jeudi 29 septembre 2011

We need to talk about Kevin


Des fragments disséminés comme des morceaux d'un puzzle que le spectateur doit reconstruire dans sa tête. Des images fortes, altérnant le passé et le présent d'Eva. On devine bien qu'un drame épouvantable est survenu sans en mesurer encore les tenants et les aboutissants. Avec une puissance cinématographique stupéfiante, Lynne Ramsay nous emmène dans le paysage mental de son personnage avant de nous montrer les causes qui ont conduit au désastre.

Eva a mis ses ambitions professionnelles entre parenthèses lors de la naissance de Kevin. La communication entre mère et fils va se compliquer jusqu'à l'adolescence du garçon qui va commettre un acte irréparrable. 

Tilda Swinton

La mise en scène volontairement déstructurante de la première partie n'est en rien une coqueterrie. La réalisatrice souhaite nous immerger immédiatement dans le chaos et la confusion d'Eva grâce à un incroyable sens du montage et à un symbolisme un peu appuyé où le rouge domine tous les pores de l'image, comme une souillure dont Eva ne peut se défaire. L'intensité du récit va monter crescendo lorsque l'on en découvre le sujet essentiel : la relation parent-enfant. Le trouble est palpable dès l'accouchement, tourné comme une scène d'horreur avec les cris d'Eva déformés par la lampe de la salle d'opération. Il se prolongera pendant les premiers mois du bébé qui ne cesse de crier. La jeune mère ne trouve alors d'autre solution que d'arrêter son landau au milieu des marteaux-piqueurs d'un chantier. Cette image, glaçante, n'est en réalité qu'un préambule. 

Filmées dans une pénombre pluvieuse, les scènes d'amour entre Eva et son mari contrastent violemment avec leur maison d'un blanc immaculé, théâtre de l'affrontement entre la mère et son fils. Cette relation anxiogène semble dans un premier temps portée par la responsabilité de la mère qui ne désire pas son fils. Mais plus les années passent et plus le bambin se montre d'une cruauté sans faille, atteignant des sommets de perversion. Le film pose alors cette question taboue: peut-on engendrer le mal ? Loin du cinéma fantastique qui imprimerait une plus grande distance avec le spectateur, Lynne Ramsay inscrit son film dans un cadre réaliste et concret qui amplifie un malaise de plus en plus étouffant.


Par son interprétation énigmatique qui ne verse jamais dans l'émotionnel complaisant, Tilda Swinton prolonge le mystère. L'actrice, qui n'aurait pas volé son prix d'interprétation lors du dernier festival de Cannes, garde sans cesse sa dignité malgré les épreuves que lui fait endurer son fils. We need to talk about Kevin, un titre d'une ironie acide qui est aussi la métaphore d'un couple en plein délitement devant l'incompréhension et l'absence de dialogue. 

Sans révéler de clefs, Lynne Ramsay nous oblige à faire notre propre interprétation sur notre culpabilité vis-à-vis de notre progéniture, nous laissant fasse à nos doutes jusqu'à la bouleversante dernière séquence, un adieu où pour la première fois Kevin, démuni, semble lever un coin du voile. Avant que les portes de la prison ne s'ouvrent vers l'inconnu. 

Antoine Jullien



DVD disponible chez Diaphana Video.

mercredi 28 septembre 2011

Les hommes libres


Les bons sujets ne font pas toujours les bons films. En racontant l'engagement de Younes (Tahar Rahim), un jeune émigré algérien, vers la résistance française, le réalisateur Ismaël Ferroukhi évoque pour la première fois le rôle des musulmans durant la seconde guerre mondiale et l'importance du recteur de la mosquée de Paris, Sir Kabbour Ben Ghabrit, suspecté par la police française de délivrer des faux-papiers à des juifs. Mais ce qui promettait d'être passionnant devient à l'écran un film terne qui n'est pas à la hauteur de sa noble ambition. 

La reconstitution du Paris occupé n'est jamais convaincante, la faute sans doute à un cruel manque de moyens qui se voit à chaque plan du film. Le réalisateur, guère inspiré, ne cherche jamais à combler ce manque, l'accentuant même par une mise en scène terriblement paresseuse où le champ-contrechamp semble être l'unique leçon que le cinéaste ai retenue. Les scènes d'action ne sont pas en reste, parfois proches du grotesque lorsque l'on assiste, atterré, à une scène de fusillade d'une mollesse absolue. 

Tahar Rahim et Mahmoud Shalaby 

Les comédiens font ce qu'ils peuvent, en premier lieu l'immense Michael Lonsdale dans le rôle du recteur. Sa sagesse et son ouverture d'esprit lui permettent de s'adresser à toutes les communautés, même aux allemands avec lesquels il entretenait des rapports cordiaux. Mais l'homme demeure trop en retrait de l'intrigue pour que l'on s'y intéresse vraiment. Le reste de la distribution est beaucoup plus inégal, à commencer par Mahmoud Shalaby, peu crédible en Salim Halali, chanteur très connu à l'époque et pourchassé par la police. La plus grande déception vient de Tahir Rahim, la révélation d'Un Prophète, totalement atone dans ce personnage qui collabore dans un premier temps, considérant que "cette guerre n'est pas la sienne" avant de prendre conscience de la barbarie autour de lui. Le manque de charisme du comédien, si impressionnant dans le film de Jacques Audiard, nous laisse pantois. 

Une impression de gâchis domine à la sortie d'un film certes sincère mais qui est incapable de complexifier une situation et des personnages enfermés dans un scénario sans relief. La lourdeur des Hommes libres et ses maladresses répétées finissent pas nous indifférer définitivement malgré son indéniable valeur historique.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution

mercredi 21 septembre 2011

Ressortie : Barton Fink


Lors du festival de Cannes 1991, chaque soir, Roman Polanski, alors président du jury, lançait à Gilles Jacob en haut des marches : "vous n'avez pas trouvé mieux !" Puis vient la projection de Barton Fink qui emballa tellement le cinéaste qu'il lui décerna pas moins de trois prix (Palme d'or, prix d'interprétation masculine et prix de la mise en scène), une première. Une décision qui provoqua des remous et l'ire du Ministre de la culture de l'époque, Jack Lang. Polanski avait pourtant vu juste en décelant chez les frères Coen leur talent hors du commun à mêler l'absurde le plus noir au fantastique le plus farfelu. 

Les Coen n'en étaient pas à leur coup d'essai, ils avaient déjà réalisé Blood Simple, Arizona Junior et Miller's Crossing. Mais le sujet de Barton Fink était sans doute le plus personnel qu'ils aient alors écrit. Ils racontent l'arrivée à Hollywood, en 1941, d'un auteur de pièces de théâtre, Barton Fink (John Turturro), chargé par un nabab de rédiger un scénario de série B sur le monde des lutteurs. Installé dans un grand hôtel désert et inquiétant, l'écrivain, rapidement contaminé par l'angoisse de la page blanche, va faire la rencontre de Charlie Meadows (John Goodman), un étrange voisin... 

John Turturro, Prix d'interprétation masculine au festival de Cannes

Revoir aujourd'hui Barton Fink* est passionnant car il permet de le replacer dans la filmographie des Coen. Evoquant leur peur d'Hollywood et son système quasi totalitaire, les cinéastes décortiquent les moeurs de l'industrie à rêves avec un humour féroce qui n'épargne personne, pas même Barton Fink, un personnage plutôt imbu de sa personne et ouvertement méprisant envers le cinéma (comme d'autres dramaturges de l'époque). Le film rentre peu à peu dans la psyché du personnage qui va confondre rêve et réalité, une frontière floue savamment entretenue par la mise en scène qui prouve de manière éclatante le sens inné de l'espace et du cadre des frangins, filmant cet hôtel suranné comme un tombeau peuplé de fantômes invisibles. 

