vendredi 30 octobre 2015

Spectateurs, réveillez-vous !

 
Le beau temps, la morosité ambiante, la crise qui dure... tous les prétextes sont bons pour "ne pas se prendre la tête" et "passer un bon moment". Pourquoi blâmer un public abreuvé d'images et pris dans un entonnoir de campagnes de promotion envahissantes ? Le cinéma n'est plus un art sacré et il se confond désormais avec tous les médias, majeurs et mineurs, sans parvenir à retrouver sa majesté d'antan. Un discours d'arrière-garde ? Non, un constat lucide sur la place du cinématographe aujourd'hui, considéré par le plus grande nombre comme un simple produit de consommation. Comment expliquer autrement le triomphe qui nous accable actuellement ? 

Nous n'avons pas vu Les nouvelles aventures d'Aladin et ne comptons pas écrire une ligne dessus (remarquez c'est déjà fait !). 2 800 000 entrées en seulement quinze jours et une place en or au box-office pour la nouvelle coqueluche des ados, Kev Adams, qui cumule avec Les Profs 2 plus de six millions de spectateurs. Et ce n'est pas fini... Les jeunes et moins jeunes qui se sont rués dans les salles n'ont semble-t-il pas été alertés par les images calamiteuses de la bande annonce. Certes, ils n'ont pas eu la possibilité de lire les premiers retours très négatifs des spectateurs, censurés par le site AlloCiné qui perd une bonne part de sa crédibilité en participant pleinement au roulaud compresseur marketing. Mais la fréquentation du film ne faiblit pas, le signe d'un bon bouche-à-oreille. Alors, on abdique ? 

Marguerite, 1 million d'entrées

15 à 20 longs métrages par semaine, des centaines de blogs et de sites pour en parler... et le public ne se déplace que pour voir celui qui aura le mieux saturé l'espace. Bien sûr, réjouissons-nous que la popularité de Catherine Frot ait donné envie de découvrir Marguerite qui dépasse le million d'entrées. Ou avant lui La loi du Marché qui a, malgré la rudesse de son sujet, profondément interpellé. Et les autres ? Tombées dans les limbes des sorties hebdomadaires...  

Mon Cinématographe est l'ardent défenseur d'un cinéma accessible et de qualité, ouvert aux cinéphiles comme aux néophytes. Il n'est donc pas ici question de tomber dans un élitisme stérile qui condamnerait d'avance le succès. Mais le succès pour quoi ? Jurassic World, Fast and Furious 7, Avengers 2... des produits sans âme et manufacturés, de l'entertainment tiédasse, aussitôt ingurgité aussitôt (mal) digéré. Le merveilleux Vice-Versa ou le tonitruant Mad Max : Fury Road demeurant, hélas, des exceptions.

Il faut un sacré courage aujourd'hui pour être un distributeur indépendant. Réussir à susciter la curiosité d'un public qui en est malheureusement dépourvu. Comment alors le faire bouger de sa zone de confort ? Certainement pas avec mépris ou condescendance. Mais en l'encourageant à s'aventurer davantage grâce à notre insatiable envie de faire découvrir une œuvre qui le mérite. Ou pas. Car le spectateur sera seul juge, loin des critiques et des a priori. Mais il aura permis à la diversité d'exister. 

Antoine Jullien

jeudi 29 octobre 2015

La critique cannoise de The Lobster

 
Le réalisateur Yorgos Lanthimos s'était fait remarquer grâce à Canine, un film radical et dérangeant qui laisser augurer un talent prometteur. En salles depuis le 28 octobre, The Lobster (le homard), son cinquième long métrage, lauréat du Prix du Jury au dernier festival de Cannes, raconte un futur proche, une sorte de monde parallèle dans lequel il est interdit d'être célibataire sous peine de se voir transformer en animal. Pour échapper à ce destin, un homme (Colin Farrell) s'enfuit et rejoint dans les bois un groupe de résistants, les Solitaires.

