mercredi 30 avril 2014

Florilège d'avril

A l'occasion du week-end prolongé du 1er mai, voici une sélection de films à voir ou ne pas voir dans les salles. 

STATES OF GRACE


Le premier long métrage de Destin Cretton, States of Grace, inspiré de sa vie d'éducateur dans un centre de jeunes à problèmes, a fait le bonheur de tous les festivals où il est passé, remportant plusieurs prix du public. Un succès mérité pour ce touchant portait d'une jeune femme sensible et déterminée à la tête d'un foyer d'adolescents en difficulté qui va rencontrer une fille très tourmentée, la renvoyant à ses propres blessures. Partant d'une base documentaire, Destin Cretton en a tiré une fiction aux personnages bien dessinés et à la dramaturgie très affirmée (presque trop). Malgré la dureté de certaines situations et la détresse affective et émotionnelle vécue par les protagonistes, un doux parfum de sérénité finit par envahir l'écran. Presque un feel good movie en somme, révélant une actrice à suivre : Brie Larson. 



LE DERNIER DIAMANT 


Eric Barbier ne veut pas trop se prendre au sérieux et c'est tant mieux ! Avec Le Dernier Diamant, le réalisateur du Serpent convie Yvan Attal et Bénérice Béjo dans un film d'arnaque aux airs de déjà-vu mais fabriqué avec suffisamment de savoir-faire pour qu'on s'y intéresse un tant soit peu. Située à Anvers, l'intrigue a pour objet la vente d'un diamant, le Florentin, convoité par Simon qui va devoir approcher Julia pour qui la vente constitue un enjeu personnel et familial considérable. On éprouve un certain plaisir à suivre une histoire aux rebondissements attendus mais qui possède un petit charme pas désagréable. Si Bérénice Béjo ne semble pas très à l'aise, Yvan Attal confirme, par sa présence et son charisme, sa prédisposition aux thrillers, bien entouré par une solide galerie de seconds rôles. Un divertissement honorable à défaut d'être renversant. 



96 HEURES 

 
Frédéric Schoendoerffer, en revanche, se prend très au sérieux. Après un premier long métrage prometteur, Scènes de crimes, qui tentait de renouveler le film policier français, le cinéaste n'a fait que décevoir depuis, atteignant le précipice avec 96 heures. Le réalisateur proposait pourtant un face à face alléchant : Niels Arestrup affrontant Gérard Lanvin. Les comédiens font ce qu'il peuvent mais sont impuissants à sauver des personnages archétypaux et un scénario catastrophique qui voit un truand sorti de prison séquestrer le flic qu'il a arrêté afin de connaître l'identité de l'indic qu'il la dénoncé. Le film démarre par une scène d'évasion totalement invraisemblable et ne va aller que de rebondissements peu crédibles en situations risibles. Alors qu'il aurait pu tenter un huis-clos étouffant, Schoendoerffer décide malencontreusement d'aérer son récit avec des personnages secondaires insignifiants. Le film révèle surtout l'absence criante d'originalité et de prise de risque qui caractérisent trop souvent le polar à la française, avec comme effet pervers de ringardiser le genre. 96 heures ne mérite pas les salles obscures, à l'inverse de plusieurs séries policières, y compris tricolores, qui contiennent bien plus de cinéma que ce polar bas de gamme. 



PAS SON GENRE 


Lucas Belvaux est un réalisateur curieux, jamais là où on l'attend. Après un huis-clos saisissant sur la lâcheté humaine (38 témoins), il filme cette fois une romance entre un professeur de philosophie et une coiffeuse au beau milieu de la cité d'Arras. Hitchtock avait pour habitude de dire qu'"il vaut mieux partir d'un cliché que d'y arriver". Non seulement Belvaux convoque tous les clichés redoutés mais il n'en transcende aucun. Clément, le bel enseignant, est un séducteur patenté dont les parents bourgeois aiment la musique classique alors que Jennifer (??), elle, adore Jennifer Aniston dont Clémaent n'a évidemment jamais entendu parler. Sans oublier l'opposition bien caricaturale entre la soirée branchée parisienne où personne ne se parle et le karaoké de province tellement plus vivant. Un tel ramassis de lieux communs laisse pantois et il n'y a bien que la présence lumineuse d'Emilie Dequenne pour nous consoler. Car tout sonne faux dans cette carte postale verbeuse où la province est réduite au folklore le plus éculé. Et la mise en scène, d'une consternante banalité, finit par nous achever. 




LES FEMMES DE VISEGRAD 


Ce film est inspiré de l'expérience de l'australienne Kym Vercoe, qui, après un séjour en Bosnie, décide de retourner à Visegrad, lieu où, en 1992, 1752 personnes furent tuées et deux cent femmes violées et assassinées dans l'hôtel Vilina Vlas. La réalisatrice Jasmila Zbanic filme Kym Vercoe à la façon d'un carnet de voyage dans les endroits mêmes où se sont déroulés les massacres. Le film devient un douloureux devoir de mémoire autant qu'une route sinueuse au cœur des plaies encore à vif d'une nation meurtrie. Le silence menaçant des habitants de Visegrad mêlé aux menaces à peine voilés des autorités locales rendent ce voyage angoissant. Mais au regard de l'importance du sujet, on regrette que la réalisatrice ait choisi un traitement aussi intimiste qui amoindrit la portée de son propos.

Antoine Jullien

mardi 29 avril 2014

Exposition Henri Langlois

 
Programmateur, défricheur, explorateur, artiste, architecte : Henri Langlois était tout cela à la fois. A l'occasion du 100ème anniversaire de sa naissance, la Cinémathèque française lui consacre une grande exposition supervisée par Dominique Païni, ancien directeur de l'institution. 

 Henri Langlois et Georges Franju, (s.d.), DR © Collection La Cinémathèque française

A travers une série d'écrits, de films, de peintures, on redécouvre l'importance de Langlois dans l'histoire du cinéma. Après son arrivée en France en 1922, il rencontre le cinéaste Georges Franju (l'auteur des Yeux sans Visage), avec lequel il crée un ciné-club "Le cercle du cinéma" et tourne un court métrage Le Métro que l'on peut découvrir dans les allées de l'exposition. Sa passion du cinéma devient grandissante et il se met en tête de retrouver des films rares ou perdus, principalement issus de la période du muet. Il fonde la Cinémathèque en 1936 et collabore avec Lotte H. Eisner qui deviendra conservatrice en chef de la Cinémathèque et avec laquelle il entretiendra une forte amitié. Durant l'occupation, il sauvegarde de nombreuses œuvres et en protège certaines de la censure allemande grâce à son habileté diplomatique. En 1955, il réalise "300 années de Cinématographe" à l'occasion des 60 ans du cinéma. Il inaugure une salle rue d'Ulm où se succèdent les rétrospectives de Keaton, Renoir et Jean Vigo dont il considérait L'Atalante comme le chef d’œuvre indépassable. En 1963, la nouvelle cinémathèque est inaugurée au palais de Chaillot en présence de Charlie Chaplin, son cinéaste préféré. 

Christian Rochefort, Jean Rouch, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard et Henri Attal lors d'une manifestation de soutien à Langlois, rue d'Ulm, le 11 février 1968, DR © Collection La Cinémathèque française

Puis survient en février 1968 l'affaire Langlois. Le ministre de la culture, André Malraux, décide, sous la pression du gouvernement, de limoger Henri Langlois de la direction de la Cinémathèque à cause de sa gestion jugée "artisanale". La contestation, emmenée par François Truffaut et Jean-Luc Godard, prend une ampleur considérable (Elia Kazan et Samuel Fuller refusant même que leurs films soient diffusés en signe de protestation) et Langlois est finalement maintenu à ses fonctions mais avec des crédits amoindris. Cette affaire lui donne une aura mondiale et il va multiplier les conférences aux États-Unis et recevoir un Oscar d'honneur en 1974. Deux ans auparavant, il avait créé le musée du Cinéma dans lequel il regroupait une partie de ses collections, des costumes de films et des recréations de décors. Il meurt le 18 janvier 1977. 

