lundi 31 octobre 2011

Les aventures de Tintin : Le secret de La Licorne


Sur un marché baigné de soleil, un homme fait le portrait d'une figure que l'on ne reconnaît pas encore. L'homme le lui tend et lui dit, avec un fort accent belge : "C'est assez ressemblant". On découvre le visage de Tintin tel que tous les lecteurs le connaissent puis apparait soudain à l'image une créature étrange, réalisée en performance capture, un procédé consistant à reproduire les mouvements d'un acteur en animation. Une entrée en matière malicieuse de Steven Spielberg qui veut nous dire que si l'esprit d'Hergé sera de la partie, la liberté du cinéaste sera bel et bien de mise.

L'auteur de ces lignes est un tintinophile convaincu qui craignait que le fameux reporter en culotte de golf soit digéré à la sauce américaine. Mais depuis Les Aventuriers de l'arche perdue, Steven Spielberg est un admirateur éconduit d'Hergé qui avait donné son accord à une adaptation quelques jours avant sa mort. Après de longues tractations, le réalisateur a jeté son dévolu sur la performance capture grâce à la persuasion de Peter Jackson. Les deux hommes ont engagé trois scénaristes britanniques afin de compiler plusieurs albums en un seul long métrage : Le crabe aux pinces d'or, Le secret de La Licorne et Le Trésor de Rackham Le Rouge. Une association en apparence contre-nature qui réussit pourtant la gageure d'une cohérence presque totale. 


Tintin est toujours en quête du trésor de la Licorne, aidé par un capitaine Haddock aussi vitupérant et alcoolique que dans les bandes dessinées. Andy Serkis, un habitué des personnages hors normes (Gollum et King Kong, c'était lui) donne une véritable épaisseur au marin barbu qui renaît d'un jour nouveau. Son rapport avec l'histoire de son ancêtre est brillamment traité, le temps d'un retour dans le passé que Spielberg fait prodigieusement intervenir lors de la longue errance dans le désert. Plus d'une fois, les emprunts aux différents albums se feront avec un équilibre étonnant, même dans les nombreuses séquences inventées. 


Revoir les Indiana Jones procure le plaisir idoine que lorsque l'on feuillette pour la centième fois un album de Tintin : une sensation unique de se replonger dans des mondes qui nous semblent si familiers. Seul le talent de conteur incomparable de Spielberg permettait de récréer cette sensation en amenant le spectateur vers des territoires inconnus grâce à l'apport des nouvelles technologies. Mais loin de se laisser dépasser par elles, le cinéaste en a profité pour décupler sa créativité avec des séquences d'une virtuosité et d'une invention époustouflantes. L'homme de grand spectacle qu'il est assure une nouvelle fois en parsemant son film de références (d'Hitchcock à ses propres films) et de détails fourmillant à chaque plan : la scène d'ouverture est un modèle absolu et les transitions qui nous font passer d'un désert à une flaque d'eau et d'une poignée de main à la découverte d'une ville ravissent notre oeil émerveillé. 

Aux deux tiers du film, les libertés avec la bande dessinée se font plus visibles et Spielberg se met à dessiner une vengeance absente de l'oeuvre originale qui rentre dans un moule trop standardisé. Et la succession de séquences plus spectaculaires les unes que les autres finit par lasser et trahit quelque peu Hergé. Si certains pourront déplorer une mécanique (trop) bien huilée qui manquerait d'âme, laissons plutôt à Steven Spielberg la prouesse de s'être approprié Tintin sans tomber dans la révérence béate en ayant su respecter la ligne claire et garder l'essence de notre héros préféré qui court vers de trépidantes aventures depuis plus de quatre-vingt ans. 

Antoine Jullien

Retrouvez l'Abécédaire Spielberg ICI.



DVD et Blu-Ray disponibles chez Sony Pictures Entertainment.

mercredi 26 octobre 2011

La politique fait son cinéma

L'EXERCICE DE L'ETAT / LES MARCHES DU POUVOIR

La politique est au coeur de deux films cette semaine. Une fois n'est pas coutume, c'est un cinéaste français qui damne le pion à son illustre confrère américain. 


"La politique est une meurtrissure permanente". Tel est le crédo de Bertrand St Jean (Olivier Gourmet), ministre des transports d'un gouvernement d'aujourd'hui, indéterminé. De l'accident d'un car scolaire à la conquête d'un fief local, l'homme va devoir aller de compromis en compromis, épaulé par son fidèle directeur de cabinet (Michel Blanc) et d'une conseillère en communication ad hoc (Zabou Breitman). 

Le cinéma français était jusqu'à présent resté trop timoré par rapport à la chose politique. Avec L'exercice de l'état, le réalisateur Pierre Schoeller créé une petite révolution. Conjuguant le meilleur du cinéma romanesque à une étude de caractères d'une lucidité et d'une acuité admirables, le cinéaste nous livre un film captivant de la première à la dernière image. Porté par deux excellents comédiens, Olivier Gourmet et Michel Blanc, dont les antagonismes apparents sont en réalité le révélateur d'une amitié que les aléas du pouvoir vont durement malmener, le long métrage ne verse pas dans un discours démagogique ou édifiant. Avant d'être un politicien, Bertrand St Jean est un être humain avec ses convictions et ses failles, de plus en plus béantes à mesure que le récit progresse. Gourmet n'en fait pas un personnage sympathique mais arrive à dégager une certaine empathie avec le spectateur, notamment lors d'une scène ennivrée où le ministre dîne en compagnie de son chauffeur et de sa femme. La réalité d'un monde qu'il ne voit plus lui explose soudain au visage.

Olivier Gourmet et Michel Blanc

A travers le cas de ce chauffeur recruté par le ministère comme un gage à la politique d'insertion du gouvernement, Pierre Schoeller montre des trajectoires qui se frôlent mais qui ne peuvent pas se rencontrer. Les réunions dans les bureaux, les incessants trajets, les coups de fils qui se répètent inlassablement, le quotidien du ministre semble bien éloigné de ses concitoyens. Grâce à un réalisme saisissant amplifié par la nervosité de la mise en scène, Pierre Schoeller réussit le prodige de nous faire entrer pour la première fois dans la peau d'un homme que les médias réduisent trop souvent à une simple image. 

Cette obsession de la communication se retrouve dans presque chaque séquence tant elle semble également contaminer le ministre. Peu à peu, l'homme se fait manger par la machine de l'état comme ce crocodile qui avale tout cru une femme nue sortie tout droit de l'un de ses rêves. Un onirisme discret renforcé par un cadre froid et une musique dissonante qui étouffent encore davantage les protagonistes. 


Sang, vomi, larmes.... l'homme politique se vide sans cesse face au rythme infernal de sa vie. Pierre Schoeller filme des hommes et des femmes corvéables à merci, bosseurs invétérés, qui se font une certaine idée de l'intérêt général. Et si le pragmatisme reprend souvent ses droits, ironiquement pointé par Didier Bezace dans une séquence savoureuse où il compare l'état à une "vieille godasse qui prend l'eau de partout", l'Exercice de l'état nous secoue et nous effraie mais apporte un maigre espoir en ces temps de populisme effréné. 





Une curiosité nous piquait à l'idée de voir George Clooney enfiler le costume d'un candidat démocrate. Fidèle supporter du président Obama, l'acteur-réalisateur avait du patienter avant de tourner son quatrième long métrage afin de ne pas contrarier l'enthousiasme ambiant. Les années ont passé et Clooney semble être revenu de cette période d'illusions. Sans pour autant sortir ses griffes.

Stephen Meyers est le jeune et déjà très expérimenté conseiller de campagne du gouverneur Morris qui se prépare à gagner les primaires démocrates. Mais face aux coups tordus du camp adverse et aux révélations embarrassantes sur son champion, Stephen va devoir changer son fusil d'épaule et explorer les arcanes du pouvoir. 

Ryan Gosling et George Clooney

Avec une élégante efficacité, George Clooney déroule son récit à un tempo moderato. Bénéficiant d'un scénario bien construit (adapté de la pièce de théâtre Farragut North) qui met en valeur la mosaïque des personnages gravitant autour du candidat Morris, Clooney semble prendre un plaisir manifeste à les filmer, à voir cette manière dont il cadre leurs visages au plus près lors de scènes de séduction ou d'affrontements verbaux. Après Drive, Ryan Gosling confirme sa présence singulière où la naïveté un peu caricaturale du début fera place à un cynisme absolu. 

Plus mordant avec son Good Night and Good Luck, le réalisateur se contente d'égrener des péripéties attendues en brossant un tableau assez convenu des moeurs politiques où l'on est prêt à tout pour accéder au pouvoir suprême. En se donnant le rôle du futur président, Clooney se montre tour à tour rusé et petit joueur. Si le charme et le charisme du comédien masquent habilement un personnage moins reluisant qu'il n'y paraît, on ne sent pas le cinéaste prêt à s'engouffrer dans des contrées plus obscures. La limite à un divertissement plaisant et honorable qui ne veut fâcher personne. 

Antoine Jullien



L'Exercice de l'état disponible en DVD et Blu-Ray chez Diaphana Vidéo.
Les Marches du pouvoir disponible en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan Vidéo.

Poulet aux prunes


Après la prouesse de Persepolis, Marjanne Satrapi a voulu adapter une autre de ses bandes dessinées, Poulet aux prunes. Aidé de son compère Vincent Paronnaud, elle n'a pas cette fois fait le choix de l'animation mais bien d'un long métrage avec des acteurs en chair et en os qui ont tous répondu présent : Mathieu Almaric, Maria de Medeiros, Golshifteh Farahani, Edouard Baer, Isabelle Rossellini, Chiara Mastroianni et Jamel Debouzze le temps de deux apparitions. Malgré la lourdeur d'un tournage en studio, la réalisatrice n'a rien perdu de sa fantaisie ni de sa liberté. 

Téhéran, 1958. Depuis que son violon tant aimé a été brisé, Nasser Ali Khan, un des plus célèbres musiciens de son époque, a perdu le goût de vivre et décide de se mettre au lit et d'attendre la mort. Il s'enfonce dans de profondes rêveries qui le ramènent à sa jeunesse et à son amour de toujours qui a nourri son génie et sa musique. 

Golshifteh Farahani et Mathieu Almaric

Découpé en journées retraçant chacune un épisode de la vie de Nasser, le film alterne les styles et révèle les nombreuses influences du duo Satrapi-Paronnaud. L'expressionnisme allemand, le dessin animé, le fantastique, le sitcom, Méliès sont tour à tour conviés, formant un ensemble esthétique fluide et cohérent. La volute de cigarette est le lien entre tous ces univers qui prouve à nouveau l'inventivité des réalisateurs et témoigne d'une grande virtuosité visuelle où les élégants mouvements d'appareils alliés à l'utilisation de surprenantes maquettes reconstituant un Iran fantasmé servent la tonalité poétique de l'oeuvre. 

Car plus l'histoire se dévoile au spectateur et plus l'amour en devient le thème essentiel. La fièvre habitée de Mathieu Almaric qui ne voit plus de sens à sa vie loin de sa bien aimée amène le film vers de recoins plus sombres. L'égocentrisme du personnage le coupe de ses proches qui ne comprennent plus l'artiste qu'il est d'abord et avant tout. Sa longue agonie mentale lui fait même rencontrer la mort qui n'est autre que le narrateur du récit et campé par un méconnaissable Edouard Baer. Accompagnées par la très belle musique d'Olivier Brunet, les dernières images qui reconstituent le puzzle nous émeuvent comme dans les meilleurs romans d'amour. Si vous ne goûtez pas au poulet aux prunes, son fumet capiteux ne devrait pas vous laisser indifférent. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Wild Side Vidéo.

mardi 25 octobre 2011

Polisse : Pour ou Contre


POUR 

Trop belle, trop femme pour porter sur ses frêles épaules un projet aussi insensé que celui de disséquer le fonctionnement d’un commissariat de police, Maïwenn prend des risques, à commencer par celui de s’attirer quelques foudres machistes. Certains critiques ne s’en sont pas privés, relayés par d’autres, plus vicieux, ayant trouvé à redire à cet objet cinématographique pourtant totalement assumé comme tel dont la grande force tient non seulement dans son parti pris de mise en scène mais aussi bien sûr dans son irréprochable qualité d’interprétation.

Dès le titre, dont tant la calligraphie que la faute d’orthographe n’auront échappé à personne (Français ou autres, le mot correctement écrit étant connu de la planète entière puisqu’ainsi orthographié aussi en anglais…), l’enfance se place au cœur du sujet puisque c’est la Brigade de protection des Mineurs sous divers cas concrets qui est évoquée. Attouchements sexuels incestueux, avortements suite à un viol, abandon forcé d’enfant, fugue ou encore utilisation de gosses à des fins frauduleuses, ce que l’on peut supposer comme le quotidien de cet enfant pauvre du ministère de l’Intérieur défilent ainsi durant deux heures. 

Karin Viard 

Par saynètes reconstituant un tableau souvent atroce de cas désespérés, la réalisatrice tisse un camaïeu de situations souvent criantes de vérité, où l’empathie s’avère inévitable pour tout être normalement constitué. Le manichéisme s’en mêle, inexorablement mais qui pourra en tenir rigueur aux auteurs ? Un peu à la manière de Laurent Cantet pour Entre les murs, Maïwenn, caméra à l’épaule, opère une dissection de ces drames quotidiens. Mais la comparaison avec la Palme d’or du festival de Cannes 2008 s’arrête là, Polisse ne jouant pas la carte du documentaire tellement faux qu’il en paraît vrai mais bien celle d’une fiction totale sur laquelle repose une observation quasi entomologiste sur le travail de fourmi de ces enquêteurs, de ces hommes et ces femmes presque comme les autres. En ce sens, l’objet de cinéma Polisse peut en gêner certains.

Car les limites du film sont là, même si elles en font aussi son immense force. Force grâce à la partition musicale signée Stephen Warbeck, compositeur au style plutôt sirupeux qui collait si bien à Shakespeare in love, film pour lequel il décrocha d’ailleurs l’Oscar. Mais aussi et surtout, bien entendu, force de l’interprétation. Chacun joue un peu sa partition, sur un dialogue très (trop ?) écrit. Collégialement, le prix d’interprétation aurait pu leur revenir. Que ce soit Karin Viard ou Marina Foïs, Wladimir Yordanoff ou Nicolas Duvauchelle, Sandrine Kiberlain ou Naidra Ayadi, sans oublier bien sûr le sur-ovationné JoeyStar, ils sont irréprochables. Ce sont eux bien sûr qui provoquent cette émotion, cette rage dont le film est porteur.

Maïwenn, Arnaud Henriet, Jérémie Elkaïm, JoeyStarr, Emmanuelle Bercot, Marina Foïs et Karin Viard 

La dramaturgie, cette science exacte dont personne ne connaît les règles, est donc ici la grande bienfaitrice du film. Raconter une histoire, plausible qui plus est et non archétypée comme le sont tant de productions hollywoodiennes même quand elles prennent appui sur du vécu, telle aura été la volonté clairement affichée de la cinéaste. Montrer des êtres vivant, aimant, souffrant des deux côtés du mur de la justice. En ce sens, on ne peut que lui tirer notre chapeau. Son film est juste magnifique.

Erik Dzarli


CONTRE 

Un enfant qu'on arrache à sa mère dans un flot ininterrompu de larmes, une jeune fille qui accouche d'un bébé mort suite à un viol. On ne peut pas rester de marbre face à ces situations que Maïwenn nous jette à la figure avec une sincérité indéniable. Elle a longuement suivi le travail des policiers au sein de la BPM (Brigade de protection des mineurs) afin de faire ressentir au plus près les drames humains auxquels ils sont confrontés chaque jour. Mais la réalisatrice est tombée à bras raccourcis dans le catalogue des cas les plus glauques : pédophilie, inceste, racisme, tout y passe sans qu'elle ne s'intéresse réellement aux victimes réduites à des faire-valoir pour combler l'absence de scénario. 

Les flics ne sont guère mieux lotis, ensevelis sous les clichés habituels : la divorcée contrariée, le brutal au coeur tendre, la frustrée acariâtre... Heureusement, la force des comédiens permet de donner à ces personnages une vérité et une certaine authenticité. Leur engagement est à saluer tout comme la prestation de Marina Foïs qui confirme de film en film sa présence singulière. 

Maïwenn, Jérémie Elkaïm et JoeyStarr

La justesse de certains passages et l'humour disséminé ici et là ne doivent pas faire oublier les multiples défauts du film : un montage hasardeux qui atteint ses limites dans une interminable séquence de boîte de nuit, des scènes "d'action" qui manquent sérieusement de souffle, une réalisation qui confond le plus souvent talent et précipitation en utilisant de manière systématique la caméra à l'épaule pour masquer l'absence de mise en scène, une laideur esthétique pas très éloignée d'une banale fiction télé. Mais le pire réside dans la manière qu'à la comédienne Maïwenn de se filmer dans le rôle inepte d'une photographe chargée de capter sur le vif le quotidien de la Brigade. Délire narcissique ou cruelle absence de recul, on ne sait quoi penser devant cette prestation qui dessert le film de bout en bout, culminant dans un dîner parental auto-nombriliste qui achève de nous irriter et qui témoigne surtout d'une complaisance indigne lorsque l'on traite un sujet aussi grave. Quant à la scène finale, elle révèle un sens de la manipulation qui ne mérite aucun éloge. Fermez le ban. 

Antoine Jullien

Hors Satan


Mort. Résurrection. Chasteté. Prière. Pain quotidien. Le champ lexical de la religion n’aura jamais été autant décliné chez Bruno Dumont, pourtant spécialiste du genre, que dans son nouveau film. Mais jamais non plus il ne l’aura autant distordu.

On l’appelle « le gars ». Il arrive d’on ne sait où et repartira d’où il est venu. Comme en mission. Mission messianique ou presque : exorciser une gamine. Il vit loin des regards scrutateurs du village, dans les dunes de la mer du Nord, ces « terrains vagues » chers à Brel. Il se chauffe au feu de bois. Aux flammes de l’enfer ? Il a pris sous sa protection celle qui, non plus, n’a pas de prénom. On l’appelle « Elle ». Le gars vient de flinguer son père, à Elle. Crime sans châtiment : l’affaire est classée sans suite. Elle aimerait bien que le gars l’aime un peu. Quitte à ce qu’il la prenne comme ça, presque bestialement. Il n’en sera rien. Il viendra tous les jours prendre le pain quotidien qu’elle lui remet au pas de sa porte. Ils marcheront beaucoup dans ce décor marécageux de la côté d’Opale, entre bourbier et sable fin, dans cette espèce de no man’s land, comme entre deux mondes. La mer est à deux pas mais c’est sur l’eau croupie d’un étang qu’il va la faire marcher. Et d’où elle va ressusciter.

Si l’effet de surprise est désormais moins prégnant que lors de la découverte des premiers opus de Bruno Dumont, d’autant que le cinéaste ne se renouvelle pas vraiment dans la forme, il n’en demeure pas moins que l’empreinte laissée par ses films est tenace. Difficile d’oublier les errances du couple quasi autiste, animal de 29 palms, chef d’œuvre sur l’incommunicabilité autant que la crudité de certaines scènes de  L’Humanité , autre monument récompensé à Cannes en 1999.

