vendredi 31 janvier 2014

Césars et Oscars 2014 : les nominations

 
MISE A JOUR LE 28 FEVRIER.

C'est un week-end riche en récompenses qui s'annonce. Ce soir aura lieu la 39ème cérémonie des Césars. Au regard de la médiocrité générale de notre cinéma hexagonal, les votants se sont efforcés de retenir les quelques bons films sortis l'an passé. Et c'est l'excellent Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne qui décroche la timbale avec 10 citations dont plusieurs dans les catégories reine. Mais il devrait très probablement être battu par le bulldozer La Vie d'Adèle (8 nominations) qui repartira avec les principaux trophées (non que ce soit un souhait mais une quasi certitude). On notera à ce propos que les deux comédiennes du film de Kechiche, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, ne sont pas nommées dans la même catégorie, "meilleure actrice" pour la première et "meilleur espoir féminin" pour la seconde. Discutable. 

Parmi les autres nommés, citons L'Inconnu du lac d'Alain Guiraudie (8 nominations), La Vénus à la fourrure de Roman Polanski (7 nominations) et Le Passé d'Asghar Farhadi (5 nominations). Distingué dans 6 catégories, Albert Dupontel prend une sacré revanche avec 9 mois ferme (on regrette tout de même l'absence de Nicolas Marié en irrésistible avocat bègue), qui pourrait valoir un César de la meilleure actrice à Sandrine Kiberlain, ce qui ne serait que justice. Mais elle devra affronter deux grandes dames, Catherine Deneuve dans Elle s'en va et Fanny Ardant dans Les Beaux Jours qui ont marqué l'une et l'autre de leur empreinte ces deux beaux portraits de femme.

Sandrine Kiberlain dans 9 mois ferme, l'une des favorites pour le César de la meilleure actrice

Parmi les absents, citons le pourtant réussi Jeune & Jolie de François Ozon, Au bout du conte d'Agnès Jaoui (qui n'a plus la côte semble-t-il) et le très romanesque Le Temps de l'aventure de Jérôme Bonnell. Enfin, comment ne pas être interloqué, d'une part face au choix de remettre un César d'honneur à Scarlett Johansson alors qu'à seulement 29 ans, sa carrière est loin d'être achevée, d'autre part devant la nomination surprise accordée à Julie Gayet comme meilleure actrice dans un second rôle pour Quai d'Orsay. Autant la présence de Niels Arestrup est une évidence (il pourrait remporter un troisième César), autant celle de mademoiselle Gayet est incompréhensible. Elle peut certes célébrer sa première distinction à cette cérémonie (enfin!) mais peut-être pas pour de bonnes raisons. 

Alfonso Cuaron dirigeant ses acteurs sur le tournage de Gravity, 
grand favori pour l'Oscar du meilleur réalisateur

Les 86ème Oscars verront s'affronter trois grands favoris : le sur-estimé American Bluff de David O. Russell (9 nominations), le puissant mais classique 12 Years a slave de Steve McQueen (9 nominations) et le novateur Gravity d'Alfonso Cuaron (10 citations) qui devrait valoir au cinéaste son premier oscar du réalisateur après ses récents succès aux Golden Globes, Directors Guild Awards et Bafta.

L'Oscar du meilleur acteur se jouera entre Matthew McConaughey dans Dallas Buyers Club et Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street (qui n'a cette fois pas été snobé par l'académie). Mais la performance du premier, plus gratifiante aux yeux des votants, devrait récompenser l'incroyable deuxième carrière du comédien. Si DiCaprio repart une fois encore bredouille, il pourra, comme Al Pacino en son temps, espérer avoir un oscar dans vingt ou trente ans, soit pour un film mineur soit pour l'ensemble de sa carrière. 

En revanche, la statuette ne devrait pas échapper à Cate Blanchett pour son éblouissante interprétation dans Blue Jasmine de Woody Allen (nommé pour le meilleur scénario) de même que le revenant Jared Leto en travesti dans Dallas Buyers Club pour le meilleur second rôle. Quant au nouveau film de Spike Jonze, Her (en salles le 19 mars), il pourrait valoir au cinéaste un Oscar mérité du meilleur scénario orignal.

On regrettera tout de même l''absence incompréhensible du suffocant Prisoners de Denis Villeneuve qui se distingue uniquement par la photographie de Roger Deakins, grand chef opérateur nommé pour la onzième fois et qui est toujours reparti bredouille.