Henri Langlois reçoit un Oscar, entouré de Gene Kelly et Jack Valenti à Hollywood, le 2 avril 1974. 
© Julian Wasser / Hulton Archives 

L'entrée de l'exposition est un peu intimidante avec tous ses génériques de films et des extraits des Histoire(s) de Cinéma de Godard. Langlois se faisait une haute idée du cinématographe mais on découvre un homme plutôt facétieux, épris de cinéma expressionniste et d'artisans de l'imaginaire et de la fantaisie (Feuillade, Méliès). On remarque sur les murs de l'exposition les nombreux programmes qu'il élaborait pour la cinémathèque et plusieurs clichés le montrant aux côtés des plus grands réalisateurs dont Alfred Hitchcock à qui il remit la légion d'honneur en 1971, le cinéaste lui offrant en échange la tête de la mère empaillée de Psychose ! Sur plusieurs vidéos, on voit Orson Welles et Roberto Rosselini venir s'adresser au public de la cinémathèque ainsi que Buster Keaton, alors délaissé et à l'air impassible, participer à un hommage. 

Henri Langlois remet la Légion d'honneur à Alfred Hitchcock, le 14 janvier 1971 © SIPA

Langlois souhaitait plus que tout rendre justice à ces cinéastes majeurs mais il a aussi contribué à l'éveil cinéphilique de la jeune génération incarnée par la Nouvelle Vague. Dans une des archives, Truffaut se définit comme "un fanatique des premiers rangs" de l'avenue de Messine (ancien siège de la cinémathèque installé en 1945). Langlois est depuis considéré comme l'un des pères de la Nouvelle Vague, accordant une importance capitale à la transmission et à l'enseignement. 

Fernand Léger. Affiche de l'expo "Trois quart de siècle de cinéma mondial" qui inaugure le musée du Cinéma 
au palais de Chaillot, juin 1972 © ADAGP, Paris 2014

Les dernières salles de l’exposition sont les plus surprenantes car l'on apprend que Langlois était aussi l'ami des peintres (Magritte, Chagall) avec lesquels il entretenait des rapports étroits. Ainsi, Le Ballet Mécanique de Fernand Léger (présent dans l'exposition) fut pour lui une révélation déterminante. Son admiration pour tous ces artistes se ressent à travers le film qu'il réalisa sur Henri Matisse, filmant le peintre au travail, dans son atelier. On découvre également le goût de Langlois, féru de surréalisme, pour l'expérimentation dans l'avant-dernière salle de l’exposition à l'ambiance très psychédélique. 

Langlois transportant des bobines de films © Enrico Sarsini

Personnage hors du commun, Henri Langlois avait l’obsession de tout sauver et c'est en grande partie grâce à son obstination que l'on peut admirer tant de films autrefois oubliés. Si l’exposition n'est pas hagiographique, laissant place à ses contempteurs, elle permet de se plonger dans une époque où la cinéphilie était une affaire de la plus haute importance. Sa disparition laissera un vide profond, comme le déclarait Jean Renoir à ses funérailles : "Nous perdons notre guide et nous nous sentons seuls dans la forêt". 

Antoine Jullien

Le Musée imaginaire d'Henri Langlois jusqu'au 3 août à la Cinémathèque française. 
Journée d'études "Henri Langlois aujourd'hui" le 2 juin. 
Cycles "Les femmes d'Henri Langlois" jusqu'au 7 mai et "Classiques du cinéma" jusqu'au 26 mai.
51, rue de Bercy - 75012 Paris. Informations : 01.71.19.33.33 et www.cinematheque.fr

 

samedi 26 avril 2014

La comédie française (et le Splendid) retrouvent quelques couleurs

QU'EST-CE QU'ON A FAIT AU BON DIEU ? / BABYSITTING


A la lecture du box office de cette semaine, une conclusion s'impose : la comédie française retrouve des couleurs. Après un cru 2013 catastrophique, les succès s’enchaînent depuis le début de l'année : Supercondriaque (5,2 millions d'entrées), Les 3 frères - le retour (2,2), Fiston (1,9), Le crocodile du Botswanga (1,2).

Et voilà que deux nouvelles comédies font une entrée fracassante. Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? de Philippe de Chauveron réalise 1 680 000 entrées pour ses sept premiers jours d'exploitation. Un score impressionnant que son sujet laissait quelque peu présager. Rappelons qu'il s'agit d'une famille de catholiques qui voit se succéder les mariages mixtes, au grand dam des parents incarnés par Christian Clavier et Chantal Lauby. Sur un canevas à la fois très contemporain et assez éculé, la comédie fonctionne plutôt bien, portée par l'antagonisme apparent entre la nouvelle génération et l'ancienne. Si le film appuie un peu lourdement sur les clichés, il finit par en jouer habilement, provoquant quelques séquences vraiment drôles, notamment dans son derniers tiers. Comédie fédératrice et efficace, Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? est surtout un film très (trop ?) rassurant qui devrait connaître un large succès.


Le même jour sortait Babysitting qui a enregistré plus de 500 000 entrées et qui semble a priori le contraire du premier : film reproduisant le principe du found footage (consistant à présenter une partie du film comme étant un enregistrement vidéo filmé par l'un des protagonistes), comédiens issus de la télévision, humour déjanté. Le film contient certes quelques moments hilarants et une bonne humeur contagieuse mais n'est jamais à la hauteur de ses ambitions, faute d'audace suffisante. Car derrière la comédie potache sympathique se cache un film très convenu saupoudré d'un mélo familial mielleux  incarné par le couple Gérard Jugnot / Clotilde Coureau qui découvre, médusé, la vidéo de la soirée d'anniversaire de Frank, censé garder leur fils, qui va dégénérer. Babysitting alterne alors de manière pataude les réactions du couple et la vidéo de la folle nuit. Une absence d'inventivité rehaussée, heureusement, par quelques passages bien sentis. 


Grâce aux cartons de ses comédies, ce sont deux acteurs du Splendid au creux de la vague qui reprennent du poil de la bête. Si Gérard Jugnot n'a qu'un second rôle dans Babysitting, son succès lui permet de se raccrocher au wagon d'une nouvelle génération. Son interprétation est pourtant ce qu'il y a de plus mauvais dans le film mais le fait d'avoir participé à ce premier long métrage de Philippe Lacheau et Nicolas Benamou, au budget modeste, est peut-être une manière pour lui de se relancer. 


Le cas est plus édifiant pour Christian Clavier. Le 9 novembre 2011 sortait On ne choisit pas sa famille, sa première (et unique ?) réalisation, massacrée par la critique et boudée par le public. Ce bide retentissant était l’aboutissement d'une série de gadins pour l'acteur qui ne semblait plus du tout en phase avec son public. Son jeu outré et l'indigence des navets dans lesquels il se compromettait en insupportait plus d'un. Et quand le comédien essaya de changer de registre avec le film politique La Sainte-Victoire, les spectateurs n'ont pas été au rendez-vous.

Mais l'homme a du flair et a senti que les nouveaux rejetons de la comédie française lui permettraient de sortir la tête de l'eau. Il accepte alors de tourner dans l'adaptation de la B.D. Les Profs réalisé par un ancien Robin des Bois, Pierre-François Martin-Laval. Malgré sa médiocrité, le film est un carton, plus gros succès français de 2013 avec près de 4 millions de spectateurs. Et voilà que le comédien récidive avec Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? dans lequel il se délecte de ce personnage de bon père de famille de province, bourgeois conservateur et vaguement raciste qui voit, catastrophé, ses filles se marier les unes après les autres avec un juif, un arabe et un chinois. L'acteur a sans doute senti le potentiel sociologique d'un tel sujet et s'est engouffré dans la brèche. Clavier fait pourtant du Clavier avec la même palette de mimiques mais l'acteur a su mettre la pédale douce, ne prenant plus toute la place et laissant Ary Abittan et sa bande bénéficier des meilleures séquences. Si agaçant auparavant, l'acteur redevient supportable et prend du même coup une belle revanche. Car n'oublions pas qu'il fut aussi une cible privilégiée du fait de son amitié notoire avec Nicolas Sarkozy. Dans un milieu culturel qui penche sérieusement de l'autre bord, il était mal venu d'entretenir une proximité avec l'ancien président de la République. Une attitude que l'on jugera assez grotesque avec le recul et qui conduira l'acteur à partir au Royaume-Uni. 

Même quand on les croit à terre, les dinosaures du rire renaissent de leurs cendres mais ne nous trompons pas. Il s'agit d'une parenthèse enchantée qui n'empêchera pas, à l'un et l'autre, de se remettre en question en abordant des genres inexplorés, au risque de n'être plus que des vestiges de la comédie à la française.

Antoine Jullien

Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? - France - 1h37
Réalisation : Philippe de Chauveron - Scénario : Philippe de Chauveron et Guy Laurent 
Avec : Christian Clavier (Claude Verneuil), Chantal Lauby (Marie Verneuil), Ary Abittan (David Benichou), Medi Sadoun (Rachid Benassem). 

Babysitting - France - 1h25 
Réalisation : Philippe Lacheau et Nicolas Benamou - Scénario : Philippe Lacheau, Pierre Lacheau, Julien Arruti, Tarek Boudali
Avec : Philippe Lacheau (Frank), Alice David (Sonia), Tarek Badouli (Sam), Julien Arruti (Alex), Vincent Desagnat (Ernest), Gérard Jugnot.



Disponible en DVD et Blu-Ray chez UGC Vidéo.

mercredi 23 avril 2014

Dans la cour

 
Pierre Salvadori sentait le besoin d'ouvrir de nouveaux horizons à une filmographie truffée de pépites lubitschiennes dont les plus savoureuses demeurent Après vous... et Hors de prix. En écrivant le scénario de Dans la cour, il envisageait de filmer un drame sans aucune scène comique. Son naturel d'auteur revenant au galop, Salvadori a préféré opter pour une comédie dépressive dont les deux instrumentistes seraient Catherine Deneuve et Gustave Kervern. Un casting surprenant pour un film qui ne l'est pas moins, même s'il ne convainc pas tout à fait.

L'histoire se déroule dans une cour d'immeuble où Antoine (Kervern) est engagé comme gardien après qu'il ait abandonné sa carrière de musicien. Il fait la rencontre de Mathilde (Deneuve) et de son mari (Feodor Atkine) qui habitent le quatrième étage. Lui, poli et mesuré, est quelque peu dépassé par les inquiétudes de sa femme qui se met à faire une fixation sur une fissure de leur salon. Entre Antoine et Mathilde, une curieuse solidarité va se nouer, empreinte d'une connivence partagée.

Catherine Deneuve

Un profond parfum de mélancolie se dégage du film et l'on comprend pourquoi Salvadori l'envisageait au départ comme un drame. La dépression est difficile à traiter au cinéma sans tomber dans le pathos et les lieux communs. Bien qu'ils différèrent sur plein d'aspects, Mathilde et Antoine se rejoignent dans ce même sentiment de honte et de peur mélangées qui les envahie et leur gâche l'existence. Gustave Kervern, qui se qualifie de "spécialiste de l'accablement", apporte une bonhommie presque affectueuse à son personnage contrebalancée par la folie douce de Catherine Deneuve. L'actrice, qui interprète pour la première fois une retraitée, semble de plus en plus vouloir lâcher prise et son jeu s'en ressent, alerte et libre.


Comme toujours chez lui, Salvadori aime faire la part belle aux seconds rôles. Du voisin persuadé de l'intrusion d'un étranger dans la cour à un ancien footballeur qui passe ses journées à se shooter dans son salon, le réalisateur compose une iconoclaste galerie de personnages. Ce sont les principaux ressorts comiques d'une intrigue qui s'en délaisse progressivement, à l'exception notable de la visite d'Antoine et Mathilde dans la maison d'enfance de cette dernière, l'une des rares échappées des protagonistes. Une scène qui aurait pu être émouvante mais qui devient réellement cocasse lorsque Deneuve reproche aux nouveaux propriétaires d'avoir changé toute la maison d'où elle ne reconnait plus rien. L'agitation passée, elle finira par dire : "Mon Dieu Antoine, vous avez vu ce que j'ai fait... Les gens sont avides de calme et de tranquillité, et moi je leur hurle dessus."

A l'image de ces fissures qui menacent de mettre tout le quartier en péril, l'angoisse devient le sujet central du film mais on sent que Salvadori n'assume pas totalement ce virage, à voir le final que l'on ne révèlera pas. Le film évoque pourtant les addictions qui nous minent et la dépression qui nous guette sans que le cinéaste ne s'en empare véritablement. Si Dans la cour est le film le moins allègre et sans doute le plus personnel de Pierre Salvadori, il lui manque le rythme (plutôt décousu ici) et le brio de ses œuvres antérieures pour nous emporter totalement.

Antoine Jullien

France - 1h37
Réalisation : Pierre Salvadori - Scénario : Pierre Salvadori et David Colombo-Léotard
Avec : Catherine Deneuve (Mathilde), Gustave Kervern (Antoine), Féodor Atkine (Serge), Pio Marmaï (Stéphane), Michèle Moretti (Colette). 



Disponible en DVD chez Wild Side Vidéo.

mardi 22 avril 2014

Saison 5 de Séries Mania


La cinquième saison du festival Séries Mania commence aujourd'hui au Forum des Images. Succès médiatique, public et professionnel, la manifestation dure trois de jours de plus cette année afin d'exposer au mieux le meilleur des séries venues du monde entier. 

En ouverture, les spectateurs pourront découvrir les deux premiers épisodes de True Detective, une série policière réalisée par Cary Fukanaga et interprétée par, excusez du peu, l'oscarisé Matthew McConaughey et Woody Harrelson. Plébiscité par la critique américaine, record d'audience sur HBO, True Détective a créé l'évènement outre-atlantique, dont l'intégralité de la première saison sera prochainement diffusée sur Orange Cinéma Séries. 


En clôture, on pourra découvrir les deux premiers épisodes de Gomorra inspiré par le best-seller de Roberto Saviano et le film éponyme de Matteo Garrone, qui nous plonge dans l'univers mafieux de la Camorra à travers les yeux de Ciro, bras droit du chef de clan.

Outre ses deux séries très noires, le public pourra rencontrer plusieurs personnalités, notamment Nic Pizzolato, le showrunner de True Detective, et Bryan Elsley, le créateur de Skins et Dates ainsi que les équipes artistiques des séries françaises Ainsi soient-ils et Hôtel de la plage, et assister à de nombreuses tables rondes et conférences.