David Dewaele et Alexandra Lematre

Nous sommes donc toujours face à des laissés pour compte aux accents dostoïevskiens. Visages aussi cabossés que les âmes, ils errent dans cette région sinistrée du Nord, comme Raskolnikov se perd dans les bas-fonds pétersbourgeois, mais que le cinéaste filme de manière magistrale - « anti-boonesque » en diable- comme de véritables toiles de maîtres. Le dialogue toujours réduit au strict minimum (on se siffle pour s’interpeler) s’accompagne de bruitages (jamais de musique), de respirations saccadées comme autant de souffles spasmodiques, entre trépas et résurrection.

Chez Dumont, l’Homme, au centre de tout doit aussi être Monsieur Toutlemonde. Pas de vedettes donc, trop identifiables. Des visages anonymes qui retomberont dans cet anonymat. En faisant fi de tout artifice (musique, maquillage, costumes élaborés, dialogues), il sublime la nature. Une nature austère, démoniaque même. Mais en la magnifiant ainsi dans des plans larges, il créé l’intériorité des personnages, dit-il. Et c’est alors la théandricité qui inonde son propos. Cette spiritualité quasi surnaturelle que l’on n’avait pas vue dans le cinéma depuis Bresson. Et pourtant, on peut aisément trouver des arguments totalement inverses, les personnages semblant bafouer tout mysticisme, toute déisme en eux. Tout et son contraire, donc. De quoi alimenter bien des réflexions. Et ça, le cinéma de Bruno Dumont s’y emploie à merveille…

Erik Dzarli  

mercredi 19 octobre 2011

Exposition Metropolis


Jusqu'au 29 janvier, la Cinémathèque française consacre une exposition à Metropolis, le chef d'oeuvre de Fritz Lang. Réalisé en 1927, le long métrage fut à l'époque une entreprise monumentale : 311 jours et 60 nuits de tournage, 620 kilomètres de négatifs, 750 acteurs, 25 000 figurants et un budget colossal de 6 millions de marks. Mal reçu à sa sortie tant par le public que par la critique, le film connaîtra une vie chaotique, allant de version en version jusqu'à la découverte inespérée, en 2008, d'une copie intégrale dormant au Museo del Cino de Bueno Aires dont on peut voir la version restaurée dès aujourd'hui dans les salles *.  

Fritz Lang et Brigitte Helm sur le tournage de Metropolis 
© Deutsche Kinematek - Photo Archive 

Produite par la Deutsche Kinemathek de Berlin, l'exposition s'articule autour des six grandes étapes du scénario de Metropolis écrit par la femme du cinéaste, Thea von Harbou : La Cité des Fils ; La Ville Ouvrière ; La Ville Haute ; Le Laboratoire Rotwang ; Les Catacombes ; La Cathédrale. A travers ces séquences clefs, on peut découvrir plus de 800 photographies de plateau originales, des dessins préparatoires des décorateurs Erich Kettelhut et Otto Hunte, le robot reconstitué par Walter Schulze-Mittendorff ainsi que sa série des têtes sculptées La Mort des sept péchés capitaux. 

La Cité des Fils - Dessin inachevé d'Erich Kettelhut
© Deutsche Kinematek - Collection d'Erich Kettelhut

De nombreux extraits du film agrémentent le parcours de l'exposition. Les images de l'usine avec ses foules d'ouvriers marchant en cadence, les visions de la ville avec ses étages superposés évoquant New-York qui ont inspiré Fritz Lang lors de sa première venue dans la mégalopole en 1924, la fameuse séquence du robot entouré de cercles de feu nous rappellent à quel point le cinéaste était en avance sur son temps. Les nombreuses innovations techniques du film fascinent encore, comme ses images en trompe l'oeil figurant des décors gigantesques que l'on doit aux miroirs de Schüfftan ou ses nombreuses surimpressions qui culminent lors du célèbre plan des yeux. 

Metropolis - Modèle du décor de la Ville Haute 
© Deutsche Kinematek - Photo Archive 

Mais l'exposition ne met pas suffisamment en avant cette révolution technologique. On aurait aimé davantage d'explications sur l'utilisation de la caméra Stachow que Lang et son équipe avaient conçue à l'aide d'une nacelle afin de provoquer un sentiment de peur chez le spectateur. Les objets présentés, trop peu nombreux, ne traduisent pas assez le caractère novateur du film qui éclate dans la séquence saisissante où Maria est poursuivie dans les Catacombes par Rotwang qui la traque à l'aide d'une torche lumineuse. L'usage de la lumière et du travail de la caméra par l'opérateur Karl Freund demeurent stupéfiants. 

Tournage de Metropolis - Décor des Catacombes avec Brigitte Helm 
© Deutsche Kinematek - Photo Archive 

La partie sur la restauration de Metropolis est sans conteste la plus dense, racontée dans un très instructif documentaire Voyage à Metropolis que l'on peut visionner à la fin de l'exposition. Le long métrage est projeté pour la première fois à Berlin le 10 janvier 1927 dans sa version intégrale de 153 mn. En mars de la même année, le film sort à New-York dans une version amputée de 116 mn. Après plusieurs restaurations dans les années 80 et 90 dont une proposée par le compositeur Georgio Moroder dans laquelle il combinait des photos de plateau de scènes disparues à des séquences existantes colorisées accompagnées par une musique pop signée Bonnie Tyler et Queen (et oui!), le film connaitra un rebondissement majeur avec la version argentine retrouvée en 16 mm. Bien que la copie ait subit de sérieuses dégradations que l'on repère aisément dans la version définitive, c'est une occasion unique de découvrir ou redécouvrir ce film légendaire. 

Metropolis - Décor du laboratoire de Rotwang avec le robot Maria 
© Deutsche Kinematek - Photo Archive 

La Cinémathèque propose également une rétrospective intégrale de l'oeuvre du Fritz Lang. Cinéaste démiurge en Allemagne jusqu'au début des années 30 et le succès de M. Le Maudit, il fuira le nazisme et s'exilera aux Etats-Unis où il tournera pendant vingt ans. Du film noir (La Rue Rouge) au western (L'Ange des Maudits) en passant par le film d'aventures (Les contrebandiers de Moonfleet) et le film d'espionnage (Man Hunt) Lang abandonnera l'expressionnisme qui a fait sa gloire pour une mise en scène plus épurée où la fatalité le dispute à la paranoïa. En parallèle à cette rétrospective, on pourra constater les nombreuses influences que Metropolis a eu sur les cinéastes à travers le programmation Cités futuristes qui nous plongera dans des univers très influencés par le film de Fritz Lang : Blade Runner de Ridley Scott, Le Cinquième élément de Luc Besson ou Soleil Vert de Richard Fleischer.  

