lundi 31 mai 2010

Copie Conforme



"Attention ! Produit culturel haut de gamme !" Tel pourrait être l'accroche du nouveau film d'Abbas Kiarostami tant la supériorité intellectuelle affichée par les protagonistes semble être leur unique moteur. 

Un homme et une femme en Toscane. Elle tient une galerie d'art, lui vient de sortir un livre ayant pour thème les relations étroites entre l'art et la copie. S'agit-il d'un couple ? Où d'inconnus qui fantasment sur une vie à deux ? La copie vaut-elle l'original ? Vous avez 1h45 pour le deviner...

Kiarostami s'est manifestement inspiré du Voyage à Rome de Rossellini pour délivrer une copie peu convaincante. Le cinéaste iranien tourne pour la première fois loin de son pays, dans une autre langue et avec un casting international. Au côté du baryton William Shimmel, nouveau venu dans le paysage cinématographique, on retrouve notre Juliette Binoche nationale qui a pour but de collectionner le plus de metteurs en scène "intello" en activité (après Hou Hsiao Hsien et Amos Gitaï). Un calcul judicieux car ces cinéastes sont presque tous en compétition dans les grands festivals. Et bingo ! Juliette vient de décrocher la timbale en remportant le prix d'interprétation à Cannes.

William Shimmel et Juliette Binoche

Que s'est-il passé dans la tête du président du jury, Tim Burton ? Comment a-t-il pu succomber à ce grossier cabotinage de film d'auteur ? A chaque plan ou presque, Binoche semble concourir pour le prix  : elle pleure (souvent), elle rie (parfois), elle regarde son mari avec des yeux ronds et elle porte un rouge à lèvres très très rouge. Et pendant tout le film, elle nous ressert une mécanique d'acteur éculée qui procure chez le spectateur un degré d'irritation atteignant son sommet lors d'un déjeuner entre les deux amants, une scène de mauvais théâtre comme en fait (presque) plus.

Qu'a voulu nous-dire Kiarostami ? Malheureusement, le propos se dilue dans un habillage artificiel, creux et vain. Pour amener un semblant de mystère déjà fortement plombé par une mise en scène erratique, le réalisateur provoque un retournement de situation qui finit de nous achever. De séquences grotesques (l'apparition de Jean-Claude Carrière !) en dialogues interminables d'une banalité souvent consternante, Kiarostami a réussi l'exploit de nous faire détester la Toscane. Si tel était le pari, il est gagné haut la main ! Sinon, ce pensum faussement élitiste d'une prétention absolue ne permettra pas aux détracteurs du cinéaste de le réhabiliter. Pour une prochaine fois, peut-être, mais sans Juliette Binoche, osons l'espérer.

Antoine Jullien

Ressortie : Marathon Man



"Is it safe ?" Cette réplique glaçante prononcée par Laurence Olivier en a traumatisé plus d'un. Trente-quatre ans après sa sortie, Marathon Man exerce toujours la même fascination et nous rappelle l'étonnante faculté du cinéma américain des années 70 à mêler le thriller à la Grande Histoire.

Babe (Dustin Hoffman), un étudiant new-yorkais solitaire et introverti, s'entraîne pour le marathon. Il fait la rencontre d'une jeune universitaire dont il tombe amoureux. Mais leur idylle va devenir une longue descente aux enfers qui les verra croiser un frère aux mystérieux desseins, un tortionnaire nazi et une "Division" bien opaque...

John Schlesinger, auréolé par le succès de Macadam Boy, se voit proposer par le producteur Robert Evans l'adaptation du roman de William Goldman. Très vite, les deux comparses pensent à Dustin Hoffman et Laurence Olivier pour les rôles principaux. Evans dira au moment de la sortie que c'était la seule fois de toute sa carrière que la distribution rêvée devenait réalité. Et quelle distribution ! Outre Hoffman et Olivier, on retrouve Roy Scheider dans le rôle du frère, William Devane en agent de la Division et la jeune Marthe Keller qui connaissait déjà un beau succès en France.

Marathon Man rejoint la liste des grands thrillers paranoïaques des seventies : Conversation Secrète, Les Trois jours du Condor ou Les Hommes du Président. L'intrigue, déroutante, passe d'un personnage à un autre sans que l'on comprenne précisément les liens entre tous les protagonistes (le film n'est d'ailleurs pas exempt de certaines incohérences) jusqu'à ce que l'étau se resserre sur Babe et que l'on suive, au bout du suspense, son épuisante course contre la montre.

Laurence Olivier et Dustin Hoffmann 

Plusieurs moments du film sont ancrés dans la mémoire collective : la scène du dentiste est la plus célèbre (elle dû même être édulcorée suite à divers évanouissements lors des projections-test). Mais la séquence la plus impressionnante est sans nul doute celle dans laquelle Laurence Olivier est reconnu par ses anciennes victimes alors qu'il tente de revendre ses diamants. L'inquiétante musique dissonante de Michael Small accompagne à la perfection cet instant d'anthologie où l'horreur côtoie le fantastique.

Le film est enfin l'affrontement de deux générations d'acteurs : Dustin Hoffman, rompu à la méthode de l'Actor's Studio et Laurence Olivier, héritier de la vieille école du théâtre anglais. Une anecdote fameuse marque bien cette différence : alors qu'Hoffman avait passé plusieurs nuits d'affilée sans dormir dans le but de retrouver l'état de fatigue du personnage, Laurence Olivier lui aurait lancé : "Et si vous vous contentiez de jouer ?" Il aurait à nouveau sorti cette saillie lorsque Hoffman entamait un épuisant jogging afin de parfaire la séquence à venir qui voyait son personnage se confronter au redoutable docteur Szell joué par Olivier. Mais à la vision des images du tournage, visibles dans les bonus du Dvd, on voit se dessiner entre ses deux immenses comédiens une admiration discrète et un profond respect. Ils ne savaient pas encore qu'ils venaient d'écrire une des plus belles pages du cinéma américain.

Antoine Jullien 


DVD disponible chez Paramount Vidéo. 






mardi 18 mai 2010

Robin des Bois et Crazy Night


Cette semaine, le spectateur a le loisir de choisir entre deux formes d'entertainment : le film épique ou la comédie farfelue. Robin des Bois de Ridley Scott s'inscrit plus que jamais dans la première catégorie. Le réalisateur a souhaité moderniser la vie du célèbre hors-la-loi. Il a donc décidé de raconter comment Robin Longwood, humble archer au service de la Couronne britannique, est devenu Robin des Bois. La suite a déjà été maintes fois filmée et si l'on excepte le dessin animé Disney et la version parodique de Mel Brooks, le héros au collant vert s'est vu incarné successivement au cinéma par Douglas Fairbanks, Errol Flynn, Don Taylor, Richard Todd, Sean Connery et Kevin Costner (la liste est non exhaustive). Russell Crowe ayant déclaré que le film de ce dernier était digne d'un clip de Bon Jovi, on mesure l'assurance du comédien à décocher ses flèches.

Cette arrogance (mais on ne peut lui donner tort !) ne doit pas faire croire que l'on assiste à un spectacle révolutionnaire. Si les clichés sont moins visibles et la sobriété plutôt de mise, le récit n'échappe pas aux arrangements historiques et autres scories à la limite du vraisemblable. Russell Crowe ne renouvelle pas non plus le type de héros qui a fait sa gloire et l'on a presque l'envie coupable de rebaptiser le film  Gladiator à Sherwood  tant certains plans de ce Robin des Bois renvoie au péplum déjà réalisé par Ridley Scott.

Russell Crowe

Là où le cinéaste tranche avec ses prédécesseurs, c'est dans sa vision du personnage de Marianne, moins caricaturale et vraie partie prenante de l'histoire. Le choix de la lumineuse Cate Blanchett pour l'incarner n'y est pas pour rien et le couple qu'elle forme avec Russell Crowe reste séduisant.

Sans éclat particulier et avec suffisamment de savoir-faire pour que l'on passe un bon moment, Ridley Scott, qui s'est montré si inconstant ces dernières années que l'attente générée par ce nouvel opus n'était pas démesurée, signe une épopée chevaleresque honorable qui risque fort de vite tomber dans l'oubli.


