Pierre Salvadori sentait le besoin d'ouvrir de nouveaux horizons à une filmographie truffée de pépites lubitschiennes dont les plus savoureuses demeurent Après vous... et Hors de prix. En écrivant le scénario de Dans la cour, il envisageait de filmer un drame sans aucune scène comique. Son naturel d'auteur revenant au galop, Salvadori a préféré opter pour une comédie dépressive dont les deux instrumentistes seraient Catherine Deneuve et Gustave Kervern. Un casting surprenant pour un film qui ne l'est pas moins, même s'il ne convainc pas tout à fait.
L'histoire se déroule dans une cour d'immeuble où Antoine (Kervern) est engagé comme gardien après qu'il ait abandonné sa carrière de musicien. Il fait la rencontre de Mathilde (Deneuve) et de son mari (Feodor Atkine) qui habitent le quatrième étage. Lui, poli et mesuré, est quelque peu dépassé par les inquiétudes de sa femme qui se met à faire une fixation sur une fissure de leur salon. Entre Antoine et Mathilde, une curieuse solidarité va se nouer, empreinte d'une connivence partagée.
Catherine Deneuve
Un profond parfum de mélancolie se dégage du film et l'on comprend pourquoi Salvadori l'envisageait au départ comme un drame. La dépression est difficile à traiter au cinéma sans tomber dans le pathos et les lieux communs. Bien qu'ils différèrent sur plein d'aspects, Mathilde et Antoine se rejoignent dans ce même sentiment de honte et de peur mélangées qui les envahie et leur gâche l'existence. Gustave Kervern, qui se qualifie de "spécialiste de l'accablement", apporte une bonhommie presque affectueuse à son personnage contrebalancée par la folie douce de Catherine Deneuve. L'actrice, qui interprète pour la première fois une retraitée, semble de plus en plus vouloir lâcher prise et son jeu s'en ressent, alerte et libre.
Comme toujours chez lui, Salvadori aime faire la part belle aux seconds rôles. Du voisin persuadé de l'intrusion d'un étranger dans la cour à un ancien footballeur qui passe ses journées à se shooter dans son salon, le réalisateur compose une iconoclaste galerie de personnages. Ce sont les principaux ressorts comiques d'une intrigue qui s'en délaisse progressivement, à l'exception notable de la visite d'Antoine et Mathilde dans la maison d'enfance de cette dernière, l'une des rares échappées des protagonistes. Une scène qui aurait pu être émouvante mais qui devient réellement cocasse lorsque Deneuve reproche aux nouveaux propriétaires d'avoir changé toute la maison d'où elle ne reconnait plus rien. L'agitation passée, elle finira par dire : "Mon Dieu Antoine, vous avez vu ce que j'ai fait... Les gens sont avides de calme et de tranquillité, et moi je leur hurle dessus."
A l'image de ces fissures qui menacent de mettre tout le quartier en péril, l'angoisse devient le sujet central du film mais on sent que Salvadori n'assume pas totalement ce virage, à voir le final que l'on ne révèlera pas. Le film évoque pourtant les addictions qui nous minent et la dépression qui nous guette sans que le cinéaste ne s'en empare véritablement. Si Dans la cour est le film le moins allègre et sans doute le plus personnel de Pierre Salvadori, il lui manque le rythme (plutôt décousu ici) et le brio de ses œuvres antérieures pour nous emporter totalement.
Antoine Jullien
France - 1h37
Réalisation : Pierre Salvadori - Scénario : Pierre Salvadori et David Colombo-Léotard
Avec : Catherine Deneuve (Mathilde), Gustave Kervern (Antoine), Féodor Atkine (Serge), Pio Marmaï (Stéphane), Michèle Moretti (Colette).
Disponible en DVD chez Wild Side Vidéo.
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