vendredi 30 octobre 2009

Sin Nombre


Une jeune femme originaire du Honduras fuit son pays en montant clandestinement dans un train en direction des Etats-Unis. Pendant ce temps, au Mexique, un jeune homme faisant partie du redoutable gang la Mara tue l'un d'entre eux et se réfugie dans le même train. Deux âmes en quête d'exil vont se rencontrer...

Le réalisateur de ce premier long métrage prometteur, Cary Joji Fukanaga, est d'origines multiples, suédois par sa mère, japonais par son père, américain de naissance. Il a réussi à capter, avec beaucoup de vérité, la réalité de ces milliers de migrants d'Amérique centrale qui fuient leur pays en quête d'un eldorado inaccessible avec à chaque seconde la crainte d'être traqué, arrêté et reconduit à la frontière. Mais c'est dans la description du terrifiant gang La Mara que le réalisateur fait mouche en filmant ces tous jeunes gens révolver à la main comme si on leur en avait offert un dès la naissance. Il renvoie au mémorable La cité de Dieu de Fernando Meireilles où l'on voyait des gosses déchaînés commettre les pires atrocités. C'est cette même violence crue, parfois insoutenable, qui secoue d'emblée.

Paulina Gaitan et Edgar Flores

Le film déroule par la suite un récit plus balisé qui donne une légère impression de déjà vu. Quelques facilités scénaristiques comme l'inévitable histoire d'amour entre les deux migrants atténue la portée d'un film peut-être moins radical qu'il l'aurait voulu.

Mais pour un premier film, la maîtrise dont fait preuve le jeune cinéaste est remarquable et sa direction d'acteurs l'est tout autant, en particulier envers le personnage du jeune rebelle campé avec beaucoup de conviction par Edgar Florès.

Un cinéaste à suivre, donc. En espérant seulement que dans son prochain film, il s'affranchisse davantage d'un genre pour aller vers des audaces plus personnelles et plus intimes.

Antoine Jullien




jeudi 29 octobre 2009

Le Ruban blanc


Des parents nouent dans les cheveux de leur progéniture un ruban blanc, le symbole à leurs yeux de la pureté et de l'innocence. Le blanc est la couleur presque envahissante d'un film paradoxalement extrêmement noir. Mais dès lors qu'il s'agit de Michael Haneke derrière la caméra, on se doute bien que le manichéisme ne sera pas de mise.

Un petit village de l'Allemagne en 1913. Une série d'évènements étranges se succèdent sans qu'on en connaisse les raisons ni le ou les auteurs : une grange qui brûle, un mystérieux accident de cheval, des enfants torturés... les racines du mal chères au cinéaste protestant sont bien là. 

Pourtant, Haneke, l'homme de la "glaciation émotionnelle" (terme un peu théorique il est vrai) n'utilise plus tout à fait la même méthode. Dès les premières minutes, on est surpris par l'emploi d'une voix off, en l'occurrence celle du narrateur qui est le professeur du village. Jamais jusqu'à présent le cinéaste n'avait employé ce procédé, préférant faire parler l'image, sans autre forme de discours. Mais progressivement, cette voix off va s'effacer et se distancier elle-aussi peu à peu des évènements montrés.


La puissance du cinéma d'Haneke réside dans sa volonté constante de porter un regard sans complaisance ni concession sur la violence en obligeant le spectateur à faire lui-même son propre travail de décryptage. Il déteste toute forme de manipulation, d'où son désir de choisir des plans fixes qu'il dilate au maximum même s'il le reconnaît lui-même "le cinéma est l'art de la manipulation. Il ne faut jamais l'oublier quand on réalise des films ou quand on les regarde. Mais j'ai toujours voulu que les miens suggèrent un doute sur la réalité qu'ils montrent et que le spectateur s'infiltre dans ce doute".

Le doute s'insinue bien, avec à la clef cette question : qui sont les coupables ? Dans le dernier plan de Caché (un de ses meilleurs films), le réalisateur nous donnait un élément de réponse sans que le spectateur n'ai aucune certitude. Cette fois encore, le doute se poursuivra après la projection mais la réponse importe peu car nous connaissons les coupables. Haneke dénonce le rigorisme poussé dans ses pires travers et le terrorisme religieux qui engendrent frustration et rancœur. Les parents, bourreaux dans l'humiliation assumée et banalisée (un enfant qui a les mains liées durant son sommeil pour ne pas éveiller de pensées impures) et les enfants, victimes consentantes. Le choix de situer l'action du film à la veille de la première guerre mondiale n'est pas un choix étranger mais il serait réducteur de cibler cette "éducation" comme seule responsable du national socialisme qui sévira vingt ans plus tard. Ce sont toutes les civilisations modernes que le cinéaste évoque et qui portent toutes en elles la tentation de faire le mal en étant persuadé de faire le bien.


La mort est l'autre grand sujet qu' Haneke aborde avec une retenue toute bressonnienne mais néanmoins terrifiante. Les morts qui parsèment le film ont soit le visage caché ou sont soit montrés à distance. Car la grande faucheuse est taboue, et c'est un petit garçon qui nous le rappelle en demandant à sa sœur : " Tout le monde doit mourir ?"

On croyait Bergman maître dans la cruauté verbale, Haneke lui damne le pion dans une saisissante séquence règlement de compte entre deux amants. La violence des mots entre adultes et celle physique infligée aux enfants sont les rouages d'un engrenage fatal. Une scène magistrale le montre bien lorsque le petit garçon,n'arrivant pas à trouver le sommeil, cherche sa sœur désespérément et va découvrir l'indicible sans le comprendre.

Tourné dans un noir en blanc somptueux avec des accents quasi fantastiques (les plans de paysages enneigés resteront longtemps en mémoire), Le Ruban Blanc, malgré son évidente austérité, est peut-être le film le plus accessible de son auteur. Sans vedette, mais avec un art du casting remarquable, en particulier chez les enfants (six mois de recherche et sept mille enfants auditionnés), Haneke nous propose une nouvelle étape tout en creusant le même sillon. Il serait regrettable de passer à côté d'autant qu'il s'agit pour une fois d'une Palme d'or méritée !

Antoine Jullien


jeudi 15 octobre 2009

Mary, Max et Milos


Des noms se retiennent plus facilement que d'autres, et dans le domaine de l'animation, c'est devenu une gageure que de sortir du lot. On pensait le trio de tête indétrônable : Pixar pour la 3D, Aardman pour la pâte à modeler (Wallace et Gromit) et Gibli pour l'animation traditionnelle (dont tous les films de Miazaki). Et bien, il faudra désormais rajouter un nom à cette prestigieuse liste : Adam Elliot. C'est le réalisateur australien de la plus belle merveille cinématographique de l'année. Et oui !

Certes, le réalisateur ne joue pas tout à fait dans la même catégorie et s'adresse, avec ce premier long métrage, à un public plus adulte. Mais tout de même ! Marier avec autant d'aisance, de facilité et de talent la vie et la mort, le drôle et le morbide, l'insolite et l'inquiétant, cela révèle du miracle ! Tout cela à travers deux personnages en pâte à modeler : Mary, une petite fille de huit ans, australienne mal aimée et morose, qui va entretenir une correspondance sur vingt ans avec Max, un juif new-yorkais bedonnant et solitaire. Ces deux êtres sont liés par le même manque affectif et par la même passion pour le chocolat. Ces deux caractéristiques résument parfaitement l'originalité du film : être sans cesse sur le fil de l'émotion et de la gravité mais rattrapé au vol par le rire et le dérision. La vie est une labeur, surtout pour ces deux êtres qui la subissent au quotidien. Mais comme ils le disent eux mêmes en forme d'encouragement mutuel, on ne choisit pas sa famille mais on choisit ses amis.


Tous les paris, les plus osés, sont franchis par ce surdoué australien. Et premier lieu tenir tout un film sur une conversation à distance entre deux êtres qui ne se connaissent pas. Une absence totale de dialogue compensée par un enchaînement étonnamment fluide entre les voix du narrateur et des deux personnages.

Et des idées en pagaille. On sort de la salle presque frustré de ne pas avoir pu retenir les innombrables trouvailles qui parsèment tout le film.

Plastiquement splendide (il n'y a donc pas qu'Aardman dans ce domaine), Mary et Max nous offre une nouvelle proposition de cinéma dans un genre qu'on pensait ultra codé. A voir et surtout à revoir de toute urgence !



Avant d'être le réalisateur consacré de Vol au dessus d'un nid de coucou et Amadeus, Milos Forman avait tourné en ex-Tchécoslovaquie ses trois premiers longs métrages, de 1963 à 1967, précédant les évènements de Prague.

Dans les deux premiers L'As de Pique (1963) et Les Amours d'une blonde (1965), il brosse le portrait d'une jeunesse insouciante et naïve, en bute à l'autorité parentale mais le fait avec un ton léger et désinvolte quoique un peu daté.

Au feu les pompiers (1968) 

En revanche, dans Au feu les pompiers (1967), le propos se fait beaucoup plus dénonciateur et met sérieusement à mal un régime ridiculisé à travers un bal de pompiers qui tourne à la farce tragique. Le film est bref, en couleur contrairement aux deux précédents, et nourri d'un humour à froid particulièrement efficace. Le film a valu d'ailleurs à l'époque des ennuis à Forman où il fut censuré et banni par le régime communiste. Il quitta alors la Tchécoslovaquie et émigra ensuite à Hollywood avec la carrière que l'on sait.

Milos Forman, un grand cinéaste exilé qui n'en n'a pas moins gardé un réel amour pour un pays martyrisé dont il a su dans sa jeunesse contourné la censure avec un humour salvateur et ces trois films que l'ont peut voir au Champo à Paris (et aussi en DVD) en sont les preuves irréfutables !

Antoine Jullien

mercredi 7 octobre 2009

Thirst et The Informant !


Deux cinéastes talentueux nous reviennent cette semaine. Tout d'abord le coréen Park Chan Wook qui a obtenu au printemps dernier le prix du Jury au Festival de Cannes pour Thirst, ceci est mon sang. Après sa trilogie sur la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Old Boy et Lady Vengeance), il s'agit cette fois d'un prêtre qui, suite à l'inoculation d'un virus, se transforme en vampire. Puis en vampire défroqué car l'ecclésiastique va tomber fou amoureux d'une jeune femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas et sous le joug d'une belle mère qui l'a élevée mais qui la méprise.

Park Chan Wook ose alors le rapprochement avec Thérèse Raquin d'Emile Zola. C'est dire l'étonnante liberté dont jouit le cinéaste. Il reprend à son compte le film de vampire qui connait ces derniers temps une vraie renaissance (voir Twilight) en l'inscrivant dans un contexte à la fois très quotidien et très intimiste tant y apportant sa folie, douce parfois, fulgurante souvent. Il y a dans presque tous les films de Park Chan Wook plusieurs idées par plan et ce film ne déroge pas à la règle. Le cinéma coréen a sans doute trouvé en lui son plus beau représentant, prouvant une fois encore l'extrême créativité de cette jeune nation cinématographique. Déjà au mois de mars, le thriller The Chaser renouvelait un genre ultra codifié. Park Chan Wook en fait de même et parvient surtout, comme Coppola et son Dracula, a filmer l'essence même du mythe vampirique, le sang, substance de désir et de mort. C'est un amour fou qu'il nous raconte, incroyablement charnel, dévorant et souvent éclaboussé. Même si on peut lui reprocher une trop grande gourmandise (le film devrait être raccourci d'une demi heure), il réalise encore un film inclassable, émouvant et très (trop ?) sanguin.






On ne peut pas en dire autant de Steven Soderbergh qui depuis une dizaine d'années alterne projets expérimentaux à petits budgets (Bubble), réadaptations osées (Solaris) ou grosses productions classieuses (la trilogie Ocean's eleven). Mais depuis sa palme d'or précoce pour Sexe, Mensonge et Vidéo, Soderbergh a surtout excellé dans le divertissement d'auteur efficace et brillant dont le doublé Erin Brockovich / Traffic reste son plus beau fait d'arme.

Là, il nous raconte le destin de Mark Whitacre, un ingénieur d'une firme agroalimentaire, officiant comme taupe du FBI pour dénoncer les pratiques louches de ses patrons. Mais plus le temps passe et plus l'homme apparaît comme un affabulateur hors pair.

Soderbergh ne veut jamais faire comme tout le monde et ne voulait surtout pas refaire Erin Brockovich. Il opte donc pour la comédie mais de manière tellement ostensible, avec usage excessif de musique "seventies" et de couleurs chaudes, qu'il finit par rapidement lasser. Ce traitement "léger" est surtout un moyen facile pour ne pas s'attaquer à ce personnage tout à fait passionnant sur le papier mais indéchiffrable à l'écran. Tout comme l'intrigue, obscure et confuse, qui, à force de retournements tarabiscotés, irrite.

Nul point d'engagement ou de point de vue sur cette histoire vraie qui serait l'incarnation de l'arrogance du système américain et de sa faillite. Non, le cinéaste ne s'intéresse manifestement à rien de tout cela et encore moins à son personnage (pourtant joué à merveille par Matt Damon, qui a pris plus de dix kilos pour le rôle). L'escalade du mensonge, la paranonoia, voila bien des thèmes faits pour lui. Mais non, le monsieur filme, et de moins en moins bien. Quant Soderbergh ne se prend pas pour Antonioni (ne pas voir l'insupportable Girlfriend Experience), il tourne à vide. Comme quoi, avoir une palme d'Or a vingt six ans peut faire de vous un cinéaste (déjà) blasé. Triste époque.