Et croisons les doigts pour le frenchie Ernest et Célestine qui concourt pour le meilleur film d'animation. Face au géant Disney et La Reine des Neiges, ce sera David contre Goliath. Why not ? Réponse dans la nuit du 2 au 3 mars. 


mercredi 29 janvier 2014

Dallas Buyers Club


"Il ne faut jamais désespérer", tel pourrait être le slogan de Dallas Buyers Club. D'une part, le scénario du film est passé de main en main, accouchant de projets sans cesse avortés avant d'être finalement confié au réalisateur canadien Jean-Marc Vallée (auteur de C.R.A.Z.Y.). D'autre part, le pronostic vital de Ron Woodroof ne devait pas excéder trente jours, et il vécut sept ans avant que le sida ne le tue. Ron Woodroof a réellement existé et, dans les années 80, atteint du V.I.H., il s'est fait connaître pour avoir commercé illégalement des médicaments afin de lutter contre le virus en dépit des mises en garde et des attaques de la puissante FDA (Food and Drug Administration), prouvant ainsi l'inefficacité du traitement recommandé par les pouvoirs publics.

Dans ce rôle d'homophobe prompt à tous les excès, il y a Matthew McConaughey. Depuis quelques films, l'acteur entame une deuxième carrière, aussi terrifiant en policier pourri dans Killer Joe qu'en fugitif au grand cœur dans Mud. Il a perdu plus de vingt kilos pour incarner Woodroof et habite le film de sa présence singulière. Avec ce visage émacié et cette dégaine de cowboy texan fragilisé par la maladie, il impressionne une fois encore et pourrait voir un Oscar couronner sa performance. A ses côtés se trouve un revenant, Jared Leto, absent des écrans depuis plusieurs années, qui émeut dans la peau d'un travesti associé à l'entreprise de Woodroof. Transfiguré, le comédien ne tombe jamais dans la caricature et accompagne superbement la "résurrection" de son acolyte.

Jared Leto et Matthew McConaughey

Jean-Marc Vallée sait filmer ces marginaux considérés comme des pestiférés. De motels glauques en bars redneck en passant par des rodéos arrangés, le cinéaste scrute une Amérique en dé sérance. Il le fait sans épate, sans lumière artificielle ni caméra à l'épaule ostentatoire. Il semble également prendre un malin plaisir à filmer un être amoral qui veut faire le bien. Il pâtit en revanche d'un scénario trop elliptique qui a tendance à simplifier le combat mené par son protagoniste, opposant un peu facilement les bons aux méchants. Et il se trouve moins inspiré sur son casting féminin, confiant à Jennifer Gardner un rôle qu'elle a du mal à endosser. Malgré ces réserves, Dallas Buyers Club apporte un regard nouveau sur le sida et la perception que l'on peut en avoir. Il montre enfin que la lutte de Woodroof n'aura pas été vaine.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h57
Réalisation : Jean-Marc Vallée - Scénario : Craig Morten et Melisa Wallack
Avec : Matthew McConaughey (Ron Woodroof), Jared Leto (Rayon), Jennifer Garner (Eve).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez TF1 Vidéo.

12 years a slave



Premier film américain de Steve McQueen, 12 years a slave récolte depuis sa sortie lauriers et récompenses et devrait figurer en bonne place aux prochains Oscars. Le cinéaste britannique a décidé d'adapter le livre méconnu de Salomon Northup qui relate son histoire d'homme libre, enlevé puis vendu comme esclave en 1841. Il passera douze années au service d'un propriétaire sadique d'une plantation de coton avant de recouvrer, enfin, la liberté.

Steve McQueen a marqué d'une empreinte indélébile ses deux premiers longs métrages, Hunger et Shame, oeuvres d'une puissance plastique et dramatique stupéfiante. Le cinéaste allait-il faire quelques concessions dans les contours d'un cinéma plus grand public ? Rassurons-nous, le cinéaste conserve bien son intégrité artistique et fait preuve une nouvelle fois d'une grande rigueur formelle. Il a surtout voulu éviter le piège du sentimentalisme, son regard ne versant jamais dans l'apitoiement ou la compassion forcée. Il nous donne à voir, crûment, les sévices infligés à cet homme mais c'est davantage la déshumanisation du monde qui l'entoure qui choque et interpelle. Une scène, magistrale, résume à elle seule l'Amérique au temps de l'esclavage : Solomon est pendu à un arbre, agonisant durant de longues heures, ses pieds pataugeant dans la boue, alors qu'autour de lui les autres esclaves l'ignorent, continuant leur labeur. Le poison de l'esclavagisme réside dans cette séquence : l'être humain n'est plus, il survit. 