Séries Mania se voulant un révélateur des séries du globe, on pourra se faire une idée de Devil's playground (Australie), Fdp (Brésil), Série Noire (Canada), Nymphs (Finlande) ou Woman (Japon). Et décupler notre curiosité devant les nouvelles pépites américaines (Masters of Sex) et britanniques (Babylon, la nouvelle production de Dany Boyle).

Babylon, la nouvelle série de Dany Boyle

Enfin, les plus fondus pourront se jeter dans plusieurs marathons dont celui de la première partie de la saison 4 de Walking Dead, qui devrait faire l'évènement. Vous pourrez également vous plonger dans l'intégralité de la saison 2 de Real Humans, la série d'anticipation suédoise diffusée sur Arte ou bien partager les tribulations des membres d'un commissariat new-yorkais avec la saison 1 de Brooklyn Nine-Nine, récompensée aux derniers Golden Globes. 

Une programmation foisonnante et éclectique à découvrir jusqu'au 30 avril. Et c'est gratuit ! 

Séries Mania - Saison 5 du 22 au 30 avril au Forum des Images 
2, rue du Cinéma - Paris 1er - Forum des Halles.
Information : Tel : 01.44.76.63.00 ou www.forumdesimages.fr


Bande-annonce Séries Mania saison 5 par forumdesimages

jeudi 17 avril 2014

Sélection officielle du 67ème Festival de Cannes


C'est avec une pointe de déception que nous avons scruté la sélection officielle du prochain festival de Cannes, concoctée par Thierry Frémeaux et présidée pour la dernière fois par Gilles Jacob. Outre les éternels habitués, de nombreux films attendus sont absents dont beaucoup d'américains. En effet, on espérait Clint Eastwood, Paul Thomas Anderson, Tim Burton et Terrence Malick... aucun n'a répondu à l'appel. Les raisons peuvent être nombreuses mais la plus probable est le refus des studios d'envoyer leurs films sur la Croisette, préférant l'automne et le festival de Toronto pour lancer la saison des Oscars. On sait en revanche que le nouveau film d'Alejandro Gonzalez Inarritu, Birdman, n'était pas prêt à temps. Intéressons-nous donc aux films retenus. 

Grace De Monaco d'Olivier Dahan 

C'est Grace de Monaco d'Olivier Dahan qui ouvrira les festivités, hors compétition. Les organisateurs ont bien précisé qu'il s'agit de la version voulue par le cinéaste, en conflit ouvert depuis des mois avec son distributeur américain Harvey Weinstein. Nicole Kidman interprète le princesse et Tim Roth campe le Prince Rainier. Le film sortira dans les salles le jour de sa présentation, le 14 mai. 

Jean-Luc Godard sur le tournage de Adieu au langage

La sélection française voit réapparaître un dinosaure, Jean-Luc Godard, qui, à 83 ans, nous revient avec un long métrage très bref (1h10), en 3D et intitulé Adieu au langage, dont les premières images font craindre le pire. Autour de lui, on retrouve Olivier Assayas, pour la quatrième fois en compétition avec Sils Maria, un drame porté par Juliette Binoche, Kirsten Stewart et Chloe Grace Moretz. Autre habitué tricolore, Bertrand Bonello viendra présenter sa version de Saint Laurent, le célèbre couturier ayant déjà fait l'objet d'un biopic en début d'année. Quant à Michel Hazanavicius, qui avait triomphé sur la Croisette avec The Artist, il revient avec un remake du film de Fred Zinnemann, Les Anges Marqués. Ce nouveau long métrage, The Search, raconte la rencontre entre un jeune enfant et une femme (Bérénice Béjo) travaillant pour une ONG dans une Tchétchénie d'après-guerre. 

The Homesman de Tommy Lee Jones

Si les Américains seront nettement plus discrets cette année, il faudra tout de même compter sur Tommy Lee Jones qui réalise son deuxième long métrage pour le cinéma, près de dix ans après Trois Enterrements, déjà couronné à Cannes. L'acteur-réalisateur s'attaque en western, situant l'action de The Homesman en 1855, et narrant le voyage de quatre femmes au moment de la conquête de l'Ouest. Le film sortira pendant le festival, le 21 mai. Le cinéaste Bennett Miller, à qui l'on doit Truman Capote et Le Stratège, fera, lui, ses premiers pas sur le tapis rouge grâce à Foxcatcher qui offre un rôle inattendu à l'acteur comique Steve Carrell, méconnaissable dans le rôle de John Du Pont, un riche philanthrope et amateur de sport, accusé de meurtre en 1996. On retrouvera à ses côtés Channing Tatum et Mark Ruffalo. 

Maps to the Stars de David Cronenberg

Leurs collègues canadiens ne seront pas en reste, avec deux de leurs plus prestigieux représentants. David Cronenberg fera une cinquième tentative pour décrocher la palme d'Or avec Maps to the stars (sortie le 21 mai), une satire d'Hollywood interprétée par Julianne Moore, John Cusack et Robert Pattinson. Atom Egoyan viendra tenter sa chance une sixième fois avec Captives qui relate une histoire de kidnapping dans laquelle on retrouve Ryan Reynolds et Rosario Dawson. A noter que Robert Pattinson sera doublement à l'affiche du festival car il viendra également présenter, en séance de minuit hors compétition, The Rover, le nouveau polar très attendu de l'australien David Michôd, le réalisateur du mémorable Animal Kingdom

Deux Jours, Une nuit de Luc et Jean-Pierre Dardenne 

Parmi les européens conviés cette année, citons la sixième présence successive des frères Dardenne qui offrent à Marion Cotillard, dans Deux Jours, Une nuit (sortie le 21 mai), le rôle d'une guerrière prête à tout pour conserver son emploi. Les deux vétérans britanniques Ken Loach et Mike Leigh seront de la partie, le premier pour un long métrage intitulé Jimmy's Hall, consacré à Jimmy Gralton, leader communiste irlandais, et le second pour un biopic, Mr. Turner, dédié au célèbre peintre. Citons également l'italienne Alice Rohrwacher qui viendra pour la première fois en compétition présenter Les Merveilles avec Monica Bellucci.

L'Asie et l'Amérique du Sud quasi absentes, on retiendra la présence de Mommy, le cinquième film du prodige québécois Xavier Dolan qui accède (enfin !) à la compétition, et celle du turc Nuri Bilge Ceylan qui présentera Sommeil d'hiver, ayant déjà le titre du film le plus long de la compétition (3h16 !). 

Bird People de Pascale Ferran

Quant à la sélection Certain Regard, qui offre souvent de belles surprises, notons la présence de Bird People de Pascale Ferran qu'on attendait en compétition. La réalisatrice de Lady Chatterley proposera une œuvre aux confins du fantastique, portée par la talentueuse Anaïs Demoustier. Quatre ans après Tournée qui lui avait valu le prix de la mise en scène, Mathieu Amalric revient avec une adaptation d'un roman policier de Simenon, La Chambre bleue. Deux américains présenteront leurs premiers essais, le comédien Ryan Gosling avec Lost River dont on sait peu de choses si ce n'est la présence au générique d'Eva Mendes et Saoirse Ronan, et le réalisateur Ned Benson avec Eleanor Rigby qui est un diptyque racontant la même histoire selon deux points de vue différents, d'abord celui du mari (James McAvoy) puis celui de l'épouse (Jessica Chastain). N'oublions pas la présence de l'autrichienne Jessica Hausner (Amour Fou), du suédois Ruben Östlund (Turist) et du britannique Andrew Hulme (Snow in Paradise). 

Le festival souhaitant toujours être au cœur de l'actualité, le réalisateur ukrainien Sergei Loznitsa viendra présenter en séance spéciale son documentaire Maidan qui revient sur la révolution ayant abouti à la chute du président Ianoukovitch et sur les bouleversements en cours dans son pays. 

Reste l'annonce du film de clôture et des sélections de la Quinzaine des Réalisateurs et de la Semaine de la critique avant que Mon Cinématographe ne vous reparle du festival, en direct de la Croisette !


Film d'ouverture

Grace de Monaco d'Olivier Dahan (Hors Compétition)

En compétition 

Sils Maria d'Olivier Assayas
Saint Laurent de Bertrand Bonello
Sommeil d'hiver de Nuri Bilge Ceylan
Maps to the Stars de David Cronenberg
Deux jours, Une nuit de Luc et Jean-Pierre Dardenne
Mommy de Xavier Dolan
Captives d'Atom Egoyan
Adieu au langage de Jean-Luc Godard
The Search de Michel Hazanavicius
The Homesman de Tommy Lee Jones
Still the water de Naomi Kawase
Mr. Turner de Mike Leigh
Jimmy's hall de Ken Loach
Foxcatcher de Bennett Miller
Les Merveilles d'Alice Rohrwacher
Timbuktu d'Abderrahmane Sissako
Relatos Salvajes de Damian Szifron
Leviathan d'Andrey Zvyagintsev
67ème Festival de Cannes, du 14 au 25 mai 2014. 



Tom à la ferme


4 films à 25 ans seulement. Xavier Dolan est un surdoué qui enchaîne les films à un rythme de métronome, alors que son prochain opus vient d'être sélectionné en compétition pour le prochain Festival de Cannes. Quelle précocité ! Avec Tom à la ferme, le jeune homme décide de changer de registre, en apparence seulement. En adaptant la pièce de son compatriote québécois Michel Marc Bouchard, Dolan s'essaye pour la première fois au thriller. Le résultat n'est pas tout à fait à la hauteur du rendez-vous.

Un jeune publicitaire voyage jusqu'au fin fond de la campagne pour les funérailles d'un proche et constate que personne ne connaît son nom ni sa relation avec le défunt. Lorsque le frère aîné de celui-ci débarque, un jeu malsain s'instaure entre eux, visant à protéger sa mère et l'honneur de la famille. 

Pierre-Yves Cardinal et Xavier Dolan

Évoquer le thriller en abordant Tom à la ferme n'est pas rendre service au film. Si le long métrage contient quelques ingrédients basiques du genre, maladroitement surlignés par la musique "hermannienne" de Gabriel Yared, son intérêt réside ailleurs. Dans la capacité de Dolan à renouveler sa mise en scène, sèche et tendue, loin des extravagances de ses œuvres antérieures (Laurence Anyways, Les Amours Imaginaires). Et dans son propos particulièrement éloquent sur l’homosexualité refoulée. Tom sent très vite qu'il arrive en terrain hostile où la nature exacte des liens qu'il unissait avec la victime doit être à tout prix passée sous silence. D'où cette étrange relation s'établissant entre le frère aîné et Tom, nourrie de pulsions de plus en plus incontrôlables, menaçant à tout instant le fragile équilibre familial d'imploser. Dolan arrive assez brillamment à installer une ambiance étouffante et poisseuse, renforcée par son indéniable sens du cadre. 

Pour autant, l'exercice devient de plus en plus vain à mesure que le récit progresse. On sent que le cinéaste perd le fil de ses intentions initiales et finit par se noyer dans une intrigue inaboutie. La dénonciation de l'intolérance sexuelle et sentimentale, en filigrane tout au long du métrage, tombe à plat et le réalisateur semble alors incapable de conclure son film de manière satisfaisante. Une déception compte tenue du talent évident du jeune homme qui prouve, en revanche, ses grandes qualités d'acteur, jusqu'à présent au second plan. Il apporte à son personnage de Tom une fragilité vaguement inquiétante qui permet au spectateur, pendant un temps du moins, de s'accrocher à lui. Mais l'ensemble est malheureusement trop ténu pour que l'on adhère cette fois à l’œuvre de Xavier Dolan dont on attend tout de même son nouveau film, Mommy, avec une certaine impatience.

Antoine Jullien

Canada / France - 1h42
Réalisation : Xavier Dolan - Scénario : Xavier Dolan d'après la pièce de Michel Marc Bouchard. 
Avec : Xavier Dolan (Tom), Pierre-Yves Cardinal (Francis), Lise Roy (Agathe), Evelyne Brochu (Sara).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez MK2 Vidéo.

mardi 15 avril 2014

Interview de Giuseppe Tornatore et Sylvia Hoeks pour la sortie de The Best Offer

 
Giuseppe Tornatore, le réalisateur de Cinéma Paradiso, était de passage à Paris pour présenter son nouveau long métrage, The Best Offer. Le film relate la rencontre insolite entre Virgil (Geoffrey Rush), un commissaire priseur de renom, et Claire (Sylvia Hoeks), l'une de ses clientes qui lui demande une expertise de ses biens. N'ayant de relation intime qu'avec sa secrète collection de tableaux, l'homme va peu à peu tomber amoureux de cette femme mystérieuse. 

Sur un scénario à tiroirs, le cinéaste signe une œuvre hautement romanesque, combinée à un thriller d'une suprême élégance, à la mécanique redoutable.

Nous avons pu interviewer Giuseppe Tornatore ainsi que la comédienne hollandaise Sylvia Hoeks afin d'en savoir davantage sur ce film à la retenue éloquente (avis aux lecteurs, certains détails de l'intrigue sont dévoilés dans l'interview).


LE RÉALISATEUR GIUSEPPE TORNATORE


- Comment vous est venue l'idée du film ? 

Je travaille en même temps sur beaucoup d'idées et la majorité reste dans le tiroir. J'avais une idée sur une fille agoraphobe il y a longtemps et de temps à autre j'y revenais. Ce personnage me plaisait beaucoup mais toutes les histoires que je tentais de greffer autour ne me paraissaient pas convaincantes. Après plusieurs années, j'ai découvert le monde de la vente aux enchères et j'ai été très intéressé par le rôle du commissaire priseur. J'ai alors pensé que ce personnage pouvait servir de lien avec mon idée originelle.

- Avez-vous établi des recherches sur le métier de commissaire priseur ?

Il s'agit d'une rencontre de hasard. Alors que je n'avais rien demandé, j'ai reçu à mon bureau, durant plusieurs semaines, des catalogues d'enchères. Un jour, j'ai décidé d'aller assister à une vente et c'est là que j'ai connu des commissaires priseurs. Je suis resté fasciné par cette figure qui a le pouvoir de donner de la valeur à des objets. 

- Il y a un aspect très étrange dans The Best Offer : même si l'on devine que l'histoire se passe en Italie, le film n'est pas situé géographiquement et tous les personnages parlent anglais. Était-ce une volonté ou une contrainte de production ? 

Je ne voulais pas une ambiance typiquement italienne car l'histoire ne s'y prêtait pas. Ce n'était pas important de situer le film, j'ai donc délibérément voulu rester vague. Le seul endroit auquel je tenais était le restaurant de Prague que l'on découvre à la fin du film.

Geoffrey Rush

- Malgré tout, on ne peut s'empêcher de penser, en déambulant avec vos personnages dans le décor de la villa de Claire, au grand cinéma italien, notamment aux films de Visconti. Est-ce juste une impression ou y avez-vous songé ? 

J'oublie tout quand je réalise un film. Bien sûr, j'ai vu beaucoup de films, ce sont comme des trésors et il est certain qu'on a des influences mais je ne me suis pas spécialement inspiré de Visconti. 

