jeudi 31 octobre 2013

Borgen ce soir sur Arte


Mon Cinématographe parle aussi de séries, la preuve ce soir avec les deux derniers épisodes de la série Borgen diffusée sur Arte. Si vous n'avez pas encore plongé dans les méandres de la politique danoise et suivi les turpitudes de Birgitte Nyborg, alors une séance de rattrapage s'impose. 

Borgen déroute dans un premier temps car le spectateur français doit s'habituer au fonctionnement institutionnel danois, éloigné par bien des aspects du nôtre. Les saisons 1 et 2 nous racontent la vie intime et publique de la première femme Premier ministre du royaume du Danemark. La série explore également les liens très étroits entre les médias et les politiques et les différents compromis (et parfois renoncements) que doit faire Birgitte si elle veut conserver l'unité de sa majorité et mener à bien les réformes du pays. Mais contrairement à la série de David Fincher House Of cards, Borgen mêle les stratégies de communication et les intrigues politiques en n'abandonnant pas le terrain des idées et des convictions. 

Borgen est donc une série plutôt bienveillante sur l'exercice du pouvoir bien que les calculs politiciens et les manoeuvres en tous genres soient légion. Pour sa troisième et ultime saison, le créateur de la série, Adam Price, renouvelle l'intrigue dans laquelle Birgitte n'est plus Premier ministre mais leader d'un nouveau parti. Une saison qui montre le paysage audiovisuel sous un jour peu reluisant, où la course à l'audimat contrarie sérieusement la sérénité des journalistes. Une série captivante que l'on quitte à regret, en attendant une (énième!) adaptation outre-atlantique. 



Les saisons 1 et 2 sont disponibles en DVD chez Arte Video.


mercredi 30 octobre 2013

Triste cinéma français


On ne va pas se lamenter une énième fois sur l'état du cinéma français mais deux films sortis cette semaine nous poussent à une mise au point. Non qu'il n'y ait pas de précieux talents dans l'hexagone (voir l'excellent 9 mois ferme de Dupontel) et de très bons cinéastes (Audiard, Ozon, Desplechin...) mais on sent notre cinéma constamment corseté entre la grosse comédie populaire devenue indigente et le film d'auteur nombriliste et prétentieux. 

A ce tire, Valéria Bruni-Tedeschi en est le digne représentant. Mystérieusement présent en compétition lors du dernier festival de Cannes, Un Château en Italie est la troisième auto-fiction de la réalisatrice qui nous parle (encore !) de ses malheurs de petite fille riche, convoquant sa mère et son ancien amant pour l'occasion. La gêne que nous procure ce film est la même que celle ressentie lors d'un dîner où l'on a pas été convié. Valéria Bruni-Tedeschi ne s'intéresse jamais au spectateur qui aurait, par malheur, envie de suivre son histoire familiale, se complaisant dans un narcissisme auto-satisfait très vite exaspérant. Sa personne est semble t-il la seule et unique chose qui l'intéresse et elle ne nous épargne rien de ses déboires sentimentaux et maternels dont on se lasse très rapidement. Alors entendre les termes "jubilatoire" et "irrésistible" à propos de cette oeuvrette révèlent soit d'un aveuglement caractérisé soit d'une malhonnêteté intellectuelle évidente. Non qu'on ne puisse lui trouver des qualités (je ne vois pas très bien lesquelles, cela dit...) mais prétendre qu'il s'agisse d'un film drôle alors que l'on sourit deux fois en 1h45 de projection est une duperie. A moins que cela ne soit un humour "intelligent" ? 

Ce film est significatif également dans sa pauvreté de mise en scène, exempte d'idées et d'inventions, et dans sa consternante fermeture au monde. Un cinéma rabougri, sans enjeux et interminablement long !  Le pire est sans doute atteint durant la dernière séquence dans laquelle Bruni-Tedeschi se prend soudain un peu (trop?) pour Visconti. Sans parler du dernier plan, grotesque, figé sur Louis Garrel (qui articule un peu plus, il faut le reconnaître). Un film simplement inutile, illuminé toutefois par Marisa Borini (la mère de la réalisatrice) qui apporte un peu d'élégance à l'ensemble. Mais quelle purge ! 


