mercredi 24 décembre 2014

Les films à voir (ou pas) pendant les Fêtes

EXODUS / LA FAMILLE BELIER / LE TEMPS DES AVEUX / THE RIOT CLUB / 
COLD IN JULY / 20 000 JOURS SUR TERRE

Noël et son traditionnel lot de sorties de films. Outre Whiplash (voir Interview), il y en a pour tous les goûts et on vous aide à faire le tri !

EXODUS : GODS AND KINGS 


Après Gladiator, Kingdom of Heaven et Robin des Bois, voilà Sir Ridley Scott de retour aux commandes d'une superproduction épique. Le réalisateur met ses pas sur ceux de Cecil B. DeMille en racontant comment Moïse défia le pharaon Ramsès, entraînant 600 000 esclaves dans un périple pour fuir l'Egypte et ainsi échapper au terrible cycle des dix plaies, les dix châtiments que, selon le Livre de l'Exode, Dieu infligea à l'Egypte pour convaincre le pharaon de laisser partir le peuple d'Israël.

Ridley Scott conserve intact son sens du spectacle et ses visions d'apocalypse demeurent impressionnantes. Mais les qualités visuelles et plastiques indéniables de Exodus ne peuvent faire oublier les faiblesses d'un scénario qui ne s'intéresse nullement à l'affrontement entre Moïse et Ramsès, assez caricatural, préférant se focaliser sur les doutes du leader et son rapport avec Dieu, représenté ici sous les traits d'un enfant. Une bonne idée pas totalement exploitée de même que de nombreux personnages sont purement et simplement sacrifiés sur l'autel du montage. Et on ne peut justifier ceci par le fait que le cinéaste ait coupé près d'une heure du métrage. Donner aussi peu à jouer à des acteurs de la trempe de Ben Kingsley ou Sigourney Weaver est impardonnable, director's cut ou non. Et si Christian Bale est convaincant en Moïse, lui apportant suffisamment de substance et  de charisme, que dire du pauvre Joel Edgerton dans la peau de Ramsès, tristement égaré. On se dit alors que Les 10 Commandements se suffisait amplement à lui-même.

Etats-Unis / Grande-Bretagne / Espagne - 2h30
Réalisation : Ridley Scott  - Scénario : Adam Cooper, Bill Collage, Jeffrey Caine et Steven Zaillian
Avec : Christian Bale (Moïse), Joel Edgerton (Ramsès), John Turturro (Seti), Aaron Paul (Joshua), Ben Kingsley (Nun).

Sortie le 24 décembre 




LA FAMILLE BELIER 


C'est LE feel good movie français dont tout le monde parle, à qui l'on prédit un très grand succès populaire, l'histoire d'une famille de sourds-muets qui vit à la campagne et dont la fille aînée, Paula, la seule qui parle, sert d'interprète à ses parents pour la bonne gestion de leur ferme. Poussée par son professeur de musique qui lui a découvert un don pour le chant, elle décide de passer le concours de Radio France, sous le regard réprobateur de ses parents, mécontents de la voir partir. 

Bien qu'il sente un peu trop la formule gagnante, La famille Belier est un film sincère et sympathique, traitant le handicap avec suffisamment d'humour et de distance pour que la pilule passe agréablement. La réussite de cette comédie vient aussi du couple formé par Karin Viard et François Damiens qui insufflent à leurs personnages un doux mélange de loufoquerie et de sensibilité. Pour son premier rôle à l'écran, Louane Emera, lauréate du télé-crochet The Voice, s'en sort plutôt bien. Le réalisateur Eric Lartigau, à qui l'on doit la comédie romantique Prête-moi ta main, reste dans les clous d'un divertissement efficace et consensuel, sortant par moments des rails, notamment lorsque Karin Viard confesse qu'elle voulait que sa fille soit sourde de corps et d'esprit. On versera ou non sa petite larme à la fin dans une scène un peu trop attendue, et on portera un autre jugement sur les chansons de Michel Sardou. Et cela tient presque de l'exploit !

France - 1h45
Réalisation : Eric Lartigau - Scénario : Stanislas Carre de Malberg, Victoria Bedos, Thomas Bidegain, Eric Lartigau
Avec : Louane Emera (Paula), Karin Viard (Gigi), François Damiens (Rodolphe), Eric Elmosnino (Monsieur Thomasson).

En salles



LE TEMPS DES AVEUX 

 
Plus de vingt-ans après Indochine, Régis Wargnier plante à nouveau sa caméra dans cette région du monde, plus précisément au Cambodge pour filmer le destin de François Bizot, un ethnologue français capturé en 1971 par les  Khmers Rouges puis détenu dans un camp perdu dans la jungle et accusé par le régime d'être un espion de la CIA. Après plusieurs mois de détention, il finira par être libéré grâce à son bourreau, le terrible Douch. 

Régis Wargnier a le mérite de nous plonger dans une époque rarement dépeinte au cinéma, à l'exception notable de La Déchirure de Roland Joffé et des documentaires de Rithy Pahn qui a évoqué avec une force remarquable l'horreur des Khmers Rouges. Signalons d'ailleurs que le cinéaste est co-producteur du Temps des Aveux, une caution artistique et historique importante. Wargnier traite son sujet avec sobriété, montrant presque hors champ la barbarie d'un régime qui a causé plus d'un million de morts. Si la période de la captivité manque de tension, la partie suivante, qui se déroule à l'ambassade de France et qui voit les ressortissants français expulsés par les autorités Khmers, est plus prenante, décrivant comment les intentions du régime qui se met à vider les villes de ses habitants deviennent totalitaires. Le film évoque enfin la relation étrange entre Bizot et Douch, faite d'estime et de dégoût mélangés. Une œuvre imparfaite mais utile, un peu plombée par sa voix-off, et qui offre à Raphaël Personnaz un beau personnage d'homme éprouvé face à sa conscience.

France / Belgique / Cambodge - 1h35
Réalisation : Régis Wargnier - Scénario : Antoine Audouard et Régis Wargnier d'après l'oeuvre de François Bizot
Avec : Raphaël Personnaz (François Bizot), Kompheak Phoeung (Douch), Olivier Gourmet (Le Consul Marsac).

En salles 




THE RIOT CLUB 


La réalisatrice Lone Scherfig, remarquée avec Une Education, nous plonge dans les arcanes de la jeunesse dorée britannique dans The Riot Club, un cercle très secret d'Oxford réservé à l'élite de la nation. Deux étudiants fraîchement débarqués vont tout faire pour l'intégrer. 

Adapté de la pièce de Laura Wade, Posh, le film suit d'abord ces deux jeunes faire leurs premiers pas dans la prestigieuse université puis passer un concours de bizutage afin de devenir membres de ce fameux club. On assiste dans un premier temps à une description brillante des grandes institutions anglaises qui ne laissait en rien présager de ce qui nous attendait dans une seconde partie rageuse et violente. Le film devient une critique en règle d'une jeunesse qui se croit tout permis et au-dessus des lois, dans une sorte d'Orange Mécanique à l'envers. La réalisatrice a l'intelligence de ne pas simplifier ses protagonistes, leur donnant à chacun une personnalité qui va évoluer au cours du récit, et incarnés par une troupe d'acteurs talentueux (Sam Claflin, Max Irons, Douglas Booth...) Implacable, The Riot Club bouscule l'ordre établi et dénonce un establishment britannique sur de son pouvoir et de sa domination, s’achevant de manière cruelle et ironique sur l'air de God Save The Queen. Pas sûr que la Reine apprécie ce portrait peu amène de ses "tendres" rejetons.

Grande-Bretagne - 1h47
Réalisation : Lone Scherfig - Scénario : Laura Wade d'après sa pièce 
Avec : Sam Claflin (Alistair Ryle), Douglas Booth (Harry Villiers), Max Irons (Miles Richards), Natalie Dormer (Charlie).

Sortie le 31 décembre




COLD IN JULY 


Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes, Cold in July est une relecture jouissive des polars eighties. L'action se déroule en 1989, au Texas où un homme abat un cambrioleur chez lui, en pleine nuit. Considéré comme un héros par la population locale, il va vite être rattrapé par le père de la victime, bien décidé à se venger. 

Le réalisateur Jim Mickle sait recréer cette époque grâce au brio de sa mise en scène et à la formidable musique synthétique de Jeff Grace qui permet au spectateur de s'immerger davantage dans cette intrigue à tiroirs qui multiplie savamment les rebondissements et qui ne va jamais là où on l'attend. Porté par des vraies "gueules" (Michael C. Hall, Sam Shepard et Don Johnson), Cold in July représente la quintessence de la série B, ne cherchant jamais à faire le malin et demeurant toujours scrupuleusement proche du genre auquel il appartient. Plus qu'un simple plaisir coupable, un vrai bon moment de cinéma.

Etats-Unis / France - 1h49
Réalisation : Jim Mickle - Scénario : Nick Damici et Jim Mickle d'après le livre de Joe R. Lansdale
Avec : Michael C. Hall (Richard Dane), Sam Shepard (Russel), Don Johnson (Jim Bob), Vinessa Shaw (Ann Dane).

Sortie le 31 décembre 




20 000 JOURS SUR TERRE 


Terminons ce panorama avec ce qui est sans doute le film le plus atypique de cette sélection. Tourné sur près d'une année, 20 000 jours sur Terre est un documentaire, à la lisière de la fiction, sur le célèbre chanteur australien Nick Cave. Durant une journée, on le suit dans sa ville de Brighton à travers une séance avec un psychanalyste, une visite dans ses Archives, lors de ses concerts et même dans sa voiture où il discute avec des personnalités ayant joué un rôle majeur dans sa vie.

Cette exploration de l’œuvre de Nick Cave et du mystère de la création nous permet de comprendre l'importance que l'artiste accorde à l'imaginaire et au souvenir et aussi à la difficulté d'écrire une chanson. Grâce à la voix off de Cave lui-même qui accompagne cette déambulation, on perçoit bien l'aspect littéraire de son travail, lui qui, outre ses qualités de chanteur et de compositeur, a rédigé plusieurs romans ainsi que des scénarii (The Proposition et Des Hommes sans loi de John Hillcoat). Révélant des anecdotes étonnantes sur les musiciens qu'il a côtoyé, notamment une savoureuse sur Nina Simone, Cave se met à nu, que ce soit en conversant dans sa voiture avec Kylie Minogue ou en parlant de son enfance avec Darian Leader, célèbre psychanalyste. Un cheminement intérieur qui nous fascine et qui nous en apprend davantage sur une personnalité paradoxale, à la fois calme et posé dans sa vie privé et déchainé et débordant de charisme pendant ses concerts. Un film singulier qui ne ressemble pas aux traditionnels documentaires sur des grandes figures musicales, même si on aurait souhaité que les deux réalisateurs, Iain Forsyth et Jane Pollard, aillent encore plus loin dans leur expérimentation.

Antoine Jullien

Grande-Bretagne - 1h37
Réalisation : Iain Forsyth et Jane Pollard - Scénario : Iain Forsyth, Jane Pollard et Nick Cave 
Avec : Nick Cave, Warren Ellis, Darian Leader, Ray Winstone, Kylie Minogue. 

Sortie le 24 décembre 


mardi 23 décembre 2014

Interview de Damien Chazelle et J.K. Simmons pour Whiplash


S'il ne faut voir qu'un seul film en cette fin d'année, alors vous ne devez manquer sous aucun prétexte Whiplash de Damien Chazelle. Ce jeune prodige de 29 ans signe une véritable bombe cinématographique, le Full Metal Jacket de la musique, un duel déjà inoubliable entre un professeur de musique tyrannique et son jeune élève batteur de jazz.

Jamais on avait décrit la musique de cette façon, filmée comme une torture physique, un acte sportif, un véritable dépassement de soi. Porté par les interprétations exceptionnelles de J.K. Simmons et la révélation Miles Teller, Whiplash vous emporte vers des cimes d'intensité rarement atteintes, ne relâchant jamais la tension jusqu'à un final sensationnel. 

Nous avons eu la chance de rencontrer Damien Chazelle et J.K. Simmons lors du Festival de Cannes où le film était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, après avoir raflé le grand Prix à Sundance et avant de remporter celui de Deauville. Ils évoquent pour nous ce film majeur dont on devrait reparler aux prochains Oscars.

Etats-Unis - 1h47
Réalisation et Scénario : Damien Chazelle
Avec : Miles Teller (Andrew), J.K. Simmons (Fletcher), Paul Reiser (Jim), Melissa Besnoit (Nicole).


samedi 20 décembre 2014

Dumb and Dumber De

 
Vingt ans après, les personnages les plus débiles de l’histoire du cinéma sont de retour avec toute la fine équipe : le duo Jim Carrey/ Jeff Daniels devant une caméra pilotée par les frères Farrelly, papes de l’humour régressif des années 90, notamment coupables des disjonctés Mary à tout prix, Fous d’Irène ou encore L’Amour Extra-large. Mais voilà, depuis 10 ans, les frangins peinent à retrouver le succès hors des bases de l’Oncle Sam, comme si le 11 septembre avait rendu le monde insensible à l’absurdité de leur cinéma. Rien de tel alors que de sortir de leur retraite les dégénérés Lloyd (Carrey) et Harry (Daniels), héros attardés de leur premier carton au box-office pour reconquérir le monde.

A première vue, ce Dumb and Dumber De (La Cloche et l’Idiot 2 pour nos amis québécois) sent le réchauffé. Car avec deux protagonistes aussi raz-les-pâquerettes, il semble particulièrement difficile de renouveler un concept qui frôle le Q.I. négatif. Bobby et Peter Farrelly acceptent cependant le défi en lançant les deux compères sur les traces de la fille d’Harry, ce dernier ayant besoin d’une transplantation rénale. Et c’est reparti pour un road movie aussi idiot que drôle.