Michael Fassbender et Chiwetel Ejiofor

Steve McQueen renforce cette perspective en s'abstenant de filmer la camaraderie et la complicité entre les victimes, à l'exception de l'enterrement de l'un des leurs où ils se mettent à chanter. Le réalisateur isole alors Salomon dans le plan et nous fait partager avec lui cet instant poignant. Mais le cinéaste conserve durant tout le film une distance assumée qui freine par moment la dramaturgie, ne provoquant pas d'empathie pour les personnages. On suit le calvaire de Solomon froidement, bousculé par la cruauté dont il est victime sans pour autant être bouleversé. A l'inverse de Tarantino dans Django Unchained qui se servait de la Grande Histoire pour mieux la dynamiter, McQueen s'en tient à son sujet au risque de flirter avec l'académisme (Brad Pitt en bon samaritain n'est pas la meilleure idée du film). 

On préfèrera évoquer un beau classicisme qui donne la part belle aux acteurs : Chiwetel Ejiofor dans le rôle titre, entouré de Michael Fassbender en tyran psychotique et la révélation Lupita Nyong'o forment une intense distribution qui nous ramène, par la force de leur inteprétation, à un nécessaire rappel d'une page de notre histoire où l'homme considérait ses semblables comme sa propriété dont il pouvait abuser en toute impunité. C'était il y a moins de deux cent ans. Et cette mentalité existe toujours, sous une autre forme. On appelle cela l'esclavage moderne.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h15
Réalisation : Steve McQueen - Scénario : John Ridley d'après le livre de Solomon Northup
Avec : Chiwetel Ejiofor (Solomon Northup), Michael Fassbender (Edwin Epps), Lupita Nyong'o (Patsey), Benedict Cumberbatch (Ford).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution.

samedi 25 janvier 2014

Le vent se lève


"Le vent se lève, il faut tenter de vivre", cette citation d'un poème de Paul Valéry ouvre l'ultime film du maître du cinéma d'animation, Hayao Miyazaki. Le grand cinéaste a décidé de tirer sa révérence avec cet onzième long métrage, l'un des plus étranges de son auteur. Les créatures fantastiques et les mondes imaginaires ont laissé place aux heures sombres de la seconde guerre mondiale à travers le parcours de l'architecte aéronautique Jiro Horikoshi qui fera rentrer l'aviation japonaise dans l'ère moderne. 

Par son approche plus réaliste, Le vent se lève ne s'adresse pas aux enfants qui risquent fort d'être décontenancés mais bien aux adultes qui ont été, au Japon du moins, divisés sur le portait d'Horikoshi dessiné par Miyazaki. Il est délicat d'avoir une opinion tranchée sur l'homme car le cinéaste a voulu privilégier l'inventeur et le visionnaire technique plutôt que le créateur d'une machine qui a causé de nombreuses victimes. D'ailleurs, le cinéaste évoque la guerre de manière abstraite, en toile de fond, au détours d'un plan, cette période ne représentant que la dernière partie du film qui multiplie les ellipses de façon un peu déconcertante. Le fil rouge de l'histoire reste la relation rêvée entre Horikoshi et le concepteur d'avions italien Gianni Caproni, son modèle. Leurs séquences sont les seules échappées dans l'imaginaire, et les plus belles du film. 


L'amour finira par s'en mêler mais là également, les interprétations sont complexes. En ramenant auprès de lui sa bien-aimée malade de la tuberculose, Horikoshi sublime-t-il son histoire d'amour ou agit-il au contraire par égoïsme afin d'assouvir son rêve et sa passion ? Miyazaki semble lui-même hésiter, et c'est la raison pour laquelle l'émotion pointe si peu, malgré la superbe musique de son compositeur habituel, Joe Hisaishi. Mais les fulgurances visuelles du cinéaste demeurent, elles, solidement ancrées dans nos mémoires, comme ce prototype d'avion qui vient s'écraser sur la table de travail de l'ingénieur où bien ces maisons prises dans les secousses du terrible tremblement de terre qui ravagea le Japon en 1932. Soudain, les dernières images laissent poindre le pessimisme du cinéaste, nous montrant un créateur dépassé par les conséquences engendrées par sa créature. Et le film de se conclure dans un rêve brisé, aux accents douloureux. Un beau testament.

Antoine Jullien

Japon - 2h06
Réalisation et Scénario : Hayao Miyazaki



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Ghibli.

vendredi 24 janvier 2014

Exposition Pasolini : Derniers jours


Vous avez jusqu'à dimanche pour aller voir l'exposition Pasolini Roma à la Cinémathèque française. Trente-huit ans après sa mort, Pier Paolo Pasolini est devenu une figure majeure du monde artistique et intellectuel, dépassant largement le cadre du cinéma tant il aura été un touche à touche insatiable : écrivain, philosophe, poète, peintre, cinéaste. 

Issu d'un milieu ouvrier, Pasolini arrive à Rome à l'âge de 28 ans. De cet univers qui lui est inconnu va naître une forte inspiration qui l'amènera à rencontrer Federico Fellini pour lequel il collaborera au scénario des Nuits de Cabiria, puis à réaliser plusieurs longs métrages au cœur de la cité parmi lesquels Accattone, Mama Roma et L'évangile selon Saint Matthieu. A travers ses nombreux écrits et réflexions très critiques sur la société italienne, Pasolini va aussi devenir un personnage public et controversé, victime de l'acharnement des médias pour ses nombreuses prises de position jugées scandaleuses. On voit d'ailleurs, au cours de l'exposition, la liste interminable des procès que Pasolini a subi pour outrage à l'ordre public et aux bonnes mœurs. 


L'intellectuel va s'éloigner du cinéma réaliste, en réalisant des films plus cérébraux tel Théorème ou Médée, puis de Rome pour tourner aux quatre coins du monde des contes charnels (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et une Nuits). Sa dernière œuvre, la plus célèbre, Salo ou les 120 journées de Sodome, d'une radicalité presque insoutenable, sort en 1976, quelques mois après son assassinat sur un terrain vague d'Ostie dont les circonstances restent à ce jour sujet à débat.

L'exposition s'organise de façon chronologique en six sections, qui vont du jour de l'arrivée à Rome de Pasolini à la nuit de sa mort. On y retrouve de nombreux dessins, tableaux, extraits de ses poèmes et manuscrits ainsi que sa dernière grande œuvre littéraire restée inachevée, Petrolio. Malgré des archives vidéo souvent intéressantes, on regrette cependant que l'exposition ait davantage mis l'accent sur l'intellectuel au détriment du cinéaste.

Pasolini Roma jusqu'au 26 janvier à la Cinémathèque française. 
Renseignements : 01.71.19.33.33 ou www.cinematheque.fr


lundi 20 janvier 2014

L'amour est un crime parfait


Hitchcocko... connerie pourrait-on se dire à la vision du nouveau long métrage d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu dont seul le titre a un parfum hitchcockien. Car cette adaptation du roman de Philippe Djian, Incidences, qui nous raconte les mésaventures d'un professeur séducteur (Amalric) suspecté par la police d'être responsable de la disparition de l'une de ses étudiantes, accumule les faux pas. L'intrigue d'abord, sinueuse, absconse, qui évite les pleins et ne s'intéresse qu'aux creux. Les dialogues, trop littéraires, au bord du grotesque. La direction d'acteurs, qui réussit le prodige de rendre mauvais des comédiens tel Mathieu Almaric, Karin Viard ou Denys Podalydès, totalement égarés. La mise en scène, enfin, qui vire au je-m’en-foutisme, cumulant les faux raccords de manière assez remarquable. 