Métaphore de l'esprit dérangé du dramaturge par l'utilisation des papiers peints décrépis et suintant de la chambre d'hôtel, le récit bascule vers l'horreur dans une apothéose finale flamboyante. Porté par l'interprétation fiévreuse de John Turturro et l'exubérance de John Goodman, Barton Fink bouleverse tous les codes du cinéma et pose une première pierre majeure à une oeuvre dont on ne mesure pas encore l'étendue de la richesse. 

Antoine Jullien



* Le cinéma Le Champo à Paris organise le samedi 24 septembre et le samedi 1er octobre une nuit Frères Coen avec la projection de trois de leurs films suivie d'un petit-déjeuner.

Le Champo - 5, rue des Ecoles - 75005 Paris.
Renseignements : http://www.mission-distribution.com/?p=590

Restless


La modestie a parfois du bon. Loin de ses objets arty et de ses films hollywoodiens pompiers, Gus Van Sant a remballé ses afféteries, géniales pour les uns, irritantes pour les autres mais n'a pas pour autant vendu son âme au diable. Film de commande, Restless ressasse bien l'un des thèmes essentiels de la filmographie du cinéaste : le spleen de l'adolescence. 

Enoch et Annabel se rencontrent lors d'un enterrement où ils n'ont rien à y faire. Mais ces deux êtres à part entière sont attirés par une même morbidité joyeuse qui les tiennent éloignés de la réalité de leurs vies. Lui a perdu ses parents lors d'un accident de voiture et elle est en phase terminale d'un cancer. Malgré cette funeste destinée, elle va tomber amoureuse de cet étrange garçon. Le début d'une relation exceptionnelle. 

Mia Wasikowska et Henry Hooper

C'est une histoire d'amour peu banale que nous raconte Gus Vant Sant, empreinte d'une drôlerie macabre que n'aurait certainement pas reniée Tim Burton (la musique est d'ailleurs composée par Danny Elfman !) et d'une poésie aérienne amplifiée par le côté décalé des personnages. Le charme des comédiens y est d'ailleurs pour beaucoup, la fragilité de Henry Hooper (le fils du regretté Dennis) et la candeur de Mia Wasikowska (l'Alice au pays des Merveilles de Burton) restent longtemps en mémoire. On voit, légèrement émerveillé, ce couple insolite se former en dépit de toutes les circonstances qui devraient rendre cette relation caduque. Tout en n'écartant pas l'aspect mélodramatique de son sujet, Gus Van Sant ne fait preuve d'aucune naïveté, élevant ses protagonistes vers un ailleurs où l'imaginaire a une place primordiale. 

Hiroshi, ce personnage d'aviateur japonais tout droit sorti de la tête d'Enoch, est le partenaire fantasmé du jeune homme guetté par la solitude. Un garçon sans repères qui voit dans sa relation avec Annabel l'occasion de vivre une histoire dont la fin irrémédiable ne doit pas lui enlever son caractère unique. Une mélancolie profonde se dégage peu à peu du film, magnifiée par les belles couleurs mordorées de la région de Portland que Gus Van Sant aime tant filmer. Le spectateur, gagné par l'émotion au moment des adieux, ressort de la salle touché mais heureux. Faussement mineur, Restless ("sans repos"), l'un des meilleurs films du cinéaste, nous sert secrètement le coeur afin de nous rappeler que toutes les histoires d'amour sont possibles, à condition d'y croire. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Sony Pictures Entertainment.

mardi 20 septembre 2011

Bande-annonce J.Edgar


Voilà sans conteste le film le plus attendu de l'année prochaine. J. Edgar retrace la vie de l'une des personnalités les plus controversées de l'histoire américaine, J. Edgar Hoover, le puissant patron du F.B.I. durant plus de quatre décennies, de 1924 à 1972, ayant servi pas moins de huit présidents. Accusé d'abus d'autorité, de chantage envers de multiples politiciens et soupçonné de corruption avec la mafia, l'homme était craint plus qu'aucun autre directeur d'une agence fédérale. Des rumeurs ont également circulé sur sa prétendue homosexualité et sur sa relation intime avec son directeur adjoint, Clyde Tolson. 

