mardi 31 décembre 2013

Le loup de Wall Street


Pour clore l'année en beauté, il fallait bien que Martin Scorsese nous offre un film qui soit à la hauteur. Non seulement Le Loup de Wall Street dépasse toutes les espérances mais prouve bel et bien que Scorsese reste l'un de nos cinéastes majeurs et sans doute le plus impressionnant scrutateur de l'american way of life

Si le réalisateur a changé de braquet en nous narrant l'itinéraire explosif d'un trader de Wall Street sans foi ni loi dans les années 80-90, son personnage de Jordan Belfort est pourtant un proche cousin des mafieux notoires qu'il a jadis dépeint dans Les Affranchis ou Casino. Sauf qu'il s'agit à présent de gangsters convenables, propres sur eux, exhibant leur fortune en toute impunité alors que leurs méthodes sont, elles, peu recommandables. Le cinéaste filme prodigieusement un monde décadent dans lequel aucune limite ne lui résiste. Jordan Belfort est bien conscient que cette vie est indécente mais vivre dans la vraie vie n'a, pour lui, tout simplement pas la même saveur. 

 Leonardo DiCaprio et Jonah Hill

Pour incarner ce "rêve américain", le cinéaste a fait une nouvelle fois appel à Leonardo DiCaprio. Le comédien, au sommet de son art, est hallucinant de démesure, de charisme et de fragilité. Une composition immense qui le classe définitivement dans la cour des très grands. Grâce à sa présence magnétique, il arrive à rendre son personnage tour à tour détestable et fascinant, donnant de Jordan Belfort l'image d'un homme en surrégime permanent, une sorte de gourou au bord de l'overdose, et qui se relève (presque) à chaque fois. Ses partenaires ne sont pas en reste, à commencer par Jonah Hill en hilarant associé qui confirme de film en film son talent. Bien que peu présent à l'écran, Mathew McConaughey est aussi délectable dans le rôle du premier patron de Jordan à l'éthique très affirmée et aux rituels indiens iconoclastes. Seul Jean Dujardin fait fausse note, égaré dans le rôle d'un improbable banquier suisse qui ne lui convient guère. 


Le film enchaîne les morceaux de bravoure et les moments d'anthologie à un rythme étourdissant, sublimé par le scénario de Terence Winter et ses répliques tour à tour effrayantes et hilarantes. Le film accumule en effet des moments de franche drôlerie jusqu'à une séquence inouïe dans laquelle Belfort et son acolyte perdent leurs moyens alors que le FBI les écoutent de près. Un grand moment parmi beaucoup d'autres qui confirme une fois encore la maestria du cinéaste mais surtout, et c'est le plus réjouissant, son insolente liberté. Contrairement à ses derniers longs métrages dans lesquels la mécanique de mise en scène écrasait la spontanéité et l'invention, Scorsese se lâche comme jamais avec une vitalité et un enthousiasme qui subjuguent car cette libération sexuelle (le réalisateur n'a jamais été aussi coquin) et artistique sert avant tout un propos sur son pays, l'Amérique, ses dérives, ses excès et ses fondements. Les protagonistes du film n'ont qu'un seul mot à la bouche : "money". En vouloir plus, toujours plus afin d'exister et devenir quelqu'un. 

Bien sûr, Le loup de Wall Street baigne dans l'outrance et le cynisme car Scorsese brosse le portrait d'un univers exempt de toute moralité mais il le filme sans complaisance ni regard moralisateur. La dernière séquence, terriblement lucide, montre à quel point Jordan est loin de toute rédemption. Trois heures de très grand cinéma.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 3h
Réalisation : Martin Scorsese - Scénario: Terence Winter d'après le livre de Jordan Belfort 
Avec : Leonardo DiCaprio (Jordan Belfort), Jonah Hill (Donnie Azoff), Margot Robbie (Naomi Laplagia), Matthew McConaughey (Mark Hanna).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan Vidéo.

vendredi 20 décembre 2013

La bande annonce du Jour le plus Court au Bab-Ilo


Découvrez la bande-annonce du Jour le plus Court au Bab-Ilo.

Venez nombreux demain soir découvrir 12 films originaux et fêter le monde du court métrage !

Bande annonce Le Jour le plus Court au Bab-Ilo from Deferre on Vimeo.

mardi 17 décembre 2013

Le Jour le plus Court au Bab-Ilo


Dans le cadre du Jour le plus Court, Mon Cinématographe vous convie le samedi 21 décembre à 19h à une projection de courts métrages au café-concert Le Bab-ilo à Paris.

Un panorama éclectique de 12 films originaux, des univers riches et variés dans lesquels tous les genres seront représentés : drame, comédie, animation, action, suspense...

Le Jour le plus Court est une fête populaire et participative qui a pour but de valoriser la production de courts métrages dans tous les lieux et sur tous les écrans.

Voici la Sélection de Mon Cinématographe :

Ce n'est pas un film de cowboys de Benjamin Parent
Deux Inconnus de Lauren Wolkstein
Gratte-Papier de Guillaume Martinez
Kwiz de Renaud Callebaut
La mort du Père Noël de Laurent Firode
Le Baiser de Stéphane Le Lay
Vikingar de Magali Magistry
Bad Toys II de Nicolas Douste et Denis Brunet
Cul de bouteille de Jean-Claude Rozec
Le petit dragon de Bruno Collet
La révolution des crabes d'Arthur de Pins
Dernier voyage improvisé de Julien Guiol

La projection est publique et gratuite. Alors venez nombreux fêter le court métrage !

Informations pratiques : 

Horaires : 19h à 21h
Lieu : Le Bab-Ilo, 9 rue du Baigneur - 75018 Paris
Métro : Jules Joffrin
Site internet : http://babilo.lautre.net/

lundi 16 décembre 2013

The Immigrant



On reconnaît parfois les grands films à leur discrète suprématie. The Immigrant, le cinquième long métrage de James Gray, est de cette classe là. Pas un plan qui ne soit pas pensé en termes de cinéma, pas une scène qui ne fasse pas sens. James Gray maîtrise son art à un degré tel qu'il atteint une forme de plénitude artistique, et dans un genre que l'on ne le voyait pas entreprendre, le mélodrame. Mais dans cette histoire d'une immigrée polonaise qui va tenter de vivre le "rêve américain" dans le New York des années 20, c'est aussi de ses origines familiales dont nous parle le cinéaste avec un lyrisme peu commun.

Il y a d'abord cette sublime photographie de Darius Khondji, inspirée du Caravage, qui recrée l'époque comme très peu de films avant lui. A la vision de ces couleurs mordorées et de ces ténébreux clairs obscurs, on ne peut s'empêcher de penser au Parrain II qui demeure l'une des influences évidentes de James Gray. Mais si chaque plan évoque les tableaux des plus grands maîtres, le cinéaste y injecte de la vie grâce à l'expressivité de ses comédiens, à commencer par Marion Cotillard. Le visage de l'actrice filmé par la caméra de James Gray n'a jamais paru aussi intense, et le mimétisme avec la vedette du cinéma muet Liliane Gish n'en n'est que plus troublant. L'actrice dégage autant de pureté que d’ambiguïté, et c'est ce qui intéresse avant tout James Gray et intrigue le spectateur.  Le cinéaste n'en fait pas une simple victime d'un souteneur amoureux d'elle (magnétique Joaquin Phoenix) qui n'aurait que la prostitution comme échappatoire. Il tisse entre ces deux personnages des rapports complexes nourris de fascination et de répulsion, où l'amour n'a pas sa place. Il nous offre d'ailleurs une des scènes les plus bouleversantes que l'on ait pu voir sur un écran lorsque Joaquin Phoenix fait comprendre à Marion Cotillard qu'elle doit offrir ses charmes pour espérer retrouver sa sœur malade. Avec une épure incroyable, James Gray nous fait ressentir toute la dimension tragique de cet instant. 

 Marion Cotillard et Joaquin Phoenix

Le cinéaste a dit aussi s'être inspiré d'un opéra de Puccini pour écrire son scénario. La dimension opératique était déjà à l’œuvre dans The Yards et La Nuit nous appartient où, à travers le film noir, James Gray nous dépeignait les déchirements et les trahisons d'un clan familial et d'un couple. Le cinéaste revient donc à ses obsessions, en les transcendant à nouveau. A la vue de la quantité de films parfois bons, parfois médiocres que l'on voit défiler toutes les semaines, il est tout de même sidérant de voir à quel point James Gray se situe au-dessus du lot. La majesté de sa mise en scène, ni pompeuse, ni écrasante, subjuge littéralement jusqu'au dernier plan, magistral, qui résume peut-être à lui seul les fondements du "rêve américain". 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h57
Réalisation et Scénario : James Gray 
Avec : Marion Cotillard (Ewa Cybulski), Joaquin Phoenix (Bruno Weiss), Jeremy Renner (Orlando le magicien).



Film disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side Vidéo.

mardi 26 novembre 2013

Cartel


Un échec cuisant au box-office américain, un accueil glacial de la part de la critique et d'une bonne partie du public : le nouveau long métrage de Ridley Scott subit une bien mauvaise réputation. Il était pourtant très attendu, de part son casting cinq étoiles (Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem, Pitt) et son scénariste, le prestigieux écrivain Cormac McCarthy, auteur célébré par le prix Pulitzer, adapté plusieurs fois au cinéma (No Country for Old Men, La Route) et qui signe son premier scénario original. Comme son titre l'indique, Cartel parle des trafics de drogue et de l'argent sale qui en découle et qui fait disjoncter un avocat bien trop fragile (Le "Counselor" du titre original). Mais il est inutile d'évoquer l'intrigue tant McCarthy s'en contrefiche. Ce qui l'intéresse, c'est de parler de l'état du monde, de la mort et de la lutte de pouvoir, soit les thématiques essentielles de son oeuvre qui, malheureusement, ne passent pas l'examen du grand écran. 

Cameron Diaz et Penelope Cruz

Ridley Scott est en partie responsable de l'échec du film car si le nihilisme de McCarthy l'a séduit, il n'arrive pas à le rendre palpable dans sa mise en scène, froide et désincarnée. Sa direction d'acteurs est également en cause, ne permettant pas à ses comédiens de faire vivre leurs personnages, à l'exception de Cameron Diaz qui semble se délecter de son rôle de garce amatrice de léopards. Mais le cinéaste échoue surtout à donner un peu de lisibilité au scénario proprement incompréhensible de McCarthy, aux enjeux obscurs et aux dialogues verbeux et interminables. 

Malgré le ratage du film, il intrigue par certaines audaces (la séquence d'ouverture), son ambition, ses parti-pris très éloignés des canons hollywoodiens du genre et une noirceur parfaitement assumée. Mais si Ridley Scott a voulu rompre avec l'efficacité qui le caractérise (voir l'excellent American Gangster), il n'a pas su injecter suffisamment de trouble et de souffre pour marquer le spectateur. Il n'arrive en définitive qu'a dégager un ennui poli, stylisé, et un peu vain. 

Antoine Jullien

Etats-Unis / Grande-Bretagne - 1h51
Réalisation : Ridley Scott - Scénario : Cormac McCarthy 
Avec : Michael Fassbender (L'Avocat), Penelope Cruz (Laura), Cameron Diaz (Malkina), Javier Bardem (Reiner), Brad Pitt (Westray).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez 20th Century Fox. 

mardi 12 novembre 2013

Inside Llewyn Davis


Les Coen ont depuis toujours une affection pour les losers : magnifiques ou pathétiques, ils sont au coeur de l'oeuvre des frangins. En choisissant de rendre hommage à leur manière à un chanteur de folk music qui ne connaîtra jamais la gloire, Joel et Ethan Coen font une touchante déclaration d'amour à ce genre musical qui a vu éclore un certain Bob Dylan. 

Du créateur de I Want you, il en sera brièvement question lors de la dernière scène du film qui voit un jeune chanteur un peu gauche succédé à Llewyn Davis. L'heure et demie qui aura précédé ce bref instant ne nous aura rien épargné des déboires de ce pauvre Llewyn. Pauvre, pas tant que cela quand on voit avec quel talent il sabote une à une les rares opportunités qui s'offre à lui. Nous sommes en 1961, et Llewyn semble constamment décalé par rapport à le musique appréciée par le public, plus facile et plus mièvre, incarnée malicieusement par Justin Timberlake (un autoportrait?). Llewyn est aussi maladroit avec sa carrière qu'avec les femmes (piquante Carrey Mulligan) et surtout avec le chat d'un des ses amis qui le fuie régulièrement, donnant lieu à quelques séquences irrésistibles. 

Oscar Isaac 

Mais Inside Llewyn Davis n'est pas à ranger dans la catégorie comédie, il rappelle plutôt l'excellent A serious Man dans sa manière de filmer l'échec avec style et une pointe de tendresse. Le style, les Coen en font une nouvelle fois une démonstration éclatante grâce à la magnifique photographie de Bruno Delbonnel qui restitue merveilleusement le Greenwich village des années 60 et ses bars enfumés, et à la sobriété de leur mise en scène qui ne verse jamais dans l'artifice. Au beau milieu du récit, ils se permettent soudain une fascinante séquence en voiture qu'on croirait tout droit sortie d'un film noir. John Goodman est un obscur producteur de jazz et Garret Hedlund interprète son étrange chauffeur-assistant. Malgré la drôlerie de certaines répliques, le film se baigne progressivement d'une ambiance vaguement inquiétante, à la limite du fantastique. 

