Qu'un cinéaste majeur devienne un acteur animé, tel est le pari courageux et presque désuet lancé par Sylvain Chomet. Il y a sept ans, le réalisateur nous avait conquis avec ses Triplettes de Belleville qui refusait la vague 3D pour adopter un dessin brut et rétro. Après ce succès critique et public, Sophie Tatischeff, la fille de Jacques Tati, lui propose d'adapter un scénario de son père jamais tourné. Chomet accepte.
Un vieux music-hall parisien. Au milieu de la scène, un grand échalat propose son éternel tour de magie. Mais entre un public clairsemé et un lapin survitaminé, le bonhomme a bien du mal a résister au temps. Après un bref passage à Londres, il décide d'utiliser ses talents d'illusioniste en Ecosse où il rencontre une jeune femme qui le prend pour un vrai magicien. Une étrange relation va se nouer entre les deux êtres...
Dès les premières images, la patte Chomet est à l'oeuvre. L'art du détail, si cher au cinéaste des Vacances de Mr Hulot, nourri chaque plan fixe dans lequel le spectateur s'amuse à repérer l'élément incongru. Certaines séquences sont baignées d'une tristesse enjouée, comme lorsque l'illusionniste tente à plusieurs reprises de succéder au jeune groupe de rock du moment sans y parvenir. Derrière lui, on distingue le régisseur las et incrédule, témoin du désintérêt porté par la nouvelle génération aux magiciens de bric et de broc.
L'arrivée en Ecosse est un moment de grâce absolu. La rudesse de l'île, avec ses couleurs mordorées et ses trognes patibulaires, est en parfait contrepoint avec la douce poésie de Tati. Chomet n'hésite pas à jouer avec le mimétisme du personnage, l'appelant Tatischeff et restituant merveilleusement la gestuelle si particulière de l'acteur cinéaste. Et, de même que dans Les Triplettes de Belleville, le film est quasiment muet, avec ça et là quelques borborygmes inintelligibles qui font tout le charme de ce cinéma hors du temps.
Mais Chomet ne retrouve pas le burlesque des Triplettes ni son humour singulier. Peut-être écrasé par l'hommage à Tati, le cinéaste devient répétitif et perd le rythme de son histoire. La relation entre Tatischeff et la jeune femme n'est pas vraiment aboutie et l'on ne sait jamais s'il s'agit d'un rapport filial ou d'une histoire d'amour naissante. Et, faute à un scénario un peu dilettante dans la deuxième partie, le cinéaste se montre moins convaincant.
Mais une seule image restera gravée, celle du personnage animé Tatischeff entrant dans une salle de cinéma où l'on joue Mon Oncle. Une troublante mise en abyme se fait jour et l'on est saisi par ce face à face délicat entre Hulot et Tatischeff, deux artistes qui ne seront jamais à leur place : Hulot ne veut pas rester dans la maison de sa soeur tout comme Tatischeff se voit contraint de quitter le cinéma. Deux symboles d'un art fragile, loin des modes. Qu'un créateur et sa créature dialoguent de cette façon est le plus bel acte d'admiration que pouvait réaliser Sylvain Chomet. On lui tire notre chapeau !
Antoine Jullien
Antoine Jullien
Ce que j'adore dans ce blog, ce sont les expressions qui y sont employées qui, de par leur beauté, me laissent perplexe, sinon pantois. Je me disais bien que Morodor signifiait quelque chose. Mais j'ai dû tout de même me gratter un peu la tête (et ouvrir mon bien aimé dictionnaire) pour découvrir que "mordorées" était un adjectif ne qualifiant rien d'académique.
RépondreSupprimerEt je trouve, personnellement, qu'un article qui est en soi une critique, et qui devient lui même sujet à critique, voir à étude, comme étant un brillant panache mettant en lumière un auteur talentueux, qui de ce fait, mérite le droit de critiquer (d'une pointe acrimonieuse parfois) ces bons films qu'il nous donne en sus envie de regarder.
Ce petit paragraphe où trogne côtoie borborygme aurait soulevé mon enthousiasme comme l'aurait fait une pichenette de Zidane sur un tifozi. Je fais la hola tout seul en ce moment, mais il n'y a que moi pour apprécier mon ridicule... et que moi pour en rire :)
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