vendredi 25 juin 2010

Dog Pound


Un énième film de prison, me direz-vous ? Le genre a fait fleurir bon nombre de longs métrages ces dernières années et deux d'entre eux ont marqué les esprits : Un Prophète de Jacques Audiard (voir la critique dans "Mon Cinématographe") et Hunger de Steve McQueen. Kim Chapiron s'intéresse, lui, aux centres de détention pour mineurs des USA. Soit trois jeunes délinquants fraîchement arrivés qui devront choisir leur camp : victime ou bourreau.

Kim Chapiron passe en revue les passages obligés du genre mais le fait avec suffisamment de conviction pour que l'intérêt ne s'amenuise jamais à mesure que nos "héros" découvrent l'enfer carcéral et la loi du talion. Certes, le réalisateur ne renouvelle rien, appliquant un peu mécaniquement son scénario mais il sait rester à bonne distance de son histoire en adoptant un traitement brutal sans tomber dans la gratuité ni les clichés faciles.

Adam Butcher

Adam Butcher, Shane Kippel et Mateo Morales, les trois jeunes comédiens que Kim Chapiron a eu le talent de dénicher, ainsi que l'ensemble du casting, apportent une authenticité et une force inattendues de la part d'un réalisateur peu prometteur après le désastreux souvenir de son premier long métrage Sheitan. Ne se contentant pas de signer une simple commande, il amène son point de vue, plutôt documenté, sur la situation de ces jeunes pris dans l'engrenage de la violence et dénonce clairement les centres de rétention qui ne font qu'alimenter cette violence.

Un cinéaste ne se doit pas d'apporter des solutions mais bien de pointer un problème majeur inhérent à nos sociétés. Que l'énergie déployée pour le faire soit au rendez-vous est une bonne surprise. Le spectateur doit tout de même être averti : plus le film avance et plus le tunnel devient sombre et sans issue. Et une fois la lumière rallumée, un dérangeant sentiment de malaise s'immisce en nous. Comme une réalité peu aimable qui aurait soudainement traversé l'écran.

Antoine Jullien

Ressortie : Les Moissons du Ciel


Alors que The tree of life, son dernier opus, se fait désirer au point de devenir un vrai serpent de mer, le deuxième long métrage de Terrence Malick ressort dans les salles. Les Moissons du Ciel, réalisé en 1978, avait obtenu le prix de la mise en scène à Cannes et révélé le jeune Richard Gere, à l'époque dévolu aux séries télévisées. Cette réédition supervisée par Malick lui-même devrait ravir les admirateurs du cinéaste (et ils sont nombreux !). Votre serviteur ne faisant pas partie de la secte malickienne, le recul est plus évident. Inutile cependant de jouer les détracteurs de pacotille, il s'agit bien du grand film de Malick.

Nous sommes en 1916. Bill, ouvrier dans une fonderie, sa petite amie Amy et sa soeur Linda quittent Chicago pour faire les moissons au Texas. Voyant là l'opportunité de sortir de la misère, Bill pousse Aby à céder aux avances d'un riche fermier qu'ils savent atteint d'une maladie incurable. Mais Aby finit par tomber amoureuse du fermier, ce qui déjoue les plans de Bill...

Richard Gere et Brooke Adams

Terrence Malick a la réputation d'être le grand cinéaste de la nature. En effet, dans chacun de ses films, elle tient une place prépondérante, enveloppant ou menaçant les personnages au moment où l'on s'attend le moins. Mais le cinéaste a aussi une fâcheuse tendance à les regarder de très haut, dans une position "céleste" qui peut agacer. Dans Les Moissons du ciel, Malick est à hauteur d'homme. Il filme un trio amoureux dans toute sa complexité et la nature réflète alors magnifiquement les saisons du coeur et de l'âme. Le film aurait d'ailleurs pu s'appeler "Les Climats" tant ils épousent les variations incessantes de personnages tour à tour émouvants, manipulateurs et lâches.

Chaque plan, d'une beauté picturale éblouissante, forme une architecture où la ligne entre le paradis et l'enfer devient impalpable. Le vent continuel qui balaie les champs de blé à l'infini, le bruit strident des sauterelles annonçant le drame à venir sont les éléments successifs du dérèglement humain. La photographie de Nestor Almendros, oscarisé pour l'occasion, n'y est pas étrangère et il capte, avec une douceur mélancolique, la juvénilité touchante de Richard Gere et Sam Shepard, amis-ennemis jusqu'à la mort.

Le film n'appartient à aucun genre et symbolise la farouche volonté d'indépendance de Malick qu'il n'a jamais cessé de préserver. Et comme preuve de cette liberté, après avoir filmé l'incendie qui ravage les champs comme un cauchemar éveillé marquant la fin de l'innocence, il clôt son film sur une surprenante note d'espoir. Une nouvelle route à emprunter. Un prélude à un avenir apaisé...

