Le rythme du festival s'est ralenti depuis le week-end frénétique qui a vu s'enchaîner nombre de festivités cannoises. Alors qu'entre deux files d'attente, les spectateurs conversent sur l'affaire DSK, une autre polémique est née hier avec les propos pour le moins douteux de Lars Von Trier. L'iconoclaste cinéaste danois n'en n'est plus à une provocation près mais il semble que ses paroles aient ces fois franchi la ligne rouge. La direction du festival l'a sommé de s'excuser après ses déclarations sur Hitler lors de la conférence de presse de Melancholia, présenté en compétition. "Pendant longtemps, j'ai pensé que j'étais juif et j'étais heureux. Puis j'ai découvert que j'étais nazi. Ca m'a donné un certain plaisir. Je comprends Hitler même s'il a fait des choses mauvaises. Je dis seulement que je comprends l'homme, je sympathise un peu avec lui" avant de conclure "je ne suis pas antisémite. En fait, je suis même solidaire des juifs. Mais Israël fait vraiment chier. Comment est-ce que je vais m'en sortir ? Bon, ok, je suis nazi." Le réalisateur s'est sans doute grillé auprès du jury qui, s'il lui remette un prix dimanche soir, devrait s'attirer quelques sifflets.
André Wilms et Jean-Pierre Darroussin dans Le Havre d'Aki Kaurismaki Pyramide Distribution
Un autre cinéaste excentrique, Aki Kaurismäki, était sur la Croisette pour présenter son nouveau long métrage, sobrement intitulé Le Havre. On est guère surpris que cette ville ait pu nourrir l'imagination du réalisateur finlandais tant il aime filmer les ports sous toutes les coutures, et celui d'Helsinki en particulier. Non seulement il situe l'action de son film en France mais en français avec des comédiens de l'hexagone. André Wilms incarne Marcel Marx, un ancien écrivain devenu cireur de chaussures qui va devenir le protecteur d'un jeune africain sans papiers pourchassé par la police et son inquiétant commissaire interprété par Jean-Pierre Darroussin. Le réalisateur de l'Homme sans Passé retrouve son style expressionniste et désuet si caractéristique dans lequel les personnages semblent hors du temps, se mouvant dans des lieux intemporels. Les choix de cadre et de lumière prouvent une fois encore combien Kaurismäki sait regarder ses protagonistes qu'il illumine de son humour décalé. L'interprétation est en parfaite osmose avec cet univers, André Wilms qui trouve enfin un rôle d'importance au cinéma, est irrésistible en homme lunaire et généreux et Jean-Pierre Darroussin campe un flic tout droit sorti d'une bande dessinée, peu locaque mais plus humain qu'on ne pouvait l'imaginer au départ. Car Kaurismäki, sur un sujet pouvant prêter à la facilité, filme des êtres humbles pris dans l'adversité avec une merveilleuse simplicité . Il est surprenant de voir le cinéaste céder au happy-end que l'on pourrait penser un peu too much mais il se dégage des dernières images une bienveillance un peu irréelle qui fait du bien. Coup de coeur rock n' roll des festivaliers et candidat sérieux pour la Palme.
Loverboy de Catalin Mitulescu
En revanche, la sélection Un certain Regard nous a proposé l'un des pires films de la sélection, Loverboy du roumain Catalin Mitulescu. Le cinéaste, déjà peu prometteur après son premier long métrage (et une inexplicable Palme d'or du Court métrage), raconte une histoire vide de tout, de substance, d'originalité, d'intérêt. Une présence incompréhensible dans le plus grand festival de cinéma et une imposture qui se confirme de film en film.
Elisabeth Olsen dans Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin 20th Century Fox
Toujours à Un certain Regard, on a pu découvrir le premier long métrage de Sean Durkin, Martha Marcy May Marlene. Un titre alambiqué pour une histoire de secte dont une jeune femme s'échappe pour retrouver sa soeur qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Ce retour familial ne masque pas longtemps la fragilité de la jeune femme qui semble avoir vécu une expérience traumatisante. Le film fait l'aller-retour entre la réintégration difficile auprès des siens et la vie au sein de cette étrange communauté. Le cinéaste se montre un peu trop elliptique dans sa narration et peine à nous intéresser davantage au destin de son personnage. Mais l'interprétation impressionnante d'Elisabeth Olsen et l'intensité de son regard méritent que l'on s'y arrête.
Michael Shannon dans Take Shelter de Jeff Nichols Ad Vitam
Sélection parallèle du festival, la Semaine de la critique fête cette année ses 50 ans et pour la dernière fois dirigée par Jean-Christophe Berjon. Pour l'occasion, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli a fait l'ouverture et provoqué une vive émotion à la sortie de la projection. Autre long métrage remarqué, Take Shelter de l'américain Jeff Nichols avec Michael Shannon, acteur montant vu dans Les Noces Rebelles et la série Boardwalk Empire et l'une des comédiennes majeures de ce festival, Jessica Chastain vue dans The tree of life de Malick. Take Shelter aborde le glissement progressif de John vers un état d'instabilité, faisant des cauchemars à répétition, se sentant menacé par des ouragans au point de se construire un abri (le shelter du titre). Réalisation efficace diffusant une angoisse latente, le film ne va cependant pas au bout de son sujet empreint de paranoïa mais confirme les attentes que l'on pouvait avoir envers ces deux excellents comédiens.
Les Enfants du paradis (1945) de Marcel Carné Pathé Distribution
Cannes est aussi l'occasion de se (re)plonger dans les grands classiques du cinéma à travers la sélection Cannes Classics. A cette occasion, Thierry Frémaux, le délégué général du festival, a présenté une version restaurée des Enfants du paradis de Marcel Carné que je n'avais jamais vu, j'ose le confesser. L'erreur est réparée devant cette magnifique copie numérique que les spectateurs cinéphiles ont pu admirer. Le jeu du trio Arletty-Jean-Louis Barrault-Pierre Brasseur impressionne encore, soixante-six ans après. Malheureusement, la fatigue accumulée m'a fait décrocher à plusieurs reprises. Le film sortira en salles au mois de décembre.
Les étoiles de la Critique du Film Français (au 18 mai)
Pour Mon Cinématographe, le festival s'achève aujourd'hui mais il continue jusqu'à dimanche. Quelques films très attendus vont être projetés, en particulier le mystérieux La piel que habito de Pedro Almodovar dont on espère secrètement qu'il repartira (enfin !) avec la Palme ainsi que This must be the place de Paolo Sorrentino avec un Sean Penn méconnaissable en rockeur parti sur les traces de son père. La cadence infernale de tout festivalier qui se respecte (4, 5 heures de sommeil pour 3 à 4 films vus par jour) peut incontestablement altérer le jugement de certains films qui auront droit à une séance de rattrapage lors de leurs sorties. Mais alors que les français sont actuellement durement critiqués par les américains au motif qu'ils ne font pas leur travail de journaliste, il est amusant de constater, à la lecture des tableaux des critiques parus dans les revues Le film Français et Screen International, que le regard de la presse française et étrangère sur nos films présentés en compétition diverge radicalement. Si Polisse de Maïwenn a séduit nos journalistes et si, dans cette même presse, l'Apollonide de Bertrand Bonello (voir Cannes Jour 5) a trouvé quelques défenseurs (on se demande comment ?!), les journalistes américains, australiens, britanniques, brésiliens, italiens et danois se sont montrés nettement plus sévères, leur accordant pour le premier la note médiocre de 1,7 et pour l'autre la plus mauvaise de leur classement, soit 1,1. En revanche, The Artist (voir Cannes Jour 5) obtient tous les suffrages, tous pays confondus. Quand on dit que le cinéma n'a pas de frontières...
Je vous laisse maintenant découvrir les quelques films présentés actuellement en salles : The Tree of life, Le Gamin au vélo (l'un des films les plus aimés du festival), et hors compétition Minuit à Paris de Woody Allen et La Conquête de Xavier Durringer dont on reparlera la semaine prochaine. En attendant le palmarès dimanche soir !
Antoine Jullien
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