Un postulat intriguant et absurde qui ne tient malheureusement pas ses promesses. Si la première partie amuse et déconcerte grâce à un dispositif de mise en scène très élaboré et très méticuleux, Lanthimos n'en fait par la suite plus grand chose et gâche son récit dans une deuxième partie laborieuse et interminable. Dénonçant toutes les formes de totalitarisme, le réalisateur finit par se prendre les pieds dans le tapis mais révèle Colin Farrell sous un nouveau jour. Régulièrement coupable de mauvais choix, l'acteur, bedonnant et apathique comme on ne l'a jamais vu à l'écran, est surprenant dans un rôle pourtant loin d'être valorisant. Souhaitons au comédien le même goût de l'aventure cinématographique pour ses prochains films. 

Antoine Jullien 

Irlande / Grande-Bretagne / Grèce / France / Pays-Bas / Etats-Unis - 1h58
Réalisation : Yorgos Lanthimos - Scénario : Yorgos Lanthimos et Efthymis Filippou
Avec : Colin Farrell (David), Rachel Weisz (La femme myope), Olivia Coleman (La directrice de l'hôtel), Ariane Labed (la femme de chambre).


mercredi 28 octobre 2015

La critique cannoise de Mon Roi

 
Quatre ans après Polisse qui lui avait valu le prix du Jury, Maïwenn était de retour en compétition au festival de Cannes grâce à Mon Roi qui raconte une histoire d'amour sur une dizaine d'années, forcément autodestructrice et maladive (c'est Maïwenn), entre Emmanuelle Bercot (la réalisatrice de La Tête Haute) et Vincent Cassel. Le film est dans les salles depuis le 21 octobre.

A coup d'improvisation, Maïwenn repose l'essentiel de son film sur les épaules de ses comédiens. Ils sont d'ailleurs excellents et demeurent la principale qualité du film. Pour le reste, la réalisatrice n'a pas grand chose de neuf à nous raconter sur un sujet qui a donné lieu à plusieurs films majeurs. Le relatif schématisme des personnages, l'opposition un poil binaire entre le bourreau charmeur (Cassel) et la victime (Bercot) n'est pas d'une folle originalité. La réalisatrice ne brille pas non plus par l'audace de sa mise en scène qui se contente de faire hurler Emmanuelle Bercot sous la pluie lors d'une scène de rupture. Les allers-retours scénaristiques appuient de manière balourde et complaisante sur la supposée reconstruction du personnage féminin. Et le milieu social gravitant autour de ce couple qui symbolise le nombrilisme de la réalisatrice, finit par irriter. Emmanuelle Bercot a su tout de même tirer son épingle du jeu en remportant un mérité prix d'interprétation. Le signe d'une nouvelle carrière d'actrice ?

Antoine Jullien

France - 2h04
Réalisation : Maïwenn - Scénario : Maïwenn et Etienne Comar
Avec : Vincent Cassel (Georgio), Emmanuelle Bercot (Tony), Louis Garrel (Solal), Isild Le Besco (Babeth).  


vendredi 23 octobre 2015

La Glace et le Ciel


Mon Cinématographe parle de cinéma et pourtant il s'agit cette fois d'évoquer davantage l'écologie que le septième art à l'occasion de la sortie du nouveau film de Luc Jacquet. Le réalisateur s'est fait connaître dans le monde entier grâce au succès de La Marche de l'Empereur, lauréat de l'Oscar du documentaire en 2006. Son amitié avec le climatologue Claude Lorius, avec lequel il s'est trouvé une passion commune pour l’Antarctique, l'a amené à raconter son combat contre le réchauffement climatique. A tel point que La Glace et le Ciel a été choisi pour faire la clôture du dernier festival de Cannes. Quand la sauvegarde de l'environnement est désormais une cause tellement primordiale que le plus grand festival du monde devient, un temps, sa plus belle caisse de résonance.

Claude Lorius est parti étudier les glaces de l’Antarctique en 1957. Après cette découverte qui le marqua définitivement, vingt-deux missions polaires se succèderont qui lui permettront, à lui et son équipe, de comprendre comment les bulles de glace peuvent dessiner l'histoire du climat et de l'humanité depuis 40 000 ans. 