Jim Carrey et Jeff Daniels

Car même si les deux acteurs principaux ont maintenant passé la cinquantaine, ils arrivent (mais pas toujours) à faire passer la pilule de ces enfants de 6 ans emprisonnés dans des corps d’adultes. Il est même assez impressionnant de voir se refléter dans leur regard… le néant, comme si les deux acteurs jouaient la comédie en se passant de leur matière grise. C’est parfois lourd, surjoué voire un peu pathétique mais s’est sans compter sur l’absence de limites des deux réalisateur américains.   

Comme à leur habitude, les Frères Farrelly roulent à tombeau ouvert dans un grand nombre de tabous, n’hésitant pas à peupler leur dernier film de handicapés (le voisin sourd et ses oiseaux rares, la vieille sénile en manque de sexe, un tétraplégique pas rigolo…) au point d’effacer totalement la notion de normalité. Et dans ce freak show le duo simplet est roi, retournant sans cesse le ridicule vers une société à la recherche de contrôle. Ce film est une oasis de débilité et de laisser-aller dans un univers cinématographique sombre où la maitrise fait loi. A l’heure du terrorisme total, les frères Farrelly prouvent avec cette série B que l’humour pipi-caca-prout peut aussi devenir libérateur. Comme quoi, la connerie, ça a du bon…

Alexandre Robinne

Et pour tous ceux qui veulent aller un peu plus loin dans la compréhension de ce cinéma régressif, jetez un œil (ou même les deux) sur le dernier numéro de BiTS, la toujours pertinente émission de Rafik Djoumi : http://bits.arte.tv/fr/episode/dumb-and-dumber-be-stupid

Etats-Unis - 1h49
Réalisation : Bobby et Peter Farrelly - Scénario : Sean Anders, Mike Cerrone, Bobby Farrelly, Peter Farrelly, John Morris, Bennett Yellin
Avec : Jim Carrey (Lloyd Christmas), Jeff Daniels (Harry Dunne), Rob Riggie (Travis), Laurie Holden (Adele).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan.

jeudi 18 décembre 2014

Le Jour le plus Court au Studio Luxembourg


A l'occasion du Jour le plus Court, Mon Cinématographe vous propose une sélection de courts métrages forts et originaux, en présence de certains réalisateurs (sous réserve) : 

Le vendredi 19 décembre à 20h30 au cinéma Le Studio Luxembourg - Accattone 


Voici la liste des films : 

- Voyage au Cap Vert de José Miguel Ribeiro

- Essaie de mourir jeune de Morgan Simon

- Monsieur Hublot de Laurent Witz et Alexandre Espigares

- Yuri Lennon's landing at Alpha 46 d'Anthony Vouardoux 

- La femme de Rio d'Emma Luchini

- Mort d'une ombre de Tom Van Avermaet

- Son Indochine de Bruno Collet 

- King Crab Attack de Grégoire Sivan 

- 200 000 fantômes de Jean-Gabriel Périot


Tarif unique : 7,50 euros

Le Jour le plus Court au Studio Luxembourg - Accattone le 19 décembre à 20h30
Studio Luxembourg - Accattone, 20 rue Cujas, Paris 5ème. Métro Luxembourg - Cluny La Sorbonne

Interview de N.T. Binh pour la rétrospective Claude Sautet


Claude Sautet, le réalisateur des Choses de la Vie, César et Rosalie et Un Cœur en hiver, l'un de nos plus grands cinéastes, est (enfin !) honoré à la Cinémathèque française à travers une rétrospective complète de ses films, quelques mois après avoir eu les honneurs du festival Lumière de Lyon.

Peintre des sentiments, portraitiste de plusieurs générations, le cinéaste a su faire évoluer son œuvre, des drames joyeux et polyphoniques des années 70, trop souvent réduits à des chroniques sociologiques de la France pompidolienne, aux drames feutrés et amoureux des années 90. Il a de plus offert à Romy Schneider, Michel Piccoli et Daniel Auteuil leurs plus beaux rôles. 

A cette occasion, nous avons rencontré N.T. Binh, membre du comité de rédaction de la revue Positif et auteur avec Dominique Rabourdin d'un livre de référence sur le cinéaste, Sautet par Sautet*, qui évoque pour nous l'importance de son cinéma que l'on redécouvre un peu plus chaque jour.

Gérard Depardieu, Yves Montand, Michel Piccoli et Serge Reggiani 
dans Vincent, François, Paul et les autres (1974)

Mon Cinématographe : Même si Claude Sautet est aujourd'hui considéré comme un grand cinéaste, il ne semble pas tout à fait avoir la place qu'il mérite. Dans votre livre, Bertrand Tavernier dit qu'il fait partie des cinéastes qui resteront et dont l'importance grandira au fur et à mesure des années. A-t-il vraiment tous les honneurs qu'il mérite ?

N.T. Binh : Je pense qu'il y a eu une sorte de purgatoire. On a parlé de lui quand il est mort et puis le temps s'est calmé. Et depuis quelques années ça revient. On le sent dans les interviews d'acteurs et de cinéastes d'aujourd'hui qui citent beaucoup plus Sautet qu'avant. Les critiques aussi qui parlent d'un film "à la Sautet", souvent pour comparer Sautet favorablement à certains films qui sortent. Petit à petit, il a gagné son statut de grand cinéaste classique, notamment auprès des jeunes générations. La rétrospective qui vient de commencer attire un public jeune. Je donne des cours à l'université et mes étudiants sont intéressés par Sautet, certains connaissent déjà ses films, c'est un progrès par rapport à une dizaine d'années. Et surtout, quand on le découvre, il est rare qu'on soit déçu parce que ses films ont bien vieilli. Comme le dit Brigitte Catillon à Daniel Auteuil à la fin d'Un Cœur en hiver :"vieillissez vite !" Elle le dit en signe d'encouragement et je crois que certaines qualités des films de Sautet sont peut-être plus apparentes maintenant qu'elles ne l'étaient lors de leurs sorties.


Claude Sautet ou la magie invisible - Bande... par _Caprice_

- Comment définiriez-vous le style de Sautet ? Dans votre documentaire **, il parle de "magie invisible". Il disait qu'il n'y avait rien de plus difficile à faire qu'un champ-contre champ.

