Lewis Carroll pouvait-il imaginer que, plus d'un siècle après sa parution, son Alice au Pays des merveilles allait encore fasciner des générations de spectateurs ? Et que l'un des plus prestigieux cinéastes américains fasse l'évènement avec une adaptation estampillée 3D ? Le pouvoir des mots traverse les époques sans se soucier des modes. Tim Burton, lui, a décidé d'utiliser la technologie la plus pointue au service d'une histoire universelle qui devrait plaire au plus grand nombre.
Depuis quelques films, le réalisateur d'Edward aux mains d'argent s'est spécialisé dans la reprise des classiques de la littérature enfantine en y injectant une part de son univers sombre et bariolé. Mais à chaque oeuvre passée, le style du cinéaste se diluait dans une imagerie sage et policée. Alice au pays des Merveilles, produit par Disney avec un budget colossal, ne dévie pas de sa trajectoire et risque de fâcher davantage les puristes de la première heure.
Le cinéaste a su marier différentes techniques avec une virtuosité et une habileté dignes des plus grands spectacles hollywoodiens. Le mélange d'acteurs en chair et en os et de créatures numériques, le savant dosage entre le fantastique et le conte prouvent encore une fois le talent de Tim Burton qui s'est servi du relief pour nous immerger davantage même si l'utilisation de la 3D est moins convaincante que dans Avatar car contrairement à James Cameron, Burton n'a pas tourné directement en relief stéréoscopique. Le film peut donc se voir aisément en 2D sans que le plaisir du spectateur soit atténué.
Mais dans cette machinerie trop bien huilée, aucun grain de folie ne vient s'emparer des personnages. Heureusement, dans le château de la méchante Reine Rouge, plastiquement somptueux, Burton s'en donne à coeur joie grâce à la composition d'Helena Bonham-Carter, grotesque et pathétique dans un habit trop grand pour elle, et entourée d'un étonnant bestiaire, les grenouilles serviteurs demeurant une des plus réjouissantes trouvailles d'un film qui n'en manque pas mais qui n'arrive que rarement à dépasser la simple prouesse visuelle pour emmener le spectateur vers un ailleurs plus incongru.
Trop lisse, alors ? Tim Burton, dans l'hypothèse qu'il doit réaliser un grand film familial, ne pouvait pas livrer une lecture psychanalysante du roman de Lewis Carroll qui a été l'objet des analyses les plus poussées, certains philosophes le considérant comme une oeuvre somme sur l'acceptation de grandir et la crise identitaire d'une jeune fille qui va, au contact d'un monde contestataire, se muer en jeune femme. Tim Burton a préféré privilégier l'action au détriment de l'émotion. Peu de séquences resteront en mémoire mais plutôt le souvenir d'un grand spectacle impeccable qui à chaque instant respecte le spectateur. En ayant bien rempli sa mission, le prochain président du Festival de Cannes peut dormir sur ses deux oreilles.
Antoine Jullien
Antoine Jullien
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