Claude Lorius

Le documentaire a une évidente vertu pédagogique et l'on y apprend maintes choses. A l'aide de très nombreuses images d'archives, Luc Jacquet nous fait partager les diverses épopées glaciaires de Claude Lorius, vécues dans un contexte très éprouvant. Lorius le dit lui-même, "ma quête de savoir nous empêchait de devenir fous". Subissant des conditions climatiques extrêmes, l'homme va peu à peu prendre conscience de la détérioration de notre planète, déduisant notamment le fait que la tragédie nucléaire d'Hiroshima a pu engendrer la fonte de la banquise. Profitant d'une surprenante entente cordiale entre les russes et les américains, alors en pleine Guerre Froide, ses travaux, critiqués par certains, vont permettre de faire évoluer les consciences et fragiliser les climatosceptiques.

Mais pourquoi Luc Jacquet a-t-il choisi un mode narratif aussi empoulé ? Malgré ses louables intentions, on ne peut que regretter l'académisme de son film, constitué d'images de Claude Lorius, aujourd’hui âgé de 80 ans, sur les glaciers, méditant au milieu des pingouins, et de ses nombreuses expéditions racontées par une voix-off un peu trop envahissante. Paresseux et didactique dans sa forme, le documentaire semble avoir été réalisé au siècle dernier, avec une emphase grandiloquente qui le dessert entièrement. Certes, le réalisateur nous alerte à raison sur les dangers du changement climatique mais on aurait préféré un traitement moins vieillot et scolaire sur un sujet qui doit tous nous alerter. Et qui trouvera, une fois encore, davantage de lamentations que de solutions.

Antoine Jullien

mardi 20 octobre 2015

Seul sur Mars

 
L'espace semble être devenu un territoire cinématographique incontournable, propice à des aventures vertigineuses et fascinantes. Il y a deux ans, Gravity nous propulsait à 600 000 km au-dessus de la Terre de manière incroyablement immersive et inédite. L'an passé, Christopher Nolan s'interrogeait sur notre devenir dans le cosmos dans le très réflexif Interstellar. Loin de ces grandes ambitions, Ridley Scott envoie Matt Damon (qui jouait déjà un scientifique isolé dans le film de Nolan) sur Mars, adaptant le best-seller d'Andy Weir. En bon professionnel. 

Lors  d'une expédition sur la planète rouge, l'astronaute Mark Watney est laissé pour mort par ses coéquipiers, une tempête les ayant obligés à décoller en urgence. Mais il survit et doit désormais trouver le moyen de repartir seul. Grâce à son ingéniosité, il va réussir à contacter la Terre. A 225 millions de kilomètres de là, la NASA et des scientifiques du monde entier vont travailler sans relâche pour le sauver pendant que ses coéquipiers tente de le récupérer dans une mission de la dernière chance. 

Matt Damon

Il paraît que certains spectateurs ont trouvé le film si crédible qu'ils ont cru voir une histoire vraie. Outre le sérieux scientifique apparent du projet et son relatif réalisme (malgré quelques invraisemblances), Matt Damon en est sans doute la raison majeure. Le comédien n'a pas son pareil pour interpréter un homme auquel chacun peut s'identifier, pris au piège d'une situation extrêmement périlleuse et réussissant à s'en sortir à l'aide de sa débrouille et de son bon sens. L'acteur n'hésite pas non plus à alléger des séquences supposées dramatiques avec un humour très présent, se jouant de circonstances saugrenues. Ainsi, il parvient à se nourrir en cultivant un champ de pommes de terre grâce aux excréments de ses coéquipiers et garder la forme en écoutant de la musique disco qu'il déteste par ailleurs. 


A l'instar de son acteur vedette, Ridley Scott ne se prend pas au sérieux, trouvant un plaisir manifeste à s'emparer de l'un de ses genres de prédilection, la science-fiction. Mais comme dans ses œuvres récentes, le cinéaste l'illustre plus qu'il ne l'incarne, se bornant à suivre sagement les étapes d'un scénario qui ne recèle aucune surprise. La fin est écrite à l'avance et on est tout de même assez sidéré de voir le réalisateur de Blade Runner aussi prévisible dans ses intentions. Et ce ne sont ni les quelques plans Go Pro disséminés ici et là, ni les personnages secondaires réduits aux utilités, qui viennent troubler le programme préétabli.

