jeudi 29 septembre 2011

We need to talk about Kevin


Des fragments disséminés comme des morceaux d'un puzzle que le spectateur doit reconstruire dans sa tête. Des images fortes, altérnant le passé et le présent d'Eva. On devine bien qu'un drame épouvantable est survenu sans en mesurer encore les tenants et les aboutissants. Avec une puissance cinématographique stupéfiante, Lynne Ramsay nous emmène dans le paysage mental de son personnage avant de nous montrer les causes qui ont conduit au désastre.

Eva a mis ses ambitions professionnelles entre parenthèses lors de la naissance de Kevin. La communication entre mère et fils va se compliquer jusqu'à l'adolescence du garçon qui va commettre un acte irréparrable. 

Tilda Swinton

La mise en scène volontairement déstructurante de la première partie n'est en rien une coqueterrie. La réalisatrice souhaite nous immerger immédiatement dans le chaos et la confusion d'Eva grâce à un incroyable sens du montage et à un symbolisme un peu appuyé où le rouge domine tous les pores de l'image, comme une souillure dont Eva ne peut se défaire. L'intensité du récit va monter crescendo lorsque l'on en découvre le sujet essentiel : la relation parent-enfant. Le trouble est palpable dès l'accouchement, tourné comme une scène d'horreur avec les cris d'Eva déformés par la lampe de la salle d'opération. Il se prolongera pendant les premiers mois du bébé qui ne cesse de crier. La jeune mère ne trouve alors d'autre solution que d'arrêter son landau au milieu des marteaux-piqueurs d'un chantier. Cette image, glaçante, n'est en réalité qu'un préambule. 

Filmées dans une pénombre pluvieuse, les scènes d'amour entre Eva et son mari contrastent violemment avec leur maison d'un blanc immaculé, théâtre de l'affrontement entre la mère et son fils. Cette relation anxiogène semble dans un premier temps portée par la responsabilité de la mère qui ne désire pas son fils. Mais plus les années passent et plus le bambin se montre d'une cruauté sans faille, atteignant des sommets de perversion. Le film pose alors cette question taboue: peut-on engendrer le mal ? Loin du cinéma fantastique qui imprimerait une plus grande distance avec le spectateur, Lynne Ramsay inscrit son film dans un cadre réaliste et concret qui amplifie un malaise de plus en plus étouffant.


Par son interprétation énigmatique qui ne verse jamais dans l'émotionnel complaisant, Tilda Swinton prolonge le mystère. L'actrice, qui n'aurait pas volé son prix d'interprétation lors du dernier festival de Cannes, garde sans cesse sa dignité malgré les épreuves que lui fait endurer son fils. We need to talk about Kevin, un titre d'une ironie acide qui est aussi la métaphore d'un couple en plein délitement devant l'incompréhension et l'absence de dialogue. 

Sans révéler de clefs, Lynne Ramsay nous oblige à faire notre propre interprétation sur notre culpabilité vis-à-vis de notre progéniture, nous laissant fasse à nos doutes jusqu'à la bouleversante dernière séquence, un adieu où pour la première fois Kevin, démuni, semble lever un coin du voile. Avant que les portes de la prison ne s'ouvrent vers l'inconnu. 

Antoine Jullien



DVD disponible chez Diaphana Video.

3 commentaires:

  1. Un ami m'a dit qu'il avait beaucoup aimé le film mais qu'il était, selon lui, déconseillé aux femmes enceintes :-)

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  2. Ce film n'est pas sans rappeler "Elephant" de Gus Van Sant tout en s'y opposant: le détachement glacial de Van Sant est remplacé ici par une tension torride d'un bout à l'autre du film. Le documentaire sans prétention explicative fait place à l'exposé du mystère de cette relation mère-fils morbide. C'est précisément ce soit-disant mystère qui me pose problème parce que dans ma vie de psychiatre je rencontre ce type de pathologie couramment, même si ça n'évolue jamais jusqu'à cette extrémité. Avec la banalisation de la psychopathologie dans la culture contemporaine et singulièrement au cinéma, il devient difficile d'ignorer la morbidité des mécanismes projectifs dans les relations parents-enfants et leur racine inconsciente transgénérationnelle. Le pari documentaire de Van Sant me parait plus honnête que la mise en scène artificielle par Lynne Ramsay d'un mystère gratuit. Dans la réalité le meurtre paye toujours une dette familiale. Ce n'est pas forcément plus rassurant mais ça nous éloigne de la pensée aliéniste latente qui tend vers la solution finale: "enfermez les fous !"

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