Henri-Georges Clouzot est un grand cinéaste, nous le savions. Le Salaire de la Peur, Le Corbeau, Les Diaboliques en témoignent. On ne savait pas en revanche qu'il voulait être un cinéaste expérimental. C'est l'une des nombreuses choses que l'on apprend en regardant le documentaire que Serge Bromberg consacre au film inachevé de Clouzot, justement intitulé l'Enfer, l'histoire d'une jalousie maladive et obsessionnelle de Marcel Prieur pour sa femme.
En 1964, Clouzot est au faîte de sa gloire et rien ne peut lui être refusé. Pour cet "Enfer", il engage Serge Reggiani et Romy Schneider et leur fait passer des essais filmés pendant de longs mois. Des essais que nous pouvons voir pour la première fois et qui dégagent une étrange fascination : revoir Romy Schneider comme on ne la connaissait pas, assister aux expérimentations hypnotiques de Clouzot qui était passionné par l'art cinétique et les"coïts visuels". Une entreprise avant-gardiste, hors norme pour l'époque (et encore aujourd'hui) qui avait tellement plu à la Colombia que le studio décida d'accorder à Clouzot un budget illimité.
Et c'est le début des ennuis. Un tournage qui n'en finit pas, un Clouzot colérique et tortionnaire, un Serge Reggiani à bout, des techniciens qui ne comprennent plus ce qu'ils font là... jusqu'au départ de Reggiani et la crise de cardiaque de Clouzot qui enterreront définitivement le projet.
Des témoins racontent cette odysée parmi lesquels Costa-Gavras, à l'époque assistant du cinéaste, et William Lubtchansky, jeune opérateur. Les avis divergent parfois mais tous admettent que le film ne pouvait que mal se finir. Outre les essais, on a le privilège de voir certaines scènes tournées parmi les 185 bobines retrouvées par Bromberg. A la vue des ces images, on se dit qu'on a probablement raté un chef d'œuvre, en tous les cas un film qui aurait fait date. Mais c'est un vrai plaisir de cinéphile que de se replonger dans le monde d'un cinéaste démiurge et caractériel allant jusqu'au bout de sa création et qui finira par se brûler les ailes.
Lucas Belvaux, lui-aussi, exhume du passé une douloureuse affaire, à savoir l'enlèvement du baron Empain en 1978. Le cinéaste transpose l'intrigue de nos jours. Stanislas Graff est un capitaine d'industrie enlevé un matin alors qu'il partait de chez lui. Les ravisseurs réclament cinquante millions d'euros. Durant sa détention, on va découvrir la double vie du grand patron et les difficiles tractations entre la police et la famille pour obtenir la rançon.
Un sujet fort malheureusement desservi par une mise en scène incroyablement poussive. Lucas Belvaux avait pourtant de nombreux atouts en main qu'il gâche à chaque occasion. Absence de suspense et de tension à cause d'un va-et-vient permanent entre l'otage et la police, une direction d'acteurs catastrophique (rendre Anne Consigny aussi terne, ça tient du prodige), un manque évident de crédibilité par rapport à l'enquête et surtout une absence totale de point de vue et l'on finit par se demander ce qui a bien pu motiver Belvaux dans cette histoire.
Il faut attendre la dernière demi-heure pour que l'on s'intéresse enfin à l'affaire. Revenu chez lui comme un coupable plus que comme une victime, Graff va devoir affronter sa libération comme un purgatoire et non comme une délivrance. Et Yvan Attal, le seul à sauver le film, amène suffisamment de fierté et d'ambiguité à son personnage pour qu'on y croie. Mais que c'était long !
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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