A son allure métronomique, Ridley Scott enchaine les films comme on enfile des perles, avec un professionnalisme certain dénué de toute consistance. L'homme conserve son talent plastique mis dorénavant au service d'entreprises aseptisées, de l'entertainement bien huilé à la gloire de la NASA qui plaira au plus grand nombre. Si le divertissement est au rendez-vous, et il l'est assurément, on pourrait facilement s'en contenter. Mais lorsque l'on voit que ses collègues Nolan et Cuaron tentent, avec des fortunes diverses, de proposer au public d'autres perspectives, on se dit que le papa d'Alien devrait apprendre de ses rejetons. Sous peine de devenir un ersatz de lui-même.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h24
Réalisation : Ridley Scott - Scénario : Drew Goddard d'après le livre d'Andy Weir
Avec : Matt Damon (Mark Watney), Jessica Chastain (Melissa Lewis), Kristen Wiig (Annie Montrose), Jeff Daniels (Teddy Sanders), Kate Mara.

Disponible en DVD et Blu-Ray chez 20th Century Fox

dimanche 18 octobre 2015

Crimson Peak


Guillermo Del Toro fait partie du trio magique mexicain qui a mis Hollywood à ses pieds. Mais à la différence de ses petits camarades Alejandro Gonzalez Iñárritu et Alfonso Cuaron, il défriche depuis ses débuts les terres du cinéma fantastique, que ce soit dans son pays natal (Cronos, son premier film), en Espagne (Le Labyrinthe de Pan) et désormais en Amérique où il n'est jamais évident d'imposer sa griffe. Après des séries B sympathiques (Hellboy) et des blockbusters un peu trop calibrés (Pacific Rim), Crimson Peak marque le sommet de sa carrière hollywoodienne, un conte mortifère enivrant.

Au début du XXème siècle, Edith Cushing (Mia Wasikowska), romancière en herbe, vit avec son père dans une belle demeure à Buffalo, dans l'état de New York. Hantée par la mort de sa mère, elle parvient à communiquer avec les morts et reçoit un jour un étrange message : "Prends garde à Crimson Peak". Peu à son aise au sein de la bonne société de la ville, elle est tiraillée entre deux prétendants dont le mystérieux Sir Thomas Sharpe (Tom Hiddleston), accompagné de sa soeur, Lady Lucille (Jessica Chastain), aux motivations elles aussi obscures...

Mia Wasikowska

Crimson Peak est avant tout une splendeur visuelle dont la référence majeure est l'oeuvre de Mario Bava. Guillermo Del Toro utilise une riche palette de couleurs vives, à commencer par le rouge qui envahit progressivement l'écran, et qui rappelle en effet les films du réalisateur italien. Le soin méticuleux apporté aux décors grandioses et majestueux, spécialement construits pour le film, et aux splendides costumes, crée une atmosphère gothique flamboyante qui plonge instantanément le spectateur dans une histoire de maison hantée qu'il pensait avoir vu mille fois.

Mais à la différence d'un vulgaire faiseur, Guillermo Del Toro injecte du souffre à une intrigue qui n'est pas sans rappeler des classiques de la littérature comme Les Hauts de Hurlevent ou Rebecca. Sous les atours du film d'épouvante traditionnel et du divertissement grand public, le réalisateur filme un amour déviant pris sous le feu de l'innocence et parvient ainsi à subvertir le genre tout en le sublimant, alliant magnifiquement le romantisme exacerbé à la noirceur macabre. 

Tom Hiddleston et Jessica Chastain

La réussite du long métrage ne serait pas entière sans son étincelant casting. Mia Wasikoswska apporte la candeur et la délicatesse nécessaires à son personnage, Tom Hiddleston intrigue en dandy ténébreux, rappelant fortement son rôle dans Only lovers left alive de Jim Jarmusch, et Jessica Chastain subjugue une fois encore dans une partition inhabituelle. Avec une économie de jeu admirable, elle incarne de manière éblouissante la perversité et le machiavélisme d'une oeuvre qui va bien au-delà du genre auquel on voudrait le réduire. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h59
Réalisation : Guillermo Del Toro - Scénario : Guillermo Del Toro et Matthew Robbins
Avec : Mia Wasikowska (Edith Cushing), Jessica Chastain (Lucille Sharpe), Tom Hiddleston (Thomas Sharpe), Charlie Hunnam (Dr Alan McMichael)

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Universal

mardi 13 octobre 2015

Sicario


De film en film, Denis Villeneuve se construit une filmographie singulière, jamais tout à fait là où on l'attend. Après le suffocant Prisoners et le surréaliste Enemy, le réalisateur québécois, en compétition à Cannes cette année (voir la vidéo), place sa caméra à la frontière américano-mexicaine, au sein des plus redoutables cartels de drogue. Imaginez la version sombre du Traffic de Soderbergh débarrassé de son glamour et de son esthétisme ostentatoire. Par sa rigueur et sa sécheresse, Sicario ringardise soudain le genre, habituellement rempli jusqu'à plus soif de mouvements frénétiques et de caméra à l'épaule incessante. A l'opposé de cet étalage d'effets, Denis Villeneuve impose définitivement sa marque et frappe les esprits.

Une jeune recrue du FBI est enrôlée pour aider un groupe d'intervention d'élite dirigé par un agent du gouvernement américain dans la lutte pour le trafic de drogue. Mené par un consultant énigmatique, l'équipe se lance dans un périple incertain et dangereux qui va fortement bousculer les convictions de Kate. 

Emily Blunt

Une séquence suffit à résumer l'ampleur de la mise en scène de Denis Villeneuve, celle du convoi des véhicules des autorités qui doit transporter un important chef de cartels afin de l'interroger. La minutie  et l'élaboration des plans, l'art du montage, le rythme incroyablement soutenu, la musique oppressante, procurent une tension qui ne quittera plus l'écran. Dénué de la moindre esbroufe, le film fonctionne par des ruptures savamment orchestrées, laissant le spectateur sans cesse en attente, déstabilisé, à l'image de ce rideau recouvrant Emily Blunt et l'isolant du danger qui la guette. Ou comment la mise en scène incarne l'idée même du récit : explorer l'indéfinissable zone de gris.

Benicio Del Toro

Le film se place du point du vue du personnage de Kate, c'est par elle que l'on découvre les manoeuvres de plus en plus troubles de son équipe. Chaque personnage devient opaque, à commencer par le plus intéressant d'entre eux, Alejandro (Benicio Del Toro), un envoyé du gouvernement colombien déterminé à faire la peau au méchant de l'histoire. Mais qui sont les méchants ? A mesure que l'intrigue se dévoile, les cartes sont rebattues, les motivations des uns et des autres deviennent nébuleuses et les raisons de garder confiance en quiconque de plus en plus ténues. 

Comme dans tout bon polar, Sicario (tueur à gages en espagnol) parle aussi du monde d'aujourd'hui et de ses inavouables compromissions. Une femme manipulée par sa hiérarchie comprend qu'elle est impuissante à lutter contre un monde sans règles ni barrières. "Une terre de loups" comme le résume Benicio Del Toro, une fois encore fascinant dans une sorte de double maléfique de son personnage de flic incorruptible de Traffic. Dévorer l'autre avant de se faire manger à son tour, un crédo qui devient force de loi. Sous les atours brillants du thriller haut de gamme, Denis Villeneuve nous confronte à la laideur qui nous entoure. Et laisse le dernier mot à ceux qui en sont les premiers touchés, victimes d'une guerre qui n'a malheureusement pas de raison de connaître le mot "Fin". 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h02
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Taylor Sheridan 
Avec : Emily Blunt (Kate Macer), Benicio Del Toro (Alejandro), Josh Brolin (Matt Graver), Jon Bernthal (Ted). 
 
Disponible en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan

samedi 10 octobre 2015

Les frères Coen mettent Hollywood à sac

 
Les frères Coen avaient dépeint de manière corrosive le Hollywood de jadis dans Barton Fink. Ils semblent récidiver mais sous un mode moins tortueux et plus léger. Hail, Caesar ! est un projet qu'ils ont dans leurs cartons depuis longtemps et qu'ils se sont enfin décider à mettre en scène. Soit l'histoire d'Eddie Mannix, un homme de l'ombre chargé de réparer les dégâts causés par des stars. L'action du long métrage se déroule dans les années 50, au cœur de la Mecque du cinéma, et chacun a l'air d'en prendre pour son grade. 