Je n'ai pas vu Fonzy d'Isabelle Doval mais il est caractéristique d'une autre tendance du cinéma français : la paresse. Alors que la comédie hexagonale a atteint cette année des abimes de médiocrité, voir les nombreux crash au box office (Turf, La Grande Boucle, Des Gens qui s'embrassent, Les Invincibles...), elle n'a pas trouvé d'autre idée que de faire des remakes de films sortis il y a un an ! En effet, Fonzy est la copie conforme du tendre et drôlissime Starbuck du québécois Ken Scott qui avait obtenu un très beau succès en France. José Garcia reprend le rôle titre et l'histoire est exactement la même : un homme qui devient le père de 533 enfants. 

Je n'ai pas voulu le voir car l'on a affaire à une escroquerie pure et simple ! Autant de facilité, de fainéantise et de nonchalance ne méritent pas qu'on s'intéresse au film. En revanche, il personnifie très bien ce mal du cinéma français qui a mis la rigueur et le travail de côté, surtout lorsqu'il s'agit de comédie, le genre le plus difficile à entreprendre. Heureusement, Guillaume Gallienne, qui lui aussi raconte sa propre histoire dans le désopilant Les Garçons et Guillaume, à table ! (en salles le 20 novembre) devrait mettre tout le monde d'accord. Mais il est bien le seul ! 

Antoine Jullien 

mardi 29 octobre 2013

A propos de Gravity : le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki


Sans lui, Gravity ne serait pas le même film. La stupéfiante virtuosité qui se dégage des nombreux plans séquences du long métrage d'Alfonso Cuaron ont été conçus en étroite collaboration avec le directeur de la photographie Emmanuel Lubezki, l'alter ego de Cuaron avec lequel il a fait tous ses films. L'un des opérateurs les plus importants du paysage cinématographique mondial qui trouve dans son association avec Cuaron l'aboutissement de ses prouesses plastiques. 


Pour la fabrication de Gravity, Lubzeki et Cuaron ont inventé une nouvelle technique, la Light Box, afin de rendre compte de la gravité zéro.  L'objet consiste en un cube aux parois intérieures recouvertes de minuscules lampes LED pour recréer la lumière de l'espace, notamment lors des scènes dans lesquelles Sandra Bullock tournoie dans le vide spatial. L'équipe a de plus conçu une caméra petite et maniable pour enregistrer les images dans la Light Box. Un procédé novateur qui a rendu possible l'hyperréalisme que l'on voit à l'écran.


Le plan séquence de l'attaque de la voiture dans Les Fils de L'Homme (2006)

Emmanuel Lubezki n'a pas la réputation d'être un homme d'innovations technologiques, préférant utiliser au maximum la lumière naturelle. Dans Les Fils de l'homme, précédent long métrage d'Alfonso Cuaron, qui voit Clive Owen plongé dans un Londres apocalyptique, le chef opérateur et le cinéaste ont opté pour une approche documentaire, multipliant les plans séquences en caméra portée sans ajouter de lumière artificielle. Grâce à ce choix, le spectateur est placé au coeur d'un Londres en proie au désordre social et à la guérilla. Une ambiance visuelle saisissante renforcée par la direction artistique du film qui mêle hangars désaffectés, rues grouillantes du centre ville et campagne anglaise. Cependant, Lubezki et Cuaron ont créé une séquence inédite lors de l'attaque de la voiture dans laquelle une caméra placée sur le capot du véhicule pivote à l'intérieur de l'habitacle pendant plusieurs minutes, captant en temps réel la violence de l'attaque. Un plan séquence devenu depuis un classique du genre qui a sans doute permis à Lubezki d'assoir sa réputation de technicien visionnaire.


The Tree of Life de Terrence Malick (2011)

Mais on ne peut pas évoquer son travail sans aborder sa collaboration intense avec Terrence Malick. Directeur de la photographie sur Le Nouveau Monde, The Tree of Life et A la merveille (en attendant deux nouveaux films qui devraient sortir l'année prochaine), Lubezki a trouvé grâce à Malick une liberté absolue de manipuler la caméra dans toutes les combinaisons imaginables pour un résultat visuel unique, donnant (déjà !) l'impression au spectateur de flotter à côté des personnages. Les deux hommes ont trouvé les conditions d'un terreau créatif inépuisable que très peu d'artistes peuvent obtenir. C'est la raison pour laquelle les films éclairés et cadrés par Lubezki sont si singuliers, l'ambition esthétique qui l'anime étant toujours au service de l'univers du cinéaste. On salive d'avance à l'idée de découvrir prochainement sa première association avec son compatriote Alejandro Gonzalez Inarritu, Birdman, prévu sur les écrans en 2014.

Antoine Jullien 

dimanche 27 octobre 2013

Gravity


"Ébouriffant", "Époustouflant", "Hors du commun"... les superlatifs pleuvent à l'endroit de Gravity et force est de reconnaître qu'ils sont justifiés. Dans la vie d'un spectateur, il est rare de sortir d'une salle et de pouvoir affirmer : "On n'a jamais vu ça au cinéma !". En racontant la survie de deux astronautes (Sandra Bullock et George Clooney), perdus dans l'espace suite à la destruction de leur navette, le cinéaste Alfonso Cuaron a repoussé toutes les limites pour un résultat unique. 

Après le brillant mais trop méconnu Les fils de l'homme dans lequel Cuaron faisait preuve d'une incroyable maestria filmique, le réalisateur dû inventer de nouvelles techniques afin de rendre son odyssée spatiale la plus réaliste possible. Un travail long de quatre années que James Cameron lui-même à qualifié de "plus grand film sur l'espace jamais réalisé", et le monsieur n'est pas le premier venu quand on lui parle de défis technologiques. Gravity est une prouesse absolue, nous immergeant dans le vide intersidéral comme si l'on était le témoin direct de la dérive des deux astronautes. Un réalisme proprement hallucinant au point qu'on ne doute jamais de ce que l'on voit à l'écran. Cuaron a respecté scrupuleusement les conditions de l'environnement spatial, notamment l'absence de son qui décuple en intensité les nombreuses séquences spectaculaires du film. 

Sandra Bullock et George Clooney

On est littéralement embarqué dès le plan séquence d'ouverture qui montre dans un premier temps les astronautes au travail, puis l'arrivée de la catastrophe et la dérive de Sandra Bullock. Cuaron réussit alors un tour de force, placer sa caméra à l'intérieur du scaphandre de la spationaute afin de nous faire ressentir l'état de panique du personnage. L'utilisation de la 3D renforce cet état immersif en nous plongeant dans l'espace comme très peu de films auparavant. 


Le scénario, écrit par Cuaron et son fils, ne ménage pas ses personnages qui vont devoir faire face à des réactions en chaîne de plus en plus périlleuses. Mais il n'oublie pas pour autant de nous raconter le destin d'une femme qui a perdu son enfant et qui va devoir trouver des ressources insoupçonnées pour rentrer chez elle. Le film se double alors d'une puissante aventure humaine qui voit Sandra Bullock lutter contre l'hostilité de l'espace afin de retrouver sa véritable nature. L'actrice, qui ne nous avait guère convaincu jusqu'à maintenant, trouve le rôle de sa carrière. 

Alfonso Cuaron n'a pas voulu emmener son film vers des sphères métaphysiques ou philosophiques car la comparaison avec le 2001 de Kubrick aurait été trop écrasante. Le cinéaste s'est plutôt interrogé sur la meilleure manière de rendre le cosmos totalement inédit. La performance technique au service d'une folle ambition concrétisée dans ses moindres aspects. Merci, monsieur Cuaron ! 

Antoine Jullien

Etats-Unis / Grande-Bretagne - 1h30
Réalisation : Alfonso Cuaron - Scénario : Alfonso Cuaron et Jonas Cuaron 
Avec : Sandra Bullock (Ryan Stone) et George Clooney (Matt Kowalski).



Le film est disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner Home Video. 


jeudi 24 octobre 2013

9 mois ferme


Albert Dupontel nous revient en grand forme dans ce qui s'annonce d'ores et déjà comme son plus gros succès critique et public. Dans 9 mois ferme, il filme la rencontre entre une juge d'instruction très stricte qui tombe enceinte dans des circonstances rocambolesques, et un cambrioleur que tout le monde prend pour un terrifiant globophage. Sauf que le bonhomme ne sait pas qu'il est le père de l'enfant de la dame à qui il demande de l'aide afin de sauver sa tête... 

