mardi 29 septembre 2009

L'affaire Farewell


"Une des plus grandes affaires d'espionnage du XXème siècle". Cette phrase prononcée par Ronald Reagan sert d'accroche à "L'affaire Farewell". Le président américain avait vu juste. Cette histoire vraie, incroyable, a contribué à la chute du bloc soviétique.

Nous sommes au début des années 80. Un colonel du KGB, Sergei Grigoriev (Emir Kusturica), décide un jour de transmettre des dossiers ultra confidentiels à la France. L'affaire remonte rapidement à Mitterand qui décide de communiquer ces informations cruciales aux américains. Un ingénieur français, Pierre Froment (Guillaume Canet), travaillant pour Thompson et basé à Moscou, est chargé d'entrer en contact avec le russe.

Emir Kusturica 

Christian Carion a décidément de la veine. Il s'offre toujours des sujets en or. Après la fraternisation entre Français et Allemands le soir de Noël 1914 (Joyeux Noël), il s'attaque cette fois à une histoire passionnante, tant par les différents acteurs qui y ont participé que par les conséquences qu'elle a engendré. Et une fois de plus, le cinéaste n'est pas à la hauteur.

Ce n'est pas un film d'espionnage à proprement parler, Christian Carion s'étant avant tout attaché à filmer des hommes tiraillés entre leur famille et la raison d'état. Ce point de vue, intéressant sur le papier, se révèle peu captivant à l'écran. Les préoccupations du personnage de Guillaume Canet ne nous emportent jamais et ses turpitudes familiales paraissent vite ternes et déjà vues. Du côté de Kusturica en revanche, même si son rapport avec son fils est plutôt attendu, le couple qu'il forme avec sa femme finit par nous toucher.

Emir Kusturica et Guillaume Canet 

Comme dans de nombreux films américains, et sans doute pour prendre de la hauteur, Carion s'est risqué à la représentation de nos politiques. Malheur pour lui, cette reconstitution sans vie est caricaturale et frise souvent le grotesque. Les recours au cinéma ( John Ford) ou à la musique (Queen) lassent vite et montrent le peu d'inspiration du réalisateur. Filmer un jeune russe dansant sur We will rock you en y insérant des images du vrai Freddie Mercurie sur scène, c'est un peu court comme idée de cinéma sur l'envie de liberté.

Mais le plus gênant, c'est avoir l'impression durant toute la projection que le réalisateur n'a pas pris la mesure de la gravité de cette affaire et de fait, le spectateur ne prend jamais vraiment conscience du geste extraordinaire qu'a pu accomplir cet espion. La liberté que le cinéaste à prise avec la véritable histoire dessert aussi son propos, le coup de théâtre final, par exemple, purement fictif, n'étant pas très crédible. Les comédiens, enfin, ne nous emportent pas suffisamment. Canet, fadasse comme d'habitude et Kusturica, magnétique mais pas très à l'aise.

Sur la fin, reconnaissons tout de même à Christian Carion d'avoir emmené son film vers une étrange noirceur. Les intérêts du monde valent toujours plus que les individus semble-t-il nous dire. Une belle sobriété qui nous permet, tardivement, d'imaginer quel grand film "L'affaire Farewell" aurait pu être.

Antoine Jullien

Ressortie : Pas d'orchidées pour Miss Blandish


Kansas City, 1931 : trois gangsters enlèvent une riche héritière, Miss Blandish, et la séquestrent. Ils sont éliminés par le gang Grissom. La fille est enfermée chez Ma Grissom, la chef du gang qui compte s'en débarrasser une fois la rançon perçue. Mais son fils, Slim, en tombe amoureux...

Robert Aldrich fait partie des ces réalisateurs qui en leur temps n'étaient pas considérés comme majeurs. Ils ne faisaient pas partie de la "A List " car ils naviguaient dans différents genres sans forcément les marquer d'une empreinte indélébile. Avant de réaliser cette série B beaucoup plus trouble qu'il n'y paraît, Aldrich était l'auteur d'un classique du film noir En quatrième vitesse, d'un film de guerre "burné" Les 12 salopards, et d'un face à face tragique entre Bette Davis et Joanne Croawford Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? Et au milieu, pas mal d'œuvres oubliées.