Pour ce qui s'annonce comme un réjouissant jeu de massacre, les Coen ont convié un casting dément dont George Clooney dans le rôle d'une vedette ayant une fâcheuse tendance à oublier ses répliques, et qui s'amuse à jouer encore les idiots après O'Brother, Intolérable Cruauté et Burn After Reading. Josh Brolin (déjà dans No Country for old men et True Grit) campe Mannix, un personnage ayant réellement existé, Frances McDormand officie pour la sixième fois dans un film des frangins qui réunissent également Ralph Fiennes, Channing Tatum, Tilda Swinton et Scarlett Johansson. 

Cette première bande annonce de Hail, Caesar ! nous donne furieusement envie de le découvrir. Il faudra malheureusement patienter jusqu'au 17 février 2016. 

vendredi 9 octobre 2015

Mon Cinématographe dans La Grande Séance d'Octobre


Mon Cinématographe a participé à l'émission La Grande Séance sur Séance Radio avec comme invités Ivan Calbérac, le réalisateur de L'étudiante et Monsieur Henri (en salles depuis le 7 octobre), et la comédienne Hortense Gélinet, à l'affiche de Quand je ne dors pas de Tommy Weber, sorti le 30 septembre. Influencé par la Nouvelle Vague, le réalisateur n'en signe pas moins un long métrage plutôt inspiré et très personnel, l'errance nocturne, en noir et blanc, d'un pierrot lunaire qui rate à peu près tout ce qu'il entreprend, interprété par une vraie révélation, Aurélien Gabrielli.

Mon Cinématographe est revenu sur le 6ème Showeb qui s'est tenu cette semaine. Devant une foule de blogueurs, les distributeurs ont présenté les images, souvent exclusives, de leurs prochains films. Nous avons retenu tout particulièrement un extrait très émouvant du prochain Pixar, Le Voyage d'Arlo (en salles le 25 novembre), que l'on espère être à la hauteur du fantastique Vice-Versa, et l’intervention du réalisateur Nicolas Boukhrief, venu présenter la bande annonce de Made in France sur l'infiltration d'un journaliste dans les milieux djihadistes français. Un sujet "chaud" pour un cinéaste se défendant de toute récupération, le film ayant été tourné avant les attentats de janvier. Sortie le 4 novembre prochain.

Le débat de La Grande Séance portait sur le sexisme au cinéma, à l'heure où le gouvernement américain enquête sur les discriminations subies par les femmes à Hollywood.

Retrouvez l'émission ICI

jeudi 8 octobre 2015

Maryland

 
La place des femmes dans l'industrie du cinéma n'a jamais été autant décriée et lorsque l'une d'entre elles ose s'aventurer dans un genre peu exploré par les réalisatrices, on fait la fine bouche. Les films réalisés par des femmes ne devraient-ils se cantonner qu'au drame psychologique ou à la comédie sociologique ? Voilà une vision étriquée qu'Alice Winocour compte bien balayer. Alors que ses consœurs ont tendance, pour leur coup d'essai, à raconter les éternels atermoiements adolescents, l'apprentie cinéaste nous avait étonné avec son premier long métrage, Augustine, basé sur les travaux du professeur Charcot, interprété par Vincent Lindon et Soko. Cette fois, elle nous propose un thriller oppressant sous forme de huis-clos. Imparfait mais troublant. 

De retour de combat, Vincent (Matthias Schoenaerts), victime de troubles de stress post-traumatique, est chargé d'assurer la sécurité de Jessie (Diane Kruger), la femme d'un riche homme d'affaires libanais, dans sa propriété dénommée "Maryland". Sujet à des angoisses et des hallucations, Vincent éprouve une étrange fascination pour la femme qu'il doit protéger. Mais la menace rôde. 