- Vous avez filmé pour la première fois en numérique. Qu'est-ce que ce nouveau support a-t-il apporté à votre mise en scène ?

Si je devais faire un bilan sur ce que m'a apporté le digital, il serait très positif. Avant, je me demandais sans cesse combien de pellicule je devais utiliser et combien il devait m'en rester à la fin de la journée, avec la crainte de n'en n'avoir jamais assez ! Le numérique m'a amené vers une plus grande liberté d'expression car on a la possibilité de faire autant de prises que l'on veut, et le résultat esthétique est magnifique !

- Comment Geoffrey Rush est-il arrivé sur le projet et comment avez-vous travaillé ensemble sur l'évolution du personnage ? 

J'ai pensé à Geoffrey Rush en commençant à écrire. Peut-être l'a-t-il compris lui-même car lorsqu'il a lu le script, il a tout de suite donné son accord. Nous avons travaillé sur ce personnage très profondément. Avec Geoffrey, on est restés enfermés une semaine dans sa maison à lire le scénario mot par mot. Il a fini par tellement bien intégrer le personnage qu'il arrivait à changer des petits détails, devinant tout de suite si quelque chose ne convenait pas. C'est un grand perfectionniste. Notre collaboration était telle que le soir, après le tournage, on se retrouvait tous les deux pour retravailler le script ensemble. 

- Le scénario est très minutieux, avec une description très précise du personnage de Virgil, des gants qu'il porte en permanence à ses cheveux teints. 

Oui, cela devait caractériser cet homme plutôt antipathique, très froid et distant. Il ne regarde pas les femmes dans les yeux lorsqu'il s'adresse à elles. 


- Virgil (Geoffrey Rush) a un don pour détecter l'imposture dont il se sert pour remplir sa cave de portraits de femmes. Il va pourtant se laisser prendre dans un piège. En s'ouvrant à l'amour, il va pour la première fois lâcher prise. 

Il y a une maxime célèbre en Italie. On dit qu'un cordonnier est celui qui a toujours des chaussures avec des trous ! Virgil a le don de distinguer le vrai du faux dans sa vie professionnelle, pas dans sa vie intime. J'ai beaucoup aimé ce paradoxe. 

- Le film décrit une machination terrible, à l'image du mécanisme de l'automate, et pourtant c'est l'image d'un amour perdu qui demeure. Il y a un aspect très désenchanté dans le film, se terminant sur le visage perdu de Geoffrey Rush que vous filmez dans un long travelling arrière, au milieu du café. 

Je pense que ce n'est pas un amour fini. Il a quand même l'espoir qu'elle va revenir. Dans ce restaurant, il est là pour l'attendre. Pendant la promotion du film en Italie, lors d'une avant-première, un garçon m'a demandé : "Geoffrey Rush, il va dans ce restaurant par amour ou par vengeance ?" J'ai répondu : "Selon toi ?" et il m'a dit : "Par amour". Je le crois aussi.

- Une réplique m'a particulièrement frappée, lorsque le personnage de Claire affirme qu'il y a une touche d'authenticité dans chaque contrefaçon. Est-ce la morale du film ? 

Même un faussaire fait son travail avec passion ! Ils aiment d'ailleurs laisser une petite signature personnelle de leur œuvre, souvent indétectable. En effet, c'est une morale terrible parce qu'on est pas capable de distinguer le vrai du faux qui demeurent parfois inextricables ! Et c'est souvent très difficile de prétendre distinguer les deux choses ! 

- Comment avez-vous dirigé Sylvia Hoeks pour le personnage de Claire, qui est sans cesse entre le vrai et le faux ? 

J'avais écrit tout ce qu'elle fait derrière la porte, même si le spectateur ne la voit pas, et elle l'a interprétée de cette façon. Il n'y avait rien de faux. Ce qui m'intéressait, c'était le rapport physique qui s'instaurait entre Claire et Virgil alors qu'ils sont séparés par un mur. On a choisi l'épaisseur de la porte pour que cela soit plus réaliste. Ainsi, Geoffrey pouvait entendre les pas de Sylvia, ses respirations, ce qui a permis de rendre plus intense leur interprétation.


LA COMÉDIENNE SYVIA HOEKS 

 
- C'est votre premier rôle d'envergure dans une production internationale. Comment Giuseppe Tornatore vous a-t-il choisi pour le rôle de Claire ? 

Giuseppe m'a appelé après que Geoffrey Rush ait vu mon travail sur internet. Il pensait que je serais très bien pour jouer Claire. Je suis allé à Rome pour passer une audition et j'ai eu le rôle. Cela a été une expérience formidable de travailler avec des gens comme Geoffrey et Giuseppe. 

- Comment décririez-vous votre personnage ? 

Claire a peur de vivre, elle essaye de cacher quelque chose. Quant elle rencontre Virgil (Geoffrey Rush), elle se lie à lui car, comme elle, il ne se lie pas aux autres, il ne regarde pas les femmes dans les yeux, il ne fait que travailler. Aucun des deux ne vit comme une personne normale. Ils sont connectés de cette façon et c'est pourquoi l'amitié va naître entre eux, puis l'amour. Ils sont plus heureux ensemble, ils se donnent plus de chance l'un avec l'autre. 

- Au début du film, elle souffre d'une maladie étrange. Était-ce difficile de jouer un personnage aussi mystérieux ? 

La partie la plus difficile était celle où l'on entendait que ma voix, lorsque je suis derrière la porte et qu'on ne me voit pas. Vous ne pouvez pas utiliser votre visage, vos yeux, votre corps. C'était très excitant de faire passer toutes les émotions uniquement par la voix. Giuseppe m'indiquait les bonnes intonations afin de rendre le personnage encore plus intriguant. J'ai beaucoup appris en jouant de cette manière. 


- Il y a une séquence importante dans laquelle vous essayez la robe que Geoffrey Rush vous a offerte. Cette scène marque le début de leur histoire d'amour. C'est la première fois qu'on vous voit enfin à l'écran ! 

C'était une belle scène à interpréter. On a fait une ou deux prises et c'était bon parce que Geoffrey et moi avions beaucoup répété. On en a aussi beaucoup parlé avec Giuseppe. Le tournage a été très apaisé.

- Comment s'est passée votre collaboration avec Geoffrey Rush ? 

Très bien, c'est l'acteur le plus généreux que j'ai jamais rencontré. Je suis très admirative de son travail. Il était sur le plateau à deux cent pour cent ! Il adore répéter, revoir les scènes, en discuter.  On tournait seize heures par jour et le soir, au restaurant, on en reparlait ! Le film ne nous quittait pas. On était heureux de raconter une aussi belle histoire.

- Vous comparez Tornatore à un chef d'orchestre. 

Oui, car il a tout le film dans sa tête. C'est un vrai maestro !


Propos recueillis par Antoine Jullien

Italie - 2h10
Réalisation et Scénario : Giuseppe Tornatore 
Avec : Geoffrey Rush (Virgil Oldman), Jim Sturgess (Robert), Sylvia Hoeks (Claire), Donald Sutherland (Billy Whistler).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Aventi. 

mercredi 9 avril 2014

Noé

 
Darren Aronofsky y tenait depuis des années : raconter les quelques pages de la Genèse relatant l'aventure de l'Arche de Noé. Le réalisateur s'intéresse au mythe de Noé depuis l'âge de 13 ans et a très vite commencé à réfléchir à la manière de l'aborder. De ce matériau succinct, le cinéaste en a tiré un (très) long métrage de plus de 2h, épaulé par le scénariste Ari Handel. Ils ont du brodé autour du texte de la Genèse qui ne contenait que très peu d'indications et aucun dialogue, imaginant un drame familial à portée mystique. Interdit dans plusieurs pays musulmans, Noé a déclenché un début de polémique, vite retombé face à l'indigence du résultat.

