lundi 30 juin 2014

Le procès de Viviane Amsalem

 
"Sont-ils tous devenus fous ?" Tel est notre état d'esprit à la vue des images saisissantes du Procès de Viviane Amsalem. Pour leur troisième film ensemble, Ronit et Shlomi Elkabetz filment le combat d'une femme qui ne peut pas divorcer sans le consentement de son époux. En Israël, seul les rabbins peuvent prononcer un mariage ou une dissolution, le mariage civil étant proscrit. S'engage alors une lutte de plusieurs années où le tragique va le disputer à l'absurde. 

Plus les années du procès découlent, plus on a l'impression d'assister à une nouvelle version du Procès de Kafka. Une femme qui n'aime plus son mari et ne veut plus vivre avec lui doit, au XXIème siècle, se justifier devant un ordre religieux qui ne pourra faire valoir sa décision qu'avec l'approbation pleine et entière du mari. Afin de récréer cette abbération, les cinéastes ont décidé de ne jamais sortir des murs du tribunal, l'action étant uniquement conscrite aux séances du procès, un choix judicieux accentuant le caractère ubuesque de la procédure. 

Ronit Elkabetz

Leur mise en scène épouse le point de vue de chaque protagoniste en utilisant subtilement le hors champ ou l'arrière-plan. Ainsi, une femme témoignant en faveur de la plaignante se met à interpeller vigoureusement le jury, dénonçant de manière fleurie le sort des femmes dans son pays sous le regard amusé de Viviane placée derrière elle, qui se met à éclater de rire. Ces quelques moments savoureux permettent au spectateur de respirer avant de replonger dans cette atmosphère étouffante et presque irréelle, à la tension permanente.

Simon Abkarian

Et pourtant, Ronit et Shlomi Elkabetz nous interpellent sur des situations de cet ordre qui surviennent tous les jours dans leur pays, comme ils s'en expliquent : "Le Procès n'est pas seulement l'histoire de Viviane mais il est une métaphore de la condition de ces femmes qui se voient comme emprisonnées à perpétuité par la loi." Devant l'obstination du mari qui continue à refuser le divorce, son épouse n'abandonne pas la lutte, confrontée à un tribunal ambigu qui tend insidieusement vers une vision patriarcale de la civilisation. Le film devient une radiographie implacable de la société israélienne, victime d'un archaïsme religieux insensé. Lorsque les juges expliquent à Viviane de quelle manière elle doit recevoir l'acceptation de divorce de son époux, selon un rituel bien précis, on se dit alors que l'égalité entre les hommes et les femmes est encore, pour certains, une pure chimère.

Mais les cinéastes ne donnent jamais de leçon, ils ont l'immense qualité de ne pas juger leurs personnages. En évitant tout manichéisme, ils arrivent même à humaniser le mari, remarquablement interprété par Simon Abkarian. Dans son jusqu'au boutisme délirant, cet homme ne peut accepter que sa femme le quitte pour connaître d'autres hommes. Le film devient alors plus intime en posant des questions universelles sur le couple. Mais il demeure avant tout un vibrant plaidoyer, d'une pertinence et d'une sincérité admirables, pour toutes les femmes victimes de la domination des hommes. Une œuvre indispensable.

Antoine Jullien

Israël / France / Allemange - 1h55
Réalisation et Scénario : Ronit et Shlomi Elkabetz
Avec : Ronit Elkabetz (Viviane), Simon Abkarian (Elisha), Menashe Moy (Carmel), Sasson Gabai (Shimon).



Disponible en DVD chez Blaq Out.

jeudi 26 juin 2014

Jersey Boys

 
On a sans doute évité le pire. A l'origine, Clint Eastwood envisageait de tourner une nouvelle adaptation d'Une étoile est née avec dans le rôle titre... Beyoncé ! Après avoir abandonné ce projet guère prometteur, le réalisateur s'est penché sur une autre comédie musicale, Jersey Boys, qui fut un grand succès à Broadway et qui relate l'ascension et le déclin des Four Seasons, célèbre groupe de pop des années 60, créateur de standards tel que Sherry ou Can't take my eyes over you. Eastwood a choisi les mêmes acteurs que ceux du show, à l'exception de Christopher Walken, et repris les apartés des personnages s'adressant au public.