Diane Kruger et Matthias Schoenaerts

C'est cette angoisse diffuse qui fait tout l'intérêt de Maryland, et ce dès la scène du cocktail où Vincent découvre Jessie. Alice Winocour épouse finement le point de vue de cet homme, le travail de la caméra autour des personnages le démontre. Dans la première partie du film, Diane Kruger est sans cesse observée par lui, située à l'arrière-plan de l'image ou sur les vidéos de surveillance. Puis une intimité commence à s'installer entre les deux et ils se retrouvent alors dans le même cadre, étouffés par le silence et les non-dits. Le danger qui plane sur eux les rapprochent mais une sorte de méfiance réciproque les éloignent dans le même instant. La force brute de Matthias Schoenaerts, omniprésent à l'écran, et la fragilité de Diane Kruger, plus en retrait, accompagnent superbement ces sentiments contrariés.

De cette menace, on ne saura pas grand chose. La vente d'armes et la corruption politique forment une toile de fond qui n'intéresse pas vraiment la réalisatrice. En revanche, elle parvient à faire naître l'inquiétude uniquement grâce à son décor, ce Maryland abandonné de tous et devenu vulnérable. Un bruit sourd, une porte qui claque, une bourrasque de vent, suffisent à créer une tension très réaliste. La cinéaste possède une maîtrise visuelle indéniable, réussissant d'intenses et rugueuses scènes de combat. Elle sait également, grâce à l'utilisation de la bande son, rendre l’atmosphère du lieu mystérieuse, presque irréelle. Malgré une fin indécise et ratée qui gâche un peu l'impression d'ensemble, Alice Winocour prouve qu'il faudra désormais compter avec elle et confirme de la plus belle manière qu'"il n'y a pas de films réservés aux hommes".

Antoine Jullien

France - 1h38
Réalisation et Scénario : Alice Winocour
Avec : Matthias Schoenaerts (Vincent), Diane Kruger (Jessie), Paul Hamy (Denis), Victor Pontecorvo (Tom).

Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Distribution.

mardi 6 octobre 2015

Enragés


À la suite d’un braquage ayant mal tourné, quatre gangsters (Laurent Lucas, Guillaume Gouix, Franck Gastambide et François Arnaud) prennent en otage une femme (Virginie Ledoyen) et un père de famille (Lambert Wilson) qui doit d'urgence amener sa fille malade à l'hôpital. C’est ainsi que commence une longue chevauchée qui révélera peu à peu le véritable visage de ces compagnons de route.

Un mois après le sympathique Antigang, c’est au tour d’Eric Hannezo de tenter sa chance avec un film de genre à la française. Cet ex-journaliste est réputé pour avoir considérablement modernisé le reportage sportif en y amenant une touche visuelle cinématographique percutante. Dès les premières minutes de son film, on sent tout l’amour qu’éprouve le réalisateur pour la série B américaine des années 80 et notamment pour l’œuvre de John Carpenter, que ce soit dans ses choix de cadres ou de musiques. Esthétiquement, c’est une belle surprise comme on aimerait en voir plus souvent dans le cinéma français. Mais la réussite d’Enragés s’arrête malheureusement là. Car livrer de belles images, c’est bien, raconter une histoire crédible et captivante, c’est tout de même beaucoup mieux.

Laurent Lucas, Franck Gastambide, Virginie Ledoyen, François Arnaud et Guillaume Gouix

Les acteurs semblent complètement perdus, victimes de personnages sans relief, de dialogues navrants de platitude (on a le droit à un « ferme ta gueule ! » toutes les trente secondes) et d'un réalisateur plus intéressé par son chef opérateur. Même si Lambert Wilson et Franck Gastambide ne s’en sortent pas trop mal, Guillaume Gouix tourne en rond, ne sachant jamais comment faire varier un personnage dépourvu d’originalité. Mais que dire du reste de casting, mal dirigé, de Laurent Lucas, ridicule en «badass vénère », à Virginie Ledoyen faisant ses yeux de biche dans un rôle presque inutile, en passant par François Arnaud offrant une caricature de psychopathe refoulé.

Les incohérences nombreuses, les quelques ratés techniques (le doublage de certains acteurs), les facilités narratives (l’affichage de l’heure en guise d’ellipse souligné par une virgule sonore d’une lourdeur pachydermique, la radio qui fait régulièrement le point sur ce qu’il vient de se passer) plombent aussi considérablement le récit. 

