mercredi 15 février 2012

La Taupe


Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? John Le Carré, le célèbre auteur de romans d'espionnage, lui-même ancien agent du MI6, aime à parfaire cet adage au point que ces livres deviennent de véritables rébus qu'il est parfois difficile de déchiffrer. Tomas Alfredson, le talentueux cinéaste de Morse, a sans doute été attiré par cet aspect de l'univers de l'écrivain. Il en profite ainsi pour mettre sa science de la mise en scène au coeur d'une intrigue tortueuse qui voit ressurgir les fantômes de la Guerre Froide. Mais l'exercice peut comporter quelques risques qu'Alfredson n'esquive pas toujours. 

1973. Suite à une mission ratée en Hongrie, le patron du MI6 (John Hurt) se retrouve sur la touche avec son fidèle lieutenant, Georges Smiley (Gary Oldman). Pourtant, celui-ci est bientôt réengagé sur l'injonction du gouvernement qui craint qu'une taupe soviétique se cache au sommet du Circus, le siège des services secrets britanniques. Epaulé par le jeune agent Peter Guillam, Smiley va tenter de débusquer la taupe mais il est rattrapé par ses anciens liens avec un redoutable espion russe, Karla. 

Gary Oldman

Le rideau de fer semble s'être à nouveau abattu à l'entame de La Taupe : décors gris, costumes ternes, lunettes carrées, tout le décorum de cette époque est minutieusement reconstitué par Tomas Alfredson. Une récréation visuellement splendide où chaque détail présent à l'image parle au spectateur de même que cette mise en scène très géométrique de l'espace qui interpelle et qui confirme les espoirs placés en un cinéaste pourtant étranger à l'atmosphère britannique. Un suédois au cœur des secrets d'alcôves de Sa Majesté représentait d'ailleurs le principal attrait de cette nouvelle transposition des pérégrinations de Georges Smiley après une série télévisée très connue en Grande Bretagne où l'espion avait les traits d'Alec Guiness. 

Colin Firth

Mais cette étrangeté apporte aussi une profonde distanciation qui met plus d'une fois le spectateur au bord de la route. On ne peut pas reprocher à Tomas Alfredson de faire "travailler" le public mais il observe ce jeu de dupes en complexifiant à outrance une histoire alambiquée sans qu'à un seul instant il en définisse réellement les enjeux. Et là est le nœud du problème. Pour quelle raison tourner aujourd'hui un film d'espionnage au temps de la guerre froide ? On ne voit pas très bien pourquoi Tomas Alfredson s'est lancé dans ce projet au delà du brillant exercice de style. Et s'il s'agissait d'évoquer de manière réaliste la vie des agents secrets, le film arrive après des chefs d’œuvres (L'Affaire Cicéron, Les 3 Jours du Condor, Conversation secrète) et des films plus récents qui ont dépouillé le personnage de l'espion de son côté glamour et héroïque (Raisons d'état, Munich).

Malgré la qualité des interprètes, Gary Oldman en tête, le film souffre surtout d'un déficit d'incarnation. Des figures, spectres d'un temps cinématographique révolu, se débattent au milieu des complots et des trahisons mais le cinéaste ne leur donne pas de chair. Ses illustres prédécesseurs, eux, posaient des conflits et des problématiques humains qui semblent ici totalement échapper à Tomas Alfredson. Si le cinéaste délivre un "thriller" aux contours fascinants, il n'en demeure pas moins relativement vain, subissant de sérieuses chutes de régime au milieu du gé. A trop vouloir impressionner son monde, le réalisateur en a oublié l'essentiel : l'émotion, au sens très large du thème, qui est cruellement absente. 

Antoine Jullien


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