Saluons tout d'abord la pertinence des distributeurs français d'avoir garder le titre original du roman de James Hadley Chase dont le film s'inspire. Il n'est nullement question d'orchidées mais le titre, une petite merveille littéraire, renvoie bien au calvaire de Miss Blandish. Battue sauvagement par la chef du gang (formidable Iren Dailey), lorgnée par ses membres et harcelée par le fils Slim, la jeune fille n'en n'est pas pour autant une victime. Aldrich la montre rebelle, arrogante et manipulatrice. Mais elle est surtout délaissée par son propre père, un milliardaire distant et peu préoccupé par le destin de sa fille.

De manière inattendue, Aldrich, dans un monde où la cupidité est la seule règle, y injecte de la tendresse à travers l'histoire d'amour entre Slim et Miss Blandish. Une relation troublante, la victime tombant amoureuse de son bourreau, et qui prendra toute sa dimension tragique lors de la scène finale.

Le cinéaste s'amuse surtout à jouer avec tous les clichés du genre. Constamment en sueur, portant des costumes défraîchis et salis, les personnages évoluent dans une torpeur poisseuse, renforcée par la photographie très contrastée de Joseph Biroc, avec ses éclairages bruts et ses couleurs criardes. Pas d'orchidées pour Miss Blandish, sorti en 1971, peut être d'ailleurs considéré comme une série B pop, les années 30 se référant à l'esthétique "seventies".

Aldrich prouve une fois de plus qu'au delà de la stylisation, ce sont les personnages qui priment. En cela, sa direction d'acteurs, souvent excessive, fait merveille. Michael Mann, dont le terne et désincarné Public Enemies n"a pas laissé un grand souvenir, devrait en prendre de la graine. 

Jusqu'au 5 octobre, la cinémathèque française consacre toute une rétrospective des films de Robert Aldrich. Une bonne occasion de (re)découvir ce cinéaste injustement tombé dans l'oubli.

Antoine Jullien






samedi 19 septembre 2009

Une pub signée Fincher

Une pub sur un blog ciné ? Ai-je perdu la raison ?

Rassurez-vous, il n'en n'est rien puisque c'est une pub réalisée par le grand David Fincher (Se7en, Benjamin Button, Fight Club...). Je la trouve impressionnante, presque désenchantée. Décidément le gars est très doué ! Quant à la marque, c'est... non, je n'ai pas le droit de le dire. 

Rien de personnel et District 9


Deux premiers films à découvrir cette semaine. On commence avec Rien de personnel, premier long métrage de Mathias Gokalp et présenté à la Semaine de la critique au festival de Cannes.

Dans un somptueux château, la société Muller organise une réception donnée à l'occasion du lancement d'un nouveau produit. On comprend très vite qu'il s'agit d'un test de coaching grandeur nature dans lequel chaque employé joue un rôle.

Le cinéma français s'est mis depuis quelques années à traiter le monde du travail et ses compromissions. La première originalité du film de Mathias Gokalp, c'est qu'il le traite sous forme de jeu. En effet, ces coachings sont censés évaluer les aptitudes et les capacités des cadres de l'entreprise. Subtilement, le cinéaste fragmente son tableau car il nous dévoile l'intégralité des scènes au fur et à mesure que le film avance et en fonction du point de vue des personnages. Il éclaire ainsi les motivations réelles des uns et des autres. De ce jeu de dupes manipulateur, il nous brosse très habilement un portrait impitoyable de l'entreprise mais jamais manichéen. Dans cette affaire, tout personne est à la fois victime et bourreau et c'est le système dans son ensemble qu'il dénonce plus que les individus, courageux et lâches à la fois.