Antoine Jullien

Metropolis, l'exposition du 19 octobre au 29 janvier à la Cinémathèque française.
Intégrale Fritz Lang du 19 octobre au 4 décembre.
Cités Futuristes du 19 octobre au 4 décembre.
Rencontre avec Bernard Eisenschitz, l'auteur de Fritz Lang au travail, le samedi 22 octobre.
Retrouvez la saison 2011/2012 de la Cinémathèque ici.
La Cinémathèque française, 51 rue de Bercy - 75012 Paris
Renseignements : www.cinematheque.fr

* Sortie nationale de Metropolis au cinéma le 19 octobre dans sa version d'origine de 150 minutes.

The Artist


Michel Hazanavicius est un iconoclaste. Après avoir pastiché avec bonheur et quelques pointes de politiquement incorrect le film d'espionnage dans les irrésistibles OSS 117, le voilà résolu à entreprendre, en 2011, le tournage d'un film muet, en noir et blanc et au format d'origine 1.33. Ses références ne sont plus les séries B de sa jeunesse mais bien les illustres Friedrich Murnau, Fritz Lang et Ernst Lubitsch. Intimidé, Hazanavicius ne l'est nullement car il ne se contente pas de copier sagement ses prestigieux modèles mais réalise une entreprise personnelle hors norme dont il ne faudrait pas feindre l'importance malgré le succès annoncé. 

Nous sommes à Hollywoodland, en 1927. George Valentin (Jean Dujardin) est une immense star du cinéma muet. Il fait la rencontre d'une jeune figurante, Peppy Miller, dont il tombe amoureux. Mais l'avènement inexorable du parlant entraîne Valentin vers la mort artistique tandis que Peppy Miller atteint la célébrité. 

Jean Dujardin et Bérénice Béjo

La mise en abime opérée par Michel Hazavanicius débute dès la première séquence où Valentin admire le héros qu'il est dans le film "A Russian Affair" projeté dans une immense salle garnie de spectateurs hilares et dont il est l'incontestable vedette. Le film dans le film est très astucieusement mis en scène tout comme l'utilisation de la musique composée par Ludovic Bource est en parfaite adéquation avec l'époque. Ce prologue est déconcertant car il nous replonge dans un cinéma disparu dont on a la fugace impression qu'il renaît sous nos yeux. En s'inspirant de l'âge d'or hollywoodien, le réalisateur va créer un étrange décalage en confiant les deux rôles principaux à des comédiens so frenchy, Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Elle, charmante et pimpante, espiègle à ses heures. Lui, justement récompensé par le prix d'interprétation à Cannes, un poil goguenard, séducteur et manifestement trop à son aise dans ses costumes trois pièces, ne tombe pas dans les mimiques à outrance que l'on pouvait craindre mais amène son personnage vers une gravité qui prendra corps dans le dernier tiers du film. 

Les idées visuelles, Michel Hazanavicius en a beaucoup à offrir au spectateur : cette suite de scènes de tournage ratées où Valentin tombe sous le charme de sa partenaire Peppy Miller qui, dans la séquence suivante, s'enlace elle-même avec le veston de Valentin. Où encore cet escalier que gravit Peppy Miller et qui la conduira au sommet alors que Valentin s'enfonce vers les tréfonds de la solitude. Comme Billy Wilder l'avait si bien décrit dans Sunset Boulevard (mais arrêtons les lourdes comparaisons), le film nous rappelle à juste titre que l'arrivée du parlant a broyé les carrières d'acteurs alors au firmament qui n'ont pas eu le droit à la parole. Le son, Hazanavicius le fait malicieusement intervenir dans une séquence de cauchemar où Valentin se retrouve soudain confronté au bruissement du plateau, au verre qui tombe et à tout un environnement qui n'existait jusque là que par l'image. The Artist nous parle d'un homme qui voit le progrès technique passer à côté de lui et non avec lui, et cette inaptitude à prendre le train en marche émeut. 

Jean Dujardin et Michel Hazavanicius sur le tournage de The Artist

Dans sa deuxième partie, le lent déclin, Hazavanicius perd la vivacité et le rythme qui l'avaient su si bien mener. Plus mécanique, le récit devient attendu et les péripéties s'enchaînent sans déplaisir mais avec un intérêt moindre. Puis le cinéaste fait entendre le morceau de Bernard Herrmann composé pour Vertigo d'Hitchcock. L'histoire du grand cinéma hollywoodien est soudain en harmonie avec l'histoire de George Valentin et Peppy Miller, qui, comme dans tout bon mélodrame, n'osent pas s'avouer leur amour. A cet instant, Michel Hazanavicius nous offre un écrin que le cinéma ne semblait plus capable de nous procurer : le silence absolu. Un silence magnifiquement long que l'on savoure avec un bonheur non dissimulé. Avant que le virevoltant numéro de claquettes de notre duo nous convainquent que la pari est gagné haut la main. Chapeau l'artiste ! 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Warner Home Vidéo. 

dimanche 16 octobre 2011

Palmarès 2 Cinéma de Valenciennes

Les jurys fiction du festival 2 Cinéma de Valenciennes ont rendu leur verdict hier soir lors de la cérémonie de clôture. C'est Detachment de Tony Kaye, déjà récompensé lors du dernier festival de Deauville (voir news) qui a obtenu à la fois le Grand Prix du jury et le Prix du public et relate le quotidien d'un professeur d'anglais dans un collège difficile. Malgré la sensibilité d'Adrien Brody, le film se complaît dans une mise en scène tapageuse, à grands coups de zooms et d'effets de montage tonitruants, manquant de complexité sur un sujet qui aurait mérité un traitement plus subtil (sortie le 1er février 2012).

Detachment de Tony Kaye © Pretty Pictures 

Aucune contestation en revanche sur les prix d'interprétation remis à l'australien Daniel Henshall pour sa composition terrifiante de tueur en série dans Les Crimes de Snowtown de Justin Kurzel (sortie le 28 décembre) et à l'allemande Sandra Hüller dans l'intéressant mais inabouti L'amour et rien d'autre de Jan Schomburg.