L'absurde que l'on aime tant chez les cinéastes pointe d'ailleurs le bout de son nez, au détours d'un plan (un couloir minuscule d'appartement) où d'une scène qui voit un père vivre un moment d'égarement alors qu'il écoute la chanson de son fils. Mais les Coen nous bouleversent car ils nous parlent des choix existentiels, du chemin forcément chaotique de la vie d'artiste que l'on assume malgré les difficultés. Si on aurait aimé en savoir davantage sur les personnages secondaires (un peu expédiés) et que l'on regrette que certaines séquences demeurent insondables, les Coen ont eu aussi le mérite de révéler un grand comédien, Oscar Issac, de tous les plans, qui prête sa voix et son visage à Llewyn Davis. Parfois antipathique et lâche, par moments inspiré, il incarne superbement l'être humain, dans toute sa complexité. En en musique, s'il vous plaît !

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h45
Réalisation et Scénario : Joel et Ethan Coen
Avec : Oscar Isaac (Llewyn Davis), Carey Mulligan (Jean), John Goodman (Roland Turner), Garret Hedlund (Johnny Five), Justin Timberlake.



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Studio Canal. 

samedi 9 novembre 2013

Quai d'Orsay


Comme il le dit lui-même, Quai d'Orsay est "sa première vraie comédie". En effet, Bertrand Tavernier ne s'était jamais véritablement attaqué à ce genre si difficile à entreprendre. En adaptant la bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac, le cinéaste filme également pour la première fois le monde politique, plus précisément celui du ministère des Affaires Etrangères. Sans procurer les étincelles espérées. 

La bande dessinée, dont le film est très fidèle, nous raconte le quotidien du quai d'Orsay et son hôte de choc, Alexandre Taillard de Vorms (Thierry Lhermitte), le bouillonnant ministre qui en fait voir de toutes les couleurs à l'une de ses plumes, Arthur Vlaminck (Raphaël Personnaz), et à son très conciliant directeur de cabinet, Claude Maupass (délectable Niels Arestrup). Dans le matériau d'origine, Blain et Lanzac faisaient du ministre une sorte de double survolté de Dominique de Villepin, l'histoire étant directement inspirée du vécu d'Abel Lanzac au sein du ministère. Riche en réparties cocasses et en situations absurdes, la BD était une occasion idéale pour Tavernier de dépeindre un vase clos au bord de l'hystérie collective que l'on a rarement décrit ainsi à l'écran. 

Thierry Lhermitte, Bertrand Tavernier et Raphaël Personnaz

Mais le cinéaste n'arrive pas à mettre son empreinte à l'ensemble, manquant cruellement du mordant qui faisait le sel de Quai d'Orsay. Il se contente de conserver certaines idées visuelles puisées dans la BD, dont les papiers qui volent à chaque entrée du ministre, sans apporter la moindre invention à sa mise en scène, bien trop sage. Le film est sans cesse en-deça, tant au niveau du rythme que de l'intrigue qui fait du surplace, et pas suffisamment enlevé pour remporter l'adhésion, de même que les personnages ne vont jamais au-delà des stéréotypes. La faute à une mauvaise direction d'acteurs qui voit Thierry Lhermite surjouer en permanence, très loin de l'ambiguité du personnage d'origine, et Raphaël Personnaz est de plus en plus effacé au point de devenir inexistant. Quelques séquences savoureuses surnagent mais le cinéaste semble observer ses personnages avec une distance goguenarde qui vire à la paresse, notamment lors de la scène du discours de l'Onu, ratée et d'une mollesse accablante. L'inutile bêtisier final nous fait définitivement comprendre que l'on vient d'assister à un Tavernier mineur. Très mineur.

Antoine Jullien

France - 1h53
Réalisation : Bertrand Tavernier - Scénario : Christophe Blain, Antonin Baudry et Bertrand Tavernier d'après la bande dessinée "Quai d'Orsay" de Christophe Blain et Abel Lanzac
Avec : Thierry Lhermitte (Alexandre Taillard de Vorms), Raphaël Personnaz (Arthur Vlaminck), Niels Arestrup (Claude Maupass).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Pathé Vidéo.

mercredi 6 novembre 2013

Ressortie de L'Impasse


A l'heure où Guillaume Canet tente vainement de retrouver le souffle des grands films des années 70, la ressortie de L'Impasse * de Brian De Palma vient remettre les pendules à l'heure. Non que le film a été réalisé durant cette période (il date de 1993) mais son action se déroule en 1975 et il demeure l'un des longs métrages les plus évocateurs sur cette période si féconde. 

Brian de Palma filme avec maestria l'impossible rédemption d'un truand, Carlito Brigante, qui voulait se ranger des voitures après plusieurs années passées derrière les barreaux. Dès l'ouverture du film, le spectateur comprend qu'Al Pacino va mourir et assiste alors à un long flash back qui démarre au moment de la libération de prison de Carlito et s'achève lors de l'étourdissante séquence de fusillade dans la gare de Grand Central. Dix ans après le tonitruant Scarface, le tandem De Palma-Pacino se reformait pour ce qui est devenu le meilleur film du réalisateur et l'une des plus magistrales interprétations du comédien.

Sean Penn et Al Pacino

L'Impasse peut s'appréhender comme une sorte de prolongement de Scarface qui verrait Tony Montana assagi, tentant de mener une vie normale et fuir à tout prix son passé. L'Impasse est autant une bouleversante méditation sur le mirage d'une deuxième chance qu'un polar haletant, brillamment scénarisé par David Koepp. Le film s'enrichit au fur et à mesure des visionnages et sidère encore par la solidité de son intrigue, la force des personnages, à commencer par Sean Penn, mémorable en avocat cocaïné et incontrôlable, et par la majestueuse mise en scène de De Palma. Le cinéaste traversait alors une période difficile de sa vie et ce film est arrivé comme un exutoire, comme il s'en expliquait à l'époque : " Pour faire ce film qui traduisait ce que je ressentais, il fallait me mettre à nu. C'est un film que je n'aurais pas pu faire à trente ans, ni même à quarante. Il parle d'amour, de trahison, de fatalité, mais avec distance. Du coup, les personnages y ont gagné en profondeur. C'est moins un thriller qu'une étude de caractère, et je pense que c'est ce qui a ému les gens". **

Tièdement accueilli à sa sortie, L'Impasse est devenu un classique et l'oeuvre la plus importante de Brian De Palma. Car n'en déplaise aux fans inconditionnels du cinéaste qui vénèrent encore ses pathétiques plagiats hitchcockiens pseudo post-modernes (voir le consternant Passion sorti en début d'année), De Palma n'a jamais été aussi fort que dans le déploiement de sa maîtrise de cinéaste au service d'une intrigue qui n'est ni une copie ni un décalquage fumeux du Maître. Autant De Palma s'est parfois révélé être un piètre scénariste, uniquement intéressé par la reproduction de motifs filmiques, autant lorsqu'il s'associe à des auteurs comme Oliver Stone sur Scarface ou David Koepp, il incarne ce que le cinéma américain sait faire de mieux. L'Impasse est un diamant noir qui ne cesse pas de nous dévoiler ses richesses. 

Antoine Jullien 

* Au cinéma La Filmothèque du Quartier Latin, Paris 5ème. 
* Brian De Palma, Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud, Calman-Lévy 2011

lundi 4 novembre 2013

Blood Ties


Quel réalisateur n'a pas rêvé de faire un jour "son" film de gangsters ? Un fantasme de cinéphile qui a longtemps trotté dans la tête de Guillaume Canet avant qu'il ne choisisse d'adapter Les Liens du Sang de Jacques Maillot dans le New York des années 70. La trame est la même : l'opposition entre un truand fraichement sorti de prison et son frère qui est flic. Cerise sur le gâteau, Canet a eu la contribution de James Gray au scénario. Mais tous ses éléments mis bout à bout ne font pas un grand film. Loin de là. 

On ne peut pas reprocher à Guillaume Canet d'avoir des références et de les assumer. Cette époque bénie du cinéma américain regorge de films cultes qui ont marqué plusieurs générations de spectateurs. Le commissariat où se passe une partie de l'action de Blood Ties rappelle furieusement Serpico de Sidney Lumet, le plan au ralenti sur Marion Cotillard déambulant dans la boite de nuit est un hommage appuyé au Casino de Scorsese et la course poursuite en voiture est un rappel de French Connection de William Friedkin. Mais où se situe Guillaume Canet là-dedans ? Où est sa particularité ? Ses précédents films avait démontré une efficacité certaine mais peu de personnalité. Son nouveau long métrage en manque à nouveau cruellement, tant la mise en scène semble en permanence paralysée par ses illustres prédécesseurs, incapable de trouver ses propres marques à l'image de la bande originale en forme de juke-box géant qui aurait mérité d'être élaguée, tout comme le montage qui traîne souvent en longueurs (malgré 15 minutes d'images coupées suite à la présentation du film à Cannes). Et s'il a eu le soutien d'une distribution de prestige (dont James Caan en pater familias), seuls Clive Owen et Billy Crudup arrivent à tirer leur épingle du jeu.  

Clive Owen et Billy Crudup

On sent par intermittence la pâte de James Gray dans les rapports familiaux mais sans l'intensité de La Nuit nous Appartient. Le conflit entre les deux frères est cependant ce que Canet réussit de mieux, avec la reconstitution des années 70, discrète et jamais tapageuse. Mais lorsque le cinéaste décide de conclure son récit dans la fameuse gare de Grand Central, temple de tant de chefs d'oeuvre, on se dit alors qu'il tend le bâton pour se faire battre. Certes, les copistes ne sont pas forcément déplaisants mais ils demeureront à jamais de simples copistes. Et on préféra toujours l'original à la contrefaçon, même si elle bien imitée. 

Antoine Jullien

France / Etats-Unis - 2h07
Réalisation : Guillaume Canet - Scénario : Guillaume Canet et James Gray d'après le film "Les liens du sang" de Jacques Maillot
Avec Clive Owen (Chris), Billy Crudup (Frank), Marion Cotillard (Monica), Mila Kunis (Natalie), Zoe Saldana (Vanessa), James Caan (Leon).


samedi 2 novembre 2013

Snowpiercer - Le Transperceneige


Les coréens ont décidément la côte outre-atlantique. Après Park Chan Wook et son délicieusement tordu Stoker, le réalisateur Bong Joon Ho se retrouve pour la première à la tête d'une importante production internationale. Il a jeté son dévolu sur la bande dessinée des français Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette qui voit, dans un futur proche, les survivants d'une Terre dévastée par une période glaciaire obligés de cohabiter dans un train fonçant à grande vitesse. 

Snowpiercer est doté d'un brillant casting où se distinguent la méconnaissable Tilda Swinton en caricature de Tatcher, Song Kang-Ho, le comédien fétiche du cinéaste (vu dans Memories of Murder et The Host) et surtout Chris Evans que l'on attendait pas dans un tel projet après le fadasse Captain America. Bonj Joon Ho a a confiné tous ses comédiens dans un espace clos, le train qui est en réalité une métaphore de notre humanité où les privilégiés sont logés dans les premières classes et le reste des survivants parqués comme du bétail dans les derniers wagons. Le film recèle une portée politique très forte où la lutte des classes amène des séquences violentes et brutales qui rappellent le talent de filmeur du réalisateur. Grâce à une superbe direction artistique, le cinéaste arrive à tirer profit de son décor et l'exploite dans ses moindres recoins. Le suspense s'intensifie à mesure que les passagers se révoltent et atteignent leur but : tuer le chef de la machine et reprendre son contrôle. 

Chris Evans et Song Kang-Ho

Bonj Joon Ho a réussi à s'approprier les codes de la superproduction (qu'il avait déjà expérimenté avec The Host) en injectant cet humour si particulier qui caractérise son univers. De même qu'il n'hésite pas à supprimer certains personnages clefs avec une étonnante sécheresse dramatique où à étirer une scène pleine de tension au beau milieu d'un sauna, le cinéaste parvient à garder son identité malgré quelques invraisemblances. S'il ne retrouve pas la singularité de Mother, son précédent long métrage, il nous emporte dans son odyssée glaciaire et nous terrifie par son message qui ravive les heures les plus sombres de notre histoire. 

Antoine Jullien

Corée du Sud / Etats-Unis / France - 2h05
Réalisation : Bong Joon Ho - Scénario : Bong Joon Ho et Kelly Masterson d'après la bande-dessinée "Le Transperceneige" de Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette
Avec : Chris Evans (Curtis), Jamie Bell (Edgar), Tilda Swinton (Mason), John Hurt (Gilliam), Song Kang-Ho (Namgoong Minsu), Ed Harris.


jeudi 31 octobre 2013

Borgen ce soir sur Arte


Mon Cinématographe parle aussi de séries, la preuve ce soir avec les deux derniers épisodes de la série Borgen diffusée sur Arte. Si vous n'avez pas encore plongé dans les méandres de la politique danoise et suivi les turpitudes de Birgitte Nyborg, alors une séance de rattrapage s'impose. 

Borgen déroute dans un premier temps car le spectateur français doit s'habituer au fonctionnement institutionnel danois, éloigné par bien des aspects du nôtre. Les saisons 1 et 2 nous racontent la vie intime et publique de la première femme Premier ministre du royaume du Danemark. La série explore également les liens très étroits entre les médias et les politiques et les différents compromis (et parfois renoncements) que doit faire Birgitte si elle veut conserver l'unité de sa majorité et mener à bien les réformes du pays. Mais contrairement à la série de David Fincher House Of cards, Borgen mêle les stratégies de communication et les intrigues politiques en n'abandonnant pas le terrain des idées et des convictions. 

Borgen est donc une série plutôt bienveillante sur l'exercice du pouvoir bien que les calculs politiciens et les manoeuvres en tous genres soient légion. Pour sa troisième et ultime saison, le créateur de la série, Adam Price, renouvelle l'intrigue dans laquelle Birgitte n'est plus Premier ministre mais leader d'un nouveau parti. Une saison qui montre le paysage audiovisuel sous un jour peu reluisant, où la course à l'audimat contrarie sérieusement la sérénité des journalistes. Une série captivante que l'on quitte à regret, en attendant une (énième!) adaptation outre-atlantique. 