Après Howard Hugues, Leonardo DiCaprio endosse à nouveau un personnage célèbre, transformant sa voix et subissant plusieurs heures de maquillage. Ecrit par Dustin Lance Blake, le scénariste oscarisé d'Harvey Milk, le film est réalisé par Clint Eastwood. Après deux films mineurs (Invictus et Au-delà), le cinéaste semble bien parti pour réaliser le grand film que l'on espère tant. La bande-annonce est prometteuse et laisse augurer d'une peinture sans concession de la société américaine. Vivement le 11 janvier ! 

mercredi 14 septembre 2011

Ressorties : Alice et Garbo


Invisible au cinéma depuis vingt-et-un ans, Alice de Jan Svankmajer ressort en copies neuves. Grand Prix du festival d'Annecy en 1989, le film est une relecture très personnelle d'Alice au pays des merveilles.

Alice, petite fille rêveuse d'une dizaine d'années, somnole dans sa chambre. Tout à coup, l'un de ses jouets, un lapin blanc, empaillé et enfermé dans une cage en verre, se met à frémir. Alice, incrédule, se frotte les yeux. Mais le lapin blanc semble vivant. Il s'enfuit, suivi par la petite fille qui, comme lui, pénètre dans le tiroir d'une table posée en plein champ. Que va découvrir Alice ? 

Le cinéaste tchèque Jan Svankmajer est aujourd'hui une référence dans le cinéma d'animation. Après avoir réalisé plusieurs courts métrages empreints de surréalisme, il se lance dans le tournage de l'oeuvre de Lewis Carroll grâce à l'aide de capitaux étrangers. Prenant le contre-pied des précédentes adaptations, le cinéaste présente l'aventure vécue par la jeune fille comme un rêve. Selon Svankmajer " Tandis qu'un conte présente une certaine morale, le rêve est une expression de notre inconscient, la tentative de réaliser nos plus intimes désirs sans les barrières de la rationalité ou des inibitions. Mon Alice est l'accomplissement d'un rêve." Un objet déroutant, sombre et étrange grâce à l'utilisation de marionnettes animées image par image qui ressemblent pour certaines à des cadavres ambulants. Très éloigné d'une féerie un peu mièvre, le film étonne aussi par ses nombreuses trouvailles visuelles, comme celle d'avoir transformé la petite fille en poupée lorsqu'elle se met à rapetisser. Plus adulte qu'enfantin, cette Alice  sensibilisera également les jeunes générations qui ne devraient pas rester indifférentes devant cet univers singulier. 



Sidney Lumet est mort il y a quelques mois et l'on regrette chaque jour davantage sa disparition tant la redécouverte de ses films nous conforte à l'idée qu'il était un grand cinéaste. A la recherche de Garbo, sorti en 1984, est une oeuvre méconnue du réalisateur d'Un après-midi de chien. Alors qu'elle apprend qu'elle souffre d'une tumeur au cerveau et que ses jours sont comptés, Estelle Rolfe (Anne Bancroft) n'a plus q'un voeu à exaucer : rencontrer Greta Garbo, son idole de toujours. Son fils se lance alors à sa recherche... 

La star éternelle de Ninotchka était encore vivante au moment du tournage. Inaccessible, le fils d'Estelle va pourtant tout tenter pour la retrouver, rencontrant ceux et celles qui l'ont connu ou épier. Du photographe fatigué de son métier à la vieille comédienne qui oublie ses répliques, Lumet leur apporte à chacun une tendresse sincère. L'humour et la légèreté sont omniprésents à travers l'interprétation pleine de panache d'Anne Bancroft, autant admirative de Garbo que révoltée face aux injustices. Une personnalité qui finira par déteindre sur son fils gagné peu à peu par une envie de fuir le conformisme. 

