Cannes, c'est parti ! Votre serviteur va tâcher (humblement) de vous faire vivre l'évènement et de vous rendre compte au mieux des films présentés. En toute subjectivité bien sûr !
Le festival, quand on le découvre pour la toute première fois, est un grand barnum avec plein de gens venus du monde entier munis de badges de toutes les couleurs ! On se demande bien si les « bleus » sont prioritaires par rapport aux « jaunes » avant de les voir tous faire la queue dès 8h le matin sous un soleil de plomb. Une effervescence qui désarçonne d'abord avant de vous gagner progressivement.
Le palais, le « bunker » comme on le désigne ironiquement, est impressionnant, regorgeant d'allées interminables, de souterrains, de terrasses inaccessibles (sauf pour quelques happy fews) et de la plus prestigieuse salle de cinéma, le théâtre lumière où j'ai fait mes premiers pas aujourd'hui. L'endroit est chargé d'histoire, tant de grands films (et quelques médiocres) ont eu cette chance suprême d'être présentés dans ce temple du cinéma.
Cannes est un rassemblement de tous les acteurs de l'industrie cinématographique : producteurs, comédiens et réalisateurs sont dans la lumière du festival mais il y aussi tous les autres, distributeurs, exploitants, journalistes, attachés de presse, techniciens qui, dans l'ombre, découvrent les films, les accompagnent, les défendent, les critiquent ou les achètent lors du Marché du film, le plus important au monde.
Minuit à Paris de Woody Allen Mars Distribution
Le gala à commencé hier soir avec la présentation de Minuit à Paris de Woody Allen, une agréable déambulation dans une capitale fantasmée par le cinéaste qui, en s'amusant des clichés, s'interroge avec malice sur notre rapport au temps. La projection était précédée de celle du Voyage dans la Lune de Georges Méliès dont la seule copie couleur, peinte par Méliès et son équipe en 1907, a été miraculeusement retrouvée et restaurée grâce au travail de l'historien et archiviste Serge Bromberg, redécouvreur de l'Enfer de Clouzot.
La compétition, elle, a commencé aujourd'hui avec la présentation de Sleeping Beauty, l'un des deux premiers longs métrages de cette sélection.
Sleeping Beauty de Julia Leigh ARP Sélection
Le film réalisé par l'australienne Julia Leigh a provoqué un buzz depuis l'annonce de sa sélection. Le sujet est pour le moins étrange : une jeune étudiante sans le sous accepte un mystérieux travail, laisser des hommes riches profiter de son corps alors qu'elle est endormie. A son réveil, elle ne souvient plus de rien et poursuit ses journées à la fac, comme si rien ne s'était passé...
La première séquence donne la tonalité visuelle du long métrage : un plan soigneusement travaillé, d'un blanc immaculé, où la jeune femme se fait insérer un long tuyau dans la bouche. Un style clinique dont la sophistication intrigue un temps. Le personnage va progressivement rentrer dans un monde inconnu peuplé de créatures sombres et déshumanisées. On pense à Haneke et sa « glaciation émotionnelle » que Julia Leigh tente de rependre à son compte en y ajoutant une certaine élégance nourrie de longs travellings dans des décors luxueux et sans vie. La réalisatrice évoque surtout une sexualité malade qui nous échappe et qui mènera les personnages à leur perte. La réalisatrice filme son histoire avec une distance très « chic », refusant tout érotisme, montrant le corps de cette jeune femme que l'on manipule à loisir comme une métaphore de l'objet sexuel. Mais la réalisatrice ne va pas au bout de son sujet dérangeant et termine son film de manière un peu vaine. Une relative déception.
Tilda Swinton et John C. Reilly dans We need to talk about Kevin Diaphana Distribution
En revanche, We need to talk about Kevin est le premier moment fort de cette compétition. La cinéaste Lynne Ramsay nous raconte la relation ambiguë et destructrice entre Eva et son fils. Dès le début, on sait qu'il a commis l'irréparable et le film ne va pas cesser de faire des allers et retours entre le passé d'Eva avec sa famille et le présent où elle est tiraillée entre la culpabilité et son sentiment personnel.
La réalisatrice nous immerge immédiatement dans le chaos et la confusion grâce à un incroyable sens du montage où se télescope plusieurs moments de la vie d'Eva incarnée par Tilda Swinton. La comédienne, déjà bien placée pour le prix d'interprétation, confirme son statut d'actrice unique, exerçant un mélange fascinant d'étrangeté et de fragilité. Son personnage de mère incomprise et meurtrie doit faire face à son enfant qui ne l'aime pas. Lynne Ramsay ose filmer un être pervers qui semble prendre un plaisir intense à faire souffrir sa mère. Mais loin du film fantastique, la réalisatrice l'inscrit dans un cadre réaliste et concret qui amplifie un malaise de plus en plus étouffant. D'une grande maîtrise formelle et narrative, la cinéaste nous saisit pour ne plus nous lâcher avant de nous révéler la catastrophe montrée jusque-là par petites touches. Un film dense et puissant qui mériterait une bonne place au palmarès.
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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