Pour apprécier ce trente-quatrième film du réalisateur de Mystic River et Gran Torino (son ultime œuvre majeure ?), plutôt plaisant par ailleurs, il faut d'abord aimer cette musique, délicieusement vintage. On est aussi heureux de découvrir de nouveaux visages, parmi lesquels John Lloyd Young qui interprète Frankie Valli, le leader et chanteur du groupe, une figure éloignée des excès du show business habituellement dépeints dans ce type de films. Il y a bien sûr de la jalousie et des rivalités comme dans toute success story qui se respecte mais ce n'est pas ce qui intéresse le cinéaste. Il préfère rendre hommage à ceux qui font bien leur travail, qui ont une passion pour leur métier sans que celle-ci ne les dévore tout cru. 

 Vincent Piazza, Erich Bergen, John Lloyd Young et Michael Lomenda

Le classicisme majestueux du réalisateur, si souvent admirable dans nombre de ses films, semble cette fois prendre la poussière. On parlerait davantage de savoir-faire à la vue de ces images léchées, légèrement désaturées (une marque de fabrique depuis qu'il collabore avec le chef opérateur Tom Stern) que de véritable inspiration. Clint Eastwood se contente d'adapter paresseusement cette histoire assez prévisible sans la moindre volonté de la bousculer au point de la laisser inutilement traîner en longueur. 

Qu'est-ce qui peut bien encore motiver un réalisateur qui n'a plus rien à prouver ? peut-on s'interroger. La comédie musicale était en effet un genre nouveau pour Clint Easwood et cette époque-là lui a inspiré Un monde parfait, l'un de ses meilleurs films. Et après ? On a l'impression que son ambition de cinéaste s'est dissoute dans une stylisation appliquée qui paraît désormais trop lisse. Alors que sa grande force était de regarder la réalité du monde à travers une souveraine sobriété esthétique, cette réalité semble être dorénavant plongée dans le formol. On sait depuis qu'il est reparti sur les plateaux tourner un nouveau film, American Sniper, qui devrait sortir l'année prochaine et qui, on l'espère, nous apportera un sérieux démenti. Rien n'arrêtera le dernier géant d'Hollywood. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h14
Réalisation : Clint Eastwood - Scénario : Marshall Brickman et Rick Elice d'après leur comédie musicale. 
Avec : John Lloyd Young (Frankie Valli), Vincent Piazza (Tommy DeVito), Erich Bergen (Bob Gaudio), Michael Lomenda (Nick Massi).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Home Video.

mercredi 25 juin 2014

Under the Skin


Après des débuts étincelants, Scarlett Johansson semblait devenir prisonnière du moule hollywoodien comme tant d'actrices avant elle. Et puis survient Under the skin. En acceptant ce projet éloigné des conventions, et après avoir rudement bataillé pour obtenir le rôle principal (d'autres prestigieuses collègues étaient sur les rangs), la comédienne a eu le mérite de s'abandonner à l'univers singulier d'un cinéaste rare, Jonathan Glazer. Auteur de Birth, qui voyait Nicole Kidman tombée sous l'emprise d'un petit garçon, le réalisateur nous propose un voyage intérieur et sensoriel qui pourra en laisser plus d'un sur le bord de la route.

L'identité du personnage incarné par Scarlett Johansson a été dévoilée un peu partout mais on peut le regretter car Jonathan Glazer distille un mystère savamment entretenu sur cette jeune femme qui appâte les hommes dans un van avant de les faire disparaitre. Qui est-elle ? Et quel est son but ? On ne le saura que dans le dernier tiers du métrage. Disons simplement que son apprentissage de l'humanité est le fil rouge d'une intrigue qui ne manque ni de trous ni de déliés. 


Le cinéaste dit avoir réalisé un film semi-clandestin, dissimulant ses caméras à l'intérieur du van pour capter les réactions des malheureux badauds pris dans les filets de Scarlett Johansson. Il en a profité pour dépouiller l'actrice de tous ses apparats, la filmant à nu (au sens propre du terme) et la coiffant d'une improbable perruque noire. L'actrice devient une créature hybride, hyper-sexualisée mais dépourvue d'empathie. Ses rencontres avec ces hommes interpellés dans la rue sont des grands moments de tension larvée autant que le symbole d'une misère affective édifiante.