Un couple de quarantenaires usés par la routine décident de passer une soirée dans un des restaurant les plus courus de Manhattan. Sans réservation, ils prennent la place d'un autre couple, les Triplehorn. Mais à peine leurs entrées entamées, ils sont confondus par des gangsters à la recherche des Triplehorn. Les voilà partis pour une nuit pas comme les autres... 

La complicité qui unit les deux interprètes est la principale réussite de cette comédie sans prétention. Steve Carrell, célèbre depuis 40 ans toujours puceau et Little Miss Sunshine, et Tina Fey qui s'est distinguée par ses imitations de Sarah Palin, incarnent à merveille ce couple qui cherche à retrouver le feu sacré. La soirée haut en couleurs dont ils vont être les héros involontaires est souvent plaisante et pimentée de répliques bien senties. L'apparition de comédiens reconnus dans des petits rôles ou des caméos (Mark Whalberg, James Franco, Ray Liotta, Mark Ruffalo), apportent à l'ensemble une incongruité sympathique. Un divertissement qui n'est pas exempt d'un certain formatage mais que Steve Carrell et Tina Fey, par leur douce folie, arrivent à rendre acceptable. 

Antoine Jullien 


Dans ses yeux


Dans la course à l'Oscar du meilleur film étranger, qui a osé damner le pion aux deux grands favoris qu'étaient Un Prophète et Le Ruban blanc ? A la surprise générale, ce fut Dans ses yeux de Juan José Campanella. Mais à y regarder de plus près, le choix des votants n'est guère étonnant. Face à la montée en puissance d'un caïd en prison et les sévices infligés à des enfants dans un petit village allemand à la veille de la seconde guerre mondiale, soit deux visions du monde très inquiétantes, le long métrage argentin paraissait nettement plus rassurant au regard des goûts de l'académie, souvent décriée pour son... académisme. Mais ce procès serait injuste tant ce film inattendu recèle de vraies prouesses.

En 1974, à Bueno Aires, Benjamin Esposito enquête sur le meurtre d'une jeune femme. Vingt-cinq ans après, il décide d'écrire un roman d'après cette affaire "classée" dont il a été l'un des principaux protagonistes. Ce travail d'écriture le replonge dans cette ténébreuse enquête qui l'obsède depuis toutes ces années mais également à l'amour qu'il portait alors à sa collègue de travail et qui ne s'est jamais évanoui...

Très habilement, le cinéaste passe de l'époque passée au présent avec brio, entremêlant les fils d'une intrigue à rebondissements qui ne cesse de captiver. Grâce à de solides interprètes parmi lesquels se distingue une nouvelle fois Ricardo Darin (déjà vu dans Les Neufs Reines et El Aura), Campanella distille tout au long de son film un parfum romanesque légèrement suranné mais le plus souvent emballant. Les personnages, avec leurs zones d'ombre, apportent à l'histoire une vraie densité émotionnelle et une distance ironique bienvenue qu'incarne le collègue alcoolique d'Esposito interprété par le caustique Guillermo Francella.

Guillermo Francella et Ricardo Darin

Au milieu du film, le cinéaste se permet un étourdissant moment de virtuosité. Dans les tribunes d'un stade de football, sa caméra suit, en plan séquence, la poursuite haletante entre les deux hommes et le suspect du meurtre. Cet instant de pure mise en scène, magistralement chorégraphié, apporte un vraie rupture de ton. Mais le cinéaste perdra en intensité à force de tirer inutilement sur son histoire, et la fin, trop consensuelle, atténuera un peu l'ensemble.

Dans ses yeux restera en mémoire car il ne se contente pas d'une simple intrigue à tiroirs et d'une classique histoire d'amour. Il nous interroge sur notre envie de justice, nos erreurs passées, les choix que l'on a pas osé faire et les regrets éternels. Avec un arrière plan politique qui rappelle les années de dictature qu'a vécu l'Argentine, Juan José Campanella a su rendre son film prenant et renvoie aux meilleurs mélodrames dans lesquels les personnages vivent une passion plus intérieure qu'exprimée, d'une touchante discrétion.