Les saisons 1 et 2 sont disponibles en DVD chez Arte Video.


mercredi 30 octobre 2013

Triste cinéma français


On ne va pas se lamenter une énième fois sur l'état du cinéma français mais deux films sortis cette semaine nous poussent à une mise au point. Non qu'il n'y ait pas de précieux talents dans l'hexagone (voir l'excellent 9 mois ferme de Dupontel) et de très bons cinéastes (Audiard, Ozon, Desplechin...) mais on sent notre cinéma constamment corseté entre la grosse comédie populaire devenue indigente et le film d'auteur nombriliste et prétentieux. 

A ce tire, Valéria Bruni-Tedeschi en est le digne représentant. Mystérieusement présent en compétition lors du dernier festival de Cannes, Un Château en Italie est la troisième auto-fiction de la réalisatrice qui nous parle (encore !) de ses malheurs de petite fille riche, convoquant sa mère et son ancien amant pour l'occasion. La gêne que nous procure ce film est la même que celle ressentie lors d'un dîner où l'on a pas été convié. Valéria Bruni-Tedeschi ne s'intéresse jamais au spectateur qui aurait, par malheur, envie de suivre son histoire familiale, se complaisant dans un narcissisme auto-satisfait très vite exaspérant. Sa personne est semble t-il la seule et unique chose qui l'intéresse et elle ne nous épargne rien de ses déboires sentimentaux et maternels dont on se lasse très rapidement. Alors entendre les termes "jubilatoire" et "irrésistible" à propos de cette oeuvrette révèlent soit d'un aveuglement caractérisé soit d'une malhonnêteté intellectuelle évidente. Non qu'on ne puisse lui trouver des qualités (je ne vois pas très bien lesquelles, cela dit...) mais prétendre qu'il s'agisse d'un film drôle alors que l'on sourit deux fois en 1h45 de projection est une duperie. A moins que cela ne soit un humour "intelligent" ? 

Ce film est significatif également dans sa pauvreté de mise en scène, exempte d'idées et d'inventions, et dans sa consternante fermeture au monde. Un cinéma rabougri, sans enjeux et interminablement long !  Le pire est sans doute atteint durant la dernière séquence dans laquelle Bruni-Tedeschi se prend soudain un peu (trop?) pour Visconti. Sans parler du dernier plan, grotesque, figé sur Louis Garrel (qui articule un peu plus, il faut le reconnaître). Un film simplement inutile, illuminé toutefois par Marisa Borini (la mère de la réalisatrice) qui apporte un peu d'élégance à l'ensemble. Mais quelle purge ! 


Je n'ai pas vu Fonzy d'Isabelle Doval mais il est caractéristique d'une autre tendance du cinéma français : la paresse. Alors que la comédie hexagonale a atteint cette année des abimes de médiocrité, voir les nombreux crash au box office (Turf, La Grande Boucle, Des Gens qui s'embrassent, Les Invincibles...), elle n'a pas trouvé d'autre idée que de faire des remakes de films sortis il y a un an ! En effet, Fonzy est la copie conforme du tendre et drôlissime Starbuck du québécois Ken Scott qui avait obtenu un très beau succès en France. José Garcia reprend le rôle titre et l'histoire est exactement la même : un homme qui devient le père de 533 enfants. 

Je n'ai pas voulu le voir car l'on a affaire à une escroquerie pure et simple ! Autant de facilité, de fainéantise et de nonchalance ne méritent pas qu'on s'intéresse au film. En revanche, il personnifie très bien ce mal du cinéma français qui a mis la rigueur et le travail de côté, surtout lorsqu'il s'agit de comédie, le genre le plus difficile à entreprendre. Heureusement, Guillaume Gallienne, qui lui aussi raconte sa propre histoire dans le désopilant Les Garçons et Guillaume, à table ! (en salles le 20 novembre) devrait mettre tout le monde d'accord. Mais il est bien le seul ! 

Antoine Jullien 

mardi 29 octobre 2013

A propos de Gravity : le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki


Sans lui, Gravity ne serait pas le même film. La stupéfiante virtuosité qui se dégage des nombreux plans séquences du long métrage d'Alfonso Cuaron ont été conçus en étroite collaboration avec le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, l'alter ego de Cuaron avec lequel il a fait tous ses films. L'un des opérateurs les plus importants du paysage cinématographique mondial qui trouve dans son association avec Cuaron l'aboutissement de ses prouesses plastiques. 


Pour la fabrication de Gravity, Lubzeki et Cuaron ont inventé une nouvelle technique, la Light Box, afin de rendre compte de la gravité zéro.  L'objet consiste en un cube aux parois intérieures recouvertes de minuscules lampes LED pour recréer la lumière de l'espace, notamment lors des scènes dans lesquelles Sandra Bullock tournoie dans le vide spatial. L'équipe a de plus conçu une caméra petite et maniable pour enregistrer les images dans la Light Box. Un procédé novateur qui a rendu possible l'hyperréalisme que l'on voit à l'écran.


Le plan séquence de l'attaque de la voiture dans Les Fils de L'Homme (2006)

Emmanuel Lubezki n'a pas la réputation d'être un homme d'innovations technologiques, préférant utiliser au maximum la lumière naturelle. Dans Les Fils de l'homme, précédent long métrage d'Alfonso Cuaron, qui voit Clive Owen plongé dans un Londres apocalyptique, le chef opérateur et le cinéaste ont opté pour une approche documentaire, multipliant les plans séquences en caméra portée sans ajouter de lumière artificielle. Grâce à ce choix, le spectateur est placé au coeur d'un Londres en proie au désordre social et à la guérilla. Une ambiance visuelle saisissante renforcée par la direction artistique du film qui mêle hangars désaffectés, rues grouillantes du centre ville et campagne anglaise. Cependant, Lubezki et Cuaron ont créé une séquence inédite lors de l'attaque de la voiture dans laquelle une caméra placée sur le capot du véhicule pivote à l'intérieur de l'habitacle pendant plusieurs minutes, captant en temps réel la violence de l'attaque. Un plan séquence devenu depuis un classique du genre qui a sans doute permis à Lubezki d'assoir sa réputation de technicien visionnaire.


The Tree of Life de Terrence Malick (2011)

Mais on ne peut pas évoquer son travail sans aborder sa collaboration intense avec Terrence Malick. Directeur de la photographie sur Le Nouveau Monde, The Tree of Life et A la merveille (en attendant deux nouveaux films qui devraient sortir l'année prochaine), Lubezki a trouvé grâce à Malick une liberté absolue de manipuler la caméra dans toutes les combinaisons imaginables pour un résultat visuel unique, donnant (déjà !) l'impression au spectateur de flotter à côté des personnages. Les deux hommes ont trouvé les conditions d'un terreau créatif inépuisable que très peu d'artistes peuvent obtenir. C'est la raison pour laquelle les films éclairés et cadrés par Lubezki sont si singuliers, l'ambition esthétique qui l'anime étant toujours au service de l'univers du cinéaste. On salive d'avance à l'idée de découvrir prochainement sa première association avec son compatriote Alejandro Gonzalez Inarritu, Birdman, prévu sur les écrans en 2014.