On était curieux de voir le réalisateur de Black Swan aux commandes d'une superproduction pour la première fois de sa carrière. Au regard de l'impact très personnel du projet, on pouvait avoir confiance en la capacité du cinéaste à soulever des montagnes pour accoucher d'une vision d'auteur. Patatras ! Non seulement l'auteur Aronofsky ne sort pas indemne d'un scénario très problématique mais le cinéaste déçoit également, coupable de ce terrible fatras visuel. S'il réussit plutôt bien le morceau de bravoure du film, à savoir le déluge, comme tout bon artisan hollywoodien qui se respecte, il semble incapable d'imprimer sa patte sur le reste du métrage, à l'exception de quelques transitions qui rappellent ses films précédents. L'ensemble est écrasé par une chape de plomb qui axphixie toute ambition et vélléité artistiques, et le spectateur se sent lui-même assommé par tant de pesanteur.


Le casting ne sauve malheureusement pas Noé du naufrage, où l'on retrouve pêle-mêle Anthony Hopkins qui cachetonne (c'est devenu une habitude), Emma Watson qui se ridiculise à chaque plan et Jennifer Connely, sacrifiée. Quant à Russell Crowe, sa présence massive contribue au charisme du personnage mais son interprétation demeure trop unidimensionnelle.

Contrainte des studios ou naïveté accablante, pourquoi diable le cinéaste décide-t-il de nous retracer la Création du monde comme s'il s'adressait à des enfants de moins de cinq ans ? Et comment justifier cette fin à la lisière du prosélytisme le plus pénible ? Certes, il y a de la noirceur par endroits, notamment lorsque Noé veut sacrifier les enfants de sa fille, et un relent intermittent de discours écologiste. Mais tout cela est asséné avec une telle lourdeur que les nobles intentions sont submergées sous des océans de fadaise. Aronofsky nous jette en pâture un spectacle boursoufflé, dépourvu de la moindre ampleur, qui est définitivement à ranger aux côtés des kouglofs les plus indigestes du genre plutôt qu'à l'intense odyssée spirituelle que l'on pouvait espérer, et qui ne sera, n'en déplaise aux aficionados du cinéaste, jamais sur l'écran. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h18
Réalisation : Darren Aronofksy - Scénario : Darren Aronofksy et Ari Handel
Avec : Russell Crowe (Noé), Jennifer Connelly (Naameh), Ray Winstone (Tubal-Caïn), Emma Watson (Ila), Anthony Hopkins (Mathusalem).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Paramount Vidéo.

lundi 7 avril 2014

Eastern Boys

 
On lui doit la réalisation des Revenants, son premier long métrage sorti en 2004, à l'origine de la série multi récompensée de Canal Plus, et le montage et le scénario de plusieurs films de Laurent Cantet. Autant dire que Robin Campillo est un cinéaste discret qui revient par la grande porte avec Eastern Boys. Sous ce titre peu évocateur se cache une passionnante exploration du désir autant qu'une étude saisissante des migrants d'aujourd'hui. 

Le film débute par une longue séquence d'exposition à la gare du Nord où l'on voit des jeunes garçons déambuler dans les couloirs et sur les quais, à la recherche d'une proie. C'est là qu'un des leurs, Marek, rencontre Daniel, un quadragénaire qui est prêt à payer les services du jeune homme. Cette longue scène d'ouverture est filmée comme si un observateur scrutait les moindres faits et gestes de ces personnages. Le son est presque imperceptible et la caméra semble s'être substituée à une vidéo de surveillance. La puissance visuelle et sonore de ce prologue constitue le premier des quatre chapitres du scénario. Car en acceptant la venue d'un inconnu chez lui, Daniel va voir sa vie bouleverser.

Kirill Emelyanov, Olivier Rabourdin et Danil Vorobyev

Le deuxième chapitre est encore plus étonnant, où la bande de jeunes vue précédemment fait irruption dans l'appartement de Daniel et s'installe chez lui. Malgré sa stupéfaction, l'homme réagit mollement avant de laisser ses "invités" s'emparer de ses murs. On comprend qu'il s'agit de migrants d'origine russe en situation irrégulière menés par le bien nommé Boss dont la violence semble prête à exploser à chaque instant. Face à cette situation surréaliste, Daniel va rentrer dans leur jeu, danser avec eux et assister, impuissant et complice, au pillage de son appartement. Une scène qui fera date grâce à l'intelligence de la mise en scène du cinéaste qui ne cherche jamais à expliciter l'absence de réaction de son personnage. Il filme un homme perdu et lâche, fascinant par le mystère qu'il dégage, tomber amoureux. 


Le film nous entraîne alors dans une histoire entre deux hommes dans laquelle les scènes d'amour subjuguent par leur pudeur et leur délicatesse. Eastern Boys devient un huis-clos que Campillo sait rendre tangible grâce à sa science de l'espace qui lui permet d'amplifier le rôle majeur accordé au décor, devenu le cadre essentiel des bouleversements intérieurs de ses personnages. Daniel va peu à peu abandonner son rôle de "client" pour devenir celui de protecteur tandis que Marek a l'envie de quitter sa situation précaire. Le cinéaste a l'ingénieuse idée de ne jamais filmer la vie extérieure de ses protagonistes, concentrant toute son attention sur cette atmosphère de désir et de peur mélangées. Sans cesse surprenant, le récit se met à changer soudainement de direction, prenant les chemins de traverse du thriller. 

Un suspense redoutable se met en place dont on ne dévoilera pas les tenants et aboutissants. Robin Campillo livre un point de vue sans concession sur l'immigration qui sonne très juste, sans clichés ni compromis. Et ponctue son œuvre sur une note déstabilisante et quelque peu subversive. Film social, polar échevelé, chronique affective, Eastern Boys est tout cela, et bien plus encore, qui permet enfin à Olivier Rabourdin, cantonné jusqu'à présent aux seconds rôles, de montrer l'étendue de son jeu. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma français nous donne à voir et à entendre. Espérons seulement que Robin Campillo n'attendra pas dix ans avant de réaliser un nouveau coup de maître.

Antoine Jullien

France - 2h08
Réalisation et Scénario : Robin Campillo
Avec : Olivier Rabourdin (Daniel), Kirill Emelyanov (Marek), Danil Vorobyev (Boss).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Lumina Records.

vendredi 4 avril 2014

Nebraska


Pour son nouveau film, le réalisateur de The Descendants a planté sa caméra dans sa région natale, au milieu des terres agricoles du Nebraska magnifiées par un superbe noir et blanc. Alexander Payne aime filmer l'americana, cette manière de dépeindre l'Amérique profonde avec tendresse et authenticité. Il convie sur sa route un acteur disparu des radars depuis longtemps, Bruce Dern, qui, dans les années 60-70, avait roulé sa bosse chez Alfred Hitchcock et Hal Ashby. Le comédien a eu raison d'accepter la proposition car Nebraska lui a valu le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes et une nomination à l'Oscar du meilleur acteur. Une résurrection.

Il campe un vieil homme persuadé qu'il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance. Un de ses deux fils se décide à l'emmener en voiture chercher ce chèque auquel personne ne croit. Durant leur périple, ils s'arrêtent faire une halte forcée dans une petite ville perdue du Nebraska. 