Ron Silver et Anne Bancroft

Puis vient La rencontre. Filmée en un seul plan qui se rapproche de manière imperceptible sur le visage d'Anne Bancroft, la scène est un modèle d'émotion et de pudeur. Estelle, au crépuscule de sa vie, se confie à Garbo, silencieuse, et à travers elle au spectateur. Un moment de grâce que le cinéaste clôt par une pirouette dont il a le secret. Un film destiné à tous les cinéphiles et amoureux de belles histoires.

Antoine Jullien

Présumé coupable


Notre cinéma hexagonal s'intéresse à nouveau aux faits divers qui ont marqué la société française. L'affaire d'Outreau, un scandale unique dans les annales judiciaires, ne pouvait pas échapper longtemps aux cinéastes. En retraçant le parcours de l'une des treize personnes injustement accusées de pédophilie, le réalisateur Vincent Garenq a opté pour une approche très réaliste de l'affaire, au plus près de l'humain et des conséquences effroyables qu'elle a engendrée. En toute sobriété. 

Au petit matin, Alain Marécaux, huissier de justice de Saint-Omer, est arrêté par la police ainsi que sa femme et ses trois enfants. Placé en détention, il est accusé de viols sur mineurs. Malgré les incohérences flagrantes du dossier, il passera vingt-trois mois en prison avant d'être enfin innocenté. 

Autant le récent Omar m'a tuer était un film à thèse et à décharge qui prenait fait et cause pour le jardinier, autant Présumé Coupable évoque une indiscutable erreur judiciaire. Cette objectivité sert le propos de Vincent Garenq qui n'a pas souhaité réaliser un film directement sur l'affaire mais sur un homme qui l'a subi de plein fouet. La caméra ne quittera jamais le visage livide et émacié de Philippe Torreton, perdant 27 kilos pour le rôle, impressionnant de douleur contenue et de rage diffuse. Sans une note de musique, ne versant jamais dans le mélodrame larmoyant, Vincent Garenq nous émeut et nous indigne. La descente aux enfers de Marécaux pourrait être celle de n'importe qui, pris dans les tenailles de la machine judiciaire comme dans un cauchemar kafkaïen. 

Alain Marécaux et Philippe Torreton 

Désarmé, Marécaux voit sa vie s'effondrer sous ses yeux. Face au juge Burgaud, prisonnier de ses certitudes et incapable de la moindre humanité, le "présumé coupable" voit progressivement son calvaire sans issue. Dans l'une des séquences les plus poignantes, il apprend la mort de sa mère juste avant la convocation du juge. Le magistrat, alors au courant, demande à Marécaux, hagard, la date de naissance de sa mère. Retranscrivant fidèlement les procès verbaux des interrogatoires, on ne peut pas soupçonner le cinéaste de vouloir nous insurger à peu de frais. La vérité judiciaire, crue, ne peut que nous révolter. 

La noirceur et la violence de cette histoire trouveront un épilogue salvateur mais amer. Malgré l'acquittement de Marécaux, la justice, elle, ne rendra pas de comptes. Qu'une institution capable de broyer des individus soit exempte de toute sanction fait réfléchir. Le cinéma devient soudain le miroir peu aimable des dysfonctionnements d'une société qui ne veut pas faire son autocritique. Marécaux, lui, ne pourra jamais oublier.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions Distribution.

lundi 12 septembre 2011

Palmarès - Venise et Deauville

Alexander Sokourov, lauréat du Lion d'or pour Faust 

Comme à chaque rentrée, les festivals de Venise et Deauville ont remis leurs prix. La 68ème Mostra, dirigée pour la dernière fois par Marco Müller, présentait une sélection particulièrement alléchante. Présidé par Darren Aronofsky, Lion d'Or en 2008 pour The Wrestler, le jury a manifestement adopté une démarche très "art et essai", écartant les oeuvres plus accessibles. 

Faust d'Alexander Sokourov repart avec le Lion d'Or. La presse a tressé des louanges à cette nouvelle adaptation de la pièce de Goethe. Tourné en allemand, le film est une consécration pour le cinéaste russe plus habitué jusque-là aux oripeaux cannois. 

Le Lion d'Argent, prix de le mise en scène a été attribué à People Mountain, People Sea du chinois Sangjun Cai, le film surprise de cette sélection. Le prix d'interprétation masculine à Michael Fassbender ne faisait guère de doute tant sa prestation de drogué sexuel dans le très attendu Shame de Steve McQueen, l'auteur de l'uppercut Hunger, a marqué l'assistance.  

Michael Fassbender dans Shame de Steve MacQueen 

Deanie Ip remporte le prix d'interpréation féminine pour A Simple life de Ann Hui et le réalisateur Yorgos Lanthimos, remarqué il y a deux ans avec son étrange Canine, repart avec le prix du scénario grâce à Alps, très fraîchement accueilli sur le Lido. Enfin, Terraferma de l'italien Emmanuele Crialese décroche le prix spécial du jury. 

Aronofsky n'a donc pas voulu distinguer les cinéastes qui l'ont pourtant profondément influencé. Ni Roman Polanski dont le Carnage a reçu un très bel accueil ni David Cronenberg et son A Dangerous Method sur la psychanalyse n'ont eu droit aux honneurs du palmarès. D'autres films attendus sont également repartis bredouille : Les Marches du Pouvoir de George Clooney qui avait fait l'ouverture, La Taupe de Tomas Alfredson (le cinéaste du brillant Morse) d'après le roman de John Le Carré ou encore le poétique Poulet aux Prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, les auteurs de Persepolis. 


Le jury du festival du cinéma américain de Deauville, présidé par le français Olivier Assayas, a consacré Take Shelter de Jeff Nichols, très remarqué lors du dernier festival de Cannes (voir Cannes Jours 6 à 8), en lui attribuant le mérité Grand Prix. Cette oeuvre angoissante et anxiogène sur la paranoïa et le traumatisme d'un homme confronté à ses cauchemars sortira dans les salles le 7 décembre. Le prix du Jury est revenu à The Dynamiter de Gordon Matthew Summer et le Prix de la Critique internationale a distingué Detachment de Tony Kaye (le réalisateur d'American History X) et son beau casting (Adrien Brody, Marcia Gay Harden, James Caan...)


PALMARES COMPLETS 

68ème MOSTRA DE VENISE 

Lion d'Or 
FAUST d'Alexander Sokourov 

Lion d'Argent - Prix de la mise en scène 
PEOPLE MOUNTAIN, PEOPLE SEA de Sangjun Cai 

Prix spécial du Jury 
TERRAFERMA d'Emmanuele Crialese 

Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine 
MICHAEL FASSBENDER dans SHAME de Steve MacQueen 

Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine 
DEANIE IP dans A SIMPLE LIFE de Ann Hui 

Prix Osella du meilleur scénario 
ALPS de Yorgos Lanthimos 

Prix Osella de la meilleure contribution technique
LES HAUTS DE HURLEVENT d'Andrea Arnold 

Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète 
SHOTA SOMETANI et FUMO NIAKAIDO dans HIMIZU de Sono Sion 

Lion du Futur (meilleur premier film) 
LA-BAS de Guido Lombardi 

Lion d'Or d'honneur à Marco Bellocchio 


37eme FESTIVAL DE DEAUVILLE 

Grand Prix 
TAKE SHELTER de Jeff Nichols 

Prix du Jury 
THE DYNAMITER de Gordon Matthew Summer 

Prix de la Révélation Cartier et Prix de la Critique internationale 
DETACHMENT de Tony Kaye 

Prix Michel d'Ornano 
17 FILLES de Muriel et Delphine Coulin 

mercredi 7 septembre 2011

Habemus Papam


La foule amassée devant le Vatican attend avec fébrilité l'annonce du nouveau pape. Alors que le cardinal vient de prononcer le fameux Habemus Papam, un cri effrayant l'interrompt brutalement. Melville, l'homme qui vient de se voir confier la tête de l'Eglise, ne supporte pas cette charge immense. Tenant le public dans l'ignorance, les conseillers du Saint Siège vont tout tenter pour ramener le souverain pontife à la raison même s'il faut en passer par la psychanalyse. 

C'est Nanni Moretti qui interprète avec une indéniable délectation le rôle du thérapeute. Son arrivée dans le Vatican donne au long métrages ses instants les plus comiques. Au milieu des cardinaux médusés, Moretti tente de percer la personnalité de cet homme étrange prostré devant lui. La séquence est d'une réjouissante drôlerie, le réalisateur montrant ironiquement l'impossible association entre la religion et la psychanalyse. Malgré le sérieux de son sujet, le cinéaste ne perd jamais son humour pince-sans-rire, à voir la manière magistrale avec laquelle il filme le conclave où l'on entend, éberlué, les pensées des cardinaux qui redoutent de devenir papes et espèrent de tout coeur ne pas l'être.

Nanni Moretti et Michel Piccoli

Moretti égratigne gentiment l'Eglise qui l'intéresse avant tout comme institution avec ses codes et ses rites qui semblent soudain bien dérisoires face à la situation qui la dépasse. Car le pape en a profité pour échapper à la surveillance de ses conseillers et se met à déambuler dans les rues de Rome comme un parfait inconnu. L'homme est incarné par un Michel Piccoli dont la démarche lasse et le timbre de voix déclinant accompagnent ce personnage bouleversé par le retour à son passé. 


Lorsqu'une psychologue lui demande ce qu'il fait dans la vie, Melville, qui ne peut dévoiler sa réelle identité, se déclare "acteur". Il revient alors à son amour originel, le théâtre, et il est beau de voir le parallèle émis par Moretti entre le géant de cinéma qu'est Piccoli et ce pape qui retrouve sa jeunesse en étant, le temps d'une scène, un acteur tchekovien. Piccoli devient alors un enfant au milieu d'un désordre qui lui échappe. 

Le film est continuellement en ruptures de tons, la recherche personnelle de Melville entrecoupée par la cocasserie du Vatican où Moretti, emprisonné malgré lui, devient une sorte de chef de colo, organisateur d'une partie de volleyball saugrenue dans laquelle les hommes d'église retrouvent leur insouciance. Il y a bien sur de la dérision chez le cinéaste mais aussi une gravité non dissimulée qui lui permet de s'interroger sur la place de nos institutions dans nos sociétés occidentales et notre humilité face à une responsabilité trop lourde à porter. Le cinéaste filme une crise de foi qui s'achève vers une sorte d'apaisement. Le renoncement peut avoir de la grandeur.

Antoine Jullien 


DVD et Blu-Ray disponibles chez France Télévisions distribution.

La grotte des rêves perdus


Quel diable d'homme ce Werner Herzog ! L'un des plus aventureux cinéastes de notre temps revient là où on ne l'attendait pas, au fond d'une grotte du paléolithique. Il a réussi à obtenir l'autorisation exceptionnelle de filmer ce trésor révélant des peintures rupestres de plus de 30 000 ans, soit deux fois plus anciennes que celles de Lascaux. Interdit au public, le lieu a été découvert en décembre 1994 dans les vallées de l'Ardèche par l'archéologue Chauvet qui lui a donné son nom. Herzog a du subir des contraintes de tournage très strictes, ne pouvant filmer que quelques heures par jour à cause du taux très élevé de dioxyde de carbone. Le résultat est époustouflant. 

Depuis l'explosion de la 3D, le spectateur subit régulièrement des films qui auraient mieux fait de se passer de ce support mal exploité et sans intérêt. Plus que son compatriote Wim Wenders dans Pina, Herzog utilise le relief de manière éclatante. Pour la première fois, on a le privilège de pénétrer dans un lieu inaccessible comme si l'on faisait réellement partie des visiteurs de l'endroit. La force de la 3D démultiplie l'impact de la caverne sur le spectateur ébahi. Non seulement il contemple, admiratif, une page de l'histoire de l'humanité mais il vit aussi physiquement cette découverte majeure. La Grotte des rêves perdus redonne ses lettres de noblesse à un procédé que seul James Cameron avait su manier. 

