LA REPONSE ETAIT "LES RECCHI" QUE VOUS POUVEZ RETROUVER ICI


BRAVO AUX GAGNANTS ! 


Mon Cinématographe vous propose de visionner gratuitement le film Amore sur la plateforme VOD d'UniversCiné. 

Pour cela, vous devez répondre à la question suivante : 

Quel est le nom de la famille de riches industriels à laquelle appartient Emma  ? 

Merci de donner votre réponse dans la section "Commentaires" en indiquant votre Email dans le nom du profil afin que nous puissions identifier les gagnants. Les réponses ne seront pas publiées. 

Les 10 premiers qui répondront correctement remporteront le concours. 

Attention, vous avez jusqu'à dimanche minuit pour participer. 

Bonne chance ! 

Pour voir l'article que Mon Cinématographe a consacré au film Amore, c'est ici
Pour retrouvez la fiche technique du film sur UniversCiné, c'est ici.

mercredi 4 mai 2011

La ballade de l'impossible


L'auteur Huraki Murakami avait jusqu'à présent refusé que l'une des ses oeuvres soit portée sur grand écran. Mais il a accepté la proposition faite par le cinéaste Tran Anh Hung d'adapter "La ballade de l'impossible", un grand succès international avec près de trois millions d'exemplaires vendus à travers le monde, publié dans 36 pays et traduit en 33 langues. A propos de la découverte de ce roman, le réalisateur a déclaré que "le livre a créé un espace intime en moi et a fait remonter à la surface les émotions enfouies de sorte que j'ai eu la sensation d'être reconnu par lui."

Tokyo, fin des années 60. Kikuzi, le meilleur ami de Watanabe, se suicide. Watanabe quitte alors Kobe et s'installe à Tokyo pour commencer ses études universitaires. Alors qu'un peu partout, les étudiants se révoltent contre les institutions, la vie de Watanabe est elle aussi bouleversée quand il retrouve Naoko, ancienne petite amie de Kikuzi. Malgré la personnalité fragile de Naoko, une histoire d'amour débute entre eux. 


L'éveil à l'âge adulte à travers l'amour impossible et la mort, voilà le long voyage sensoriel que va entreprendre Watanabe. Réalisateur de L'odeur de la papaye verte et A la verticale de l'été, Tran Ahn Hung est réputé pour sa sophistication (que certains jugent excessive) et son goût pour le flottaison et l'instabilité. Soit deux marques de l'univers poétique de Murakami que le cinéaste retranscrit fidèlement. On retrouve en effet ces personnages un peu évaporés, cette atmosphère singulière qui confèrent aux romans de Murakami une impression d'irréalité. Alors qu'il ne parle pas la langue et qu'il n'en est pas originaire, Tran Anh Hung a su retrouver les codes de la société japonaise et l'élan de révolte qui la caractérisa à la fin des années 60. Mais il s'agit d'une toile de fond pour montrer les premiers élans amoureux de jeunes gens épris de désirs mais incapables de les assouvir. 


C'est l'autre réussite de Tran Anh Hung, celle d'avoir su filmer la sexualité avec des mots sans en évacuer la crudité. Une sensualité latente gagne progressivement le film et la séquence du dépucelage en est l'exemple le plus prégnant, des visages filmés en gros plan afin d'en faire ressentir la jouissance. L'histoire d'amour va progressivement se confronter au mal inguérissable qui ronge Kikuzi, traduit visuellement par l'utilisation de paysages enneigés qui prendront une dimension symbolique lors de la confession de la jeune femme tournée dans un élégant plan séquence.

Malgré quelques longueurs, La ballade de l'impossible est d'une grande beauté plastique et magnifiée par l'enivrante musique de Jonny Greenwood, l'un des membres de Radiohead à qui l'on doit déjà la mémorable BO de There Will be Blood. Laissez-vous happer par cette ballade mélancolique qui est aussi un bel hommage à la jeunesse et à ses rêves d'aspiration. 

Antoine Jullien 



DVD et Blu-Ray disponibles chez M6 Vidéo. 

Animal Kingdom


Sans doute la naissance d'un grand cinéaste. Les dernières images d'Animal Kingdom, brutales et irréversibles, en sont la preuve. Pour son premier long métrage, l'australien David Michôd a frappé un grand coup dans le film noir avec le portrait de cette famille de criminels. Un genre difficile à renouveler que le cinéaste balaye de bout en bout. 

Une rue anonyme dans la banlieue de Melbourne. C'est là que vit la famille Cody. Profession : criminels. L'irruption parmi eux de Joshua, un neveu éloigné, offre à la police le moyen de les infiltrer. Il ne reste plus à Joshua qu'à choisir son camp... 

Dans le film policier, tout est affaire de style. David Michôd empreinte aux grands maîtres qui l'ont inspiré (Coppola, Scorsese) pour bâtir une tragédie grecque dans laquelle les liens du sang sont plus fort que tout. Il signe une mise en scène d'une élégante sobriété où la noirceur de la photographie imprègne magistralement les destins funestes des protagonistes. Car les morts s'accumulent chez les Cody qui souhaitent vivre comme n'importe qu'elle famille. Cette illusion est entretenue par la matriarche qui régente tout, Janine, la mère de ses quatre fils (interprétée par la vénéneuse Jackie Weaver). Affreusement gentille, elle peut, en un simple mouvement de lèvres, passer de l'affection sincère à la menace, n'hésitant pas un instant à faire exécuter son neveu afin de protéger les intérêts des siens. 

Jackie Weaver et Joel Edgerton

Au fur et à mesure des meurtres, la frontière entre les flics et les truands devient poreuse car ils emploient finalement les mêmes méthodes. Mais le policier joué par Guy Pearce est là pour remettre Joshua sur le droit chemin en l'incitant à trahir son clan. Face à un oncle d'une dangerosité telle qu'il peut, presque imperceptiblement, assassiner sa petite amie en une fraction de seconde, Joshua est contraint de faire un choix pour sa survie. A moins qu'il ne cache un autre dessein. 

D'une tension implacable qui va crescendo, David Michôd contourne les passages obligés en ne s'intéressant qu'à l'essentiel. Il réalise une oeuvre d'une grande puissance dramatique en y injectant une atmosphère poisseuse qui prend vite à la gorge. Noir, c'est noir comme disait la chanson. Oui, mais avec quelle classe ! 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez ARP Sélection.

Tomboy

Une histoire de genres. La réalisatrice Céline Sciamma nous propose un film étrangement solaire où la question de l'identité sexuelle trouve un nouveau point de vue. Le regard que l'on porte sur l'autre et la manière dont il ou elle le reçoit est le sujet central de Tomboy. Avec des conséquences graves et légères. 

Un enfant arrive avec sa famille dans une résidence, en plein été. Il fait rapidement la connaissance d'une petite fille et se présente à elle en se nommant Michael. Mais quelques séquences plus tard, sa mère l'appelle Laure et l'on découvre que c'est une fille. Sauf qu'elle va continuer à se prendre pour un garçon aux yeux de ses petits camarades.

Jusqu'où ira l'imposture ? Le spectateur est tenu en haleine par un suspense qui ne dit pas son nom mais qui surgit lors de deux séquences où l'identité de "Michael" risque d'être dévoilée. Les jeux d'enfants cachent parfois des réalités plus troubles que Céline Sciamma rend subtilement naturelles. Une baignade ensoleillée dans laquelle Laure a trouvé le plus inattendu des subterfuges est un grand moment de tension dramatique. Mais la réalisatrice n'a pas eu besoin d'artifices pour que l'on accepte ce postulat. Elle a eu le talent de choisir une jeune comédienne dont on est pas prêt d'oublier le visage désenchanté. Zoé Héran, retenez-bien ce nom car elle vous hantera longtemps après la projection. Cet enfant impassible et secret dont on ne connaît pas les raisons de ce "changement" est immédiatement crédible dans la peau d'un  garçon. On se retrouve même dérouté lorsqu'elle joue avec son amie à se maquiller en petite fille. Elle se présente enfin à nous sous son identité réelle et la confusion devient grande. 

Jeanne Disson et Zoé Héran

Céline Sciamma filme la famille dans une entité tour à tour protectrice et étouffante. Les parents aimants de Laure voient chacun leur enfant différemment et le père semble entretenir malgré lui cette impression de garçon manqué. Mais le tableau ne serait pas complet sans le rôle primordial joué par la petite soeur de Laure. Cette relation tendre et complice (dans tous les sens du terme) est la pierre angulaire du film et son incarnation véritable. Jeux, confidences, rigolades parsèment ce film faussement joyeux ou faussement triste. Car la réalisatrice raconte cette histoire avec une limpidité absolue en dégraissant son intrigue de procédés psychologisants. C'est au spectateur de se faire sa propre idée à la vision de ce film très complexe. La réalisatrice donne cependant des pistes et certaines images peuvent prétendre à interprétation : une robe que l'on ne veut pas porter et que l'on abandonne sur une branche d'un arbre, conserver le moulage de sa tromperie dans une petite boîte à côté de ses dents de laie. Existe-t-il un problème ? On ne le saura pas. A t-on assisté à un innocent jeu de scènes qui prendra fin avec la rentrée des classes ? Ou à la découverte d'un corps que l'on se refuse à accepter ? La cinéaste se garde bien de trancher mais a réussi à nous remettre profondément en question.

Antoine Jullien



DVD disponible chez Pyramide Vidéo.