Sautet n'est pas un révolutionnaire de la forme mais il pouvait se permettre des audaces. Comme elles servaient à chaque fois le propos et les personnages, elles n'étaient pas forcément perçues comme des audaces de cinéma, ce qui est très caractéristique de son approche. Il mettait beaucoup de lui-même dans ses personnages et du coup le public est amené à retrouver beaucoup de lui-même dans les émotions des personnages qu'il voit. On est donc pris dans une sorte de tourment intérieur parfois joyeux. D'un autre côté, sa discrétion et sa pudeur l'empêchaient d'afficher des effets de style mais aussi de s'exposer lui-même à travers ses personnages dont il souhaitait qu'ils vivent pour eux-mêmes. C'est justement pour ces raisons qu'une certaine critique cinéphile ou intellectuelle ne l'a pas reconnue comme un auteur à part entière, ajouté au succès très populaire de ses films qui n'a pas aidé à cette reconnaissance. Mais Sautet voulait rester caché derrière ses films qui devaient parler pour lui, ce qu'il a fait de moins en moins au fil de sa carrière. Sur ses trois derniers films, on peut dire qu'il s'affirme et s'expose davantage. 

- Il disait qu'au fur et à mesure des années il enlevait des masques.

Oui mais les spectateurs n'ont pas à en être conscients pour apprécier ses films.

- Pour autant, y-a-t-il des points commun entre lui et les personnages qu'il a filmé ?

Bien sûr.

- Lesquels ? Et leur ressemblaient-il ?

En général, ce sont des personnages qui ont tous un problème avec les rôles qu'ils doivent jouer dans leur vie. A un moment donné, ils ne savent plus où ils en sont de ces rôles, vis-à-vis de la société, de leur entourage et d'eux-mêmes. Tous les personnages de Sautet subissent une fêlure ou une cassure qui fait que quelque chose de plus enfoui remonte à la surface et révèle leur personnalité profonde, remettant en question leur personnalité superficielle et par une sorte de ricochet aussi le regard du film sur le monde. Le malentendu vient aussi de là car pendant longtemps on a pris Sautet pour une sorte de peintre de la société française, ce qui est vrai mais cette société pour lui est un décor contre lequel il faut souvent se battre, dont la pression peut vous amener à découvrir et révéler des choses de vous-même, comme les héros de ses films, du premier, Classe tous risques jusqu'au dernier, Nelly et Mr Arnaud.

Michel Piccoli et Romy Schneider dans Les Choses de la vie (1970)

- Pouvez-vous nous expliquer son évolution de cinéaste, des chroniques des années 70 aux derniers films plus secrets et intimes ?

Pourquoi est-ce qu'on parlait de chronique ? Parce que les scénarios des films de Sautet ne sont pas construits de manière traditionnelle en termes d'intrigue dramatique. En plus, son premier succès s'appelle Les Choses de la vie, ce qui a contribué au malentendu et qui est lié à une certaine tradition intimiste du cinéma français. Ce qui intéresse Sautet, comme avant lui Jean Renoir ou Jacques Becker, c'est plus la vérité des personnages que le réalisme de leur représentation. Les deux peuvent être en affrontement ou en crise, c'est d'ailleurs le sujet de certains de ses films. Il s'agit en fait moins d'une évolution que d'un retour aux sources. J'ai l'impression que l'épure de ses trois derniers films (Quelques jours avec moi, Un Coeur en hiver, Nelly et Mr. Arnaud) se trouvait déjà dans Classe tous risques qui est une sorte d'anti-film noir, la déchéance d'un caïd solitaire dont les névroses l'isolent de plus en plus du monde extérieur. C'est en partie pour cette raison qu'il n'a pas très bien marché car il ne correspondait pas à ce qu'on attendait d'un polar avec Lino Ventura. Entretemps, il y a eu le malentendu de ce que Sautet appelait "sa veine BCBG" qui est ce scénario des Choses de la vie qu'il a longtemps hésité à faire, à une période où il avait arrêté de tourner des films. La pression du succès que ce film a engendré demandait à Sautet de rester dans la même veine. Et quand il s'en éloignait, comme avec Max et les ferrailleurs ou Mado, les films marchaient moins bien alors qu'il avait besoin de la reconnaissance du public, ne serait-ce que pour continuer à exercer son métier. A la fin des années 70 et au début des années 80, on avait l'impression qu'il s'enfermait dans un système qui se répétait, avec toujours les mêmes acteurs et les mêmes scénaristes. Le fait d'accepter une sorte de retour aux sources avec ses trois derniers films a été pour lui une immense respiration parce qu'il avait encore des choses à dire et qu'il a réussi à les dire en rajeunissant son équipe. Sautet admirait énormément la trajectoire de John Huston qui, jusque à la fin de sa vie, à côté des films de commande, continuait à faire des films très personnels, extrêmement jeunes d'esprit, terminant avec des œuvres presque testamentaires comme Gens de Dublin.  Il s'était dit que s'il arrivait à atteindre cet état de grâce, alors cela valait le coup de continuer à faire des films.

Yves Robert, Patrick Dewaere et Claude Sautet 
sur le tournage d'une scène de bistrot d'Un mauvais fils (1980)

- Sautet accordait une grande importance aux bistrots qui est un décor récurrent de tous ses films. Il paraît qu'il trouvait l'inspiration dans la brasserie en bas de chez lui, Chez Marty où il avait sa table attitrée. Tourner dans les bistrots lui demandait, disait-il, "un travail de préparation insoupçonnable".

Au départ, Sautet est un gamin de banlieue et les bistrots étaient des lieux de vie sociale très importants, à Montrouge notamment où il a été élevé. Il y a plein d'avantages à faire se dérouler une scène dans un restaurant ou dans un bistrot. C'est un endroit public et privé, les gens peuvent être à la fois en représentation et s'oublier même s'il y a toujours du public autour. Les figurants qui sont les clients du bistrot prennent la place du spectateur mais sont aussi observés par les héros du film. Sautet, qui a beaucoup fréquenté les bistrots, transposait son expérience d'observation de la vie des gens. 

- Quelle est la scène de bistrot la plus marquante ?

Garçon ! dans lequel Yves Montand joue un garçon de café se passe dans un bistrot entièrement construit en studio et qui vaut essentiellement pour ses séquences chorégraphiées au milieu de tous les serveurs. La rencontre de Stéphane (Daniel Auteuil) et de Camille (Emmanuelle Béart) dans Un coeur en hiver, après l'averse, lors d'une pause pendant son enregistrement de Ravel, est l'une des meilleures parce que vous avez derrière Daniel Auteuil un couple qui est en train de se disputer et qui finit par se raccommoder, Emmanuelle Béart qui est à la fois subjuguée par Auteuil et concentrée par son enregistrement très difficile des sonates de Ravel. C'est une séquence clef car Camille va interpréter le moindre sourire de Stéphane comme une déclaration d'amour alors que le spectateur se demande s'il est dans un jeu de séduction ou s'il se comporte de la même manière avec tout le monde. Puis on la voit tombée amoureuse de lui alors que les propos qu'ils échangent sont relativement banals. C'est intéressant aussi que les bistrots soient séparés du monde extérieur par des grandes vitres. Les jeux de regards, de reflets, de regards sans dialogue sont très importants dans les film de Sautet. La plupart de ses personnages vivent dans une espèce de cage transparente où on a l'impression qu'on voit tout mais il se passe des tas de choses qu'on ne soupçonne pas à l'intérieur. Un peu comme au zoo, on peut les voir attablés dans des bistrots et eux regardent aussi le monde à travers une fenêtre plus ou moins opaque.