Mathieu Amalric, Maïwenn et Karin Viard 

Et cependant, à la sortie de la salle, un curieux sentiment nous gagne. Et si tout ce qu'on reprochait au film ne tournerait pas finalement en sa faveur ? Et si cette fausseté assumée (on l'espère !) et ce rythme languissant nous amenaient à reconsidérer ce à quoi on vient d'assister ? Les dernières séquences rabattent les cartes et l'on ne sait alors plus très bien à quoi l'on a à faire. Ce décor de faculté si décalé au milieu des montagnes, ce scénario si filandreux, ces scènes si peu vraisemblables, ne serait-ce au final qu'un jeu ludique savamment entretenu par les Larrieu afin d'évoquer l'unique sujet qui les intéresse, à savoir l'amour impossible entre deux êtres ? Il est intéressant de noter que la seule comédienne qui dénote dans la partition déroutante imposée par les cinéastes est Maïwenn qui apporte une sincérité dont les autres personnages semblent dépourvus. Et sans trop dévoiler l'intrigue, ses actes justifient malicieusement le titre. L'amour devient bien le sujet essentiel du film et légitime les faux-semblants que les cinéastes ont disséminé jusque-là. L'amour est un crime parfait n'était qu'un leurre, ni un suspense (les Larrieu n'en sont sans doute pas capables), encore moins un thriller, plutôt une bizarrerie romantique. Qui finit par distiller un trouble, léger mais persistant.

Antoine Jullien

France - 1h51
Réalisation et Scénario : Arnaud et Jean-Marie Larrieu d'après le roman "Incidences" de Philippe Djian
Avec : Mathieu Amalric (Marc), Karin Viard (Marianne), Maïwenn (Anna), Sara Forestier (Annie), Denis Podalydès (Richard)



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Gaumont Vidéo.

Yves Saint Laurent


La frénésie des biopics bat son plein, et c'est Yves Saint Laurent qui en est le nouvel avatar. Avant de découvrir un autre film sur le célèbre créateur de mode dans quelques mois, réalisé par Bertrand Bonello, intéressons-nous au troisième long métrage de Jalil Lespert, sobrement intitulé Yves Saint Laurent, soit vingt années de la vie du couturier, de ses débuts chez Christian Dior à sa rencontre avec Pierre Bergé, la grande histoire d'amour de sa vie, et le sujet central du film. 

Une histoire contrariée et cahotique que Jali Lespert arrive à rendre palpable et touchante grâce au couple formé par Pierre Niney (Saint Laurent) et Guillaume Gallienne (Pierre Bergé). Si le premier met un moment à se débarrasser de certaines afféteries d'interprétation qui vire davantage à l'imitation qu'à l'incarnation véritable, le second est impressionnant d'autorité et de sensibilité mélangées. Guillaume Gallienne révèle une nouvelle étoffe de son jeu, ne gommant pas les aspects peu reluisants de la personnalité de Pierre Bergé. Les craintes de voir une version officielle, parrainée par Bergé lui-même, s'estompent alors. Jalil Lespert traite en effet du comportement dictatorial de l'homme d'affaires qui n'hésite pas à s'approprier Saint Laurent, mais également des différentes addictions du créateur et son côté autodestructeur. 

 Pierre Niney et Guillaume Gallienne

D'où vient alors ce sentiment d'un film un peu lisse ? Le cinéaste a eu pourtant le mérite de ne pas surligner sa mise en scène, optant pour un traitement intimiste et mesuré de son sujet, s'inscrivant dans une démarche d'authenticité, aidée en cela par l'autorisation d'utiliser les vraies robes de la collection Saint Laurent et le studio du couturier. Mais le réalisateur peine à faire exister ses personnages secondaires et se révèle incapable d'évoquer le créateur Saint Laurent, perturbateur des modes et avant gardiste, si ce n'est par une séquence pas très inspirée sur les fameuses robes Mondrian. Si la réalisation, élégante et soignée, peut surprendre par sa modestie, elle ne pas va au-delà de l'illustration, étouffée par ses propres coutures. Une œuvre honorable, à défaut d'être mémorable. 

Antoine Jullien

France - 1h45
Réalisation : Jalil Lespert - Scénario : Jalil Lespert, Marie-France Huster et Jacques Fieschi 
Avec : Pierre Niney (Yves Saint Laurent), Guillaume Gallienne (Pierre Bergé), Charlotte Le Bon (Victoire Doutreleau), Laura Smet.



Disponible en DVD et Blu-Ray chez M6 Vidéo.

mardi 14 janvier 2014

La revanche de La Grande Bellezza


Au lendemain de la cérémonie des Golden Globes, la majorité des commentaires s'est concentrée sur l'absence de La Vie d'Adèle pour le prix du meilleur film en langue étrangère. Malgré sa Palme d'or et ses probables futurs Césars, le film de Kechiche ne semble pas se contenter de tous ses prix. Et pourtant, il va devoir dorénavant composer avec un adversaire de poids : La Grande Bellezza * de Paolo Sorrentino, auréolé dimanche soir à Los Angeles. Injustement reparti bredouille du dernier festival de Cannes, snobé par une partie de la critique, le long métrage est en passe de prendre sa revanche, ô combien méritée. 

Le film de Sorrentino reste en effet l'un des grands moments cinématographiques de 2013. Le cinéaste italien avait déjà marqué de son empreinte des films comme Il Divo ou This must be the place, avec des réussites diverses. Dans ce magnifique hommage à sa ville, Rome, et à l'un de ses cinéastes de chevet, Fellini, Sorrentino a atteint le sommet de son art, auteur d'une oeuvre baroque et décadente où le sublime le dispute au grotesque. Le cinéaste nous brosse le portrait de Jep, un journaliste mondain revenu de tout, brillamment incarné par Toni Servillo. Ce personnage désabusé et attachant déambule au petit matin dans les rues de Rome, après des soirées endiablées, nous narrant en voix-off sa perception des êtres et du monde étrange qui l'entourent. 

Toni Servillo

Magnifié par une bande originale qui alterne musique classique et techno, électrisé par une mise en scène d'une inventivité sidérante (le première séquence est à ce titre éblouissante), et porté par un scénario d'une grande qualité d'écriture, La grande Bellezza dresse un regard lucide sur nôtre époque en général et sur l'Italie en particulier. On sent toute l'affection de Sorrentino pour le pays de Michel Ange, fascinant par les chefs d'oeuvre qu'il a nous a légué et terrifiant par la vulgarité qui semble à présent l'envahir. Le film est en permanence entre ces deux eaux, passant d'une rive à l'autre, d'une soirée bling bling sur les toits de la ville à une imprévisible visite dans un sanctuaire la nuit tombée. 

Déroutant, original, d'une beauté parfois insoupçonnée, La Grande Bellezza recèle quantité de trésors qu'il serait regrettable de ne pas découvrir et admirer. Reste maintenant à Sorrentino de remporter son premier Oscar, et c'est bien là tout le mal qu'on lui souhaite ! 

Antoine Jullien 



* Le film est disponible en Blu-Ray et DVD chez Pathé Vidéo. 

vendredi 10 janvier 2014

Les états d'âme du cinéma français


Tout le monde le répète à longueur de colonnes : le cinéma français vient de subir une mauvaise année. Sa part de marché a chuté de près de 10%, passant de 40 à 33%, ses films à gros budget ont vu leur carrière partir en lambeaux, avec un nombre conséquent d'accidents industriels (Turf, Des gens qui s'embrassent, La Grande boucle, Angélique...) et sa rentabilité est aujourd'hui clairement épinglée, avec seulement 10% des longs métrages sortis en 2013 qui sont rentrés dans leurs frais.

Au pays de la Nouvelle Vague, il est toujours douloureux de rappeler que le cinéma est un art ET une industrie. A la différence de nombreux pays, la France a mis en place un système de financement qui accorde une place primordiale aux subventions publiques, dans le but de favoriser une diversité artistique et donner la possibilité à des œuvres fragiles, au rendement commercial incertain, de voir le jour. Le CNC, grand argentier du cinéma hexagonal, contribue majoritairement à cette manne avec plus de 600 millions d'euros. Les régions et les collectivités contribuent également à la production nationale même si, crise oblige, leurs crédits sont rabotés. 

Mais il y a le cas plus épineux des chaînes de télévision. Obligées par l'état d'allouer une part de leur budget au financement du cinéma, elles sont devenues des décisionnaires majeurs de la production cinématographique, décidant de la carrière d'un film, au grand dam de certains, dont le cinéaste François Dupeyron qui avait signé, lors de la sortie de son très beau Mon âme par toi guérie, une violente tribune dénonçant l'omerta des chaînes. Le cinéaste pointait du doigt un paradoxe qui saute aux yeux : pourquoi le petit écran doit-il financer le grand, avec le risque de favoriser des films calibrés pour la télévision, au détriment d'oeuvres plus audacieuses ? Il y a bien sûr le cas de Canal Plus, qui contribue encore à une relative diversité. Le mot "relative" est choisi à dessein tant il résume l'état actuel des choses.

