Après des débuts étincelants, Scarlett Johansson semblait devenir prisonnière du moule hollywoodien comme tant d'actrices avant elle. Et puis survient Under the skin. En acceptant ce projet éloigné des conventions, et après avoir rudement bataillé pour obtenir le rôle principal (d'autres prestigieuses collègues étaient sur les rangs), la comédienne a eu le mérite de s'abandonner à l'univers singulier d'un cinéaste rare, Jonathan Glazer. Auteur de Birth, qui voyait Nicole Kidman tombée sous l'emprise d'un petit garçon, le réalisateur nous propose un voyage intérieur et sensoriel qui pourra en laisser plus d'un sur le bord de la route.
L'identité du personnage incarné par Scarlett Johansson a été dévoilée un peu partout mais on peut le regretter car Jonathan Glazer distille un mystère savamment entretenu sur cette jeune femme qui appâte les hommes dans un van avant de les faire disparaitre. Qui est-elle ? Et quel est son but ? On ne le saura que dans le dernier tiers du métrage. Disons simplement que son apprentissage de l'humanité est le fil rouge d'une intrigue qui ne manque ni de trous ni de déliés.
Le cinéaste dit avoir réalisé un film semi-clandestin, dissimulant ses caméras à l'intérieur du van pour capter les réactions des malheureux badauds pris dans les filets de Scarlett Johansson. Il en a profité pour dépouiller l'actrice de tous ses apparats, la filmant à nu (au sens propre du terme) et la coiffant d'une improbable perruque noire. L'actrice devient une créature hybride, hyper-sexualisée mais dépourvue d'empathie. Ses rencontres avec ces hommes interpellés dans la rue sont des grands moments de tension larvée autant que le symbole d'une misère affective édifiante.
Car en situant son action dans une Écosse grisonnante et pluvieuse, aux teintes blafardes, le cinéaste ancre son récit dans une réalité qui traduit une terrible solitude contemporaine. Il réussit magistralement à incorporer cette vérité glauque à la dimension fantastique de son histoire. Le sommet étant atteint lorsque Scarlett Johansson emmène ses proies dans un taudis en bord de route afin de les tuer. Dans un décor uniformément noir, ses victimes sont soudain submergées par une substance inconnue avant d'éclater comme des poupées de chiffon. Jonathan Glazer parvient à donner une puissance stupéfiante à ses images qui nous tétanisent et nous envoûtent dans le même instant. Le travail sur le son contribue à rendre ces séquences définitivement marquantes.
A la vue des fulgurances parfois renversantes d'Under the Skin, on peut deviner les influences du réalisateur, à commencer par Stanley Kubrick, notamment dans la rigueur de ses cadrages, une impression renforcée par l'utilisation d'une musique dysharmonique très maîtrisée. Mais à la différence de son modèle, il manque un propos à Jonathan Glazer pour nous convaincre pleinement. Mettant l'accent sur d'inutiles personnages secondaires (quid de ce motard ?), aux motivations insondables, et enchaînant les séquences de manière un peu mécanique, le cinéaste finit par perdre de vue son sujet essentiel : l'impossible renaissance d'une créature qui se met à découvrir les vertus de notre (in)humanité. Malgré ses imperfections et ses limites évidentes, allez découvrir cette œuvre à la lisère de l'expérimentation. Même si ce mot peut faire peur, ce cinéma doit exister. Et être regardé.
Antoine Jullien
Grande-Bretagne - 1h47
Réalisation : Jonathan Glazer - Scénario : Walter Campbell et Jonathan Glazer d'après le livre de Michael Faber
Avec : Scarlett Johansson (Laura), Jeremy McWilliams (L'homme mauvais), Lynsey Taylor Mackay.
Disponible en DVD et Blu-Ray chez Diaphana.
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