mercredi 30 novembre 2011

Donoma


Il ne suffit pas de vouloir, encore faut-il avoir quelque chose à dire. Avec Donoma, son premier long métrage, Djinn Carrénard confirme que la débrouillardise et le système D doivent nécessairement s'accommoder d'un minimum de talent et d'invention. Avec un sens très sûr de la formule, affirmant que son film n'a coûté que 150 euros, il a réussi à provoquer un véritable buzz sans les moyens habituels de la production cinématographique. Il vient surtout de faire souffler un vent de liberté dont notre cinéma hexagonal a bien besoin. 

Trois histoires de couples. Une enseignante s'engage dans une relation ambiguë avec l'un de ses élèves. Une jeune femme décide de sortir avec le premier homme venu. Une autre, agnostique, va être amenée à se poser des questions sur la religion chrétienne. Toutes ces histoires trouvent une symbolique dans le lever du soleil qui donne son nom au film : Donoma (Le jour est là). 

Emilia Derou-Bernal 

Muni de sa seule caméra, sans lumière ni autres artifices, Djinn Carrénard filme ces couples qui se font et se défont en malmenant brillamment les clichés. Le réalisateur parle de guérilla, ce sont en effet des affrontements que l'on voit à l'écran. Une prof qui manipule son élève avant de se faire manipuler à son tour,  une femme qui joue avec un inconnu jusqu'à ce que le jeu lui devienne insupportable, le cinéaste retourne habilement les situations, transformant la victime de la veille en bourreau du lendemain. Une intensité qui va crescendo et qui renvoie à la réalité crue des rapports humains où le dominant et le dominé ne sont pas forcément ceux que l'on croit. 

Salomé Blechmans

Une parade des sentiments qui touche profondément par la justesse des personnages. Les comédiens, tous stupéfiants, ne tombent pas dans l'improvisation gratuite qui, sous ses airs de "faire vrai", sonne terriblement creux. Le réalisateur les filme comme ils sont, sans fioritures, dans leur vérité propre. Violents, aimants, jaloux, lâches, misérables, généreux, ils sont tout cela à la fois au gré de séquences inégales qui auraient peut-être mérité d'être raccourcies au montage mais qui apportent une densité dramatique indéniable. 

La qualité et la finesse du scénario ne doivent cependant pas entièrement excuser les faiblesses techniques qui sont à la fois l'atout et la limite du film. Si elles renvoient à une spontanéité qui correspond à l'ambiance souhaitée par le cinéaste, elles desservent aussi certaines séquences. On en viendrait même à conseiller au jeune réalisateur de prendre quelques cours de mise au point tant la médiocrité de celle-ci semble davantage due à des maladresses qu'à une réelle volonté artistique. Heureusement, l'essentiel est ailleurs. Avoir su réaliser un film choral sans les pièges inhérents au genre et traiter pertinemment de religion et des différents milieux sociaux prouvent qu'un vrai cinéaste est né, curieux et lucide sur le monde qui l'entoure. Souhaitons-lui une longue route. 

Antoine Jullien


DONOMA : Bande Annonce courte par Donoma

The Lady


Les films se suivent et puisent invariablement leur "inspiration" dans les histoires vraies. Pas une semaine sans qu'un long métrage proclame haut et fort son ancrage dans l'actualité comme s'il s'agissait forcément d'un gage de qualité. Luc Besson, roublard, a du se dire la même chose lorsqu'il reçut le script de The Lady des mains de Michelle Yeoh. La comédienne a convaincu le réalisateur de porter à l'écran le combat de l'opposante birmane Aung San Suu Kyi. Il aurait mieux fait de s'abstenir.

Le film raconte plus exactement l'histoire d'amour entre la résistante et le britannique Michael Arris (David Thewlis) nourrie de séparations, de retrouvailles, d'isolement et d'absence. Jugeant l'engagement de sa femme et sa lutte pour la démocratie plus importants que tout, l'homme ne cessera de la soutenir, jouant même un rôle déterminant dans sa reconnaissance internationale et dans l'attribution de son prix Nobel de la Paix.