La radicalité des premiers films de Dupontel s'est peu à peu amoindrie sans que le réalisateur n'abandonne l'originalité première de son cinéma : le mélange de burlesque trash et de sensibilité qui trouve ici son point d'achèvement. En confiant le rôle principal à Sandrine Kiberlain, le cinéaste ouvre son univers vers davantage de normalité confrontée à l'esprit de sale gosse que l'on aime tant chez lui. Il dirige d'ailleurs l'actrice comme s'il s'agissait d'un "drame rigolo" (dixit le réalisateur), en la faisant jouer des situations absurdes et loufoques avec le sérieux nécessaire. Le talent de Dupontel réside là : faire  une vraie comédie d'un sujet qui prêterait à la sinistrose. 

Albert Dupontel et Sandrine Kiberlain 

Et quelle réjouissance ! Rarement une comédie française nous aura autant fait déclencher nos zygomatiques, et plusieurs moments du film sont déjà cultes. Dupontel pousse les situations jusqu'au bout (les amateurs de gore seront servis!), multiplie les idées de mise en scène à coups de transitions et de mouvements de caméra, met en valeur tous les personnages (mention spéciale à l'extraordinaire Nicolas Marié dans le rôle de l'avocat bègue) avec la complicité de ses camarades (Terry Gilliam, Jan Kounen, Gaspar Noé, Jean Dujardin), et se met, en tant qu'acteur, pour la première fois en retrait. 

Bien que la concision du film (1h22) soit un atout et révèle un art certain du montage, on aurait aimé que la relation entre la juge et le brigand soit un peu plus développée, d'où l'impression d'un final expédié. Mais Dupontel se situe tellement au-dessus de la moyenne dans tous les compartiments du jeu (scénario, réalisation, interprétation) que l'on ne doit pas bouder son plaisir. 

Antoine Jullien

France - 1h22
Réalisation et Scénario : Albert Dupontel 
Avec : Sandrine Kiberlain (Ariane Felder), Albert Dupontel (Bob), Nicolas Marié (Maître Trolos), Philippe Uchan (Juge de Bernard).



Le film est disponible en Blu-Ray et DVD chez Wild Side Video.


mercredi 23 octobre 2013

Bande-annonce de The Grand Budapest Hotel


Les stars ont à nouveau afflué en masse pour participer à la nouvelle excentricité de Wes Anderson. Jugez plutôt : Ralph Fiennes, Adrien Brody, Edward Norton, Jeff Goldblum, Jude Law, Harvey Keitel, Willem Dafoe, Mathieu Amalric, Tilda Swinton et les habitués Bill Murray, Jason Schwartzman et Owen Wilson, réunis au Grand Budapest Hotel

Le film se déroule durant l'entre-deux guerres, où le légendaire concierge d'un grand hôtel parisien et son jeune protégé se trouvent impliqués dans le vol d'un tableau de la Renaissance, le bataille pour une énorme fortune familiale et le lent bouleversement qui transforme l'Europe. 

Les premières images sont alléchantes et la signature de Wes Anderson ne fait aucun doute, renforcée par l'usage du format 1.33, peut-être en hommage au cinéma muet qu'il affectionne. Reste à attendre sa sortie qui n'est pas fixée pour le moment. 




L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet


Avant d'évoquer l'évènement Gravity, en salles aujourd'hui, parlons du septième film de Jean-Pierre Jeunet, L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. Le réalisateur d'Amélie Poulain nous embarque dans le Montana pour nous conter les aventures d'un jeune garçon de 10 ans, T.S. Spivet, parti seul à Washington recevoir le prestigieux prix Baird pour son invention sur la machine à mouvement perpetuel. Mais il cache un lourd secret... 

Jeunet a décidé de tourner ce nouvel opus en 3D, enrôlant pour l'occasion le stéréographe d'Hugo Cabret, Demetri Portelli. Ce n'est pas par coquetterie que le cinéaste s'est emparé de ce nouvel outil mais bien pour imprimer un nouveau souffle à son univers qui commençait à sentir le formol (voir le calamiteux Micmacs à tire-larigot). Le pari est réussi car Jeunet utilise le relief à bon escient, en mettant au premier plan les inventions du jeune Spivet et en donnant plus d'ampleur à ses courtes focales qu'il affectionne tant. Le cinéaste se renouvelle, en partie du moins, grâce au cadre qui l'a choisi, à savoir l'Amérique profonde, et à son protagoniste, un enfant épris de culpabilité qui fuit sa famille. 

Jean-Pierre Jeunet 

On sent bien que Jeunet a voulu éviter les pièges du grand film familial, en injectant de la noirceur et une certaine tristesse au personnage, poursuivi par la mort accidentelle de son frère. De même qu'il n'a pas souhaité réaliser un film trépidant, truffé de rebondissements. L'extravagant voyage du titre est donc trompeur car le périple du bambin ne figure que dans la deuxième partie du récit. D'où le sentiment d'un scénario un peu boiteux, construit en trois temps inégaux. Si la cellule familiale du début est intéressante, la dernière partie à Washington semble trop fabriquée et artificielle pour convaincre. Le cinéaste n'est pas très à l'aise dans cette réconciliation forcée et donne l'impression de ne plus savoir quoi raconter. Jeunet n'as pas réussi la greffe entre le film de commande et l'oeuvre plus personnelle, bien que l'on comprenne aisément les raisons qu'il l'ont poussé à adapter le livre de Reif Larsen. Si le cinéaste a eu la bonne idée de mettre ses tics de côté et qu'il fait montre une nouvelle fois de son talent visuel, il semble constamment se chercher. Comme son jeune protagoniste. 

Antoine Jullien

France / Canada - 1h45
Réalisation : Jean-Pierre Jeunet - Scénario : Jean-Pierre Jeunet et Guillaume Laurant d'après le roman de Reif Larsen 
Avec : Kyle Catlett (T.S. Spivet), Helena Bonham-Carter (Dr. Clair), Judy Davis (G.H. Jibsen), Niam Whilson (Gracie).


vendredi 18 octobre 2013

Les films à voir depuis la rentrée

Mon Cinématographe reprenant l'année en cours de route, un rappel des films à voir depuis la rentrée s'impose.

Blue Jasmine de Woody Allen


On attendait plus Woody Allen à un tel niveau ! Après des bulles récréatives et légères plus ou moins inspirées, il retrouve la maestria, le mordant et la cruauté de Match Point. Les deux films diffèrent à plus d'un titre mais ils ont en commun la même maîtrise du récit, qui voit le présent fauché de Cate Blanchett à San Francisco affronter le passé bling bling de son personnage à New York. 

Alors que le procédé pourrait paraître démodé, Woody Allen lui donne au contraire une puissance sidérante car les deux époques évoquent magistralement toute la complexité du personnage que le cinéaste malmène volontiers tout en lui conférant une part d'humanité qui intrigue tout au long du film. 

Blue Jasmine est un portrait carnassier et terriblement juste de notre époque qui rappelle le talent d'observateur de Woody Allen et sa faculté à ne jamais faire de ses protagonistes des caricatures.  Démarrant vers la comédie, le film vire au noir de plus en plus aigre à mesure que Jasmine s'enfonce dans ses mensonges et ses illusions. Un personnage qui se noie progressivement, incapable de se confronter à la réalité de son existence. Cate Blanchett porte ce personnage à des hauteurs insoupçonnées, incarnant toutes la palette d'émotions qu'un acteur puisse nous procurer. La dernière image, cruelle, nous dit à quel point on a face à nous une très  grande comédienne au service d'une oeuvre majeure et (très) désespérée sur la condition humaine.

Etats-Unis - 1h38
Réalisation et Scénario : Woody Allen 
Avec : Cate Blanchett (Jasmine), Sally Hawkins (Ginger), Alec Baldwin (Hal), Peter Sarsgaard (Dwight), Bobby Canavale (Chili).



Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh 


Il est fort dommage que le public français ait boudé l'ultime opus (vraiment ?) de Steven Soderbergh. Si le cinéaste avait aligné ces dernières années les longs métrages avec un enthousiasme inégal, il signe, avec Ma vie avec Liberace, l'un de ses plus beaux films. 

Evoquant la vie du pianiste Liberace, très connu aux Etats-Unis mais peu dans nos contrées, et son histoire d'amour avec Scott Thorson, Soderbergh transcende la biopic traditionnel en alliant le strass et les paillettes du monde du spectacle dans les années 70, avec tout le kitsch que cela suppose, à la relation sulfureuse et cruelle entre deux hommes qui s'aimaient mais qui ne l'assumaient pas tout à fait. 