Un film surprenant, très bien écrit, renforcé par une remarquable brochette d'acteurs parmi lesquels Jean-Pierre Darroussin, Denys Podalydès et Mélanie Doutet. Même si parfois, le film pêche par quelques invraisemblances, il se distingue vraiment du formatage habituel par son acidité et son mordant sur un monde dont les règles n'ont pas changé, crise ou pas. Salutaire.



Changement total d'univers avec District 9, premier long métrage là-aussi de Neill Blomkamp et produit par Peter Jackson, le réalisateur de King Kong et du Seigneur des Anneaux. L'action du film se situe à Johannesburg. Il y a vingt-huit ans, un vaisseau extraterrestre en perdition s'est échoué dans la mégalopole sud africaine. Dans l'urgence, les aliens ont été parqués dans un camp de réfugiés. Mais la société MNU en charge du camp veut a tout prix faire fonctionner leur extraordinaire armement. Ils décident alors de les déloger...

La première partie est absolument saisissante. A la manière d'un faux documentaire avec les témoins clés de l'affaire, le réalisateur relate les faits et les inscrits dans un contexte terriblement actuel, les aliens étant bien sûr une métaphore de l'Apartheid. Il filme un monde déshumanisé, cynique et violent avec une maîtrise rare. Le malaise s'installe progressivement et on est frappé à quel point cette histoire, a priori "fantastique", ait autant d'accents de vérité. Cette sensation est amplifiée par le réalisme des images, notamment lors de séquences vidéo montrant le vaisseau des aliens. 

C'est dans la seconde partie que le film change de route. Le réalisateur suit l'un des employés de MNU poursuivi par ses employeurs pour des raisons que je vous laisserai le soin de découvrir. Le film devient alors une banale série B où le traqué va se nouer d'amitié avec un alien qui tente lui aussi de s'échapper. Les enjeux politiques disparaissent, l'effroi laisse place au pur divertissement. Peter Jackson, défendant son jeune poulain, a déclaré qu'au moment où Hollywood ne faisait que des films adaptés de jouets pour enfants (cf Transformers), il était important pour lui de défendre un cinéma libre et audacieux. On se demande alors qui du producteur ou du réalisateur s'est dit qu'à un moment donné, il serait temps de revenir sur de bons rails. Le film finit donc par prendre des sentiers aussi balisés que convenus et rappelle étrangement les blockbusters estivaux dénoncés par le même Jackson. L'arroseur arrosé.

District 9 est devenu un très gros succès au box-office américain. Avec beaucoup d'efficacité, quelques effets mélo superflus, pas mal de clichés et un vrai/faux happy end, il est certain que Jackson and Co en soient pour quelque chose.

Antoine Jullien

jeudi 17 septembre 2009

Eyes Wide Shut : 10ème anniversaire


Il y a tout juste dix ans, les spectateurs français découvraient l'œuvre posthume d'un des grands maîtres du cinéma, Stanley Kubrick, mort quelques mois plus tôt.

J'avais eu la chance de découvrir le film quelques semaines auparavant aux USA dans une version censurée. En effet, dans la désormais fameuse séquence orgiaque, la Warner, pour ne pas être contrainte d'avoir une interdiction aux mineurs qui aurait gravement nuit à la carrière commerciale du film, avait décidé de masquer numériquement les actes sexuels jugés trop explicites. C'est bien la preuve que le studio et l'Amérique dans son ensemble n'avaient rien compris au propos d'un cinéaste souvent beaucoup plus discuté chez lui qu'en Europe.

A l'époque, Eyes Wide Shut n'a pas manqué de diviser, comme il en a toujours été des films du maître. Au moment de la sortie, le magazine Première avait écrit : "Ce n'est donc que ça, le testament du génie, cette petite crise de couple pour magazine de société, avec juste un doigt d'érotisme chochotte ?", puis le classait quelques mois plus tard comme l'un des meilleurs films de l'année ! On se souvient également qu'en 1968, à la sortie de 2001 : l'odyssée de l'espace, Pauline Kael, une des critiques américaines les plus influentes, avait déclaré que le film était "d'un manque d'imagination épouvantable !"