Lambert Wilson

En expatriant le tournage au Québec, Enragés épouse une forme purement hollywoodienne qui aurait pu être intéressante si elle avait été singulière. Mais à force d’arpenter les lieux communs et les séquences attendues, Eric Hannezo n’arrive jamais à nous surprendre, du moins dans la première heure. La dernière partie du film devient plus inattendue mais pas forcément pour de bonnes raisons. Entre séquences incongrues (la fête de l’ours dont on ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer) et un twist surprenant mais gratuit, peu de choses viennent sauver ce premier film si ce n’est la générosité et les bonnes intentions émanant de la mise en scène. Un beau gâchis en quelque sorte.

Alexandre Robinne

France - 1h33
Réalisation : Eric Hannezo - Scénario : Benjamin Rataud, Yannick Dahan et Eric Hannezo
Avec : Lambert Wilson (Le père), Guillaume Gouix (Sabri), Virginie Ledoyen (La femme), Franck Gastambide (Manu), François Arnaud (Vincent).

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Vidéo.

lundi 5 octobre 2015

Elizabeth Olsen au Festival de Deauville

 
Le 41ème Festival du Cinéma Américain de Deauville a mis à l'honneur une jeune actrice prometteuse d'Hollywood, en la personne d'Elizabeth Olsen. 

L'actrice, découverte dans Martha Marcy May Marlene et récemment à l'affiche de la superproduction Avengers - L'Ere d'Ultron (en DVD et Blu-Ray depuis le 30 septembre), a répondu à notre micro avant de recevoir son prix des mains de Vincent Lindon, visiblement conquis. 

vendredi 2 octobre 2015

Un début prometteur


Après Sweet Valentine, son premier coup d'essai, Emma Luchini adapte le livre de son compagnon Nicolas Ray, l'interprète et scénariste de La Femme de Rio qui a valu à la réalisatrice de remporter cette année le César du meilleur court métrage. Si son univers un brin décalé avait séduit sous le format court, il trouve ici ses limites malgré le charme qu'il dégage et la qualité de ses interprètes.

Martin, écrivain alcoolique et désabusé en bout de course, retourne chez son père, un horticulteur romantique. Il y retrouve Gabriel, son jeune frère de 16 ans, idéaliste et fougueux, qui tombe amoureux de Mathilde, une jeune femme flamboyante et joueuse qui va bousculer ce trio d'hommes déboussolés. 

Zacharie Chasseriaud, Veerle Baetens et Manu Payet

Emma Luchini signe une comédie douce amère en jouant sur les archétypes de ses personnages afin de révéler leur tendre humanité. Mais la réalisatrice ne les développe pas suffisamment, victime d'un scénario qui part dans trop de directions sans en approfondir aucune. Le film a du mal à trouver son ton, amusant par endroits, plus sombre dans d'autres, sans que l'alliage ne fonctionne véritablement. De jolies scènes, il y en a pourtant dans ce Début prometteur, comme cette séquence de séduction inattendue entre Gabriel et Mathilde ou lorsque la jeune femme reprend superbement Mes Hommes de Barbara, sous les yeux ébahis de la fratrie. Mais on regrette qu'elle n'exploite pas davantage certaines situations, notamment ce passage onirique, la nuit, dans les jardins de Claude Monet. Une impression d'inachevé qui perdurera jusqu'à la fin de la projection. 

Heureusement, Emma Luchini a l'art du casting qui donne du pimant à son histoire. Si son père, Fabrice, semble un peu sous employé en père dépassé, Manu Payet révèle, lui, une facette inédite et surprenante. Bedonnant, les cheveux et la barbe hirsutes, il promène avec élégance sa nonchalance et son cynisme soudain malmenés par une irrépressible tornade flamande. Révélée par Alabama Monroe, Veerle Baetens fait chavirer les cœurs, dont celui du spectateur, irradiant le film de sa présence. Une comédienne à n'en pas douter très prometteuse.

Antoine Jullien 

France - 1h30
Réalisation : Emma Luchini - Scénario : Emma Luchini, Nicolas Ray et Vanessa David
Avec : Manu Payet (Martin Vauvel), Veerle Baetens (Mathilde Carmain), Zacharie Chasseriaud (Gabriel Vauvel), Fabrice Luchini (Francis Vauvel).