DVD et Blu-Ray disponibles chez M6 Vidéo.

mercredi 12 mai 2010

Enter the void


"L'enfant terrible du cinéma français" lit-on régulièrement à propos de Gaspar Noé. Un enfant déjà roi à qui l'on a accordé un budget imposant (plus de 10 millions d'euros) pour assouvir un trip expérimental, sans vedette ni concessions. Les producteurs, et c'est heureux, aiment encore se lancer dans des paris fous. Sûr qu'avec Gaspar Noé, ils ont été servis. Et le spectateur aussi.

Pitcher Enter the Void ? La chose est délicate tant le long métrage n'a que faire de son histoire. Disons qu'il s'agit d'un jeune homme qui, mort au début du film, voit son âme contempler le monde et lui fait revivre les moments clefs de son existence. Tout cela pendant 2h35...

Le spectateur doit être prévenu : même s'il n'assistera pas à des scènes insoutenables comme dans Irréversible, il devra se laisser entraîner dans ce tourbillon psychédélique.  Et le ton est donné dès le générique, une succession frénétique de titres aux couleurs criardes. Par la suite, le film adoptera un tempo plus calme, hypnotisant.


Durant une bonne heure, la caméra de Gaspar Noé surplombe le décor puis se positionne dos au personnage, alternant différents modes de subjectivité. Techniquement exceptionnel, le résultat, baigné d'effets spéciaux 3D dernier cri, vaut à lui seul le déplacement et ne ressemble à rien de connu. De plus, l'utilisation des lumières de Tokyo, le lien principal de l'action, renforce cette envie d'un grand voyage hallucinogène. Mais la blague ne dure pas éternellement et l'extrême artificialité du projet éclate alors au grand jour.

Gaspar Noé n'a jamais eu grand chose à nous dire et le montre une fois encore. Sa vision du monde, bêtement adolescente, assénée à coups de phrases choc, trouve ses cruelles limites. Pour masquer l'indigence du propos, le réalisateur répète à foison ses longs mouvements d'appareils et plonge jusqu'à plus soif dans diverses substances pour nous amener au Love Hotel, étape finale et bienvenue d'un périple mental plus roublard que vraiment marquant. A moins que nous ayons raté l'expérience philosophique de notre vie ? Au cinéaste de conclure : "Le sujet principal de mon film serait plutôt la sentimentalité des mammifères et la chatoyante vacuité de l'expérience humaine". CQFD.

Antoine Jullien

Life During Wartime


Une mère discutant de manière très décontractée de sa vie sexuelle avec son fils et partageant avec sa fille une vraie dépendance aux anti-dépresseurs : bienvenue dans la famille américaine selon Todd Solondz qui reprend, dix ans après Happiness, les mêmes personnages mais joués par de nouveaux acteurs. Soit un pédophile tout juste sorti de prison, une sœur traumatisée par la mort de son ancien mari et un jeune garçon qui aimerait bien retrouver son père...

On reproche souvent au réalisateur sa cruauté envers ses personnages en les enfermant dans une routine humiliante sans leur laisser aucune échappatoire. Pour équilibrer ce tragique état de faits, il usait d'un humour à froid souvent pertinent, un rire grinçant qui provoquait un malaise palpable. Cette fois, le propos est au désenchantement. Quelques rares sourires viendront timidement amoindrir un film un peu vain dans sa provocation mais néanmoins lucide.

Allison Janney

La fausse douceur rassurante qu'imprègne la photographie d'Ed Lachmann permet à Todd Solondz de retirer le vernis artificiel qui encombre tous ses personnages. Et sa minutieuse description des comportements humains renvoie comme un boomerang à cette Amérique repliée sur elle-même où la peur de l'autre est devenue la règle élémentaire.

Mais le cinéaste ne se renouvelle pas pour autant et à moins de n'avoir vu aucun de ses films, Life During Wartime paraîtrait presque terne à côté du culotté Happiness dans lequel il arrivait à extraire de ses personnages une touchante humanité. Ici, la monstruosité ordinaire semble être devenu son unique fond de commerce. On peut trouver cela jubilatoire... ou déprimant.

Antoine Jullien