mercredi 8 juin 2011

Une séparation


Asghar Farhadi fait partie des ces rares cinéastes qui bouleversent notre vision de la société. Contrairement à certains de ses confrères iraniens qui filment leur pays dans la clandestinité (voir Cannes Jour 5), le réalisateur d'A propos d'Elly réussit (mais pour combien de temps ?) à éviter la censure et ainsi nous montrer la société iranienne comme on ne l'avait encore jamais vue. Car au-delà d'une radiographie d'un pays qui nous semblerait, tant par son système que par ses traditions, loin de nous, Asghar Farhadi tend vers l'universel grâce à sa description des rapports humains, d'une force peu commune. 

Lorsque sa femme le quitte car elle souhaite vivre à l'étranger, Nader engage une aide-soignante pour s'occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l'accord de son mari, un homme psychologiquement instable... 

Le réalisateur Asghar Farhadi

Il est préférable de ne pas trop en dire tant Une séparation se nourrit de situations inattendues et de comportements qui ne le sont pas moins. Le film oppose deux familles, l'une issue d'une classe plutôt aisée dont les époux sont séparés mais qui, pour un temps, vont tenter de se reformer et l'autre, plus pauvre et fortement ancrée dans la religion. Cette confrontation offre au long métrage des instants de tension insoupçonnés que le cinéaste décuple grâce à une caméra discrètement mobile qui capte les mouvements, parfois incontrôlés, de ces protagonistes emportés par une soif de justice et de vérité. Grâce à cet Iran que le réalisateur filme de manière si familière, on se trouve d'autant plus touché par le drame qui se joue devant nous, aux ramifications multiples. 

Mais c'est la complexité de l'être humain qu'Asghar Farhadi saisit de manière éclatante. Rarement on  aura éprouvé de tels sentiments contradictoires devant un film car le point de vue que l'on pouvait avoir sur l'un des personnages se trouve brusquement balayé par la scène suivante. Dans cette palpitante intrigue, chacun a ses raisons qui peuvent toutes nous sembler justes. Un scénario d'une extraordinaire finesse psychologique sans qu'à aucun moment le cinéaste ne veuille délivrer de message. Le spectateur, lui, la gorge serrée et le souffle coupé, a le coeur qui palpite tant cette histoire finit par le passionner.

Leila Hatami et Peyman Moadi, primés au Festival de Berlin

Le cinéaste a eu le suprême talent de ne jamais porter de jugement sur aucun des protagonistes et lorsque le film s'achève, on ne mesure pas encore avec quelle intensité il a conduit son récit. Soudain, les problèmes humains se confrontent aux problèmes de la société iranienne et Asghar Farhadi dresse alors un tableau sans concession de l'asservissement de la religion et surtout de la place des femmes. L'une et l'autre, diamétralement opposées, incarnent deux portraits de la femme iranienne dans toute leur humanité. Selon le cinéaste, "l'affrontement entre elles n'est pas celui du bien et du mal. Ce sont simplement deux visions contradictoires du bien. Et c'est en cela qu'il s'agit d'une tragédie moderne. Le conflit éclate entre deux entités positives, et j'espère que le spectateur ne souhaitera pas que l'une triomphe au détriment de l'autre". Aucune ombre de victoire à la sortie du film mais une incertitude qui ne trouvera pas de réponse. En revanche, la seule assurance que l'on ait est que l'on vient d'assister à un film d'une très grande ampleur, l'Ours d'or le plus incontestable depuis longtemps. 

Antoine Jullien 



Retrouvez le compte-rendu du DVD/Blu-Ray d'Une Séparation ICI

2 commentaires:

  1. magnifique et très juste critique qui résume absolument (et de belle manière!) ce que je pense de ce film.merci et bonne continuation!

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