La sensibilité dont fait preuve Soderbergh dans sa façon de filmer ses personnages émeut, autant que les deux immenses acteurs qu'il dirige magnifiquement. Michael Douglas et Matt Damon sont dans une symbiose étonnante, complémentaires dans l'exubérance comme dans la retenue. Malgré leurs postiches et leurs costumes improbables, ils nous bouleversent. Voir ces deux comédiens s'impliquer à ce point dans un projet qu'aucun studio ne voulait (le film a été financé par la chaîne HBO) nous interroge sur leur absence au palmarès du dernier festival de Cannes.

Etats-Unis - 1h59
Réalisation : Steven Soderbergh - Scénario : Richard LaGravenese d'après le livre de Scott Thorson et Alex Thorleifson 
Avec : Michael Douglas (Liberace), Matt Damon (Scott Thorson), Rob Lowe (Dr. Jack Startz), Dan Aycroyd (Seymour Heller), Scott Bakula.



La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche 


Vous n'entendrez pas dans ces colonnes le mot "chef d'oeuvre" tellement galvaudé et repris à longueur d'articles pour évoquer La vie d'Adèle. On ne passera pas non plus sous silence les méthodes du cinéaste (voir article plus bas). On dira simplement que le cinquième long métrage d'Abdellatif Kechiche est un bon, peut-être même un très bon film qui réussit le prodige de nous emporter avec l'histoire d'amour de deux jeunes filles sans que les trois heures de projection ne se fassent sentir. 

La vérité que le cinéaste cherche par tous les moyens à capter n'est pas nouvelle dans sa filmographie mais il la pousse à son paroxysme, en filmant les corps comme de la matière (voir les innombrables plans sur la bouche d'Adèle), particulièrement lors de plusieurs scènes de sexe tant décriées qui interpellent par leur durée et leur filmage à la limite de la pornographie. 

On peut en revanche reprocher au cinéaste son approche assez sommaire des milieux sociaux et son parti pris trop évident vers le personnage d'Adèle (la révélation Adèle Exarchopoulos) qui incarne l'enseignement, donc la transmission du savoir, la générosité et l'écoute vers l'autre alors qu'Emma (Léa Seydoux) en est réduite à une figure d'artiste égoïste et dictatoriale (un portrait en creux du cinéaste ?) qui se complaît dans l'artificialité du milieu de l'art. Certes, le film n'est pas aussi schématique, mais il dessine un monde binaire que vient contrarier les comédiennes qui emportent tout sur leur passage, notamment lors d'une séquence de retrouvailles inouïe d'intensité.

France - 2h57
Réalisation : Abdellatif Kechiche - Scénario : Abdellatif Kechiche et Ghalya Lacroix d'après la bande-dessinée de Julie Maroh
Avec : Adèle Exarchopoulos (Adèle), Léa Seydoux (Emma), Salim Kechiouche (Samir), Catherine Salée (la mère d'Adèle), Aurélien Recoing.



La Danza de la Realidad d'Alejandro Jodorowsky


Le réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky est un cas unique. Cinéaste de films complètement barrés dans les années 60-70 (La Montagne sacrée et El Topo), auteur de bandes dessinées dont L'Incal coécrit avec Möebius, metteur en scène de théâtre, il nous revient avec La Danza de la Realidad qui évoque son enfance au Chili dans les années 30 et le parcours de son père jusqu'à la rédemption. 

Influencé autant par Fellini que par les surréalistes, Jodorowsky peuple son monde de freaks attachants et se permet toutes les audaces, comme celle de transformer sa mère en chanteuse d'opéra ou de réaliser un film d'époque avec les tenues d'aujourd'hui. Si visuellement, le film n'est pas toujours à la hauteur, il nous chamboule, secoue nos habitudes de spectateur et nous conforte dans l'idée que le cinéma est un art total et qu'il doit fuir tous les conformismes. Qu'un artiste de 82 ans soit l'un des seuls à nous le rappeler est à la fois triste et terriblement beau.