Antoine Jullien 

dimanche 27 octobre 2013

Gravity


"Ébouriffant", "Époustouflant", "Hors du commun"... les superlatifs pleuvent à l'endroit de Gravity et force est de reconnaître qu'ils sont justifiés. Dans la vie d'un spectateur, il est rare de sortir d'une salle et de pouvoir affirmer : "On n'a jamais vu ça au cinéma !". En racontant la survie de deux astronautes (Sandra Bullock et George Clooney), perdus dans l'espace suite à la destruction de leur navette, le cinéaste Alfonso Cuaron a repoussé toutes les limites pour un résultat unique. 

Après le brillant mais trop méconnu Les fils de l'homme dans lequel Cuaron faisait preuve d'une incroyable maestria filmique, le réalisateur dû inventer de nouvelles techniques afin de rendre son odyssée spatiale la plus réaliste possible. Un travail long de quatre années que James Cameron lui-même à qualifié de "plus grand film sur l'espace jamais réalisé", et le monsieur n'est pas le premier venu quand on lui parle de défis technologiques. Gravity est une prouesse absolue, nous immergeant dans le vide intersidéral comme si l'on était le témoin direct de la dérive des deux astronautes. Un réalisme proprement hallucinant au point qu'on ne doute jamais de ce que l'on voit à l'écran. Cuaron a respecté scrupuleusement les conditions de l'environnement spatial, notamment l'absence de son qui décuple en intensité les nombreuses séquences spectaculaires du film. 

Sandra Bullock et George Clooney

On est littéralement embarqué dès le plan séquence d'ouverture qui montre dans un premier temps les astronautes au travail, puis l'arrivée de la catastrophe et la dérive de Sandra Bullock. Cuaron réussit alors un tour de force, placer sa caméra à l'intérieur du scaphandre de la spationaute afin de nous faire ressentir l'état de panique du personnage. L'utilisation de la 3D renforce cet état immersif en nous plongeant dans l'espace comme très peu de films auparavant. 


Le scénario, écrit par Cuaron et son fils, ne ménage pas ses personnages qui vont devoir faire face à des réactions en chaîne de plus en plus périlleuses. Mais il n'oublie pas pour autant de nous raconter le destin d'une femme qui a perdu son enfant et qui va devoir trouver des ressources insoupçonnées pour rentrer chez elle. Le film se double alors d'une puissante aventure humaine qui voit Sandra Bullock lutter contre l'hostilité de l'espace afin de retrouver sa véritable nature. L'actrice, qui ne nous avait guère convaincu jusqu'à maintenant, trouve le rôle de sa carrière. 

Alfonso Cuaron n'a pas voulu emmener son film vers des sphères métaphysiques ou philosophiques car la comparaison avec le 2001 de Kubrick aurait été trop écrasante. Le cinéaste s'est plutôt interrogé sur la meilleure manière de rendre le cosmos totalement inédit. La performance technique au service d'une folle ambition concrétisée dans ses moindres aspects. Merci, monsieur Cuaron ! 

Antoine Jullien

Etats-Unis / Grande-Bretagne - 1h30
Réalisation : Alfonso Cuaron - Scénario : Alfonso Cuaron et Jonas Cuaron 
Avec : Sandra Bullock (Ryan Stone) et George Clooney (Matt Kowalski).



Le film est disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Home Video. 


jeudi 24 octobre 2013

9 mois ferme


Albert Dupontel nous revient en grand forme dans ce qui s'annonce d'ores et déjà comme son plus gros succès critique et public. Dans 9 mois ferme, il filme la rencontre entre une juge d'instruction très stricte qui tombe enceinte dans des circonstances rocambolesques, et un cambrioleur que tout le monde prend pour un terrifiant globophage. Sauf que le bonhomme ne sait pas qu'il est le père de l'enfant de la dame à qui il demande de l'aide afin de sauver sa tête... 

La radicalité des premiers films de Dupontel s'est peu à peu amoindrie sans que le réalisateur n'abandonne l'originalité première de son cinéma : le mélange de burlesque trash et de sensibilité qui trouve ici son point d'achèvement. En confiant le rôle principal à Sandrine Kiberlain, le cinéaste ouvre son univers vers davantage de normalité confrontée à l'esprit de sale gosse que l'on aime tant chez lui. Il dirige d'ailleurs l'actrice comme s'il s'agissait d'un "drame rigolo" (dixit le réalisateur), en la faisant jouer des situations absurdes et loufoques avec le sérieux nécessaire. Le talent de Dupontel réside là : faire  une vraie comédie d'un sujet qui prêterait à la sinistrose. 

Albert Dupontel et Sandrine Kiberlain 

Et quelle réjouissance ! Rarement une comédie française nous aura autant fait déclencher nos zygomatiques, et plusieurs moments du film sont déjà cultes. Dupontel pousse les situations jusqu'au bout (les amateurs de gore seront servis!), multiplie les idées de mise en scène à coups de transitions et de mouvements de caméra, met en valeur tous les personnages (mention spéciale à l'extraordinaire Nicolas Marié dans le rôle de l'avocat bègue) avec la complicité de ses camarades (Terry Gilliam, Jan Kounen, Gaspar Noé, Jean Dujardin), et se met, en tant qu'acteur, pour la première fois en retrait. 

Bien que la concision du film (1h22) soit un atout et révèle un art certain du montage, on aurait aimé que la relation entre la juge et le brigand soit un peu plus développée, d'où l'impression d'un final expédié. Mais Dupontel se situe tellement au-dessus de la moyenne dans tous les compartiments du jeu (scénario, réalisation, interprétation) que l'on ne doit pas bouder son plaisir. 

Antoine Jullien

France - 1h22
Réalisation et Scénario : Albert Dupontel 
Avec : Sandrine Kiberlain (Ariane Felder), Albert Dupontel (Bob), Nicolas Marié (Maître Trolos), Philippe Uchan (Juge de Bernard).



Le film est disponible en Blu-Ray et DVD chez Wild Side Video.


mercredi 23 octobre 2013

Bande-annonce de The Grand Budapest Hotel


Les stars ont à nouveau afflué en masse pour participer à la nouvelle excentricité de Wes Anderson. Jugez plutôt : Ralph Fiennes, Adrien Brody, Edward Norton, Jeff Goldblum, Jude Law, Harvey Keitel, Willem Dafoe, Mathieu Amalric, Tilda Swinton et les habitués Bill Murray, Jason Schwartzman et Owen Wilson, réunis au Grand Budapest Hotel

Le film se déroule durant l'entre-deux guerres, où le légendaire concierge d'un grand hôtel parisien et son jeune protégé se trouvent impliqués dans le vol d'un tableau de la Renaissance, le bataille pour une énorme fortune familiale et le lent bouleversement qui transforme l'Europe. 