Antoine Jullien

mardi 22 juin 2010

L'illusionniste


Qu'un cinéaste majeur devienne un acteur animé, tel est le pari courageux et presque désuet lancé par Sylvain Chomet. Il y a sept ans, le réalisateur nous avait conquis avec ses Triplettes de Belleville qui refusait la vague 3D pour adopter un dessin brut et rétro. Après ce succès critique et public, Sophie Tatischeff, la fille de Jacques Tati, lui propose d'adapter un scénario de son père jamais tourné. Chomet accepte.

Un vieux music-hall parisien. Au milieu de la scène, un grand échalat propose son éternel tour de magie. Mais entre un public clairsemé et un lapin survitaminé, le bonhomme a bien du mal a résister au temps. Après un bref passage à Londres, il décide d'utiliser ses talents d'illusioniste en Ecosse où il rencontre une jeune femme qui le prend pour un vrai magicien. Une étrange relation va se nouer entre les deux êtres...


Dès les premières images, la patte Chomet est à l'oeuvre. L'art du détail, si cher au cinéaste des Vacances de Mr Hulot, nourri chaque plan fixe dans lequel le spectateur s'amuse à repérer l'élément incongru. Certaines séquences sont baignées d'une tristesse enjouée, comme lorsque l'illusionniste tente à plusieurs reprises de succéder au jeune groupe de rock du moment sans y parvenir. Derrière lui, on distingue le régisseur las et incrédule, témoin du désintérêt porté par la nouvelle génération aux magiciens de bric et de broc.

L'arrivée en Ecosse est un moment de grâce absolu. La rudesse de l'île, avec ses couleurs mordorées et ses trognes patibulaires, est en parfait contrepoint avec la douce poésie de Tati. Chomet n'hésite pas à jouer avec le mimétisme du personnage, l'appelant Tatischeff et restituant merveilleusement la gestuelle si particulière de l'acteur cinéaste. Et, de même que dans Les Triplettes de Belleville, le film est quasiment muet, avec ça et là quelques borborygmes inintelligibles qui font tout le charme de ce cinéma hors du temps.

Mais Chomet ne retrouve pas le burlesque des Triplettes ni son humour singulier. Peut-être écrasé par l'hommage à Tati, le cinéaste devient répétitif et perd le rythme de son histoire. La relation entre Tatischeff et la jeune femme n'est pas vraiment aboutie et l'on ne sait jamais s'il s'agit d'un rapport filial ou d'une histoire d'amour naissante. Et, faute à un scénario un peu dilettante dans la deuxième partie, le cinéaste se montre moins convaincant.


Mais une seule image restera gravée, celle du personnage animé Tatischeff entrant dans une salle de cinéma où l'on joue Mon Oncle. Une troublante mise en abyme se fait jour et l'on est saisi par ce face à face délicat entre Hulot et Tatischeff, deux artistes qui ne seront jamais à leur place : Hulot ne veut pas rester dans la maison de sa soeur tout comme Tatischeff se voit contraint de quitter le cinéma. Deux symboles d'un art fragile, loin des modes. Qu'un créateur et sa créature dialoguent de cette façon est le plus bel acte d'admiration que pouvait réaliser Sylvain Chomet. On lui tire notre chapeau !

Antoine Jullien

dimanche 13 juin 2010

When you're strange


Jim Morrison, roulant en plein milieu du désert, écoute à la radio l'annonce de sa propre mort. Une étrange introduction pour raconter l'histoire du chanteur et de son groupe culte, The Doors. Vingt ans après la fiction boursouflée d'Oliver Stone, le cinéaste indépendant Tom DiCillo apporte son éclairage aux légendaires auteurs de Riders On the Storm. Sans rien nous révéler, hélas.

Que Jim Morrison, figure christique auprès de ses fans, était défoncé du matin ou soir n'est pas une révélation ni même de savoir que le groupe avait des influences musicales très diverses : le jazz, le blues, le gospel... C'est d'ailleurs le sérieux bémol que l'on peut pointer au regard d'un documentaire musical : on y parle très peu de musique. Pourtant, les chansons des Doors conservent encore tout leur mystère et en réécoutant savamment leurs standards, on est frappé par l'alchimie parfaite entre les surprenantes harmonies de Ray Manzarek et la voix monocorde de Morrison.


Narré par Johnny Depp, le film suit un chemin très linéaire, de la création du groupe aux procès en outrage aux bonnes moeurs jusqu'au décès de Morisson à Paris, en 1971. Le film n'évite pas certaines facilités et se complaît dans l'auto-célébration du chanteur au détriment des autres membres du groupe. Mais Tom DiCillo a su dénicher une pépite : un film expérimental tourné par Morrison lui-même, en 35 mm, intitulé HWY : An American Pastoral. On est saisi par la qualité filmique du métrage qui apporte une touche d'authenticité absente le plus souvent, dû à l'utilisation abusive et un peu roublarde des images d'archives qui ont tout de même le mérite de témoigner de l'image sulfureuse du groupe.

Le film définitif sur les Doors n'est donc pas encore né mais le fait de se replonger dans cette musique mémorielle et sensitive offre une bonne cure de jouvence. Et When your'e strange nous rappelle que, icônes ou non, les Doors étaient d'abord de vrais musiciens habités par une envoûtante poésie morbide.

Antoine Jullien