Aujourd'hui, ces critiques sont balayées ou presque, 2001 restant comme LE film ultime et Eyes Wide Shut comme son œuvre la plus humaine et la plus touchante.

Il adapte une nouvelle d'Arthur Schnitzler, écrite à Vienne au début du XXème siècle, en la transposant dans le New York d'aujourd'hui. Un couple, Bill Harford, médecin, et sa femme, Alice, est invité pour le réveillon de noël à une prestigieuse réception donnée par le milliardaire Victor Ziegler. Au cours de cette soirée, les époux vont être l'objet de tentations diverses. Le lendemain, Alice, un peu "stoned", déclare à son mari qu'elle a failli le quitter pour un officier de marine. Bouleversé par ces révélations, Bill va se lancer dans une longue odyssée nocturne ou le désir et la mort rôdent à chaque instant.


Dans chacun de ses films, Kubrick a toujours ébloui par sa virtuosité, son sens inné du cadre, sa modernité. Ce qui surprend d'emblée dans Eyes Wide Shut, c'est sa modestie. La virtuosité est toujours là mais elle se fait plus discrète. Cette fois, Kubrick ne prend pas un genre en particulier pour le transcender mais en mélange plusieurs : l'étude de mœurs, le film noir, le film fantastique... Et s'attaque à "l'enfer" du couple, une notion qui n'a jamais fait autant sens que dans ce film. Les Harford sont les parfaits représentants de nos sociétés contemporaines : jeunes, beaux, riches mais déjà morts. Il n'y a plus de vie dans ce couple, plus de passion. Et c'est la femme, suprême élégance kubrikienne, qui va faire tout basculer. En remettant en question ses certitudes, Alice, dans une scène magnifique, va révéler à son mari l'extrême fragilité de leur existence. Bill va devoir alors ouvrir enfin "ses yeux grands fermés" et affronter ses démons. Ce personnage pourrait être surnommé "Mr Nobody" (en attendant le film du même nom !) : il est l'incarnation de la petite médiocrité ordinaire, sans identité, Kubrick poussant l'ironie jusqu'à le filmer sans cesse en train de présenter sa carte de médecin à chacun de ses interlocuteurs. 

Au premier abord, c'est un film frustrant car le désir n'est jamais assouvi. Bill est toujours "empêché" dans toutes ses tentatives sexuelles, le point d'orgue étant la scène dite "Fidélio" où il se retrouve être le prisonnier d'une partouze dont il est l'imposteur. Le sexe devient alors un ballet de la mort : eros et thanatos, inextricablement mêlés.

La fascination constante exercée par Eyes Wide Shut vient aussi de son aspect rêvé : on voit ce couple se désagréger par un fantasme, puis renaître. Kubrick semble nous dire qu'aujourd'hui, la fiction a dépassé la réalité, que les faux semblants sont partout. Alors n'est-ce "rien qu'un rêve"en référence à la nouvelle de Schnitzler ? Ou est-ce la réalité ?  Kubrick ne donne pas de réponse. Il laisse juste à Alice le soin de conclure par ce dernier mot : "Fuck".

  
Cet aspect fantasmé est bien sûr renforcé par l'imagerie du film : l'extraordinaire travail sur les couleurs et la lumière qui donnent à chaque séquence un air de rêverie, le New York reconstitué en studio comme l'appartement des Harford, presque irréels, les personnages, souvent grotesques (la scène du costumier Millich) et la musique, une fois de plus étrange et surprenante. 

Voyez ou revoyez ce grand film, d'une richesse infinie. Le revoir aussi pour ce couple de cinéma, Tom Cruise et Nicole Kidman, qui à l'époque déclarait que ce film les avaient renforcés. L'histoire les a contredit mais prouve la grande lucidité de Kubrick : méfiez-vous de votre confort et des apparences et vivez vos expériences jusqu'au bout pour vous retrouver vous-même. Sublime message d'un cinéaste qui ne finira jamais de nous étonner.