Les premières images sont alléchantes et la signature de Wes Anderson ne fait aucun doute, renforcée par l'usage du format 1.33, peut-être en hommage au cinéma muet qu'il affectionne. Reste à attendre sa sortie qui n'est pas fixée pour le moment. 




L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet


Avant d'évoquer l'évènement Gravity, en salles aujourd'hui, parlons du septième film de Jean-Pierre Jeunet, L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. Le réalisateur d'Amélie Poulain nous embarque dans le Montana pour nous conter les aventures d'un jeune garçon de 10 ans, T.S. Spivet, parti seul à Washington recevoir le prestigieux prix Baird pour son invention sur la machine à mouvement perpetuel. Mais il cache un lourd secret... 

Jeunet a décidé de tourner ce nouvel opus en 3D, enrôlant pour l'occasion le stéréographe d'Hugo Cabret, Demetri Portelli. Ce n'est pas par coquetterie que le cinéaste s'est emparé de ce nouvel outil mais bien pour imprimer un nouveau souffle à son univers qui commençait à sentir le formol (voir le calamiteux Micmacs à tire-larigot). Le pari est réussi car Jeunet utilise le relief à bon escient, en mettant au premier plan les inventions du jeune Spivet et en donnant plus d'ampleur à ses courtes focales qu'il affectionne tant. Le cinéaste se renouvelle, en partie du moins, grâce au cadre qui l'a choisi, à savoir l'Amérique profonde, et à son protagoniste, un enfant épris de culpabilité qui fuit sa famille. 

Jean-Pierre Jeunet 

On sent bien que Jeunet a voulu éviter les pièges du grand film familial, en injectant de la noirceur et une certaine tristesse au personnage, poursuivi par la mort accidentelle de son frère. De même qu'il n'a pas souhaité réaliser un film trépidant, truffé de rebondissements. L'extravagant voyage du titre est donc trompeur car le périple du bambin ne figure que dans la deuxième partie du récit. D'où le sentiment d'un scénario un peu boiteux, construit en trois temps inégaux. Si la cellule familiale du début est intéressante, la dernière partie à Washington semble trop fabriquée et artificielle pour convaincre. Le cinéaste n'est pas très à l'aise dans cette réconciliation forcée et donne l'impression de ne plus savoir quoi raconter. Jeunet n'as pas réussi la greffe entre le film de commande et l'oeuvre plus personnelle, bien que l'on comprenne aisément les raisons qu'il l'ont poussé à adapter le livre de Reif Larsen. Si le cinéaste a eu la bonne idée de mettre ses tics de côté et qu'il fait montre une nouvelle fois de son talent visuel, il semble constamment se chercher. Comme son jeune protagoniste. 

Antoine Jullien

France / Canada - 1h45
Réalisation : Jean-Pierre Jeunet - Scénario : Jean-Pierre Jeunet et Guillaume Laurant d'après le roman de Reif Larsen 
Avec : Kyle Catlett (T.S. Spivet), Helena Bonham-Carter (Dr. Clair), Judy Davis (G.H. Jibsen), Niam Whilson (Gracie).


vendredi 18 octobre 2013

Les films à voir depuis la rentrée

Mon Cinématographe reprenant l'année en cours de route, un rappel des films à voir depuis la rentrée s'impose.

Blue Jasmine de Woody Allen


On attendait plus Woody Allen à un tel niveau ! Après des bulles récréatives et légères plus ou moins inspirées, il retrouve la maestria, le mordant et la cruauté de Match Point. Les deux films diffèrent à plus d'un titre mais ils ont en commun la même maîtrise du récit, qui voit le présent fauché de Cate Blanchett à San Francisco affronter le passé bling bling de son personnage à New York. 

Alors que le procédé pourrait paraître démodé, Woody Allen lui donne au contraire une puissance sidérante car les deux époques évoquent magistralement toute la complexité du personnage que le cinéaste malmène volontiers tout en lui conférant une part d'humanité qui intrigue tout au long du film. 

Blue Jasmine est un portrait carnassier et terriblement juste de notre époque qui rappelle le talent d'observateur de Woody Allen et sa faculté à ne jamais faire de ses protagonistes des caricatures.  Démarrant vers la comédie, le film vire au noir de plus en plus aigre à mesure que Jasmine s'enfonce dans ses mensonges et ses illusions. Un personnage qui se noie progressivement, incapable de se confronter à la réalité de son existence. Cate Blanchett porte ce personnage à des hauteurs insoupçonnées, incarnant toutes la palette d'émotions qu'un acteur puisse nous procurer. La dernière image, cruelle, nous dit à quel point on a face à nous une très  grande comédienne au service d'une oeuvre majeure et (très) désespérée sur la condition humaine.

Etats-Unis - 1h38
Réalisation et Scénario : Woody Allen 
Avec : Cate Blanchett (Jasmine), Sally Hawkins (Ginger), Alec Baldwin (Hal), Peter Sarsgaard (Dwight), Bobby Canavale (Chili).



Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh 


Il est fort dommage que le public français ait boudé l'ultime opus (vraiment ?) de Steven Soderbergh. Si le cinéaste avait aligné ces dernières années les longs métrages avec un enthousiasme inégal, il signe, avec Ma vie avec Liberace, l'un de ses plus beaux films. 

Evoquant la vie du pianiste Liberace, très connu aux Etats-Unis mais peu dans nos contrées, et son histoire d'amour avec Scott Thorson, Soderbergh transcende la biopic traditionnel en alliant le strass et les paillettes du monde du spectacle dans les années 70, avec tout le kitsch que cela suppose, à la relation sulfureuse et cruelle entre deux hommes qui s'aimaient mais qui ne l'assumaient pas tout à fait. 

La sensibilité dont fait preuve Soderbergh dans sa façon de filmer ses personnages émeut, autant que les deux immenses acteurs qu'il dirige magnifiquement. Michael Douglas et Matt Damon sont dans une symbiose étonnante, complémentaires dans l'exubérance comme dans la retenue. Malgré leurs postiches et leurs costumes improbables, ils nous bouleversent. Voir ces deux comédiens s'impliquer à ce point dans un projet qu'aucun studio ne voulait (le film a été financé par la chaîne HBO) nous interroge sur leur absence au palmarès du dernier festival de Cannes.

Etats-Unis - 1h59
Réalisation : Steven Soderbergh - Scénario : Richard LaGravenese d'après le livre de Scott Thorson et Alex Thorleifson 
Avec : Michael Douglas (Liberace), Matt Damon (Scott Thorson), Rob Lowe (Dr. Jack Startz), Dan Aycroyd (Seymour Heller), Scott Bakula.