Car en situant son action dans une Écosse grisonnante et pluvieuse, aux teintes blafardes, le cinéaste ancre son récit dans une réalité qui traduit une terrible solitude contemporaine. Il réussit magistralement à incorporer cette vérité glauque à la dimension fantastique de son histoire. Le sommet étant atteint lorsque Scarlett Johansson emmène ses proies dans un taudis en bord de route afin de les tuer. Dans un décor uniformément noir, ses victimes sont soudain submergées par une substance inconnue avant d'éclater comme des poupées de chiffon. Jonathan Glazer parvient à donner une puissance stupéfiante à ses images qui nous tétanisent et nous envoûtent dans le même instant. Le travail sur le son contribue à rendre ces séquences définitivement marquantes. 

A la vue des fulgurances parfois renversantes d'Under the Skin, on peut deviner les influences du réalisateur, à commencer par Stanley Kubrick, notamment dans la rigueur de ses cadrages, une impression renforcée par l'utilisation d'une musique dysharmonique très maîtrisée. Mais à la différence de son modèle, il manque un propos à Jonathan Glazer pour nous convaincre pleinement. Mettant l'accent sur d'inutiles personnages secondaires (quid de ce motard ?), aux motivations insondables, et enchaînant les séquences de manière un peu mécanique, le cinéaste finit par perdre de vue son sujet essentiel : l'impossible renaissance d'une créature qui se met à découvrir les vertus de notre (in)humanité. Malgré ses imperfections et ses limites évidentes, allez découvrir cette œuvre à la lisère de l'expérimentation. Même si ce mot peut faire peur, ce cinéma doit exister. Et être regardé.

Antoine Jullien

Grande-Bretagne - 1h47
Réalisation : Jonathan Glazer - Scénario : Walter Campbell et Jonathan Glazer d'après le livre de Michael Faber
Avec : Scarlett Johansson (Laura), Jeremy McWilliams (L'homme mauvais), Lynsey Taylor Mackay.



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Diaphana.

samedi 21 juin 2014

Retour sur le Champs-Elysées Film Festival

 
Mon Cinématographe a couvert la 3ème édition du Champs-Elysées Film Festival et vous propose un panorama des films présentés, parmi lesquels Fort Bliss de Claudia Myers. Ce long métrage, qui a décroché le prix du public, interpelle en racontant le retour à la vie civile d'une femme médecin de l'US Navy qui a combattu en Afghanistan et qui retrouve son fils qu'elle n'a pas vu depuis plus d'un an. La réalisatrice traite de la condition difficile des femmes dans l'armée américaine qui doivent concilier leur vie de famille et leur vie au combat. Nous avons interviewé Claudia Myers qui revient avec nous sur la genèse du projet et sur la brillante interprétation de Michelle Monaghan. 

 
Vous pourrez suivre la rencontre de Keanu Reeves avec son public lors de son passage au festival où il présentait un passionnant documentaire, Side By Side, qu'il a produit et dans lequel il questionne de nombreux grands cinéastes (Fincher, Scorsese, Lucas, Lynch), sur le passage du cinéma argentique au cinéma numérique.
 
Jacqueline Bisset s'est également prêtée au jeu des questions-réponses devant une salle conquise lors de l'hommage qui lui était rendu. Elle en a profité pour évoquer Welcome to New York, le film polémique d'Abel Ferrara consacré à l'affaire DSK dans lequel elle interprète Anne Sinclair au côté de Gérard Depardieu. 


Enfin, vous pourrez découvrir un focus sur deux longs métrages inédits présentés durant la manifestation : Locke de Steven Knight, le scénariste des Promesses de l'ombre, qui embarque Tom Hardy dans une voiture pendant 1h30. Dans un autre registre, on a pu voir en exclusivité sur grand écran Légendes Vivantes d'Adam McKay, la suite d'Anchor Man, qui sort uniquement en DVD et Blu-Ray. Une comédie régressive hilarante autant qu'une critique au vitriol de la télé poubelle. 

lundi 16 juin 2014

Black Coal


Film majeur, Black Coal est la révélation d'un cinéaste sur lequel il faudra dorénavant compter : Yi'nan Diao. Le jury du festival de Berlin ne s'y est pas trompé en lui décernant l'Ours d'Or et à son acteur principal, l'excellent Fan Liao, le prix d'interprétation. Polar imprévisible se déroulant dans une cité industrielle du nord de la Chine, le film nous intrigue avant de progressivement nous happer pour ne plus nous lâcher. 