Antoine Jullien 

mardi 15 septembre 2009

Ressortie : Un Sean Connery inédit


Pour tout le monde ou presque, Sean Connery restera à jamais comme l'agent le moins secret de la planète. L'acteur a pourtant tenté d'enrayer cette image avec des films parfois majeurs comme Le Nom de la Rose ou le superbe Homme qui voulut être roi mais aussi des œuvres méconnues ou restées jusqu'à présent invisibles. Il y a deux ans ressortait The Offence de Sidney Lumet, thriller oppressant et tendu qui nous montrait un Connery impressionnant de brutalité, de douleur contenue, de violence sèche dans le rôle d'un flic hanté par les crimes et la violence de son quotidien. L'acteur cassait son image avec fracas au point que les producteurs de l'époque, probablement effarés par cette "déromantisation" de James Bond, avaient sorti le film en cati mini.

C'est un autre de ses films méconnus qui ressort aujourd'hui dans quelques salles. Il s'agit de The Molly Maguires tourné en 1970, dont le très mauvais titre français Traitre sur commande pourrait rappeler à tort une vieille série Z. L'histoire se passe à la fin du XIXème siècle dans une mine de Pennsylvanie. Connery est le chef d'un groupuscule secret, les Molly Maguires, qui commettent des actes de sabotage pour lutter contre la violence répressive des policiers. Sean Connery dans un film gauchiste, le croyez-vous ?

Le film est moins politique qu'on pourrait le penser mais néanmoins engagé, comme le montre d'ailleurs la filmographie de Martin Ritt qui s'est souvent attaché à filmer des œuvres à consonance sociale. Le début, sans parole, rappelle le grandiose There Will be blood : dans une mine, un groupe d'hommes préparent minutieusement un attentat. Ils ressortent, se séparent et lorsque le dernier d'entre eux disparaît du cadre, la mine explose.

 
Le réalisateur décrypte une communauté de mineurs et montre avec force leur condition de vie déplorable et leur asservissement aux autorités. Il s'attache surtout à la relation entre Connery et Richard Harris qui joue un flic se faisant passer pour un mineur alors qu'en fait il est chargé d'infiltrer cette société secrète pour les capturer.

De facture classique, le film pose la question du choix : celui d'aller jusqu'au bout du combat, même perdu d'avance ou celui de trahir alors que l'on partage le même combat. La confrontation entre Harris et Connery marque constamment cette dualité jusqu'à la scène finale, terrible de cruauté. Les deux acteurs sont remarquables, en particulier Richard Harris, ambigu jusqu'au bout, inspirant la sympathie comme le dégoût le plus profond.

Martin Ritt  prend un genre rarement traité par le cinéma américain, le thriller social, et offre surtout l'occasion aux détracteurs du grand Sean d'admettre enfin qu'il vaut déciment bien davantage que 007.

Antoine Jullien



lundi 7 septembre 2009

Jacques Audiard... prophète du cinéma français


Il faut se méfier, paraît-il, des réputations trop flatteuses : elles ne seraient pas toujours méritées. On a connu dans le passé des films "survendus" décevoir le public. C'est bien le risque qu'encoure Un Prophète, Grand Prix du jury à Cannes (alors que tout le monde lui donnait la Palme d'Or)). Une critique dithyrambique et quasi-unanime (même si de plus en plus de détracteurs commencent à sortir du bois), un réalisateur adulé et respecté, auteur de De Battre mon cœur s'est arrêté et Sur mes lèvres, soit deux des meilleurs films français de ses dix dernières années.

Et bien, pour une fois, la presse a vu juste et confirme avec éclat que Jacques Audiard est bien devenu le patron du cinéma français.

Durant 2h30 que chaque séquence justifie, le réalisateur nous conte le parcours de Malik, jeune homme de  18 ans qui va devoir purger six années en prison. Écartelé entre les différents clans, corses et arabes, il va progressivement trouver sa place dans cet univers qu'il finira par dominer.

Des Evadés au Trou en passant par Le prisonnier d'Alcatraz ou le récent Hunger, la prison a toujours fasciné les cinéastes, au point de devenir un genre à part entière. Audiard le réinvente car pour la première fois à mon connaissance, il filme, au cœur de la prison, une naissance. Malik n'est rien au début du film : sans identité, sans famille, sans amis. Il naît en prison, survit dans un premier temps, puis franchit les étapes d'un apprentissage. Rarement un cinéaste a rendu avec autant d'intensité la vie carcérale, avec ses rapports de force, ses conflits communautaires, ses luttes de pouvoir, sans céder un seul instant aux clichés.

Tahar Rahim

Jacques Audiard a voulu faire une métaphore de la société, et c'est là sa plus grande audace. Car on ne sait plus très bien quel monde est le plus dangereux : celui de la prison ou celui de l'extérieur ?  Audiard semble nous dire que la prison pourrait être une école de la vie. Le propos est d'une lucidité terrible mais il ne verse jamais dans le traité sociologique ou documentaire. C'est la fiction a l'état pur qui l'intéresse avant tout, une forme impressionnante de réalisme au service d'un personnage. Et quel personnage ! Insaisissable, malin, charmeur, Malik est loin de l'image traditionnelle du truand. Le cinéaste ne juge jamais ses protagonistes, non par facilité mais bien pour nous montrer qu'il n'y a plus d'espace pour la moralité. Le dernier plan du film le résume de façon magistrale : Malik va devenir un caïd, avec femme et enfant. Un bon père de famille mais tout aussi dangereux. C'est un fatalisme assumé, certes pas très agréable à accepter.

Les grands cinéastes ont un style immédiatement reconnaissable. Depuis Sur mes lèvres et encore plus De Battre mon cœur s'est arrêté, le style Audiard est reconnaissable entre tous. Sa manière de filmer, le travail sur les corps, l'espace, le son (admirable musique d'Alexandre Desplat), sidèrent encore. C'est un cinéma électrisant, et incarné à la perfection. Après avoir transformé Vincent Cassel et transfiguré Romain Duris, Audiard révèle un acteur étonnant, Tahar Rahim. Et confie à Niels Arestrup un personnage de parrain corse que le comédien sublime en "roi sans divertissement".

Niels Arestrup

Jacques Audiard, par sa maîtrise, sa rigueur, est seul aujourd'hui dans le cinéma français à épouser avec autant de force le fond et la forme, et même si un Prophète n'atteint peut-être pas la dimension émotionnelle de son précédent film, il ajoute une pierre majeure à sa riche filmographie.

Antoine Jullien

vendredi 4 septembre 2009

En attendant Avatar !


Le 21 août dernier, j'ai eu la chance de découvrir quinze minutes du prochain film de James Cameron, Avatar. Est-il nécessaire de rappeler qui est James Cameron ? On pourrait le résumer ainsi : le réalisateur de Titanic, le plus grand succès de tous les temps. Mais on devrait surtout dire : le réalisateur d'expériences visuelles stupéfiantes, qui ont, chacune en leur temps, repousser les limites technologiques. Abyss ou Terminator 2 en témoignent.

Même s'il n'est pas resté inactif (documentaires, séries, ...) Cameron ne s'était plus attaqué au long métrage de fiction depuis le naufrage du célèbre paquebot. C'est chose faite avec Avatar, qui s'annonce ni plus ni moins comme une révolution.

Le "pitch" n' a pourtant rien de révolutionnaire : sur la lointaine planète Pandora, Jake Sully, un héros malgré lui, se lance dans une quête de rédemption, de découverte, d'amour inattendu, dont l'issue sera un combat héroïque pour sauver toute une civilisation.

Le spectacle dans la salle, lui, est inédit : entièrement tourné en 3D, et à l'aide des fameuses lunettes, le film nous immerge littéralement dans l'aventure. A ce niveau de cinéma en relief, c'est une première. Même si le graphisme ne m'a totalement conquis, le film génère une attente tout à fait justifiée. Mais comme le dit Cameron lui-même, la technologie doit être avant tout au service d'une histoire et de personnages forts et non l'inverse, ce que le cinéaste, dans chacun de ses films, a toujours eu à l'esprit.

James Cameron 

Espérons qu'il en soit de même cette fois-ci. Il est toujours difficile de se faire une idée précise avec quelques extraits. Mais cela a confirmé une chose : ce sera bel et bien l'événement de la fin d'année. En attendant le 16 décembre, vous pouvez découvrir la bande annonce sur le blog. Bon voyage !

http://www.youtube.com/watch?v=BFrv7ZXDhdM

jeudi 3 septembre 2009

Suleiman sur les traces de l'Histoire


Elia Suleiman aura mis sept ans avant de réaliser son troisième long métrage. Son précédent, "Intervention Divine", avait marqué par son regard très particulier sur le conflit israélo-palestien. Cette fois-ci, son projet est plus ambitieux : raconter ce conflit à travers l'histoire de sa famille, de 1948 à nos jours. Il puise dans les souvenirs, véridiques ou fantasmés, d'un père et d'une mère vivant à Nazareth, en territoire occupé, et de leur fils, Elia.

Le film se divise en plusieurs parties, marquant chacune une époque (1948, 1970, 1980, aujourd'hui). Dès les premières minutes, on est stupéfait par la mise en scène : très découpée, presque comme une bande dessinée, elle retranscrit parfaitement ce qu'un petit garçon peut imaginer d'un père combattant contre Israël : on n'est pas dans un réalisme à tout crin mais plutôt dans une distance poétique.

Les grands cinéastes sont ceux qui pourraient raconter une histoire sans le moindre dialogue : c'est presque le cas ici, les paroles sont tues, les images valent tout. Un vieil homme, désespéré, tente chaque matin de s'asperger d'essence, sans succès. Le canon d'un tank israélien suit un homme en train de téléphoner. Toutes ces images marquent durablement la rétine mais celle qui pourrait résumer le film, c'est lorsque une troupe israélienne se retrouve devant une boîte de nuit où des jeunes palestiniens, insouciants, dansent à un rythme endiablé. Alors que les militaires ordonnent le couvre-feu , ils se mettent à bouger au rythme de la musique. Elia Suleiman donne à l'Histoire une magnifique absurdité : deux peuples qui voudraient se parler mais qui n'y arrivent pas. Sur un sujet qui a prêté maintes fois à la caricature ou au simplisme, le cinéaste réalise un grand film politique qui, même s'il reste engagé, n''est jamais  manichéen. Cela tient presque du miracle, que l'univers si personnel de Suleiman puisse nous faire comprendre avec tant de justesse et de sensibilité la complexité de ce conflit.

Saleh Bakri et Yasmine Haj 

Au-delà de l'aspect politique, il aborde la mort, sans pathos. Et le film devient alors poignant : les êtres disparaissent, les générations se suivent, les fantômes ressurgissent. En outre le cinéaste a su choisir de grands interprètes dont Saled Bakri (déja vu dans La Visite de la Fanfare) qui, dans le rôle du père, apporte une grande dignité à son personnage.

Reparti bredouille du Festival de Cannes (incompétence ? aveuglement ?), ce film, trop rapidement qualifié de "keatonien", est bien plus intéressant que les superlatifs un peu hâtifs qu'on lui donne. C'est avant tout un film totalement libre, au meilleur sens du terme.

Antoine Jullien




mardi 1 septembre 2009

Tarantino... n'est plus !

"Inglorious Basterds, le nouveau film de Quentin Tarantino". Dès l'annonce de cette nouvelle, les fans du monde entier salivaient d'avance à l'idée de voir le réalisateur de Kill Bill s'attaquer à la seconde guerre mondiale. Après une post-production d'une durée record (le film était encore en tournage en janvier), il fut présenté en compétition au Festival de Cannes auquel Tarantino doit beaucoup (Palme d'or pour Pulp Fiction). L'accueil s'est avéré mitigé, ce qui n'était pas vraiment une surprise compte tenu de l'attente générée par chacun de ses films. Et comme toute attente démesurée, elle est souvent déceptive.