La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche 


Vous n'entendrez pas dans ces colonnes le mot "chef d'oeuvre" tellement galvaudé et repris à longueur d'articles pour évoquer La vie d'Adèle. On ne passera pas non plus sous silence les méthodes du cinéaste (voir article plus bas). On dira simplement que le cinquième long métrage d'Abdellatif Kechiche est un bon, peut-être même un très bon film qui réussit le prodige de nous emporter avec l'histoire d'amour de deux jeunes filles sans que les trois heures de projection ne se fassent sentir. 

La vérité que le cinéaste cherche par tous les moyens à capter n'est pas nouvelle dans sa filmographie mais il la pousse à son paroxysme, en filmant les corps comme de la matière (voir les innombrables plans sur la bouche d'Adèle), particulièrement lors de plusieurs scènes de sexe tant décriées qui interpellent par leur durée et leur filmage à la limite de la pornographie. 

On peut en revanche reprocher au cinéaste son approche assez sommaire des milieux sociaux et son parti pris trop évident vers le personnage d'Adèle (la révélation Adèle Exarchopoulos) qui incarne l'enseignement, donc la transmission du savoir, la générosité et l'écoute vers l'autre alors qu'Emma (Léa Seydoux) en est réduite à une figure d'artiste égoïste et dictatoriale (un portrait en creux du cinéaste ?) qui se complaît dans l'artificialité du milieu de l'art. Certes, le film n'est pas aussi schématique, mais il dessine un monde binaire que vient contrarier les comédiennes qui emportent tout sur leur passage, notamment lors d'une séquence de retrouvailles inouïe d'intensité.

France - 2h57
Réalisation : Abdellatif Kechiche - Scénario : Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroix d'après la bande-dessinée de Julie Maroh
Avec : Adèle Exarchopoulos (Adèle), Léa Seydoux (Emma), Salim Kechiouche (Samir), Catherine Salée (la mère d'Adèle), Aurélien Recoing.



La Danza de la Realidad d'Alejandro Jodorowsky


Le réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky est un cas unique. Cinéaste de films complètement barrés dans les années 60-70 (La Montagne sacrée et El Topo), auteur de bandes dessinées dont L'Incal coécrit avec Möebius, metteur en scène de théâtre, il nous revient avec La Danza de la Realidad qui évoque son enfance au Chili dans les années 30 et le parcours de son père jusqu'à la rédemption. 

Influencé autant par Fellini que par les surréalistes, Jodorowsky peuple son monde de freaks attachants et se permet toutes les audaces, comme celle de transformer sa mère en chanteuse d'opéra ou de réaliser un film d'époque avec les tenues d'aujourd'hui. Si visuellement, le film n'est pas toujours à la hauteur, il nous chamboule, secoue nos habitudes de spectateur et nous conforte dans l'idée que le cinéma est un art total et qu'il doit fuir tous les conformismes. Qu'un artiste de 82 ans soit l'un des seuls à nous le rappeler est à la fois triste et terriblement beau.

Chili / France - 2h10
Réalisation et Scénario : Alejandro Jodorowsky 
Avec Brontis Jodorowsky (Jaime), Pamela Flores (Sara), Jeremias Herskovits (Alejandro enfant).



Prisoners de Denis Villeneuve


Pour son premier film aux Etats-Unis, le cinéaste québécois Denis Villeneuve, auréolé grâce à Incendies, frappe fort. Prisoners a été maladroitement comparé à des classiques du genre (du Silence des Agneaux à Mystic River) alors qu'il possède une véritable personnalité, faisant déjà partie des thrillers de référence. 

S'attachant à dépeindre les conséquences engendrées par l'enlèvement de deux fillettes du point de vue des parents comme celui de l'enquêteur, Prisoners brise les frontières entre le bien et le mal et parvient à devenir suffocant à mesure que le suspense s'installe. Filmant méticuleusement l'univers brumeux et trempé d'une petite ville américaine, Denis Villeneuve ne s'embarrasse pas d'effets de manche, concentrant sa mise en scène sur les visages de ses acteurs et sur les nombreux rebondissements du scénario. La tension sourde que le cinéaste arrive à faire naître ne se dissipera jamais, plongeant le spectateur dans un état de peur et d'effroi permanent. Une très grande réussite, qui voit des comédiens comme Hugh Jackman, parfois sous employés, faire preuve d'une présence saisissante. Incontournable. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h33
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Aaron Guzilowski 
Avec : Hugh Jackman (Keller Dover), Jake Gyllenhaal (Detective Loki), Maria Bello (Grace Dover), Paul Dano (Alex Jones), Melissa Leo.

mercredi 16 octobre 2013

Le cinéma, un art collectif


Mon Cinématographe reprend l'année en cours et il s'est est passé des choses ces derniers mois, de la nouvelle convention collective signée entre les mastodontes de la production et plusieurs syndicats, à la divulgation des coulisses du tournage de La vie d'Adèle en passant par la mort de Patrice Chéreau.

Les grands créateurs disparaissent, le métier tend à se précariser, les méthodes (contestables) d'un cinéaste éclatent au grand jour, autant de nouvelles qui rendent bien compte de l'aspect kaléidoscopique du cinéma dans lequel les réalisateurs ne seraient rien sans leurs techniciens et qui rappellent à chacun que le cinématographe est d'abord un art collectif.

On salue, à juste titre, la disparition du réalisateur de La Reine Margot en n'oubliant pas de mentionner la galerie de grands comédiens qui ont travaillé avec lui et qui ont nourri son travail, de même que sa collaboration avec des personnes tel que Claude Berri, Danièle Thompson où le chef opérateur Eric Gautier n'est certainement pas pour rien dans la réussite de ses films.

Qu'Abdellatif Kechiche ait ses propres méthodes pour diriger ses acteurs, soit, qu'il malmène ses techniciens et manipule à sa guise les règles d'un tournage n'est pas une chose acceptable, malgré ses qualités de cinéaste. Le grand démiurge créateur, personnifié par Kubrick ou Orson Welles, aura toujours besoin d'un cadreur, d'un monteur, d'un ingénieur du son. On a tendance à négliger trop souvent la fabrication des films en se concentrant uniquement sur le film lui-même.

Quant à la nouvelle convention collective signée le 8 octobre dernier, qui avait pour but de fixer les rémunérations des techniciens, elle semble aller davantage vers le compromis entre les gros producteurs et les plus fragiles qui voyaient dans ce texte la mise à mort de leurs futurs projets car il prévoyait des surcoûts qui pouvaient mettre à mal la concrétisation de certains films. Un équilibrage bienvenu qui permettra, on l'espère, de réduire le fossé parfois gigantesque entre les très gros films (entre 30 et 50 millions d'euros de budget) et les tous petits (moins d'1 million).

Mon Cinématographe - Le retour

Après plus d'un an d'absence, Mon Cinématographe revient avec une nouvelle formule plus proche du blog tel que je me l'imagine.

Plus d'impressions, d'humeurs, de coups de coeur et de coups de gueule, et surtout une plus grande ouverture vers les séries et les programmes web, des critiques plus concises et un tempo plus libre par rapport à l'actualité cinématographique.

Un journal de bord, en somme, que je vous invite à partager et à faire partager !

Bienvenue !