lundi 16 juin 2014

Black Coal


Film majeur, Black Coal est la révélation d'un cinéaste sur lequel il faudra dorénavant compter : Yi'nan Diao. Le jury du festival de Berlin ne s'y est pas trompé en lui décernant l'Ours d'Or et à son acteur principal, l'excellent Fan Liao, le prix d'interprétation. Polar imprévisible se déroulant dans une cité industrielle du nord de la Chine, le film nous intrigue avant de progressivement nous happer pour ne plus nous lâcher. 

Le récit se passe sur deux périodes, en 1999 puis en 2004, où la police recherche l'auteur de plusieurs meurtres dont les corps découpés en morceaux ont été dispersés aux quatre coins de la Mandchourie. Les victimes sont toutes liées à l'épouse de la première qui est approchée par l'un des inspecteurs qui mène l'enquête, devenu depuis agent de sécurité. Une mystérieuse relation va se nouer entre eux. 


A l'inverse de A touch of Sin de son compatriote Jia Zhang Ke, Yi'nan Dio ne s'inscrit pas dans un cinéma de dénonciation. Moins ambitieux mais plus envoûtant, Black Coal se repose sur une intrigue à tiroirs qui voit un ancien flic tomber amoureux de la principale suspecte. Mais il s'agit davantage d'un rapport très ambigu de fascination et de répulsion, particulièrement troublant. Le cinéaste instaure un climat insolite entre ses deux personnages, comme à l'ensemble du métrage, nourri de silences inquiets, de non-dits, de moments suspendus. 


La mise en scène, ce mot parfois galvaudé, prend une autre dimension à la vision des images stupéfiantes de Yi'nan Diao. La réalisateur possède une maîtrise accomplie du plan séquence qu'il utilise à dessein. Il parvient à réaliser l'une des plus brillantes ellipses qu'on ait pu voir sur un écran lorsqu'il filme une voiture sortir d'un tunnel et qui se retrouve soudain sur une route enneigée, en plein hiver, cinq ans plus tard. La superbe photographie, mêlant les couleurs charbonneuses des mines aux néons des casinos, contribue davantage à l'éclatante réussite esthétique du film. Et cette violence, abrupte, presque cocasse, qui intervient au moment où l'on s'y attend le moins, nous saisit.

Le plus impressionnant dans Black Coal est sans conteste le portait dessiné par Yi'nan Diao de son pays. Le cinéaste montre avec une formidable acuité la folie absurde qui peut s'emparer de ses protagonistes à chaque instant. Dans un site de pari en ligne, un homme se met à vociférer subitement tandis que le flic improvise une danse sur de la musique techno au beau milieu d'un cours de tango. Là est la qualité fondamentale du cinéaste, arriver à respecter les codes du film policier (il dit s'être inspiré du Faucon Maltais et du Troisième Homme) en privilégiant la matière humaine et parfois irrationnelle de son histoire. A l'image de ce feu d'artifice final en plein jour, Black Coal devient une allégorie de l'aberration du monde. Le film touche alors à l'universel et devient une invitation à lutter contre la cruauté d'une société malade. Quoiqu'il en coûte.

Antoine Jullien

Chine - 1h45
Réalisation : Yi'nan Diao 
Avec : Fan Liao (Zhang Zili), Lu-mei Gwei (Wu Zhizhen), Xue-bing Wang (Liang Zhijun).  



Disponible en DVD chez Memento Films.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire