mardi 15 avril 2014

Interview de Giuseppe Tornatore et Sylvia Hoeks pour la sortie de The Best Offer

 
Giuseppe Tornatore, le réalisateur de Cinéma Paradiso, était de passage à Paris pour présenter son nouveau long métrage, The Best Offer. Le film relate la rencontre insolite entre Virgil (Geoffrey Rush), un commissaire priseur de renom, et Claire (Sylvia Hoeks), l'une de ses clientes qui lui demande une expertise de ses biens. N'ayant de relation intime qu'avec sa secrète collection de tableaux, l'homme va peu à peu tomber amoureux de cette femme mystérieuse. 

Sur un scénario à tiroirs, le cinéaste signe une œuvre hautement romanesque, combinée à un thriller d'une suprême élégance, à la mécanique redoutable.

Nous avons pu interviewer Giuseppe Tornatore ainsi que la comédienne hollandaise Sylvia Hoeks afin d'en savoir davantage sur ce film à la retenue éloquente (avis aux lecteurs, certains détails de l'intrigue sont dévoilés dans l'interview).


LE RÉALISATEUR GIUSEPPE TORNATORE


- Comment vous est venue l'idée du film ? 

Je travaille en même temps sur beaucoup d'idées et la majorité reste dans le tiroir. J'avais une idée sur une fille agoraphobe il y a longtemps et de temps à autre j'y revenais. Ce personnage me plaisait beaucoup mais toutes les histoires que je tentais de greffer autour ne me paraissaient pas convaincantes. Après plusieurs années, j'ai découvert le monde de la vente aux enchères et j'ai été très intéressé par le rôle du commissaire priseur. J'ai alors pensé que ce personnage pouvait servir de lien avec mon idée originelle.

- Avez-vous établi des recherches sur le métier de commissaire priseur ?

Il s'agit d'une rencontre de hasard. Alors que je n'avais rien demandé, j'ai reçu à mon bureau, durant plusieurs semaines, des catalogues d'enchères. Un jour, j'ai décidé d'aller assister à une vente et c'est là que j'ai connu des commissaires priseurs. Je suis resté fasciné par cette figure qui a le pouvoir de donner de la valeur à des objets. 

- Il y a un aspect très étrange dans The Best Offer : même si l'on devine que l'histoire se passe en Italie, le film n'est pas situé géographiquement et tous les personnages parlent anglais. Était-ce une volonté ou une contrainte de production ? 

Je ne voulais pas une ambiance typiquement italienne car l'histoire ne s'y prêtait pas. Ce n'était pas important de situer le film, j'ai donc délibérément voulu rester vague. Le seul endroit auquel je tenais était le restaurant de Prague que l'on découvre à la fin du film.

Geoffrey Rush

- Malgré tout, on ne peut s'empêcher de penser, en déambulant avec vos personnages dans le décor de la villa de Claire, au grand cinéma italien, notamment aux films de Visconti. Est-ce juste une impression ou y avez-vous songé ? 

J'oublie tout quand je réalise un film. Bien sûr, j'ai vu beaucoup de films, ce sont comme des trésors et il est certain qu'on a des influences mais je ne me suis pas spécialement inspiré de Visconti. 

- Vous avez filmé pour la première fois en numérique. Qu'est-ce que ce nouveau support a-t-il apporté à votre mise en scène ?

Si je devais faire un bilan sur ce que m'a apporté le digital, il serait très positif. Avant, je me demandais sans cesse combien de pellicule je devais utiliser et combien il devait m'en rester à la fin de la journée, avec la crainte de n'en n'avoir jamais assez ! Le numérique m'a amené vers une plus grande liberté d'expression car on a la possibilité de faire autant de prises que l'on veut, et le résultat esthétique est magnifique !

- Comment Geoffrey Rush est-il arrivé sur le projet et comment avez-vous travaillé ensemble sur l'évolution du personnage ? 

J'ai pensé à Geoffrey Rush en commençant à écrire. Peut-être l'a-t-il compris lui-même car lorsqu'il a lu le script, il a tout de suite donné son accord. Nous avons travaillé sur ce personnage très profondément. Avec Geoffrey, on est restés enfermés une semaine dans sa maison à lire le scénario mot par mot. Il a fini par tellement bien intégrer le personnage qu'il arrivait à changer des petits détails, devinant tout de suite si quelque chose ne convenait pas. C'est un grand perfectionniste. Notre collaboration était telle que le soir, après le tournage, on se retrouvait tous les deux pour retravailler le script ensemble. 

- Le scénario est très minutieux, avec une description très précise du personnage de Virgil, des gants qu'il porte en permanence à ses cheveux teints. 

Oui, cela devait caractériser cet homme plutôt antipathique, très froid et distant. Il ne regarde pas les femmes dans les yeux lorsqu'il s'adresse à elles. 


- Virgil (Geoffrey Rush) a un don pour détecter l'imposture dont il se sert pour remplir sa cave de portraits de femmes. Il va pourtant se laisser prendre dans un piège. En s'ouvrant à l'amour, il va pour la première fois lâcher prise. 

Il y a une maxime célèbre en Italie. On dit qu'un cordonnier est celui qui a toujours des chaussures avec des trous ! Virgil a le don de distinguer le vrai du faux dans sa vie professionnelle, pas dans sa vie intime. J'ai beaucoup aimé ce paradoxe. 

