mardi 5 octobre 2010

Hitchcock contre Wall Street

DOUBLE TAKE / WALL STREET : L'ARGENT NE DORT JAMAIS


Hitchcock face à son double. Tel est le parti-pris saugrenu proposé par le documentariste belge Johan Grimonprez. A travers un montage pertinent d'images d'archives, le réalisateur propose une réflexion sur le pouvoir de l'image en montrant comment la télévision s'est infiltrée dans les foyers afin de manipuler les masses. Relier cette thématique à Hitchcock est astucieux car le cinéaste a toujours pris un malin plaisir à se jouer du spectateur. La schizophrénie du bonhomme est éloquente au regard de son rapport entre le cinéma et la télévision. Il va en effet connaître la célébrité grâce à la série "Alfred Hitchcock présente" dans laquelle il apparaissait à chaque début et à chaque fin d'épisode. Et il avait bien perçu l'avènement de ce nouveau média en choisissant de tourner Psychose avec une équipe de télévision. 

Pour renforcer son sujet, Johan Grimonprez a filmé le sosie officiel d'Hitchcock depuis vingt-cinq ans, Ron Burrage. Ancien liftier de l'hôtel Clardige à Londres où Hitchcock était logé quand il travaillait sur un projet de films sur les camps de concentration, puis au Savoy où se trouvait le restaurant favori du cinéaste, la vie de Burrage est intiment liée au cinéma. Dans Double Take, ses apparitions, inégales, sont mis en parallèle avec l'image du réalisateur des Oiseaux. Grâce aux empreints musicaux de Bernard Hermman, Grimonprez créé un duel à distance que conclue le cinéaste par cette prédiction : "Si vous ne tuez pas votre double, c'est lui qui vous tuera". Ce procédé original permet surtout de revoir des images d'Hitchcock oubliés ou inédites qui témoignent de la volonté du cinéaste à se mettre en scène en donnant une image d'amuseur public bien éloignée de la profondeur de ses oeuvres. 

Grimonprez évoque aussi la guerre froide grâce à un débat télévisé surréaliste entre Richard Nixon, alors vice-président des USA, et Nikita Khrouchtchev. Une étonnante complicité semble unir les deux hommes, ce qui fait dire à Grimomprez que la guerre froide n'était qu'un leurre pour amadouer les foules. Une théorie qui a ses limites et finit par lasser à force de spots publicitaires et d'extraits répétitifs. Mais il faut saluer la démarche du cinéaste qui ose un film expérimental que tout hitchockien dans l'âme se doit d'aller voir.



Crise financière, subprimes, Lehman Brothers... ces mots résonnent encore fortement dans nos oreilles. En pleine tourmente, Oliver Stone a voulu de nouveau s'attaquer aux requins de Wall Street, vingt trois ans après le premier volet. Pas par volonté d'expliquer ou de dénoncer mais bien par pur opportunisme. Il y a longtemps déjà, le cinéaste filmait des sujets polémiques en les prenant à bras le corps. Même s'il avait la main lourde, la démonstration s'avérait efficace. Depuis plusieurs films, le réalisateur semble à la remorque du succès, ne reculant plus devant la propagande (cf. son film sur le 11 septembre World Trade Center). 

Autant le premier opus était méchant et cynique, autant cette suite paraît lénifiante et amidonnée. Le cinéaste ne s'intéresse pas au monde financier et réduit son intrigue à une banale histoire de vengeance dans laquelle les protagonistes sont réduits aux plus simples stéréotypes. Heureusement, il n'a pas totalement perdu la main et arrive à maintenir son film à un degré de divertissement honorable. Mais on reste stupéfait devant une telle paresse filmique et surtout consterné au regard des effets de mise en scène datant d'un autre âge, une époque où les splits-screen étaient monnaie courante et les travelings sur New York une marque de fabrique. 

Et Gordon Gekko dans tout cela ? Morale hollywoodienne oblige, le personnage s'est adoucit car huit années passées en prison, ça fait réfléchir ! Mais le filou n'a rien perdu de son charme et de son humour et c'est bien là le seul vrai plaisir coupable : revoir Michael Douglas enfiler le costume trois pièces du trader qui a fait sa gloire (à son grand étonnement d'ailleurs !). Le charisme magnétique du comédien y est pour beaucoup et l'on espère le retrouver dans cette même forme prochainement. Autrement, si vous voulez vraiment comprendre le dérèglement mondial actuel, allez plutôt voir le très bon documentaire de Jean-Stéphane Bron, Cleveland contre Wall Street, déjà évoqué dans ces colonnes.

Antoine Jullien



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