Le récit se passe sur deux périodes, en 1999 puis en 2004, où la police recherche l'auteur de plusieurs meurtres dont les corps découpés en morceaux ont été dispersés aux quatre coins de la Mandchourie. Les victimes sont toutes liées à l'épouse de la première qui est approchée par l'un des inspecteurs qui mène l'enquête, devenu depuis agent de sécurité. Une mystérieuse relation va se nouer entre eux. 


A l'inverse de A touch of Sin de son compatriote Jia Zhang Ke, Yi'nan Dio ne s'inscrit pas dans un cinéma de dénonciation. Moins ambitieux mais plus envoûtant, Black Coal se repose sur une intrigue à tiroirs qui voit un ancien flic tomber amoureux de la principale suspecte. Mais il s'agit davantage d'un rapport très ambigu de fascination et de répulsion, particulièrement troublant. Le cinéaste instaure un climat insolite entre ses deux personnages, comme à l'ensemble du métrage, nourri de silences inquiets, de non-dits, de moments suspendus. 


La mise en scène, ce mot parfois galvaudé, prend une autre dimension à la vision des images stupéfiantes de Yi'nan Diao. La réalisateur possède une maîtrise accomplie du plan séquence qu'il utilise à dessein. Il parvient à réaliser l'une des plus brillantes ellipses qu'on ait pu voir sur un écran lorsqu'il filme une voiture sortir d'un tunnel et qui se retrouve soudain sur une route enneigée, en plein hiver, cinq ans plus tard. La superbe photographie, mêlant les couleurs charbonneuses des mines aux néons des casinos, contribue davantage à l'éclatante réussite esthétique du film. Et cette violence, abrupte, presque cocasse, qui intervient au moment où l'on s'y attend le moins, nous saisit.

Le plus impressionnant dans Black Coal est sans conteste le portait dessiné par Yi'nan Diao de son pays. Le cinéaste montre avec une formidable acuité la folie absurde qui peut s'emparer de ses protagonistes à chaque instant. Dans un site de pari en ligne, un homme se met à vociférer subitement tandis que le flic improvise une danse sur de la musique techno au beau milieu d'un cours de tango. Là est la qualité fondamentale du cinéaste, arriver à respecter les codes du film policier (il dit s'être inspiré du Faucon Maltais et du Troisième Homme) en privilégiant la matière humaine et parfois irrationnelle de son histoire. A l'image de ce feu d'artifice final en plein jour, Black Coal devient une allégorie de l'aberration du monde. Le film touche alors à l'universel et devient une invitation à lutter contre la cruauté d'une société malade. Quoiqu'il en coûte.

Antoine Jullien

Chine - 1h45
Réalisation : Yi'nan Diao 
Avec : Fan Liao (Zhang Zili), Lu-mei Gwei (Wu Zhizhen), Xue-bing Wang (Liang Zhijun).  



Disponible en DVD chez Memento Films.

mercredi 11 juin 2014

3ème édition du Champs-Elysées Film Festival

 
Pour sa troisième édition, le Champs-Elysées Film Festival met à l'honneur le cinéma franco-américain dans six salles de la plus belle avenue du monde. Présidée par le cinéaste Bertrand Tavernier et la comédienne Jacqueline Bisset (à qui un hommage sera rendu), la manifestation propose une sélection de 9 longs métrages indépendants en compétition ainsi que de nombreuses avant-premières françaises dont Hippocrate, premier long métrage de Thomas Lilti qui avait fait la clôture de la Semaine de la Critique cannoise ou On a failli être amies, le nouveau long métrage d'Anne Le Ny, la réalisatrice des Invités de mon père. 

Du côté des avant-premières américaines, on scrutera particulièrement l'unique projection en salles de la comédie Légendes Vivantes avec Will Ferrell et Steve Carell (qui sort uniquement en DVD) et le thriller Locke de Steven Knight, le scénariste des Promesses de l'ombre, à la réputation flatteuse, présenté en première mondiale à la Mostra de Venise.

Locke de Steven Knight
 
Parmi les personnalités présentes durant le festival, citons l'acteur Keanu Reeves qui viendra montrer un documentaire, Side By Side, qu'il a produit et dans lequel il interviewe des figures majeures du cinéma (James Cameron, Martin Scorsese, Steven Soderbergh) sur le passage de l'argentique au numérique. La réalisatrice Agnès Varda viendra rencontrer le public à l'occasion de la ressortie de Sans toi ni loi et de la présentation de ses films tournés aux Etats-Unis ainsi que le cinéaste britannique Mike Figgis (Leaving Las Vegas) à qui le festival a donné une Carte Blanche.

Sans oublier les reprises de grands classiques français et américains et la soirée spéciale Vendredi 13 dédiée au cinéma d'horreur avec les projections de Kiss of the Damned de Xan Cassavetes et le cultissime Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper.  

Mon Cinématographe couvre l'évènement, on en reparle très vite !

RETROUVEZ LE COMPTE RENDU VIDEO DU FESTIVAL ICI

Champs-Elysées Film Festival du 11 au 17 juin
Dans les salles Publicis Cinéma, Gaumont Ambassade-Marignan, UGC Georges V, Le Balzac, Le Lincoln, MK2 Grand Palais.
Renseignements : www.champselyseesfilmfestival.com


Bird People

 
Huit ans après Lady Chatterley, Pascale Ferran nous revient avec un objet qu'elle qualifie elle-même "d'hybride". Entrecroisant deux portraits de personnages, Bird People situe l'essentiel de son action dans un hôtel international près de l'aéroport de Roissy. Là y travaille une femme de ménage qui va rencontrer un informaticien américain décidé à tout plaquer.

La première partie du film est très réussie. En filmant un homme prêt à changer de vie, Pascale Ferran nous captive avec une multitude de petits détails et une attention particulière apportée aux objets. Elle arrive surtout à diffuser une atmosphère inconfortable grâce à son utilisation minutieuse du décor. Ces couloirs d'hôtel impersonnels comme ces halls d'aéroport déserts traduisent le mal être de cet homme interprété par le méconnu Josh Charles. La cinéaste nous parle de notre monde hyper connecté où, paradoxalement, le personnage se défait de tous ses liens, personnels et professionnels, en rompant avec sa femme par Skype et en démissionnant de son entreprise par un simple mail. Mais la cinéaste ne le juge pas, elle en fait juste une description fine et éloquente.

Anaïs Desmoutier

A quelques chambres de là, cette jeune femme qui fait le ménage pour payer ses études semble plus insouciante et moins prisonnière du monde qu'il entoure. Porté par la gracieuse Anaïs Desmoutier, elle ne paraît pas être tout à fait à sa place dans ce vase-clos glacial. Jusqu'à cet envol qui va faire basculer le récit.  

 Roschdy Zem et Josh Charles

Sans trop dévoiler le reste du métrage, on peut tout de même révéler, comme le titre le laisse présager, qu'un oiseau va rentrer en jeu. Pascale Ferran tente alors quelque chose de très périlleux, le fantastique poétique qu'elle n'avait encore jamais entrepris. Et la cinéaste n'est pas totalement à son aise pour ce genre-là, malgré certaines fulgurances comme ce passage où le moineau est dessiné image par image. Un instant magique que n'efface pas certaines lourdeurs dont cette voix-off inutile et l'envolée au-dessus de Roissy sur Space Oddity de David Bowie, peu inspirée. C'est regrettable car la réalisatrice, grâce au point de vue du volatile, nous fait changer notre perception des autres mais elle veut ouvrir d'autres pistes qu'elle n'explore pas (le personnage de Roschdy Zem) avant de conclure sur une fin guère satisfaisante. 

Il faut louer le pari audacieux de Pascal Ferran d'avoir su conjuguer plusieurs histoires et d'avoir utilisé les effets spéciaux à bon escient. Mais le défi n'est que partiellement relevé car elle rate cette rencontre attendue entre les deux protagonistes qui vont vivre l'un et l'autre un profond chamboulement sans que la connexion entre eux ne s'opère véritablement. Semi-réussite ou  semi-échec, Bird People aura au moins le mérite de dérouter le spectateur, en sortant, enfin, du tout venant de la production française. 