Daniel Henshall dans Les Crimes de Snowtown © ARP Sélection 

Le prix du jury est allé à Amador de Fernando Léon de Aranoa, un joli film sur une femme qui, après la mort du vieillard dont elle avait la charge, fait croire qu'il est toujours vivant afin de ne pas la laisser sans travail (sortie le 8 février 2012).

Amador de Fernando Léon de Aranoa © Sophie Dulac Distribution

Le jury presse s'est montré plus clairvoyant en distinguant Take Shelter de l'américain Jeff Nichols par le Prix de la critique. Le long métrage, primé partout où il est passé, suit le comportement étrange d'un homme fragile en proie à de terribles cauchemars. Une grande maîtrise visuelle à découvrir en salles le 4 janvier prochain.



La grande déception vient de l'absence du remarquable L'exercice de l'état de Pierre Schoeller, seul film français de la compétition qui scrute finement les compromissions d'un ministre des transports aux prises avec les exigences du pouvoir (sortie le 26 octobre). 

L'exercice de l'état de Pierre Schoeller © Diaphana Distribution 

Le jury documentaire a lui distingué deux longs métrages ex-equo : Norman Foster de Carlos Carcas et Norberto Lopez Amado sur le célèbre architecte (sortie le 16 novembre) et Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat qui est une virulente dénonciation des médias. Le film a également obtenu le prix du public (sortie le 11 janvier 2012). 

Norman Foster de Carlos Carcas et Norberto Lopez Amado © Bodega Films

Enfin, le jury presse a récompensé Khodorkovski de Cyril Tushi, un portrait de l'ancien oligarque russe inculpé en 2003 d'escroquerie et devenu aujourd'hui la bête noire de Vladimir Poutine (sortie le 9 novembre). 

Khodorkovski de Cyril Tushi © Happiness Distribution


Fiction

Grand Prix
DETACHMENT de Tony Kaye

Prix du Jury
AMADOR de Fernando Léon De Aranoa

Prix d'interprétation masculine
DANIEL HENSHALL dans LES CRIMES DE SNOWTOWN

Prix d'interprétation féminine
SANDRA HÜLLER dans L'AMOUR ET RIEN D'AUTRE

Prix de la Critique
TAKE SHELTER de Jeff Nichols

Prix du public
DETACHMENT de Tony Kaye

Documentaire

Prix du jury (ex-equo)
NORMAN FOSTER de Norberto Lopez Amado et Carlos Carcas
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

Prix de la Critique
KHODORKOVSKI de Cyril Tushi

Prix du public
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

Interview Samuel Labarthe


Le comédien Samuel Labarthe est membre du jury fiction du festival 2 Cinéma de Valenciennes. Après son triomphe au théâtre dans La Boutique au coin de la rue, on a pu le voir au cinéma dans Le Divorce de James Ivory, Sagan de Diane Kurys et cette année dans La Conquête de Xavier Durringer qui sort en DVD et dans lequel il campe Dominique De Villepin.


- Qu'est-ce que cela vous fait d'être juré du festival ?

Je connaissais déjà le festival de Valenciennes dans sa précédente formule (le festival était auparavant dédié au cinéma d'aventure) et je suis très heureux d'avoir été invité et de faire partie de ce prestigieux jury.


- Quel regard portez-vous sur cette sélection ?

Ce que j'ai vu non seulement m'étonne, me fascine mais me rassure aussi sur l'état du cinéma d'aujourd'hui. Je trouve cela très courageux de voir des films pas forcément grand public qui vont à contre-courant du cinéma commercial. C'est là que l'on mesure notre responsabilité, en tant qu'artiste, de proposer des choses qui ne sont pas standardisées. Grâce au festival, j'en prends encore plus conscience que d'habitude.


- Quel spectateur êtes-vous ?

Je suis très éclectique, je vais voir des films dont on parle beaucoup, d'autres beaucoup moins. Mon dernier grand coup de coeur date de l'année dernière, Une vie toute neuve d'Ounie Lecomte qui m'a absolument bouleversé. J'étais persuadé en le voyant que le bouche-à-oreille allait être phénoménal mais malheureusement le film a été retiré au bout d'une semaine.


- Dans les longs métrages de la compétition figure L'exercice de l'état de Pierre Schoeller sur le quotidien d'un ministre des transports. Vous avez été récemment à l'affiche de La conquête qui est également un film sur la politique. Plusieurs mois après sa sortie en salles, quel recul avez-vous sur le film ?

Il y a eu un buzz énorme pendant des mois avec une bande-annonce que tout le monde se partageait. Maintenant le film a été vu, j'ai l'avantage de savoir comment il a été reçu. J'ai l'impression que le contenu n'a peut-être pas répondu totalement à l'attente du public qui pensait y trouver des choses plus croustillantes et dérangeantes mais il a le mérite d'avoir ouvert la porte à de nombreux autres films dans le même genre. Il faut toujours un pionnier et c'est le premier long métrage français qui parlait d'un Président de la République en exercice.

Samuel Labarthe dans La Conquête 


- Comment vous-êtes vous préparé pour jouer Dominique De Villepin ?

Pour un acteur, interpréter un personnage vivant, très médiatisé et que tout le monde connaît est un exercice périlleux dans le sens où il existe deux pièges dans lesquels il ne faut pas tomber : être trop dans l'imitation et risquer de verser dans la caricature où bien ne pas l'être suffisamment et du coup risquer d'être accusé de ne pas savoir le faire et de ne pas être crédible. J'avais envie d'avoir un Villepin privé mais très vite on m'a dit que si je faisais un Villepin que personne ne connaissait on ne le reconnaîtrait pas, justement ! J'étais donc quand même obligé d'aller sur des rails proposés par d'autres. Ensuite c'est un travail assez obsessionnel puisqu'il s'agit de se nourrir du personnage, de parler comme lui, de retrouver un phrasé, des attitudes. Après il fallait donner quelques signes extérieurs comme la perruque que j'ai eu et les sourcils qu'on m'a enlevé.


- Quelles étaient les indications de Xavier Durringer ?

Sa grande indication était : « Tu as fait tout le travail, maintenant tu oublies et on joue les scènes ». On était vraiment sur une corde raide mais en même temps c'était formidable de pouvoir faire ça. Le seul problème est qu'à ce moment-là je jouais Chirac dans le téléfilm Pompidou, la mort d'un président. On tournait les scènes au Ministère des affaires étrangères, il y avait donc de quoi être un petit peu perturbé par les deux ! C'est la même famille politique mais sur des époques très différentes. Je me souviens qu'étant déguisé en Chirac, j'allais interviewer l'huissier principal du quai d'Orsay à propos de Villepin qui me donnait des indications dont je me suis servi plus tard sur le tournage de La Conquête.


