"Sont-ils tous devenus fous ?" Tel est notre état d'esprit à la vue des images saisissantes du Procès de Viviane Amsalem. Pour leur troisième film ensemble, Ronit et Shlomi Elkabetz filment le combat d'une femme qui ne peut pas divorcer sans le consentement de son époux. En Israël, seul les rabbins peuvent prononcer un mariage ou une dissolution, le mariage civil étant proscrit. S'engage alors une lutte de plusieurs années où le tragique va le disputer à l'absurde.
Plus les années du procès découlent, plus on a l'impression d'assister à une nouvelle version du Procès de Kafka. Une femme qui n'aime plus son mari et ne veut plus vivre avec lui doit, au XXIème siècle, se justifier devant un ordre religieux qui ne pourra faire valoir sa décision qu'avec l'approbation pleine et entière du mari. Afin de récréer cette abbération, les cinéastes ont décidé de ne jamais sortir des murs du tribunal, l'action étant uniquement conscrite aux séances du procès, un choix judicieux accentuant le caractère ubuesque de la procédure.
Ronit Elkabetz
Leur mise en scène épouse le point de vue de chaque protagoniste en utilisant subtilement le hors champ ou l'arrière-plan. Ainsi, une femme témoignant en faveur de la plaignante se met à interpeller vigoureusement le jury, dénonçant de manière fleurie le sort des femmes dans son pays sous le regard amusé de Viviane placée derrière elle, qui se met à éclater de rire. Ces quelques moments savoureux permettent au spectateur de respirer avant de replonger dans cette atmosphère étouffante et presque irréelle, à la tension permanente.
Simon Abkarian
Et pourtant, Ronit et Shlomi Elkabetz nous interpellent sur des situations de cet ordre qui surviennent tous les jours dans leur pays, comme ils s'en expliquent : "Le Procès n'est pas seulement l'histoire de Viviane mais il est une métaphore de la condition de ces femmes qui se voient comme emprisonnées à perpétuité par la loi." Devant l'obstination du mari qui continue à refuser le divorce, son épouse n'abandonne pas la lutte, confrontée à un tribunal ambigu qui tend insidieusement vers une vision patriarcale de la civilisation. Le film devient une radiographie implacable de la société israélienne, victime d'un archaïsme religieux insensé. Lorsque les juges expliquent à Viviane de quelle manière elle doit recevoir l'acceptation de divorce de son époux, selon un rituel bien précis, on se dit alors que l'égalité entre les hommes et les femmes est encore, pour certains, une pure chimère.
Mais les cinéastes ne donnent jamais de leçon, ils ont l'immense qualité de ne pas juger leurs personnages. En évitant tout manichéisme, ils arrivent même à humaniser le mari, remarquablement interprété par Simon Abkarian. Dans son jusqu'au boutisme délirant, cet homme ne peut accepter que sa femme le quitte pour connaître d'autres hommes. Le film devient alors plus intime en posant des questions universelles sur le couple. Mais il demeure avant tout un vibrant plaidoyer, d'une pertinence et d'une sincérité admirables, pour toutes les femmes victimes de la domination des hommes. Une œuvre indispensable.
Antoine Jullien
Israël / France / Allemange - 1h55
Réalisation et Scénario : Ronit et Shlomi Elkabetz
Avec : Ronit Elkabetz (Viviane), Simon Abkarian (Elisha), Menashe Moy (Carmel), Sasson Gabai (Shimon).
Disponible en DVD chez Blaq Out.
merci pour votre analyse et votre lien sur AlloCiné.fr, vous dites mieux que moi l'impact de ce film: en effet, sont-ils devenus fous?
RépondreSupprimerquel choc! suspense, tension, émotions, absolue stupeur parfois; plus que de l'incrédulité face à certaines scènes... (vu il y a plusieurs jours et pourtant toujours là).
je ne sais plus trop à quoi je m'attendais, une sorte d'approche documentaire filmant les coulisses de tribunaux, quelque chose qui reste un peu à la surface, à l'extérieur...mais là, pas du tout, une vrai cocotte minute ce film! après qu'un des témoins de la femme dit, dans le 1er quart du film, ce que tout le monde pense et ce que devraient faire les juges et le mari...ce qui nous fait sourire une fois et même rire la femme...le film devient un écrou qui visse tous vos muscles au fauteuil; même la situation dans Buried, le film où un type se réveille dans un cercueil était moins étouffante! une scène de papier plié où le juge décrit enfin une procédure est absolument suréaliste...ce qu'elle doit faire avec ce papier serait digne des Monthy Pÿthons et leur silly walk mais là, c'est affligeant car pas drôle du tout et apparemment véridique (ce que je ne veux toujours pas encore croire)
...sans parler d'un personnage qui avec son pu***n de sac plastique m'a enragé, une ordure de première que je ne suis pas prêt d'oublier tellement il est énervant (surtout quand désespéré, perdant, il trouve un argument d'une rare bassesse et lui aussi incroyable). Je hais d'habitude les incrustations de date et lieu dans un film car me ramènent dans la salle et je crois qu'il y a d'autres moyens de donner ces indications mais là, elles sont "abasourdédifiantes"; ce mot existe pas mais je ne sais pas décrire ma stupeur à chacune de ces indications de durée au bas de l'écran!
PierreTwo