Chili / France - 2h10
Réalisation et Scénario : Alejandro Jodorowsky 
Avec Brontis Jodorowsky (Jaime), Pamela Flores (Sara), Jeremias Herskovits (Alejandro enfant).



Prisoners de Denis Villeneuve


Pour son premier film aux Etats-Unis, le cinéaste québécois Denis Villeneuve, auréolé grâce à Incendies, frappe fort. Prisoners a été maladroitement comparé à des classiques du genre (du Silence des Agneaux à Mystic River) alors qu'il possède une véritable personnalité, faisant déjà partie des thrillers de référence. 

S'attachant à dépeindre les conséquences engendrées par l'enlèvement de deux fillettes du point de vue des parents comme celui de l'enquêteur, Prisoners brise les frontières entre le bien et le mal et parvient à devenir suffocant à mesure que le suspense s'installe. Filmant méticuleusement l'univers brumeux et trempé d'une petite ville américaine, Denis Villeneuve ne s'embarrasse pas d'effets de manche, concentrant sa mise en scène sur les visages de ses acteurs et sur les nombreux rebondissements du scénario. La tension sourde que le cinéaste arrive à faire naître ne se dissipera jamais, plongeant le spectateur dans un état de peur et d'effroi permanent. Une très grande réussite, qui voit des comédiens comme Hugh Jackman, parfois sous employés, faire preuve d'une présence saisissante. Incontournable. 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h33
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Aaron Guzilowski 
Avec : Hugh Jackman (Keller Dover), Jake Gyllenhaal (Detective Loki), Maria Bello (Grace Dover), Paul Dano (Alex Jones), Melissa Leo.

mercredi 16 octobre 2013

Le cinéma, un art collectif


Mon Cinématographe reprend l'année en cours et il s'est est passé des choses ces derniers mois, de la nouvelle convention collective signée entre les mastodontes de la production et plusieurs syndicats, à la divulgation des coulisses du tournage de La vie d'Adèle en passant par la mort de Patrice Chéreau.

Les grands créateurs disparaissent, le métier tend à se précariser, les méthodes (contestables) d'un cinéaste éclatent au grand jour, autant de nouvelles qui rendent bien compte de l'aspect kaléidoscopique du cinéma dans lequel les réalisateurs ne seraient rien sans leurs techniciens et qui rappellent à chacun que le cinématographe est d'abord un art collectif.

On salue, à juste titre, la disparition du réalisateur de La Reine Margot en n'oubliant pas de mentionner la galerie de grands comédiens qui ont travaillé avec lui et qui ont nourri son travail, de même que sa collaboration avec des personnes tel que Claude Berri, Danièle Thompson où le chef opérateur Eric Gautier n'est certainement pas pour rien dans la réussite de ses films.

Qu'Abdellatif Kechiche ait ses propres méthodes pour diriger ses acteurs, soit, qu'il malmène ses techniciens et manipule à sa guise les règles d'un tournage n'est pas une chose acceptable, malgré ses qualités de cinéaste. Le grand démiurge créateur, personnifié par Kubrick ou Orson Welles, aura toujours besoin d'un cadreur, d'un monteur, d'un ingénieur du son. On a tendance à négliger trop souvent la fabrication des films en se concentrant uniquement sur le film lui-même.

Quant à la nouvelle convention collective signée le 8 octobre dernier, qui avait pour but de fixer les rémunérations des techniciens, elle semble aller davantage vers le compromis entre les gros producteurs et les plus fragiles qui voyaient dans ce texte la mise à mort de leurs futurs projets car il prévoyait des surcoûts qui pouvaient mettre à mal la concrétisation de certains films. Un équilibrage bienvenu qui permettra, on l'espère, de réduire le fossé parfois gigantesque entre les très gros films (entre 30 et 50 millions d'euros de budget) et les tous petits (moins d'1 million).

Mon Cinématographe - Le retour

Après plus d'un an d'absence, Mon Cinématographe revient avec une nouvelle formule plus proche du blog tel que je me l'imagine.

Plus d'impressions, d'humeurs, de coups de coeur et de coups de gueule, et surtout une plus grande ouverture vers les séries et les programmes web, des critiques plus concises et un tempo plus libre par rapport à l'actualité cinématographique.

Un journal de bord, en somme, que je vous invite à partager et à faire partager !

Bienvenue !