Bruce Dern, June Squibb et Will Forte

Il y a toujours un souci documentaire dans les œuvres d'Alexander Payne, comme l'attestait déjà Sideways qui relatait l'itinéraire viticole de deux amis en Californie. Les rues, les pâtés de maisons, les fermes, le troquet de la petite ville, tout sonne juste. Cette fois, le cinéaste ne s'est pas octroyé les services d'une star, mettant sa confiance sur un casting impeccable de comédiens peu connus où brille particulièrement June Squibb qui interprète la femme de Bruce Dern et qui est irrésistible de franchise crue et de causticité. Elle a son franc-parler, spécialement envers sa belle-famille qui se montre soudain intéressée par un homme qu'elle avait mis de côté depuis longtemps. Payne réalise alors une savoureuse séquence familiale où les règlements de compte et les rancœurs du passé vont resurgir de manière inopinée.


Le film regorge d'instants joyeusement déprimants comme cette scène où les membres de la famille sont avachis devant le poste de télévision. Avec une économie de moyens remarquable, Payne dit, en un seul plan, le néant qui semble les envahir. Mais le cinéaste ne juge pas ses protagonistes car son regard est toujours empli de bienveillance. Malgré l’objectif dérisoire de Bruce Dern, Payne le filme comme si la vie du personnage en dépendait. Sur les traces d'un passé douloureux, il va s'obstiner envers et contre tous car il s'agit pour lui du dernier but à atteindre, ce qui le rend d'autant plus attachant.

En racontant la possible réconciliation entre un père et son fils, Alexander Payne aurait pu tomber dans les pièges du mélo. L'opposition entre le vieux bourru et le jeune plein de candeur pourrait déverser son lot d'épisodes lacrymaux. Le cinéaste n'est jamais dans ce registre, privilégiant un humour pince-sans-rince qui désamorce les situations, et évite ainsi les explications lourdement psychologiques et les grands discours. On ne sait pas si ces deux hommes retrouveront une parfaite entente mais le chemin qu'ils ont parcouru leur ont permis, à l'un et à l'autre, de mieux se comprendre. L'optimisme d'Alexandre Payne devient subrepticement galvanisant.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h55
Réalisation : Alexander Payne - Scénario : Bob Nelson 
Avec : Bruce Dern (Woody Grant), Will Forte (David Grant), June Squibb (Kate Grant), Stacy Keach (Ed Pegram). Bob Odenkirk (Ross Grant). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez TF1 Vidéo.

mercredi 2 avril 2014

Aimer, Boire et Chanter

 
Comme les œuvres ultimes de Charlie Chaplin et d'Alfred Hitchcock, la dernière réalisation d'Alain Resnais est un film mineur. Mineur par ses enjeux, plutôt vains, mineur également dans sa forme, déjà vue. Le cinéaste adapte une nouvelle fois l'auteur britannique Alan Ayckbourn, après Cœurs et Smoking/No Smoking. A l'instar de son fameux diptyque, Resnais reconstitue la campagne anglaise en studio, en présentant chaque décor par des illustrations du dessinateur Blutch. Il ne fait qu'ajouter des travellings avant qui nous font pénétrer dans les maisons de ses personnages qui sont au nombre de six, sans compter le protagoniste fantôme, ce mystérieux George qu'on ne verra jamais. 

Il est pourtant le sujet de toutes les conversations. Ses amis apprennent qu'il va mourir et ils vont alors essayer, à leur manière, de l'entourer dans ses derniers instants. Sur ce thème difficile, Resnais en fait un marivaudage un peu suranné, aux dialogues passablement vieillots et aux audaces stylistiques d'un autre temps. Ces gros plans sur les monologues des acteurs avec ce fond en forme d'encart de bande-dessinée ne restera pas comme la meilleure trouvaille du cinéaste qui se répète constamment, utilisant perpétuellement le même procédé visuel. Le cliché qui consiste à dire que Resnais est le plus jeune de nos vieux cinéastes semble ne plus être d'actualité.

Sandrine Kiberlain et Michel Vuillermoz

Étrangement, ses comédiens fétiches, Sabine Azema et Andre Dussollier, sont les plus mal servis. La comédienne en fait des tonnes et ne semble jamais trouver le ton juste, et Dussollier est presque absent, son personnage se contentant de quelques scènes anecdotiques. De cette distribution hétéroclitique où l'on retrouve Caroline Silhol qui revient chez Resnais vingt-cinq ans après I want to go home, c'est indéniablement Michel Vuillermoz qui tire son épingle du jeu, une fois encore formidable de maladresse tendre et de sincérité pathétique.

Pour ce dernier chapitre, Resnais a voulu rompre avec l'image de cinéaste cérébral qui lui colle à la peau en assumant l'aspect ludique et théâtral de son film. Les décors épurés, faits de rideaux déchirés, confinent à l'abstraction dans lesquels les personnages rentrent et sortent en ouvrant et en fermant le rideau de la scène, le cinéaste accentuant cette mise en abîme en filmant les répétitions d'une pièce que les personnages s'apprêtent à jouer. Sandrine Kiberlain déclare même au sujet de l'un des protagonistes que son jeu est "artificiel et forcé", Dussollier répondant malicieusement : "Je préfère le ciné"

Alain Resnais 

Disparu il y a quelques semaines, Resnais clôt son film par une image de cercueil. Sa fidèle troupe d'acteurs se recueille une dernière fois avant de laisser la place à la fille du couple Vuillermoz-Silhol. Soudain, l'émotion nous gagne car Resnais filme ce moment avec une étonnante légèreté, conviant la mort comme une libération heureuse, et signe ainsi une déclaration d'amour à la jeunesse qui ne l'aura finalement jamais quitté. Au revoir Monsieur Resnais, et que vos films continuent de nous accompagner, en n'oubliant pas l'essentiel : Aimer, boire et chanter.

Antoine Jullien

France - 1h48
Réalisation : Alain Resnais - Scénario : Laurent Herbiet et Alex Reval d'après la pièce "Life of Riley" d'Alan Ayckbourn
Avec : Sabine Azéma (Catherine), Michel Vuillermoz (Jack), Caroline Silhol (Tamara), Hippolyte Girardot (Colin), Sandrine Kiberlain (Monica), André Dussollier (Simeon). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez France Télévision Distribution.

14ème Festival du Cinéma Israélien


La nouvelle édition du Festival du Cinéma israélien, parrainée cette année par l'acteur Stéphane Freiss, s'est ouverte hier soir avec la projection en avant-première de la comédie Kidon d'Emmanuel Naccache avec Tomer Sisley, Lionel Abelanski et Hippolyte Girardot. Film d'arnaque mettant en scène des agents du Mossad face à des escrocs à la petite semaine, le long métrage ne fonctionne pas, lesté d'un scénario mal construit et de personnages sans saveur. Bardé de références, le réalisateur tente de dynamiser son récit à coups de split-screen et de musique seventies mais n'arrive jamais à insuffler le rythme nécessaire à ce genre de films, et n'emporte pas l'adhésion. Le film sortira dans les salles le 14 mai prochain.

Kidon d'Emmanuel Naccache
 
Le festival ne comportant pas de compétition, on pourra découvrir une dizaine de longs métrages parmi lesquels La Dune, le premier film de Yossi Aviram avec Niels Arestrup et aussi une série de documentaires et de courts métrages. Enfin, une rétrospective sera consacrée au réalisateur Avi Nesher, auteur de The Wonders et Les Secrets. 

14ème Festival du Cinéma Israélien du 1er au 8 avril. 
Au Cinéma des cinéastes - 7 avenue de Clichy - 75017 Paris 
Renseignements : www.istratim.co.il