- Quels sont vos projets ?

Un film de Denis Malleval avec Line Renaud, un autre tourné par Gabriel Aghion à La Réunion avec Claude Brasseur et Dominique Blanc et celui que je tourne actuellement réalisé par Anne Fassio sur l'univers hippique dans lequel je joue un propriétaire de chevaux pas très sympathique !

Propos recueillis par Antoine Jullien


Festival 2 Cinéma de Valenciennes du 10 au 16 octobre. 
Retrouvez la critique de La Conquête disponible en DVD chez Gaumont Vidéo. 

mercredi 12 octobre 2011

Another Earth


La science-fiction intimiste est décidément dans l'air du temps. Après Melancholia, Mike Cahill réalise, avec nettement moins de moyens, un film étrange, en partie réussi qui prouve que l'ingéniosité et le talent font fi du spectaculaire. 

Rhoda Williams, jeune diplômée en astrophysique, voit ses rêves d'espace brisés lorsque sa voiture percute celle de John Burroughs, un compositeur célèbre. Après avoir perdu sa femme et sa fille dans l'accident, il fait la rencontre de Rhoda dont il ne sait rien. Pendant ce temps, une planète semblable à la Terre fait son apparition. 

Brit Marling et William Mapother

Dans ses futurs longs métrages, Mike Cahill devra mettre certaines afféteries de côté. La surabondance de zooms et de ralentis nuisent au récit et sont sans doute la marque d'un réalisateur un peu trop démiurge, assurant à la fois la mise en scène, le cadre et le montage. Mais il réussit à jouer très habilement avec les éléments traditionnels de la science-fiction en accentuant leurs portées minimalistes, de l'omniprésence de l'autre Terre à l'angoissante séquence du journal télévisé dans laquelle une scientifique dialogue avec son double. Ce thème est intelligemment traité grâce à la présence de cette terre alternative qui englobe les deux personnages principaux dans un mélange de remords, de colère et d'espoir. 

Mais le cinéaste ne fait pas confiance à son sujet, utilisant une voix-off pontifiante et inutile et tombe trop systématiquement dans le basculement des genres au détriment du film. Toutefois, il ne sombre jamais dans l'apitoiement de son personnage et la suit au plus près dans sa quête de rédemption qui risque d'être réduite à néant par la découverte de son identité. Ce suspense savamment entretenu est l'un des atouts du film qui culmine dans une émouvante séquence où le musicien joue du violon au moyen d'une scie. Grâce à la belle interprétation de Brit Marling (également productrice et scénariste) et William Mapother, le rapport entre Rhoda et John continue de nous intriguer jusqu'à la troublante dernière image. On se dit alors que le grand film qu'Another Earth aurait pu devenir était sans doute dans ce plan ultime. 

Antoine Jullien

mardi 11 octobre 2011

Festival 2 Cinéma de Valenciennes


PROGRAMME 

Le festival 2 Cinéma de Valenciennes se déroule du 10 au 16 octobre. La manifestation comprend une compétition dédiée au documentaire, du lundi 10 au mercredi 12, et une autre dédiée à la fiction, du mercredi 12 au samedi 15.

Parmi les neuf fictions en compétition, on peut en citer plusieurs découvertes lors du dernier festival de Cannes dont le très remarqué Take Shelter de Jeff Nichols (voir Cannes Jours 6 à 8) et Les crimes de Snowtown de Justin Kurzel. 

Parmi les membres des jurys, on compte de nombreuses personnalités : Christophe Barratier, Jacques Fieschi, Claude Zidi, Christina Réali ou Valérie Kaprisky. 

Autour du festival, plusieurs évènements sont à l'honneur : une journée consacrée à la 3D et aux effets spéciaux numériques en présence de Philippe Géluck et Alain Derobe, une rétrospective de biopics et la venue du cinéaste Frédéric Wiseman, invité d'honneur du festival.

Enfin, le prix Jean Mineur qui récompense un artiste ou un technicien novateur et précurseur sera remis à Jean-Marie Lavalou, Alain Masseron, Nicolas Pollachi et Hervé Theys, les inventeurs de la fameuse Louma. 

Mon Cinématographe couvre l'évènement et vous en reparle à l'issue du palmarès. 

Festival 2 Cinéma de Valenciennes du 10 au 16 octobre.



INTERVIEW SAMUEL LABARTHE 


Le comédien Samuel Labarthe est membre du jury fiction du festival 2 Cinéma de Valenciennes. Après son triomphe au théâtre dans La Boutique au coin de la rue, on a pu le voir au cinéma dans Le Divorce de James Ivory, Sagan de Diane Kurys et cette année dans La Conquête de Xavier Durringer qui sort en DVD et dans lequel il campe Dominique De Villepin.


- Qu'est-ce que cela vous fait d'être juré du festival ?

Je connaissais déjà le festival de Valenciennes dans sa précédente formule (le festival était auparavant dédié au cinéma d'aventure) et je suis très heureux d'avoir été invité et de faire partie de ce prestigieux jury.


- Quel regard portez-vous sur cette sélection ?

Ce que j'ai vu non seulement m'étonne, me fascine mais me rassure aussi sur l'état du cinéma d'aujourd'hui. Je trouve cela très courageux de voir des films pas forcément grand public qui vont à contre-courant du cinéma commercial. C'est là que l'on mesure notre responsabilité, en tant qu'artiste, de proposer des choses qui ne sont pas standardisées. Grâce au festival, j'en prends encore plus conscience que d'habitude.


- Quel spectateur êtes-vous ?

Je suis très éclectique, je vais voir des films dont on parle beaucoup, d'autres beaucoup moins. Mon dernier grand coup de coeur date de l'année dernière, Une vie toute neuve d'Ounie Lecomte qui m'a absolument bouleversé. J'étais persuadé en le voyant que le bouche-à-oreille allait être phénoménal mais malheureusement le film a été retiré au bout d'une semaine.


- Dans les longs métrages de la compétition figure L'exercice de l'état de Pierre Schoeller sur le quotidien d'un ministre des transports. Vous avez été récemment à l'affiche de La conquête qui est également un film sur la politique. Plusieurs mois après sa sortie en salles, quel recul avez-vous sur le film ?