Outre son aspect visuel, le documentaire a une grande valeur pédagogique par les nombreuses interventions des spécialistes de la préhistoire qui racontent, à travers les dessins représentant mammouths, chevaux, rhinocéros, la vie de nos ancêtres. Par la voix de Volker Schlöndorff, Herzog s'interroge aussi sur les origines de l'homme et sur la valeur inestimable que ces oeuvres peuvent apporter à notre société actuelle. Un film rare, une plongée envoûtante dans l'un des berceaux de l'humanité. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez MetropolitanVidéo.

mardi 6 septembre 2011

La guerre est déclarée


Doit-on s'interroger sur l'unanimité quand elle semble à ce point incontestable et incontestée ? Sans désir d'aller à tout prix à contre-courant, nous allons tenter d'adopter une approche différente de La guerre est déclarée, plus juste et plus proche à nos yeux de l'oeuvre acclamée. 

Comme chacun le sait désormais, Valérie Donzelli s'est inspirée de sa propre histoire, à savoir le combat qu'elle a mené avec son compagnon d'alors, Jérémie Elkaïm, pour sauver leur enfant, Adam, victime d'une tumeur cérébrale. La maladie n'est pas le sujet principal mais plutôt l'histoire d'amour entre les deux amants jouant ici leur propre rôle qui finiront pas vaincre cette difficile épreuve. 

La réalisatrice prend d'emblée la mesure du fort potentiel mélodramatique de son sujet et évite ainsi tout pathos et mauvais suspense en nous montrant d'emblée Adam quelques années plus tard, guéri. Le film ne quittera plus les rails de cet optimisme souvent réjouissant. La drôlerie se mêle continuellement au drame et Valérie Donzelli arrive à trouver une voie personnelle et originale, nous présentant d'abord ce couple plutôt attachant qu'elle baptise Roméo et Juliette (idée un peu facile, reconnaissons-le), filmant l'insouciance de leur jeunesse puis leurs débuts de parents jusqu'à la terrible nouvelle. 

Jérémie Elkaïm et Valérie Donzelli

Le film est aussi un patchwork d'influences diverses comme en témoigne les choix musicaux, alternance de rock branché, de classique et de musique électronique. Une volonté qui montre bien l'éclectisme stylistique dont fait preuve la réalisatrice qui se permet tout autant une folle échappée dans un hôpital que l'utilisation pas banale de la voix-off. Cette liberté, contagieuse et revigorante, a aussi ses défauts. Entre deux séquences inspirées, le rythme et l'énergie du film retombent comme un soufflet. Et si Donzelli nous emporte dans des moments d'une grande intensité, elle tombe aussi dans les travers du remplissage. 

Mais notre léger agacement vient de ce supposé hymne à la vie. Sans doute victime de notre insensibilité, le positivisme assumé de Valérie Donzelli ne nous a pas émus aux larmes. Car l'on sent que la réalisatrice se réfugie derrière une théâtralité qui dissimule trop la complexité humaine de son histoire comme le démontre la séquence dénuée de grande subtilité où la famille apprend la maladie d'Adam sur la musique appuyée de Vivaldi. De même que le jeu des comédiens un brin décalé qui, après nous avoir charmé un temps, finit par mettre le spectateur à distance. Quant à la fin, ne révèle-t-elle pas en réalité que le combat n'a pas été totalement gagné ? A force d'éviter soigneusement les aspects plus sombres de son sujet, le film paraît soudain un peu trop frêle pour supporter de tels éloges. La sincérité, aussi touchante soit-elle, n'accouche pas forcément du génie cinématographique. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Wild Side Vidéo.