Michel Piccoli et Romy Schneider dans Max et les ferrailleurs (1971)

- Avec des scènes de film en film qui se répondent. Le dernier regard entre Michel Piccoli et Romy Schneider à la fin de Max et les ferrailleurs renvoie à celui entre Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart dans les derniers plans d'Un coeur en hiver.

Oui, les scènes finales de ces deux films se répondent et aussi beaucoup d'épilogues ou de scènes de clôture dans lesquels des personnages sortent d'un lieu et se fondent dans la foule comme dans Classe tous risques, Nelly, Mr Arnaud et Vincent, François, Paul et les autres.

- Quant vous évoquez les bistrots, vous nous parler aussi de la manière dont sont fabriqués les films de Claude Sautet qui étaient assez couteux car il exigeait un certain confort de production.

Sur ses plateaux, Sautet avait besoin d'une grande concentration qui s'obtient plus facilement dans un studio. Et il avait cette obsession de la rigueur. On compare souvent son art à de la musique mais c'est l’exécution parfaitement rigoureuse d'une partition qui autorise l'émotion et la liberté. La plus extrême concentration et minutie sont donc requises. Le traitement de l'espace était pour lui très important, c'est aussi pour cette raison qu'il faisait construire ses décors. Dans les rues, il fallait qu'un autobus passe et se reflète dans la vitre à tel moment et pas à un autre. S'il voulait qu'il y ait de la pluie, il fallait de la pluie.

- Et pourtant il ne s'agit pas d'un cinéma d'artifices.

C'est un cinéma qui cherche la note juste et pour que tout soit juste, et c'était sa méthode, il fallait que tout soit contrôlé, ce qui avait pour but de ne pas fermer les interprétations mais au contraire les libérer, exactement comme lorsqu'on exécute un morceau de musique.

Daniel Auteuil et Claude Sautet sur le tournage de Quelques jours avec moi (1988)

- A propos de musique, on sait qu'il était un amateur éclairé de jazz. On connaît moins ses influences cinématographiques. Avait-il des cinéastes de prédilection ?

C'est quelqu'un qui a été curieux jusqu'à la fin de sa vie de ce qui se faisait, découvrant autant les films de Hou Hsiao-hsien que ceux de Claire Denis. Il a été influencé à la fois par le réalisme poétique français, puis après la guerre par le film noir et le néoréalisme mais il n'était pas un cinéphile obsessionnel, davantage un mélomane, écrivant même des articles sur le jazz dans les années 40. Avant d'être assistant réalisateur, il se destinait d'abord aux Beaux Arts afin de devenir sculpteur, ce qui préfigure déjà la manière de filmer ses personnages, les corps de ses acteurs, de ne pas faire reposer systématiquement le sens de ses films sur le dialogue. Il parlait souvent de portraits en mouvement, il disait que c'était ce qu'il préférait et qui vient de son amour contrarié pour la sculpture.

- Il avait la réputation d'être un homme colérique sur les plateaux. Vous l'avez connu pour l'élaboration de votre livre, quel homme était -il ?

Une sorte d'angoissé permanent mais pas un colérique pervers. C'était quelqu'un qui se laissait déborder, il fallait que ça sorte, comme chez ses personnages d'ailleurs. Dans tous ses films, il y a toujours un moment où un personnage pète les plombs. Il était lui-même soupe au lait, que ce soit à propos du choix d'un plat dans un menu ou de la politique.

- Quant Michel Piccoli pique une crise de nerfs dans la fameuse scène du gigot de Vincent, François, Paul et les autres, il imite bien Sautet ?

Bien sûr, on le retrouve aussi dans Les Choses de la vie, dans le personnage de Bernard Fresson dans Garçon !, Yves Montand dans César et Rosalie ou Emmanuelle Béart insultant Daniel Auteuil à la fin d'Un Cœur en hiver. C'était son genre de colère. De la même manière qu'il pouvait avoir des éclats de rire ou des crises de larmes facilement et pas seulement sur la fin de sa vie. Quand il lisait les scènes d'un scénario avec Jean-Loup Dabadie, lors des scènes d'émotion, il se mettait à pleurer.

- Vous évoquez Jean-Loup Dabadie qui fut l'un des auteurs majeurs de ses films. Comme travaillait-il avec ses scénaristes ?

Sautet était un grand directeur d'auteurs. A la fois, il leur donnait une grand liberté d'écriture et à la fois il les recardait tout le temps. Le soir, il venait examiner le travail qui avait été fait dans la journée, il en discutait avec eux, lisait parfois les scènes. Puis il rentrait chez lui et le montrait à sa femme. Et le lendemain matin il revenait avec ses commentaires et les changements à effectuer. Avec Claude Néron, qui fut son scénariste sur plusieurs de ses films (de Max et les ferrailleurs à Mado) il avait disposé des grands panneaux avec les scènes du film collés par des bouts de papier au mur. Et d'un seul coup d’œil il pouvait voir toute la structure du scénario, qui révèle encore son côté musicien. Ses séances d'écriture passaient par plusieurs humeurs, de l'emballement et l’excitation d'avoir trouvé la solution à l'énervement et l'anxiété quand il buttait sur une difficulté. Et puis il jouait les scènes. Il était un acteur rentré, ce qui était quelque chose de très important pour ses comédiens. Il arrivait très bien à transmettre ce qu'il voulait, par ses réactions, sans expliquer. Il les amenait dans la direction qu'il pensait être la bonne jusqu'à ce qu'il trouve la note juste.

Claude Sautet dirige Emmanuelle Béart et Daniel Auteuil dans Un Coeur en hiver (1992)

- Cela pouvait parfois être très découpé, les champs-contre champs d'Un Coeur en hiver étant segmentés phrase par phrase.
 
En effet, cet aspect là existait. Plutôt que de faire une scène entre deux personnages, en tournant toute la scène sur le personnage A d'abord puis toute la scène sur le personnage B ensuite, il préférait interrompre parce qu'il savait très bien quand il devrait passer sur l'autre personnage. Une manière aussi de déstabiliser certains acteurs, pour éviter qu'ils soient dans une intention trop prononcée et trop calculée, révélant ainsi quelque chose d'eux mêmes d'inattendu, provenant de leur propre fragilité. C'est pour cette raison que les acteurs adoraient travailler avec lui, il tournait souvent avec les mêmes. Mais il avait peur de s'enfermer aussi et à force de travailler avec les mêmes acteurs il est plus difficile de retrouver une part d'inédit et de fragilité. Il détestait quand il sentait qu'un comédien se réfugiait dans des "trucs". Comme un chef d'orchestre qui recrute les meilleurs solistes, lui avait besoin des meilleurs acteurs.