Il y a eu un buzz énorme pendant des mois avec une bande-annonce que tout le monde se partageait. Maintenant le film a été vu, j'ai l'avantage de savoir comment il a été reçu. J'ai l'impression que le contenu n'a peut-être pas répondu totalement à l'attente du public qui pensait y trouver des choses plus croustillantes et dérangeantes mais il a le mérite d'avoir ouvert la porte à de nombreux autres films dans le même genre. Il faut toujours un pionnier et c'est le premier long métrage français qui parlait d'un Président de la République en exercice.

Samuel Labarthe dans La Conquête 


- Comment vous-êtes vous préparé pour jouer Dominique De Villepin ?

Pour un acteur, interpréter un personnage vivant, très médiatisé et que tout le monde connaît est un exercice périlleux dans le sens où il existe deux pièges dans lesquels il ne faut pas tomber : être trop dans l'imitation et risquer de verser dans la caricature où bien ne pas l'être suffisamment et du coup risquer d'être accusé de ne pas savoir le faire et de ne pas être crédible. J'avais envie d'avoir un Villepin privé mais très vite on m'a dit que si je faisais un Villepin que personne ne connaissait on ne le reconnaîtrait pas, justement ! J'étais donc quand même obligé d'aller sur des rails proposés par d'autres. Ensuite c'est un travail assez obsessionnel puisqu'il s'agit de se nourrir du personnage, de parler comme lui, de retrouver un phrasé, des attitudes. Après il fallait donner quelques signes extérieurs comme la perruque que j'ai eu et les sourcils qu'on m'a enlevé.


- Quelles étaient les indications de Xavier Durringer ?

Sa grande indication était : « Tu as fait tout le travail, maintenant tu oublies et on joue les scènes ». On était vraiment sur une corde raide mais en même temps c'était formidable de pouvoir faire ça. Le seul problème est qu'à ce moment-là je jouais Chirac dans le téléfilm Pompidou, la mort d'un président. On tournait les scènes au Ministère des affaires étrangères, il y avait donc de quoi être un petit peu perturbé par les deux ! C'est la même famille politique mais sur des époques très différentes. Je me souviens qu'étant déguisé en Chirac, j'allais interviewer l'huissier principal du quai d'Orsay à propos de Villepin qui me donnait des indications dont je me suis servi plus tard sur le tournage de La Conquête.


- Quels sont vos projets ?

Un film de Denis Malleval avec Line Renaud, un autre tourné par Gabriel Aghion à La Réunion avec Claude Brasseur et Dominique Blanc et celui que je tourne actuellement réalisé par Anne Fassio sur l'univers hippique dans lequel je joue un propriétaire de chevaux pas très sympathique !

Propos recueillis par Antoine Jullien


Festival 2 Cinéma de Valenciennes du 10 au 16 octobre. 
Retrouvez la critique de La Conquête disponible en DVD chez Gaumont Vidéo. 



PALMARES

Les jurys du festival 2 Cinéma de Valenciennes ont rendu leur verdict hier soir lors de la cérémonie de clôture. C'est Detachment de Tony Kaye, déjà récompensé lors du dernier festival de Deauville (voir news) qui a obtenu à la fois le Grand Prix du jury et le Prix du public et relate le quotidien d'un professeur d'anglais dans un collège difficile. Malgré la sensibilité d'Adrien Brody, le film se complaît dans une mise en scène tapageuse, à grands coups de zooms et d'effets de montage tonitruants, manquant de complexité sur un sujet qui aurait mérité un traitement plus subtil (sortie le 1er février 2012).

Detachment de Tony Kaye © Pretty Pictures 

Aucune contestation en revanche sur les prix d'interprétation remis à l'australien Daniel Henshall pour sa composition terrifiante de tueur en série dans Les Crimes de Snowtown de Justin Kurzel (sortie le 28 décembre) et à l'allemande Sandra Hüller dans l'intéressant mais inabouti L'amour et rien d'autre de Jan Schomburg.

Daniel Henshall dans Les Crimes de Snowtown © ARP Sélection 

Le prix du jury est allé à Amador de Fernando Léon de Aranoa, un joli film sur une femme qui, après la mort du vieillard dont elle avait la charge, fait croire qu'il est toujours vivant afin de ne pas la laisser sans travail (sortie le 8 février 2012).

Amador de Fernando Léon de Aranoa © Sophie Dulac Distribution

Le jury presse s'est montré plus clairvoyant en distinguant Take Shelter de l'américain Jeff Nichols par le Prix de la critique. Le long métrage, primé partout où il est passé, suit le comportement étrange d'un homme fragile en proie à de terribles cauchemars. Une grande maîtrise visuelle à découvrir en salles le 4 janvier prochain.


La grande déception vient de l'absence du remarquable L'exercice de l'état de Pierre Schoeller, seul film français de la compétition qui scrute finement les compromissions d'un ministre des transports aux prises avec les exigences du pouvoir (sortie le 26 octobre). 

L'exercice de l'état de Pierre Schoeller © Diaphana Distribution 


Le jury documentaire a lui distingué deux longs métrages ex-equo : Norman Foster de Carlos Carcas et Norberto Lopez Amado sur le célèbre architecte (sortie le 16 novembre) et Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat qui est une virulente dénonciation des médias. Le film a également obtenu le prix du public (sortie le 11 janvier 2012). 

Norman Foster de Carlos Carcas et Norberto Lopez Amado © Bodega Films

Enfin, le jury presse a récompensé Khodorkovski de Cyril Tushi, un portrait de l'ancien oligarque russe inculpé en 2003 d'escroquerie et devenu aujourd'hui la bête noire de Vladimir Poutine (sortie le 9 novembre). 

Khodorkovski de Cyril Tushi © Happiness Distribution


Fiction

Grand Prix
DETACHMENT de Tony Kaye

Prix du Jury
AMADOR de Fernando Léon De Aranoa

Prix d'interprétation masculine
DANIEL HENSHALL dans LES CRIMES DE SNOWTOWN

Prix d'interprétation féminine
SANDRA HÜLLER dans L'AMOUR ET RIEN D'AUTRE

Prix de la Critique
TAKE SHELTER de Jeff Nichols

Prix du public
DETACHMENT de Tony Kaye

Documentaire

Prix du jury (ex-equo)
NORMAN FOSTER de Norberto Lopez Amado et Carlos Carcas
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat

Prix de la Critique
KHODORKOVSKI de Cyril Tushi

Prix du public
LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat