lundi 12 avril 2010

Les invités de mon père


Anne Le Ny a décidément bien fait de passer à la mise en scène. La comédienne, vue chez Agnès Jaoui ou Claude Miller, avait déjà réalisé un premier film convaincant "Ceux qui restent". Elle réunit ici une belle brochette de comédiens autour de petits arrangements avec la vie qui, s'ils sont d'une causticité jubilatoire, n'en témoignent pas moins d'une vraie cruauté.

Lucien Pommel, 80 ans, ancien médecin qui a toujours oeuvré dans le militantisme, décide d'épouser "en blanc" une jeune moldave sans papiers qui vit avec sa petite fille. Mais cet apparent acte de générosité cache une réalité moins noble. Quand les convictions et l'engagement sont soudain confrontés au désir...

Le film est raconté du point de vue des deux enfants du patriarche : elle, une médecin qui a toujours suivi  son père, l'élève modèle coupable d'un certain angélisme de gauche et lui, avocat d'affaires aisé, en sourde rébellion avec son paternel mais secrètement admiratif. Ce "couple" frère et soeur et l'une des grandes réussites du film car Karin Viard et Fabrice Luchini lui donne une complicité et une complexité très vite contagieuses. Les deux comédiens qui ont rarement été aussi justes et aussi émouvants sont les premiers violons d'une partition tenue jusqu'au bout, constamment en rupture entre vrai cocasserie et âpreté des sentiments.

Michel Aumont et Karin Viard

Car Les Invités de mon père n'est pas un film aimable et Anne Le Ny a le courage de tenir ce parti pris jusqu'au bout. Qu'est-on prêt à faire pour enlever son père d'un amour qui pourrait le tuer ? Comment accepter un acte contraire à nos principes ? Le film déjoue intelligemment les clichés car il ne représente pas le sempiternel sans-papier comme une victime expiatoire. Cette jeune moldave, limite raciste, ne se laisse jamais marcher sur les pieds et fait preuve d'une détermination finalement très humaine. La réalisatrice n'essaye pas de sauver ses personnages, à commencer par celui du père. Michel Aumont, impérial, perd sa dignité et son prestige en se laissant emporter dans cette relation. Et c'est parce "qu'il y a des actes militants plus agréables à regarder que d'autres" dixit Fabrice Luchini que ce père va oublier ses enfants en les reniant injustement. La séquence où, muré dans ses certitudes, il les déshérite est d'une force peu commune.

Mais comme le dit le vieil adage : "chacun a ses raisons". Tout le monde peut se reconnaître dans ce tableau familial duquel on sort troublé : les certitudes s'effondrent au fur et mesure que le rapport parents-enfants prend un tour inattendu. La réalisatrice ne juge personne et c'est à nous, spectateur, de faire notre propre jugement. Le cinéma français, dans un excès de politiquement correct, a souvent tendance à ne pas parler des questions qui fâchent. Anne Le Ny, avec un remarquable sens du tempo, nous offre sa petite musique qu'il serait regrettable de ne pas savoir écouter.

Antoine Jullien

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