Une fois n'est pas coutume, plusieurs intrigues s'entremêlent : la vengeance d'une juive, Shosanna (Mélanie Laurent) dont la famille a été massacrée par un lieutenant nazi (Christoph Waltz). Un commando (les Basterds du titre), des juifs américains missionnés pour scalper du nazi. Et une espionne allemande travaillant pour le compte des alliés (Diane Kruger) chargée de perpétrer un attentat contre Hitler. Et tout ce petit monde se retrouvera dans la salle de cinéma tenue par Shosanna lors d'une projection officielle organisée pour le Führer.

Eli Roth et Brad Pitt 

Le préambule du film est clair : "ll était une fois la France occupée par les Nazis". Tarantino réinvente donc l'Histoire en la truffant de références cinématographiques, allant du western spaghetti aux Douze salopards en passant par les films de Clouzot et Marlène Dietrich. Ce cinéphile boulimique a voulu nous dire, comme Truffaut en son temps, que le cinéma est plus important que la vie et qu'il peut tout se permettre. Encore faudrait-il que cette déclaration d'amour (qui plaît temps aux critiques !) ait un peu de densité et d'originalité !

Ce qui frappe tout d'abord, c'est l'étonnante paresse esthétique du cinéaste. La photographie du grand Robert Richardson (chef op de Scorsese) parait terriblement académique, le montage est aléatoire, le découpage hasardeux (cf. la scène dans le café entre Mélanie Laurent et Daniel Bruhl). La mise en scène manque de l'énergie et de la créativité auxquelles le réalisateur nous avait habituées. L'ensemble est statique, parfois interminable. Manifestement en manque d'inspiration, Tarantino se plagie lui-même (cf. le découpage en chapitres) à force d'auto-citations ou d'emprunts musicaux vus dans ses précédents films.

Même la direction d'acteurs, une de ses marques de fabrique, n'est pas à la hauteur. Si Diane Kruger surprend en espionne, Mélanie Laurent manque terriblement de charisme. On a l'impression durant toute la projection qu'elle ne joue pas dans un film de Tarantino, qu'elle est totalement décalée par rapport à l'univers du réalisateur. On a rarement été aussi peu transporté par une histoire de veangeance, écrite pourtant par l'un des spécialistes du genre, Uma Thurman dans Kill Bill étant l'un des plus beaux et plus forts personnages féminins qu'il nous ai été donné de voir au cinéma.

Christoph Walz, prix d'interprétation au Festival de Cannes

Heureusement, par moments, l'audace et la liberté tarantinesques refont surface, notamment lorsqu' il utitlise Brad Pitt presque comme un figurant, lors d'une scène très réussie où l'on massacre l'italien avec un malain plaisir. En fait, la vraie consolation vient de la composition délectable de Christoph Walz, primé à Cannes, jouissif en nazi polyglote. C'est dans ce personnage tour à tour terrifant et amusant qu'on retrouve la patte de cinéaste : la manière dont ce personnage joue avec les langues, en passant de l'allemand à l'anglais instantanément, montre bien à quel point le langage peut être une arme redoutable pour arriver ses fins. Voilà bien la seule singularité d'un film poussif, souvent ennuyeux, inutilement bavard et rarement drôle.

Antoine Jullien




C'est la rentrée !

Bienvenue dans mon tout nouveau blog dédié au cinéma.

Vous y trouverez des critiques de films, ceux qui font l'actualité bien sûr mais aussi ceux qui ressortent dans les salles ou en DVD.

Des news sur l'actualité cinématographique et plein d'autres surprises !

Ce blog est destiné aux passionnés du cinéma comme aux néophytes, amateurs, cinéphiles, cinéphages, etc.

J'attends qu'il soit un lieu d'échange, d'impressions, de partage.