mercredi 22 décembre 2010

Revue des fêtes

ANOTHER YEAR / UN BALCON SUR LA MER / ARMADILLO / LE PRESIDENT / MYSTERES DE LISBONNE

La période de Noël est propice aux sorties en tous genres. Voici une sélection de longs métrages visibles pendant les fêtes. 

Commençons par "le grand oublié du Festival de Cannes" dixit de nombreux journaux, le bien nommé Another Year de Mike Leigh, soit une année ordinaire dans la vie d'un couple ordinaire avec des gens qui le sont un peu moins. Depuis Secrets et Mensonges, on aime le penchant humaniste de Mike Leigh qui sait dépeindre des personnages dans leur vulnérabilité et leur détresse en n'oubliant jamais quelques pointes d'humour ici et là. Cette fois, le cinéaste n'a pas de grand sujet à traiter (la maternité nouvelle, l'avortement), il filme des êtres paumés qui vont trouver en Tom et Gerry (belle trouvaille !) le réconfort attendu. Un couple comme on en voit plus, paisible, sincère, s'aimant après trente ans de vie commune. Leur vie familiale est aussi sans histoires. Le cinéaste ne remet jamais en cause cette vie bien réglée mais la bouscule légèrement par les personnages périphériques qui gravitent autour d'eux. Lesley Manville, une fidèle du réalisateur, campe une Mary alcoolique et larguée, ne trouvant sa place nulle part. Le frère de Tom, beau personnage taciturne, apporte de la gravité dans ce film faussement gai. Maîtrise de la mise en scène, interprétation idoine des comédiens, Another Year est une mécanique des saisons parfaitement huilée. Refusant la dramatisation, Mike Leigh filme le temps qui passe avec une justesse et une économie de chaque instant mais n'apporte rien de neuf à sa filmographie. 

Un balcon sur la mer devait donner au bien aimé Jean Dujardin son grand rôle dramatique. Hélas, l'acteur, plutôt bon, ne sauvera pas le nouveau film de Nicole Garcia. La réalisatrice qu'on a connu plus inspirée a voulu courir trop de lièvres à la fois : l'enfance oubliée, le thriller hitchockien, la crise identitaire. Elle se perd dans les méandres d'un passé algérien qui lui est personnel (elle est née là-bas) sans que l'on ressente l'implication suffisante. Reste de belles images d'Oran au petit matin, une interprétation troublante de Marie-Josée Croze et certains passages réussis. Mais, de flash-backs explicatifs en dialogues poussifs, la réalisatrice ne trouve jamais le ton juste. Après le médiocre Selon Charlie, Nicole Garcia est décidément sur une mauvaise passe. 

Grand Prix de la Semaine de la Critique à Cannes, Armadillo est un documentaire choc sur des jeunes appelés danois partis en Afghanistan. Dès les premières séquences, très "hollywoodiennes", le doute s'installe quant à la véracité des images. La suite confirmera cette désagréable impression de manipulation. Comme dans un bon scénario qui rappelle l'excellent Jarhead, les soldats s'ennuient puis, après avoir perdu un des leurs, se font plaisir en exécutant des talibans. Tendancieux, extrêmement ambigu, le film peut se voir comme un manifeste pro-militariste particulièrement déplaisant. Sans point de vue, le réalisateur Janus Metz suit ses hommes au coeur d'un bourbier et les filme comme s'il les mettait en scène. Esthétisant, ce "faux" documentaire n'apporte aucune perspective géopolitique sur un conflit qui a déjà fait des milliers de morts même si l'on voit bien le décalage grandissant entre les soldats et la population, première victime des talibans. Autant voir ou revoir Démineurs de Kathryn Bigelow qui ne s'embarrassait pas de considérations psychologiques mais se révélait diaboliquement efficace. 

Aucun sentiment de détournement en revanche à la vision du formidable documentaire d'Yves Jeuland Le président consacré à Georges Frêche décédé en octobre dernier. L'ancien président de la région Languedoc-Roussillon avait accepté de se laisser filmer sans aucun droit de regard sur le montage final. Une initiative rare qui permet au réalisateur de brosser une image cruelle et incisive de ce franc-tireur. Toujours à bonne distance de son sujet, ne cédant ni à la complaisance ni à la facilité, Jeuland filme Frêche et son entourage en pleine campagne électorale. Dans la tempête de ses propos douteux sur Fabius, les Harkis et les noirs en équipe de France, Frêche se révèle être un "tueur" comme il l'avoue lui-même, redoutable et affable, populiste à ses heures, s'érigeant en victime d'un Parti Socialiste qu'il l'a exclu. Le réalisateur montre surtout les moeurs politiques locales qui n'ont rien à envier à celles de  nos ténors nationaux. Dans une séquence glaçante, sans doute la plus importante, Jeuland filme Frêche et sa cour mangeant, buvant, ripaillant où "le Président" avoue avoir menti sur son père lors d'un meeting pour émouvoir les foules. Le cynisme, la manipulation, le pouvoir ne semblent alors que les seuls moteurs d'hommes prêts à tout pour rester en place. De conseillers en communication obnubilés par l'image de leur maître aux journalistes séduits par cet iconoclaste, le Président est le portrait authentique d'un monarque tout puissant. Indispensable. 

Enfin, nous ne pouvons pas terminer cette revue sans évoquer brièvement le Prix Louis Delluc 2010, soit l'une des plus prestigieuses récompenses françaises du cinéma, remis aux Mystères de Lisbonne de Raul Ruiz. Tourné majoritairement en portugais, le film fait s'entrecroiser un abbé confident, une comtesse blessée, un marquis bafoué et tant d'autres personnages qui gravitent à travers les époques. D'une impressionnante virtuosité narrative, le cinéaste chilien nous embarque dans ce feuilleton romanesque d'une durée de 4h25 ! (un peu long certes). Projet atypique dans le paysage cinématographique mondial, Mystères de Lisbonne mérite qu'on s'y perde car l'élégance et le raffinement de la mise en scène nous offrent de beaux écrins. Mais l'on regrette que le réalisateur n'ait pas davantage poussé ses expérimentations formelles comme il avait su si bien le faire dans sa très belle adaptation de Proust, le Temps retrouvé. Si vous ne pouvez pas le découvrir sur grand écran, le nombre de salles étant très limité, vous pourrez vous rattraper sur Arte qui diffusera prochainement une version télévisée de six heures ! A bon entendeur.

Antoine Jullien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire