jeudi 27 août 2015

Dheepan

 
Jacques Audiard n'est décidément jamais là où on l'attend. Le patron du cinéma français aime l’instabilité et l'insécurité artistique, une manière pour lui de ne pas trop se reposer sur ses confortables lauriers. Déjà multi-récompensé, le cinéaste, remerciant au passage Michael Haneke de ne pas avoir concouru cette année (le réalisateur autrichien a remporté ses deux Palmes d'Or les années où Audiard présentait Un Prophète et De Rouille et d'Os), ne s'attendait vraiment pas à glaner le Graal suprême, la Palme d'or, pour une œuvre qu'il jugeait lui-même pas terminée. Le choix des frères Coen et du jury du Festival de Cannes en a décidé autrement. Heureux, Audiard est parti en vacances sans retoucher une image de son Dheepan, une plongée en langue tamoul au cœur d'une cité française placée en coupe réglée. S'inspirant librement des Lettres Persanes de Montesquieu, le réalisateur s'est intéressé à ces combattants de l'ombre, devenus un temps des héros de cinéma. 

Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, Dheepan, un ancien soldat, accompagné d'une jeune femme et d'une petite fille se faisant passer pour sa femme et sa fille, devient réfugié en France. Gardien d'immeuble dans une cité, il va tenter de trouver sa place. 

 Antonythasan Jesuthasan

L'idée de cette fausse famille est excellente car elle permet à Jacques Audiard de tisser des liens subtils entre ces trois êtres qui vont devoir se reconstruire ensemble. Déboussolés dans un pays qu'ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue, ils sont d'abord étrangers l'un à l'autre. Le cinéaste porte une telle attention à ses protagonistes que le spectateur est emporté par leur devenir incertain. Ils se découvrent peu à peu puis une solidarité s'instaure avent que les sentiments ne se bousculent et la famille ne devienne bien réelle. La rugosité sèche du cinéaste laisse alors place à quelque chose de plus secret, plus intime. Il le doit surtout à ses acteurs non professionnels dont Antonythasan Jesuthasan qui joue presque son propre rôle, embrigadé dès l'âge de 16 ans par les Tigres Tamoul. Ses partenaires, Kalieaswari Srinivasan et Claudine Vinasithamby, ne sont pas en reste et apportent au long métrage une belle densité émotionnelle. 

 Kalieaswari Srinivasan

Visuellement, le talent du cinéaste est intact et il est presque embarrassant de voir qu'en seulement quelques séquences il surclasse presque tout le cinéma tricolore. Toujours dans l'envie de se remettre en question, il décide de changer son équipe, convoquant le compositeur Nicolas Jaar en lieu et place de son fidèle Alexandre Desplat ainsi que la chef opératrice Eponine Momenceau à qui l'on doit des images ensorcelantes évoquant le passé de Dheepan. Audiard opère aussi un renouveau dans sa mise en scène, moins stylisée, plus aérienne, et atteint encore des pics d'intensité lors d'une stupéfiante séquence de gunfight

Mais le réalisateur, soudainement brouillon, fonce tête baissée dans une dernière partie plus discutable, une maladroite réminiscence des Chiens de Paille de Sam Peckinpah dont Audiard voulait à l'origine faire un remake. Mais le trouble laisse ici place à une banale vengeance qui désamorce ce que l'on avait pu ressentir auparavant. Quant à l'épilogue un brin simpliste, il semble totalement déconnecté du reste du film. Cette Palme d'Or aura certes permis à Jacques Audiard d'être consacré comme l'un de nos plus grands cinéastes en activité mais elle aura aussi eu le tort de ne pas remettre au travail un réalisateur qui, s'il nous procure une nouvelle fois des purs moments de cinéma, signe son œuvre la plus bancale et la moins aboutie.

Antoine Jullien

France - 1h54
Réalisation : Jacques Audiard - Scénario : Jacques Audiard, Thomas Bidegain et Noé Debré
Avec : Antonythasan Jesuthasan (Dheepan), Kalieaswari Srinivasan (Yalini), Claudine Vinasithamby (Illayaal), Vincent Rottiers (Brahim).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez UGC Vidéo.

mardi 25 août 2015

Antigang


Avec trois films au compteur, Benjamin Rocher commence à se construire une carrière atypique dans le paysage audiovisuel français. Après avoir découpé du zombie à la machette avec son compère Yannick Dahan dans La Horde en 2010, on pouvait s’attendre à ce que le réalisateur poursuive dans ce registre. Ce qu’il fit ! En mettant les morts-vivants au foot et en recrutant Alban Lenoir dans le diptyque Goal of the Dead (réalisé avec Thierry Poiraud), la sauce devint plus légère et relevée avec une touche d’humour très intéressante. Cette fois-ci, Rocher sort l’artillerie lourde, embauche Jean Reno et Thierry Neuvic pour flinguer du gangster dans un remake de The Sweeney, film anglais un peu terne sorti directement en DVD il y a deux ans. Tout ceci ne sent pas forcément très bon quand on parle de cinéma français mais un miracle est toujours possible. D’autant plus qu’Alban Lenoir est de nouveau de la partie…

Antigang suit une brigade de flics aux méthodes peu orthodoxes, menée par un vieux de la vieille nommé Serge Buren (Jean Reno). Alors que cette petite escouade est menacée de disparition par leur nouveau patron Becker (Thierry Neuvic), des braqueurs s’attaquent à une bijouterie parisienne, laissant le cadavre d’une jeune femme derrière eux. Épaulé par Cartier, son fils spirituel (Alban Lenoir), Buren et son équipe vont devoir redoubler d’effort pour mettre hors d’état de nuire ces impitoyables truands.

Jean Reno et Alban Lenoir

Même si la séquence d’ouverture musclée et assez drôle lance bien les débats, l’exposition d’Antigang nous laisse sceptiques. Entre un Jean Reno toujours aussi charismatique mais commençant très sérieusement à sentir le poids de l’âge (les déplacements deviennent laborieux), et un scénario ressemblant à un copier/coller du film original, difficile d’être totalement emballé par la proposition. Sauf qu’au milieu se dresse Alban Lenoir. Avec sa petite gueule de jeune premier, son physique à toute épreuve et son humour hérité des séries Hero Corp et Lazy Company, l’acteur insuffle un véritable vent de fraicheur au film, au point de voler la vedette à son illustre partenaire. Les rôles secondaires tirent aussi leur épingle du jeu grâce à l’attention que leur porte Benjamin Rocher qui évite d’en faire des clones interchangeables noyés dans la masse. C’est ainsi que l’on retrouve Sébastien Lalanne au look de hard-rockeur défonçant ses adversaires à coup de bélier, Oumar Diaw en nouvelle recrue bizutée pour l’éternité ou encore Sabrina Ouazani en femme enceinte tirant sur toutes les clopes qu’elle peut trouver.

Une fois le premier acte terminé, l’histoire prend son rythme de croisière. La violence pointe le bout de son nez ensanglanté et les différentes intrigues se nouent pour mieux piéger le spectateur dans une montagne russe émotionnelle. Benjamin Rocher réussit à mélanger action, comédie et drame dans un cocktail de rires et de larmes savamment dosé, tout en refusant de tomber dans le piège du premier degré. On oubliera les quelques faiblesses techniques du film (des incohérences parfois grossières, un festival de couleurs sans logique apparente dans les séquences de nuit et l’aspect parfois brouillon de certains combats) pour n’en garder que l’essentiel : la jubilation d’être devant un pur divertissement décomplexé. La preuve qu’avec un peu de courage et beaucoup de passion, le cinéma français peut aussi accoucher de ce genre de films…

Alexandre Robinne

France -  1h30
Réalisation : Benjamin Rocher - Scénario : François Loubeyre et Tristan Schulman 
Avec : Jean Reno (Buren), Alban Lenoir (Cartier), Caterina Murino (Margaux), Thierry Neuvic (Becker). 



Disponible en DVD et Blu-Ray chez M6 Vidéo.

lundi 17 août 2015

Mission : Impossible - Rogue Nation

 
À l’heure où Jason Bourne est en pleine crise identitaire et James Bond à la recherche de ses origines, Ethan Hunt, lui, ne se pose pas de telles questions et continue à déjouer les complots terroristes à travers le monde. Quatre ans après le surestimé Protocole Fantôme de Brad Bird, c’est au tour de Christopher McQuarrie de diriger l’inoxydable Tom Cruise dans cette cinquième mission dont on n’attend finalement pas grand-chose, si ce n’est de passer un bon moment. En cette période estivale truffée de blockbusters de piètre qualité, cela relève presque de l’impossible.

Après avoir sauvé maintes fois le monde, la « Impossible Mission Force » (IMF en VO) est dissoute à la demande d’Alan Hunley (Alec Baldwin). Le patron de la CIA pense en effet que les méthodes explosives de cette cellule secrète sont un véritable danger pour l’équilibre du monde. Seul problème, son leader Ethan Hunt (Tom Cruise) est déjà lancé sur les traces du Syndicat, une entité terroriste invisible au point que beaucoup doute de son existence. L’agent secret reforme petit à petit son équipe et se retrouve très vite épaulé par la mystérieuse Ilsa Faust (Rebecca Ferguson).

Rebecca Ferguson et Tom Cruise

Rogue Nation ne révolutionne pas le film d’espionnage. Avec son intrigue ordinaire et le respect scrupuleux du cahier des charges lié à la franchise (gadgets, faux-semblants et action), cette cinquième aventure ne semble pas armée pour surprendre son spectateur. À juste titre. Mais le rythme insufflé par Christopher McQuarrie (aussi scénariste du film) ne laisse aucun temps mort et évite le piège de la surenchère inutile et souvent éreintante. Le réalisateur de Jack Reacher réussit à captiver son public du début à la fin en enchaînant séquences d’infiltrations haletantes (l’opéra de Vienne, la centrale électrique au Maroc) et courses poursuites mémorables tout en gardant les yeux rivés sur une histoire abracadabrante, certes, mais rendue incroyablement crédible par sa tête d’affiche, héritier de Gary Cooper et dernier chevalier blanc d’Hollywood. 


Du haut de ses 53 ans, Tom Cruise continue d’impressionner avec sa condition physique lui permettant de monter à bord d’un avion-cargo en plein décollage, de battre le record du monde d’apnée ou encore de se lancer dans une course poursuite à moto sans cacher son visage derrière un casque intégral. Cette implication sans faille de l’acteur, bien aidé par des effets spéciaux qui savent se faire oublier, permet au film de gagner en réalisme et de maintenir le spectateur au plus près de l’action. Tom Cruise est, comme à son habitude, omniprésent à l’écran, mais laisse toutefois un peu de place à ses partenaires de jeu. Si Jeremy Renner, Ving Rames et Simon Pegg font le job, c’est surtout la nouvelle venue Rebecca Ferguson qui surprend. Dans un mélange de mystère, de force et de fragilité, l’actrice suédoise, aperçue aux côtés de Dwayne « The Rock » Johnson dans le Hercule de Brett Ratner (sic), ne se limite pas à son rôle de femme fatale. Charismatique, sensuelle mais aussi athlétique, elle réussit la prouesse de ne pas s’effacer devant le monstre hollywoodien, et lui offre une confrontation de haute volée sans que l’on sache vraiment (jusqu’à la dernière demi-heure) dans quel camp son personnage évolue.

Même si l’aventure ne réserve aucune grosse surprise, Rogue Nation réussit à divertir sans jamais chercher à transcender son cadre, prouvant que les bonnes vieilles recettes sont toujours efficaces lorsqu’elles sont bien exécutées. Mission accomplie, avec mention.

Alexandre Robinne

Etats-Unis / Hong Kong / Chine - 2h11
Réalisation : Christopher McQuarrie - Scénario : Christopher McQuarrie et Drew Pearce
Avec : Tom Cruise (Ethan Hunt), Jeremy Renner (William Brandt), Simon Pegg (Benji Dunn), Rebecca Ferguson (Ilsa Faust).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Paramount Vidéo.