- Certains ont pourtant eu des difficultés à s'adapter à cette méthode, notamment Michel Serrault sur le tournage de Nelly et Mr Arnaud.

Quand un grand acteur voit qu'il peut faire confiance à un cinéaste, il se laisse diriger et c'est ce qui est arrivé à Serrault qui a failli se faire virer au début du tournage. Jean-François Robin, le chef opérateur du film, m'a dit que Serrault était venu le voir après deux semaines de tournage pour se plaindre, dire qu'il ne comprenait pas le personnage qu'il jouait et Robin l'a rassuré, lui disant qu'à l'image c'était l'un de ses plus grands rôles. Par la suite, Serrault est devenu plus confiant, plus docile, se mettant même à imiter Sautet. Un mimétisme que l'on retrouvait déjà chez Piccoli, Montand et même Romy Schneider dont Sautet disait qu'elle captait bien ses intonations quand elle lui disait son dialogue.

Le mimétisme entre Claude Sautet et Michel Serrault sur le tournage de Nelly et Mr. Arnaud (1995)

- Question forcément réductrice, pour une personne qui n'aurait jamais vu un film de Sautet, lequel conseillerez-vous ?


Pour avoir une très bonne idée de son cinéma, il faut voir soit Les Choses de la Vie soit César et Rosalie, Max et les Ferrailleurs est indispensable et l'un des trois derniers films, mon favori étant Quelques jours avec moi qui a été pour moi la redécouverte du cinéma de Sautet que j'avais eu tendance à négliger car quand j'étais jeune critique il ne faisait plus de films. Son visionnage a donc été un choc et après ce moment je n'ai plus vu un film antérieur de Sautet avec le même regard. Et quand cette veine très inspirée s'est confirmée avec ses deux derniers films (Un Cœur en hiver et Nelly et Mr. Arnaud), il s'est produit un retour en grâce de la part de la cinéphilie et d'une certaine presse qui l'avait négligée depuis les années 80. Une quasi unanimité s'est formée autour de ces trois derniers films. Il a terminé sa carrière en beauté comme il le souhaitait, d'après l'exemple qu'il s'était donné de John Huston. 

Propos recueillis par Antoine Jullien

* Sautet par Sautet de N.T. Binh et Dominique Rabourdin - Editions de la Martinière 
** Sautet ou la magie invisible, un documentaire de N.T. Binh réalisé en 2003

Filmographie de Claude Sautet 

1960 : Classe tous risques 
1965 : L'Arme à gauche 
1970 : Les Choses de la vie - Prix Louis Delluc 
1971 : Max et les ferrailleurs 
1972 : César et Rosalie 
1974 : Vincent, François, Paul et les autres 
1976 : Mado
1978 : Une histoire simple 
1980 : Un mauvais fils
1983 : Garçon ! 
1988 : Quelques jours avec moi 
1992 : Un Coeur en hiver - Lion d'Argent au Festival de Venise, César du meilleur réalisateur
1995 : Nelly et Mr. Arnaud - César du meilleur réalisateur 

Rétrospective Claude Sautet à la Cinémathèque française jusqu'au 4 janvier.  Informations : www.cinematheque.fr
Ressortie en salles de quatre films de Claude Sautet (Les Choses de la vie - Max et les ferrailleurs - César et Rosalie - Vincent, François, Paul et les autres). A partir du 24 décembre 

mardi 16 décembre 2014

Les premières images du nouveau Terrence Malick

Il est le cinéaste le plus secret de son temps, entourant systématiquement ses films d'un doux parfum de mystère. Terrence Malick est un énigme, autant adulée par beaucoup que méprisée par certains, jouissant d'une liberté artistique sans équivalent dans le cinéma mondial et où les stars se pressent pour ne tourner ne serait-ce qu'une scène sous sa direction. 

Son septième long métrage, Knight of Cups, se dévoile enfin à travers une bande annonce qui nous montre Christian Bale en homme célèbre plongé dans un tourbillon de tentations et d'excès, entouré, excusez du peu, de Cate Blanchett et Natalie Portman. On retrouve ici le style visuel inimitable du maître, jouant avec sa caméra tel un peintre pour une oeuvre qui s'annonce à nouveau fortement existentielle. 

La première mondiale de Knight of Cups aura lieu en février prochain au festival de Berlin où le film sera présenté en compétition. En attendant un autre long métrage, au titre encore incertain, où l'on retrouvera les mêmes acteurs avec en sus Michael Fassbender, Ryan Gosling et Rooney Mara. 2015 ou l'année Terrence Malick. 


vendredi 12 décembre 2014

Le Hobbit : La bataille des Cinq Armées


Voilà c’est fini ! Après six volets et quinze années de dur labeur, Peter Jackson referme (définitivement ?) les livres de Tolkien avec le troisième épisode du Hobbit. Il y a un an, le néo-zélandais nous avait abandonné après avoir lâché le dragon Smaug sur les pauvres habitants de Lac-ville. Il reprend l’histoire au même point et la séquence tant attendue de dévastation pyromane a bien lieu. Les humains subissent les attaques du monstre, vite terrassé par Bard « l’archer », incarné par le charismatique Luke Evans. La Montagne Solitaire alors libérée de ce gardien de feu, son incommensurable trésor et sa position stratégique attirent la convoitise de toutes les espèces vivant sur la Terre du Milieu. La bataille des cinq armées peut donc commencer…

L’intrigue de cet ultime volet est pour le moins sommaire comme on pouvait s’y attendre. Autant Le Seigneur des Anneaux justifiait largement une adaptation sous forme de trilogie, autant Le Hobbit peine à combler la distance en terme de narration et Peter Jackson semble en être tout à fait conscient comme en atteste la durée du film bloquée à 2h10 (hors générique), soit une bonne demi-heure de moins que n’importe quel autre volet de la saga. Mais l’amour que le réalisateur porte à cet univers lui permet de tout emporter sur son passage.


Car Le Hobbit : la Bataille des Cinq Armées est une œuvre chorale au rythme soutenu et parfaitement maitrisé. Les intrigues secondaires se multiplient et la plupart des protagonistes sont traités avec respect. Même si la moitié des treize nains sont réduits à de la simple figuration et que certains personnages ne connaissent pas de réel dénouement, la plupart des trames sont résolues : la quête de l’Arkenstone de Thorin, l’idylle entre Thauriel et Kili, la réhabilitation de Bard… Peter Jackson en profite aussi pour raccrocher les wagons avec Le Seigneur des Anneaux en lançant Saroumane (Christopher Lee) sur les traces de Sauron et Legolas (Orlando Bloom) et sur celles du mystérieux Grand-Pas. 