Antoine Jullien

samedi 3 octobre 2009

Je suis heureux que ma mère soit vivante


"Je suis heureux que ma mère soit vivante". C'est la dernière phrase du film prononcée par Thomas qui aura espéré tout au long de sa jeune vie que sa mère soit "enfin" vivante. Un titre à multiples sens qui est le plus bel exemple de la richesse de premier film co-réalisé par Claude Miller et son fils Nathan.  Le père, auteur de l'Effrontée et La Classe de Neige, a déjà raconté les tourments de l'enfance. Mais avec l'apport précieux de son fils, il n'était probablement jamais aller aussi loin dans les blessures encore béantes de cet âge et la recherche d'une identité si difficile à trouver.

Thomas a été abandonné par sa mère à l'âge de cinq ans. Recueilli par une famille d'accueil avec son jeune frère, il va tenter une première fois de revoir sa "vraie" mère. Puis devenu adulte, il décide de reprendre le contact et retrouver une mère qui l'avait déjà presque oubliée.

De prime abord, le résumé de l'intrigue peut effrayer le spectateur. Certes, il ne s'agit pas du feel good movie ou l'on passe "un bon moment ", ce qui, si l'on se réfère aux chiffres de la fréquentation, semble être devenu le seul critère d'un public de moins en moins curieux. Et pourtant, chacun, à des degrés divers, peut se reconnaître dans cette histoire.

Les liens du sang, la famille qu'on n'a pas choisi, sont bien des thèmes universels que les Miller arrivent de manière étonnante à rendre terriblement émouvants sans avoir recours à aucun effet superflu. La narration, éclatée en flash backs, nourrit un récit abrupt et déconcertant, riche de séquences brèves et tendues. Le rapport de Thomas avec ses deux mères est mis sans cesse en parallèle et elles auront chacune une place capitale dans la vie du jeune homme même si les réalisateurs nous disent en filigrane que finalement, tout nous ramène à nos origines.

Les cinéastes ne sont jamais dans la psychologie des êtres, ils filment "simplement" une mère qui n'avait pas toutes les qualités entendues pour le devenir et qui va entraîner son fils vers des zones dangereuses. Le film suit progressivement des sentiers de plus en plus troubles où l'on devine que sous cette relation étrange, dans laquelle chacun a l'air de jouer un rôle, peut naître l'irréparable.

Claude Miller et son fils Nathan

Puis un coup de tonnerre survient, brutal. Le film prend alors toute sa dimension et devient réellement bouleversant. Dans la douleur, une femme prend alors conscience de tout ce qu'elle a pu manquer. Et dans un magnifique flash back où on la revoit avec ses enfants, elle leur dit "un jour, j'irai vous chercher". C'est donc maintenant que tout recommence.

Filmer l'enfance avec cette justesse et cette économie n'est pas donné à tout le monde. Grâce aux Miller, père et fils, plein d'images resteront longtemps gravées dans la mémoire : le jeune Thomas qui essaye de calmer son petit frère, le regard perdu d'une mère qui va abandonner ses enfants, le visage apaisé de l'adulte réconcilié avec lui-même. Magnifique.

Antoine Jullien

Ressortie : Victime


Il arrive parfois qu'à la sortie de la salle, on soit soudain saisi d'effroi par ce que l'on vient de voir. C'est un peu cette sensation qui accompagne le générique de fin de Victime, réalisé en 1961 par Basil Dearden et dans lequel, pour la première fois à l'écran, était prononcé le mot "homosexuel".

Un jeune homme est arrêté pour un détournement de fond. Victime en réalité d'un chantage dû à son homosexualité, il se suicide. Un brillant avocat et par la même son ancien amant, va tenter de démasquer les maîtres chanteurs, au risque de mettre en péril son mariage et sa carrière.

Sylvia Syms et Dirk Bogarde

Le film est construit comme un véritable suspense, haletant. Le réalisateur nous dépeint une sorte de société secrète dont les membres ont le malheur de pas être considérés comme "normaux". Par crainte de la dénonciation et de la condamnation, les rapports homosexuels étant punis par la loi, ces hommes se murent dans le silence et abdiquent. Heureusement, le personnage de l'avocat, magnifiquement interprété par Dirk Bogarde, va faire preuve d'un réel courage en décidant de lutter contre une loi qu'il juge injuste. Le film bascule alors dans la dénonciation efficace et enlève du même coup une ambiguïté latente tout au long de l'intrigue où les personnages acceptaient leur sort dans la résignation et la crainte.

Basil Dearden filme là l'innaceptable, à savoir l'intolérance et l'humiliation, et nous offre une œuvre sans didactisme ni facilité qui est avant tout un témoignage important d'une époque pas totalement révolue.

Antoine Jullien