Antoine Jullien 

France - 2h10
Réalisation : Pascale Ferran - Scénario : Pascale Ferran et Guillaume Breaud 
Avec : Anaïs Desmoutier (Audrey), Josh Charles (Gary), Roschdy Zem (Simon), Camelia Jordana (Leïla).


vendredi 6 juin 2014

Bande-annonce Interstellar


Christopher Nolan est l'un des rares cinéastes d'aujourd'hui à pouvoir conjuguer les impératifs d'une superproduction à la profondeur de thématiques désertées par Hollywood. Les premières images de son nouvel opus, Interstellar, confirme cette tendance. On y voit Matthew McConaughey quitter sa famille pour un voyage à travers le cosmos afin de dépasser les limites de nos connaissances scientifiques. 

Ecrit par Jonathan Nolan, le projet, basé sur les travaux du physicien Kim Thorne, a été entre les mains de Steven Spielberg pendant plusieurs années avant que Christopher Nolan ne rejoigne son frère et se décide à réaliser le film. Ces images attisent notre curiosité et l'on se demande si Nolan n'aurait pas accoucher du 2001 du XXIème siècle ? Nous n'en sommes pas encore là mais on ne peut que saluer l'ambition du cinéaste qui a toujours su créer l'évènement avec des films qui ne correspondent pas aux canons traditionnels des blockbusters (excepté le ratage de The Dark Knight Rises). Il faudra patienter jusqu'au 5 novembre pour embarquer à bord d'Interstellar et vivre, peut-être, l'ultime voyage. 

jeudi 5 juin 2014

Les poings contre les murs


On ne pensait plus que le film de prison, un genre en soi si balisé, pouvait encore surprendre. C'est le tour de force qu'a réussi le réalisateur britannique David Mackenzie, connu jusqu'alors pour des films inégaux (Young Adam, Rock n'love) qui atteint ici une puissance dramatique inédite dans sa filmographie. En racontant l'arrivée d'un jeune délinquant, Eric, dans l'univers carcéral où il va lutter pour s'imposer aux surveillants et aux détenus, Mackenzie décoche un véritable uppercut qui nous laisse abasourdi. 

Rarement un long métrage n'aura donné un tel sentiment d'appartenance à un milieu. En filmant la prison avec un réalisme saisissant, le réalisateur parvient à nous immerger dans ce monde brutal où le spectateur vivrait presque aussi durement la violence physique que les différents protagonistes qui la donnent ou la subissent. On est d'emblée captivé par ce jeune homme qui contient une fureur animale prête à exploser à chaque instant. La violence de certaines scènes n'est jamais gratuite car elle traduit la manière de se faire respecter dans cet environnement implacable. Le montrer aussi sèchement n'est pas nouveau, d'autres cinéastes l'ont décrit avec la même force (Un prophète est dans toutes les têtes) mais Mackenzie lui donne un supplément d'âme en racontant également une histoire de réconciliation entre un père et son fils. Car le jeune homme fraîchement débarqué découvre que son père, incarcéré depuis de nombreuses années, se trouve dans la même prison que lui. 

Jack O'Connell 

A rebours des clichés, le cinéaste ne décrit pas une relation père-fils traditionnelle, on a plutôt l'impression d'assister à des échanges entre deux truands. Au moment où intervient un éducateur qui souhaite inclure Eric dans ses discussions pour atténuer cette rage qui est en lui, le père tente à plusieurs reprises de s'y opposer, de peur que son fils lui échappe. Le film se positionne là encore sous un angle nouveau en posant la question d'une possible réinsertion en prison sans prôner de solutions mais en expérimentant certaines. Comment peut-on sortir de cet enfer en étant soi-même dangereux pour soi et pour les autres ?

Le père a besoin de son fils afin de poursuivre ses affaires criminelles, le fils voudrait enfin être reconnu pour ce qu'il est aux yeux de son père. Aucun trémolo dans cet affrontement mais une soudaine prise de conscience de l'un et de l'autre, à la toute fin du métrage. L'intensité qui se dégage entre les deux hommes est décuplée par le talent de deux comédiens stupéfiants : Ben Mendelsohn, un acteur australien découvert dans Animal Kingdom, et la révélation du film, Jack O'Connell qui interprète Eric. Deux atouts majeurs pour un film qui, de par son ampleur, marque les esprits et risque de devenir une référence du genre, au moment où l'on s'y attendait le moins. 

Antoine Jullien

Grande-Bretagne - 1h45
Réalisation : David Mackenzie - Scénario : David Asser
Avec : Jack O'Connell (Eric), Ben Mendelsohn (Neville), Rupert Friend (Oliver), David Ajala (Tyrone). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Video.