- Le film décrit une machination terrible, à l'image du mécanisme de l'automate, et pourtant c'est l'image d'un amour perdu qui demeure. Il y a un aspect très désenchanté dans le film, se terminant sur le visage perdu de Geoffrey Rush que vous filmez dans un long travelling arrière, au milieu du café. 

Je pense que ce n'est pas un amour fini. Il a quand même l'espoir qu'elle va revenir. Dans ce restaurant, il est là pour l'attendre. Pendant la promotion du film en Italie, lors d'une avant-première, un garçon m'a demandé : "Geoffrey Rush, il va dans ce restaurant par amour ou par vengeance ?" J'ai répondu : "Selon toi ?" et il m'a dit : "Par amour". Je le crois aussi.

- Une réplique m'a particulièrement frappée, lorsque le personnage de Claire affirme qu'il y a une touche d'authenticité dans chaque contrefaçon. Est-ce la morale du film ? 

Même un faussaire fait son travail avec passion ! Ils aiment d'ailleurs laisser une petite signature personnelle de leur œuvre, souvent indétectable. En effet, c'est une morale terrible parce qu'on est pas capable de distinguer le vrai du faux qui demeurent parfois inextricables ! Et c'est souvent très difficile de prétendre distinguer les deux choses ! 

- Comment avez-vous dirigé Sylvia Hoeks pour le personnage de Claire, qui est sans cesse entre le vrai et le faux ? 

J'avais écrit tout ce qu'elle fait derrière la porte, même si le spectateur ne la voit pas, et elle l'a interprétée de cette façon. Il n'y avait rien de faux. Ce qui m'intéressait, c'était le rapport physique qui s'instaurait entre Claire et Virgil alors qu'ils sont séparés par un mur. On a choisi l'épaisseur de la porte pour que cela soit plus réaliste. Ainsi, Geoffrey pouvait entendre les pas de Sylvia, ses respirations, ce qui a permis de rendre plus intense leur interprétation.


LA COMÉDIENNE SYVIA HOEKS 

 
- C'est votre premier rôle d'envergure dans une production internationale. Comment Giuseppe Tornatore vous a-t-il choisi pour le rôle de Claire ? 

Giuseppe m'a appelé après que Geoffrey Rush ait vu mon travail sur internet. Il pensait que je serais très bien pour jouer Claire. Je suis allé à Rome pour passer une audition et j'ai eu le rôle. Cela a été une expérience formidable de travailler avec des gens comme Geoffrey et Giuseppe. 

- Comment décririez-vous votre personnage ? 

Claire a peur de vivre, elle essaye de cacher quelque chose. Quant elle rencontre Virgil (Geoffrey Rush), elle se lie à lui car, comme elle, il ne se lie pas aux autres, il ne regarde pas les femmes dans les yeux, il ne fait que travailler. Aucun des deux ne vit comme une personne normale. Ils sont connectés de cette façon et c'est pourquoi l'amitié va naître entre eux, puis l'amour. Ils sont plus heureux ensemble, ils se donnent plus de chance l'un avec l'autre. 

- Au début du film, elle souffre d'une maladie étrange. Était-ce difficile de jouer un personnage aussi mystérieux ? 

La partie la plus difficile était celle où l'on entendait que ma voix, lorsque je suis derrière la porte et qu'on ne me voit pas. Vous ne pouvez pas utiliser votre visage, vos yeux, votre corps. C'était très excitant de faire passer toutes les émotions uniquement par la voix. Giuseppe m'indiquait les bonnes intonations afin de rendre le personnage encore plus intriguant. J'ai beaucoup appris en jouant de cette manière. 


- Il y a une séquence importante dans laquelle vous essayez la robe que Geoffrey Rush vous a offerte. Cette scène marque le début de leur histoire d'amour. C'est la première fois qu'on vous voit enfin à l'écran ! 

C'était une belle scène à interpréter. On a fait une ou deux prises et c'était bon parce que Geoffrey et moi avions beaucoup répété. On en a aussi beaucoup parlé avec Giuseppe. Le tournage a été très apaisé.

- Comment s'est passée votre collaboration avec Geoffrey Rush ? 

Très bien, c'est l'acteur le plus généreux que j'ai jamais rencontré. Je suis très admirative de son travail. Il était sur le plateau à deux cent pour cent ! Il adore répéter, revoir les scènes, en discuter.  On tournait seize heures par jour et le soir, au restaurant, on en reparlait ! Le film ne nous quittait pas. On était heureux de raconter une aussi belle histoire.

- Vous comparez Tornatore à un chef d'orchestre. 

Oui, car il a tout le film dans sa tête. C'est un vrai maestro !


Propos recueillis par Antoine Jullien

Italie - 2h10
Réalisation et Scénario : Giuseppe Tornatore 
Avec : Geoffrey Rush (Virgil Oldman), Jim Sturgess (Robert), Sylvia Hoeks (Claire), Donald Sutherland (Billy Whistler).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Aventi. 

2 commentaires:

  1. Très bon interview!

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  2. Bravo, belles prises et bel interview !
    "il y a une touche d'authenticité dans chaque contrefaçon"
    Voilà qui nous justifiera dans tout mensonge !

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