Ian McKellen et Luke Evans 

Mais outre cet intérêt contextuel, La Bataille des Cinq Armées propose un spectacle visuel total dans lequel Nains, Elfes, Humains, Wargs et Gobelins (les 5 armées du titre) s’affrontent dans un quasi huis-clos époustouflant. Jouant avec ses innombrables décors, Peter Jackson cherche encore et toujours la singularité dans ses batailles, qu’elles prennent place sur de la glace, sur une parcelle en train de s’effondrer ou dans une ville en ruine, chaque affrontement connait un traitement graphique méticuleux. L’esthétisme que l’on avait découvert avec La Communauté de l’Anneau en 2001 est bien sûr au rendez-vous et le réalisateur continue de mettre en images ses squelettes, fantômes et autres êtres tourmentés propres à sa filmographie (Braindead, Fantômes contre Fantômes, King Kong…). Jamais l’Heroic Fantasy n’avait connu sur grand écran une telle imagerie que ce soit dans son bestiaire à faire pâlir Georges Lucas que dans ses décors exploitant à merveille les paysages de la Nouvelle Zélande et les possibilités du numérique.

Même si la trilogie du Hobbit restera dans l’ombre du Seigneur des Anneaux au niveau de sa dimension mythologique, elle représente aujourd’hui une révolution en matière de projection 3D grâce à l’apport du HFR (High Frame Rate), offrant au spectateur une immersion vertigineuse inédite avec ses 48 images par seconde, d’autant plus si vous avez la chance de voir le film dans une salle IMAX. Surtout que cette technologie encore trop rare dans notre hexagone devrait devenir le standard de diffusion d’ici deux ans… et la sortie de la deuxième claque visuelle de James Cameron nommée Avatar.

Alexandre Robinne

Etats-Unis / Nouvelle-Zélande - 2h24
Réalisation : Peter Jackson - Scénario : Fran Walsh, Philippa Boyens, Peter Jackson et Guillermo del Toro d'après l’œuvre de J.R.R. Tolkien
Avec : Martin Freeman (Bilbo Sacquet), Richard Armitage (Thorin Ecu-de-Chêne), Evangeline Lilly (Tauriel), Lee Pace (Thranduil). 



Film disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Home Video. 

jeudi 11 décembre 2014

Timbuktu


Deux hommes, un éleveur de bétail et un pêcheur, s'affrontent au sujet d'une vache volée par ce dernier. Une bagarre s'ensuit puis un coup de feu accidentel blesse mortellement le pêcheur. Un plan large nous montre les deux hommes regagnant les bords opposés du fleuve, le premier s'enfuyant, le second agonisant. Le cinéma est affaire de regard et l'image de ces deux êtres perdus au milieu de l'immensité du fleuve, digne des plus grands westerns, marque durablement la rétine et témoigne de l'importance de Timbuktu, reparti curieusement bredouille du dernier festival de Cannes. 

Le nouveau long métrage d'Abderrahmane Sissako nous plonge dans la ville de Tombouctou, tombée sous le joug des extrémistes islamistes où la population subit au quotidien le régime de terreur des djihadistes. Non loin de là, Kidane mène une vie simple dans les dunes, entouré de sa femme et de sa fille. Jusqu'au jour où il va devoir faire face aux tribunaux de l'oppression.


Par son propos et ce qu'il dénonce, Timbuktu est une œuvre majeure. Alerté par la lapidation à mort d'un couple survenu en 2012 dans une petite ville du Mali puis diffusée sur internet dans l'indifférence générale, Sissako a senti le besoin viscéral de raconter le sort de ces personnes victimes de la barbarie. Un monde où l'on ne peut ni fumer, ni danser, ni chanter, ni même jouer au football, donnant lieu à l'une des plus belles scènes vues cette année sur un écran dans laquelle des jeunes mauritaniens, pour contourner l'interdiction, jouent sans ballon. Une sublime séquence, presque surréaliste, qui montre à la fois l'absurdité et l'horreur de ce régime. 


Mais Sissako ne tombe pas dans les travers d'un cinéma de dénonciation plombant, il lui confère au contraire une poésie et une grâce portées principalement par les personnages féminins, qui prennent jour au moment où une femme se met à chanter auprès des siens ou qu'une petite fille tente de fuir le régime au cœur des étendues désertiques. Où encore cette autre femme qui, bras en croix, veut barrer la route aux djihadistes dans un magnifique plan en plongée, au symbolisme admirable. Dans cette même volonté de ne pas simplifier, Sissako décrit les djihadistes comme des êtres par moments ridicules qui n'arrivent même pas à tourner une vidéo de propagande. Des laissés pour compte pour certains d'entre eux, désespérés et manipulés au service d'une terrifiante idéologie. 

Tendant jusqu'au bout à l'universalité, Sissako a souhaité filmer le destin souvent tragique de nombreux personnages au risque, et c'est là notre seule réserve, de n'en privilégier aucun. Choqué et révolté par ce qu'ils endurent, on ne ressent pas véritablement d'empathie envers eux car le cinéaste s'est obstiné à ne pas dévoyer son film de quelque vaine tentation lacrymale comme il le dit dans sa note de réalisateur : "Je ne cherche aucunement à émouvoir pour promettre un film. Ce que je veux, c'est témoigner en tant que cinéaste. Je ne peux pas dire que je ne savais pas, et, puisque maintenant je le sais, je dois raconter dans l'espoir qu'aucun enfant ne puisse apprendre plus tard que leurs parents peuvent mourir parce qu'ils s'aiment." On reste donc légèrement à distance mais secrètement bouleversé devant le courage dont a fait preuve Abderrahmane Sissako de s'être attaqué à un sujet aussi difficile en lui donnant un supplément d'âme, tout en étant parfaitement clair sur ses intentions. Une œuvre salutaire.

Antoine Jullien

France / Mauritanie - 1h37
Réalisation : Abderrahmane Sissako - Scénario : Abderrahmane Sissako et Kessen Tall
Avec : Ibrahim Ahmed dit Pino (Kidane), Toulou Kiki (Satima), Abel Jafri (Abdelkrim), Fatoumata Diawara (La chanteuse).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions Edition.

dimanche 7 décembre 2014

La French


Des stars en pagaille, un budget conséquent, une histoire vraie sur fond de grand banditisme : le réalisateur Cédric Jimenez avait de quoi faire des jaloux pour son second long métrage après Aux yeux de tous, première œuvre intrigante mais inaboutie. Originaire de Marseille, il était tout désigné pour raconter le destin tragique du juge Pierre Michel, bien décidé à faire tomber la French Connection et son chef, le redouté Gaëtan Zampa. Mais ce magistrat intègre et farouchement déterminé sera assassiné sur sa moto alors qu'il rentrait déjeuner en famille, le 21 octobre 1981.