Mon âme par toi guérie de François Dupeyron, financé sans l'apport de chaînes TV

Il y a à peine deux ans, alors qu'Intouchables battait des records d'entrées, "la grande famille du cinéma" s'autogratulait sans vergogne, mettant en avant le triomphe de The Artist aux Oscars et les succès de films d'auteur comme Polisse ou La Guerre est déclarée. Un enthousiasme sans doute justifié à l'époque mais excessif, que le cru 2013 a battu en brèche. En effet, que retient-on de l'année écoulée ? Un cinéma dit "populaire" sans ambition, se reposant sur les mêmes formules, dépourvu d'originalité, et un cinéma d'auteur sclérosé, englué dans son conformisme, sans prise de risque. On se demande d'ailleurs si certains cinéastes réalisent des films pour obtenir les louanges de la presse officielle où séduire un tant soit peu le public. Car le gouffre séparant les critiques des spectateurs n'a jamais paru aussi grand. Combien de longs métrages portés au nues, pour des raisons parfois mystérieuses, ne rencontrent pas ou peu de spectateurs ? Est-ce que Grand Central, SuzanneUn château en Italie sont à ce point des œuvres inoubliables ? Elles représentent au contraire la caricature d'un cinéma honorable, non dénué de qualités, mais figé dans un naturalisme qu'on a déjà vu un milliard de fois. Si le critique doit amener le public à découvrir un cinéma hors des sentiers battus, il ne doit pas pour autant se complaire dans la dithyrambe de films qui ne le méritent pas. Que le ou la critique en question s'imagine un instant payer sa place de cinéma (ça ne lui arrive jamais, rassurez-vous !) pour voir une énième chronique de la vie quotidienne où les états d'âme d'un tel ou un tel, il est alors peu probable qu'il aurait la même indulgence. Et La vie d'Adèle, malgré sa Palme d'Or, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. 

La vie d'Adèle, un des films les plus rentable de l'année,
 avec à peine 1 million de spectateurs

Deux succès de cette fin d'année redonnent pourtant de l'espoir : 9 mois ferme d'Albert Dupontel et Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne. Les deux films ont des budgets raisonnables (entre 7 et 8 millions d'euros), des univers singuliers, des scénarii forts et une mise en scène inventive. Le résultat est payant et les spectateurs se précipitent car ils vont voir un film qui a une identité, qui est divertissant tout en restant personnel. Leurs auteurs accèdent même dans la cour des grands, Dupontel a été nommé pour le prestigieux prix Louis Delluc et Gallienne a fait l'ouverture de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Un mur est en train de tomber... 

Mais pour espérer voir une plus grande diversité des films, peut-être faudrait-il repenser le système ? Outre le fait d'arrêter de donner à des acteurs des sommes qu'ils ne méritent pas ou plus et d'assainir des mécanismes parfois opaques, imaginons d'autres sources de financement qui passeraient par le crowfunding, le mécénat et d'autres circuits alternatifs. Certes, moins de films seraient produits mais de meilleure qualité. Un rapport présidé par Jérôme Bonnell, ancien patron de Gaumont, préconise plusieurs pistes de réflexion intéressantes (voir ici). L'avenir nous dira si elles seront ou non suivies d'effets mais la présidente du CNC, Frédérique Bredin, a reconnu que le rapport est "l'opportunité de concevoir collectivement les évolutions à apporter dans notre modèle devant des changements inéluctables. "

 Megan Ellison (troisième à droite), entourée de l'équipe de Zero Dark Thirty

Un dernier exemple éloquent. Aux Etats-Unis, Megan Ellison, la fille du milliardaire David Ellison, a fondé la société de production Annapurna Pictures, qui a financé des films que les studios hollywoodiens ne voulaient pas, parmi lesquels Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, The Master de Paul Thomas Anderson et les prochains films de David O. Russell et Spike Jonze, soit des œuvres singulières et de qualité, exigeantes, et réalisées par des cinéastes de renom. A méditer...

Antoine Jullien

samedi 4 janvier 2014

Bilan 2013

Retour sur les moments forts, les déceptions, les réussites et les échecs du cru 2013.


LE FILM LE PLUS JOUISSIF 

DJANGO UNCHAINED de Quentin Tarantino 



LE FILM QUI N'EST PAS UN CHEF D'OEUVRE (JUSTE UN TRES BON FILM !)

LA VIE D'ADELE d'Abdellatif Kechiche 

   

LE FILM LE PLUS COMPLAISANT

SPRING BREAKERS d'Harmony Korine



LE FILM LE PLUS CRUEL

BLUE JASMINE de Woody Allen


 
LE FILM LE PLUS AUSTERE

MICHAEL KOHLHAAS d'Arnaud des Pallières 



LE FILM LE PLUS DELICIEUSEMENT PERVERS

STOKER de Park Chan-Wook



LE FILM LE PLUS TOUCHANT

STORIES WE TELL de Sarah Poley



LE PLUS GROS FOUTAGE DE GUEULE

ONLY GOD FORGIVES de Nicolas Winding Refn



LE FILM LE PLUS BEAU INJUSTEMENT BOUDE

THE IMMIGRANT de James Gray



LE FILM ROMANTIQUE LE PLUS SAVOUREUX

THE LUNCHBOX de Ritesh Batra



L'EXPERIENCE LA PLUS SENSORIELLE

GRAVITY d'Alfonso Cuaron 



LE FILM LE PLUS INTERMINABLE

THE GRANDMASTER de Wong Kar-Waï


 
LE FILM LE PLUS SUFFOQUANT

PRISONERS de Denis Villeneuve



LE FILM LE PLUS SURCOTE

FRANCES HA de Noah Baumbach



LE FILM LE PLUS IMPLACABLE 

A TOUCH OF SIN de Jia Zhang Ke


 
LE FILM LE PLUS PERSONNEL

LES GARCONS ET GUILLAUME, A TABLE ! de Guillaume Gallienne 



LE FILM LE PLUS BAROQUE

LA GRANDE BELLEZZA de Paolo Sorrentino



LA DEBAUCHE D'EFFETS NUMERIQUES LA PLUS ABRUTISSANTE

MAN OF STEEL de Zack Snyder



LA PLUS PRESTIGIEUSE LISTE DE CAMEOS N'EXCEDANT PAS 5 MN

LE MAJORDOME de Lee Daniels



LE FILM LE PLUS ORIGINAL

BLANCANIEVES de Pablo Berger



LE FILM LE PLUS FLIPPANT

THE BAY de Barry Levinson 



LE FILM LE PLUS SUPERFICIEL

THE BLING RING de Sofia Coppola 



LE FILM LE PLUS COURAGEUX

WADJDA d'Haifaa Al Mansour 



LE BIOPIC LE PLUS RIDICULE

DIANA d'Oliver Hirschbiegel



LE FILM LE PLUS ROMANESQUE

LE TEMPS DE L'AVENTURE de Jérôme Bonnell



LE REMAKE INUTILE

BLOOD TIES de Guillaume Canet



LE PLUS BEAU RECIT D'APPRENTISSAGE

MUD de Jeff Nichols



LA MISE EN SCENE LA PLUS PLATE

QUAI D'ORSAY de Bertrand Tavernier 
 


LE FILM LE PLUS INQUIETANT

SHOKUZAI de Kiyoshi Kurosawa



LE FILM LE PLUS ENGAGE 

NO de Pablo Larrain



LE FILM LE PLUS DECEVANT

ELYSIUM de Neill Blomkamp  
 


LE PLUS BEAU PLAN SEQUENCE

SALVO de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza



LE PLUS GROS CRASH ARTISTIQUE

LES AMANTS PASSAGERS de Pedro Almodovar 



LE FILM LE PLUS DELICAT

TEL PERE, TEL FILS d'Hirokazu Koreeda  



LES DEUX ACTEURS DE L'ANNEE

Michael Douglas et Matt Damon, sidérants d'émotion et d'intensité 
dans MA VIE AVEC LIBERACE de Steven Soderbergh



L'ACTRICE DE L'ANNEE

Cate Blanchett, éblouissante dans BLUE JASMINE



LA REVELATION DE L'ANNEE

Marina Vacth, troublante d'ambigüité dans JEUNE & JOLIE de François Ozon



LE REALISATEUR LE PLUS SURVOLTE

Martin Scorsese et son tonitruant LE LOUP DE WALL STREET



IN MEMORIAM 

Peter O' Toole, Patrice Chéreau, Bernadette Lafont, Georges Lautner, Edouard Molinaro,
 James Gandolfini, Nagisa Oshima, Joan Fontaine, Daniel Duval, Valérie Benguigui,
Ray Harryhausen, Ted Post, Karen Black, Denys de la Patellière,
Artus de Penguern, Bigas Luna, Paul Walker...