La French Connection regroupait un ensemble de réseaux implantés principalement à Marseille qui régnait en maître sur le trafic d'héroïne, prenant son essor dans les années 50 et qui connaîtra son apogée au début des années 70. La drogue était exportée vers les Etats-Unis et en 1970, le trafic de la French Connection était estimé entre 40 et 44 tonnes par an, soit 90% de la consommation d'héroïne américaine. C'est en 1975 que le juge d'instruction Pierre Michel fut chargé de démanteler ces réseaux, renvoyant derrière les barreaux un grand nombre de trafiquants. Jean Dujardin enfile le costume du juge et son compère Gilles Lellouche incarne Zampa dans un duel à distance qui se voudrait un Heat à la française. On en est loin. 

Jean Dujardin

Certes, on ne peut que louer l'ambition de Cédric Jimenez d'avoir su recréer avec brio le Marseille des années 70. Mais ambition ne rime pas avec audace et on reste songeur devant le peu de prise de risque encouru par le réalisateur. S'il réalise un polar des Calanques dans la pure tradition, à l'ancienne, et qu'il ne sombre jamais dans l’esbroufe gratuite, il ne se défait pas des clichés inhérents au genre (la femme du juge gémissant auprès du corps de son mari), des passages obligés et mène son récit de manière appliquée et assez monotone, enchaînant mécaniquement les plages de dialogues pas toujours inspirées aux séquences de transition sur fond de tubes rock et soul de l'époque. 

Le réalisateur Cédric Jimenez et Jean Dujardin

A l'image de Jean Dujardin, le film manque d'envergure et de souffle, prenant de grandes libertés avec l'histoire, certaines justifiables, d'autres moins comme celles de vouloir expliquer la volonté du juge d'arrêter à tout prix les truands par son ancienne addiction au poker, elle parfaitement inventée. La French n'est pas un documentaire mais cette émancipation de la réalité dessert le plus souvent le scénario qui sacrifie de nombreux personnages (quid de Benoît Magimel ?), exploitant maladroitement et un peu lourdement les similitudes entre Michel et Zampa, tous deux pères de famille attentionnés. Leur unique scène de confrontation, plate et sans relief, elle aussi fictive, ne restera d'ailleurs pas dans les mémoires. 

Il y a finalement deux façons de considérer La French : soit on oublie tout ce qu'on a pu voir auparavant et on peut profiter d'une intrigue, qui, si elle met du temps à démarrer, prend ensuite son envol, où bien l'on fait le jeu inévitable des comparaisons et là, le verdict est cruel. Il suffit alors de ne citer que quelques films majeurs sur le même thème (French Connection I et II, American Gangster) pour soudain classer le film de Cédric Jimenez dans les thrillers convenables du samedi soir. Rien de plus. 

Antoine Jullien

France - 2h15
Réalisation : Cédric Jimenez - Scénario : Audrey Diwan et Cédric Jimenez 
Avec : Jean Dujardin (Pierre Michel), Gilles Lellouche (Gaëtan Zampa), Céline Sallette (Jacqueline Michel), Mélanie Doutey.




Disponible en DVD et Blu-Ray chez Gaumont. 

samedi 6 décembre 2014

La 3ème édition du Festival Streams


Pour sa troisième année, la plateforme de vidéo à la demande UniversCiné organise, avec huit autres plateformes européennes membres du réseau EuroVod, le Festival Streams qui se déroulera jusqu'au 31 décembre. 

Streams propose aux internautes 15 longs métrages récents en exclusivité n'ayant jamais bénéficié d'une exploitation commerciale hors de leur pays. 

Il s'agit du premier festival de cinéma européen se déroulant intégralement sur internet. L'enjeu numérique d'un tel festival est de donner vie à un film qui n'en n'aurait pas en dehors de ses frontières et ainsi diffuser largement une "culture européenne". 

Les films seront soumis au vote d'un jury international mais également à celui du public qui aura jusqu'au 20 décembre pour élire son film préféré. 

Alors que le débat fait rage actuellement autour de la distribution des films, entre ceux qui ne jurent que par l'exploitation en salles et les autres qui s'ouvrent vers d'autres modes de diffusion, notamment le distributeur français Wild Bunch qui a décidé cette année de sortir directement Welcome to New York en Vod, voilà une initiative qu'il faut saluer et qui permettra à ces films, victimes de la jungle des sorties, de trouver un surcroit de visibilité. 

Festival Streams jusqu'au 31 décembre sur le site d'UniversCiné. 
Informations : http://www.universcine.com/streams-2014

mercredi 3 décembre 2014

La critique cannoise de Mr. Turner


Pour son nouveau long métrage, le cinéaste britannique Mike Leigh s'intéresse aux vingt-cinq dernières années de la vie du célèbre peintre anglais Joseph Mallord William Turner que l'on a souvent considéré comme le précurseur de l'impressionnisme.

Réalisant ce qu'il dénomme lui-même un "anti-biopic", Mike Leigh offre au spectateur une image assez surprenante de l'artiste, grognant et vitupérant sans cesse, loin des clichés que l'on pourrait avoir d'un peintre d'exception. Timothy Spall, primé au festival de Cannes pour son interprétion, donne à son personnage un mélange de bouffonerie et de discrète fragilité. Une personnalité pas toujours comprise de ses contemporains qui entretenait avec les femmes des rapports compliqués. 

Bien qu'il demeure de facture classique, Mr. Turner est un beau film, superbement photographié, qui prend de la valeur à mesure que le récit se fait plus intime et secret, dévoilant par petites touches la complexité d'un homme en avance sur son temps. 

Actuellement dans les salles, vous pouvez retrouver la critique du film réalisée lors du Festival de Cannes.

Grande-Bretagne - 2h30
Réalisation et Scénario : Mike Leigh
Avec : Timothy Spall (J.M.W.Turner), Paul Jesson (William Turner), Dorothy Atkinson (Hannah Danby), Marion Bailey (Sophia Booth). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez TF1 Vidéo.

lundi 1 décembre 2014

Le réveil de Star Wars


"The dark side... and the light". Ces quelques mots ponctuent la bande-annonce la plus attendue de cette fin d'année, du moins par les millions de fans de Star Wars à travers le globe. Pour rappel, George Lucas a vendu l'an passé son empire LucasFilm à Disney pour la bagatelle de quatre milliards de dollars. S'il reste impliqué dans le processus créatif, il a passé la main à J.J. Abrams, devenu le spécialiste des franchises à bout de souffle (Mission : Impossible, Star Trek). 

Ce teaser ne nous apprend pas grand chose, ne dévoilant que quelques images de cette nouvelle trilogie qui débutera après Le Retour du Jedi et qui verra le retour des vétérans Harrison Ford (qui s'est blessé durant le tournage), Mark Hamill et Carrie Fisher accompagnés de nouveaux venus : John Boyeda que l'on voit au début de la bande-annonce, Oscar Isaac (le Llewyn Davis des frères Coen), Adam Driver (de la série Girls) et Gwendoline Christie (de Game of Thrones). 

Star Wars : Episode VII - Le réveil de la Force sortira sur les écrans du monde entier le 18 décembre 2015. Patience !!