Michelle Yeoh

Le prologue donne une bonne idée de la tonalité du métrage : un homme raconte à sa petite fille l'histoire de son pays. Au début, la Birmanie était une belle nation prospère avant que de méchants hommes ne viennent tout détruire. Ce cours d'écolier, Luc Besson va l'appliquer à la lettre. L'homme en question n'est autre que le père de Aung San Suu Kyi qui fut assassiné par les militaires en 1947. Grâce à lui, sa fille va poursuivre le combat de tout un peuple. Une telle introduction, désarmante de naïveté, le réalisateur la filme avec ses gros sabots habituels. Ralentis, musique envahissante, gros plans sur des vilains très vilains, toute l'artillerie du réalisateur est en marche. Et ne fait que commencer.

David Thewlis

Car la suite ne sera guère plus satisfaisante. Focalisant son récit sur la relation entre la combattante birmane et son mari, Luc Besson oublie totalement de nous parler des enjeux politiques et historiques. Sa représentation de la junte birmane est digne d'une mauvaise bande dessinée, filmée à gros traits sans la moindre nuance. Les protagonistes qui gravitent autour de notre couple de héros en sont réduits à de vagues silhouettes qui parlent le plus souvent anglais. Michelle Yeoh, qui espère tant décrocher l'Oscar pour son interprétation sobre comme il faut, ne daigne parler le birman que lors de grands discours enflammés. Luc Besson pousse le cynisme assez loin quand l'actrice demande à l'un des militaires birmans : "Parlez-vous l'anglais ?" Cette réplique suffit à résumer l'état d'esprit du cinéaste.

Le combat d'Aung San Suu Kiy est admirable. Face à la dictature et à la corruption de quelques hommes asservissant leur population dans un implacable bras de fer totalitaire, elle force l'admiration. Luc Besson n''était tout simplement pas le cinéaste approprié pour raconter une vie qui méritait tellement plus de hauteur de vue que la vision simpliste et idéalisée qu'il nous assène. Engoncé dans la révérence béate, il signe un film terriblement académique formellement qui le ramène au pire du cinéma mainstream, prenant le spectateur comme un enfant à qui on sert une soupe trop indigeste. Amnesty International se réjouit que le film soit "un hommage vibrant à une défenseure des droits humains emblématiques". Si le combat d'Aung San Suu Kiy y gagne en médiatisation, le cinéma, lui, perd sur toute la ligne.

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez EuropaCorp.

mercredi 23 novembre 2011

Time Out


Andrew Niccol est un électron libre qui a eu plus d'une fois mailles à partir avec les studios. Si son précédent long métrage, le percutant Lord Of war, s'était monté sans l'appui des majors, le cinéaste revient dans le berceau du système avec la science-fiction qui avait marqué ses débuts de réalisateur grâce au magnifique Bienvenue à Gattaca. Un pitch accrocheur, un couple de comédiens sexy, une ambiance rétro-futuriste à souhait, Time Out avait de quoi séduire. Mais le produit final penche davantage vers une honorable série B que le grand film d'anticipation espéré. 

Bienvenue dans un monde où le temps a remplacé l'argent. Génétiquement modifiés, les hommes ne vieillissent plus après 25 ans. A partir de cet âge, il faut gagner du temps pour rester en vie. Alors que les riches accumulent leur temps par dizaine d'années, les autres qui font partie du "ghetto" doivent emprunter ou voler quelques heures qui leur permettront de survivre. L'un d'entre eux, accusé à tort de meurtre, prend en otage la fille d'un milliardaire qui va devenir son alliée. 

Justin Timberlake et Amanda Seyfried 

Le sujet renvoie à deux tendances persistantes de notre société : son capitalisme sauvage et son obsession du jeunisme. En choississant Justin Timberlake et Amanda Seyfried pour camper le couple de fugitifs, Andrew Niccol a fait preuve de malice. Avatars de jeunes gens beaux et lisses, ils personnifient parfaitement les créatures artificielles et sans vie qui peuplent le monde du cinéaste. Malheureusement, les deux comédiens se retrouvent vite limités et sont incapables d'apporter la moindre part de mystère à leurs personnages. 

Après sa première demi-heure entraînante qui pose clairement les enjeux, Andrew Niccol ne semble plus quoi faire de son histoire. Au lieu de traiter des thématiques fortes, il transforme son récit en une banale course-poursuite aux dialogues appuyées et aux situations attendues. L'étrangeté des décors et l'élégance feutrée de la mise en scène font retrouver au long métrage un souffle intermittent qui se dilapide dans de prévisibles péripéties scénaristiques. Malgré la présence d'intéressants seconds rôles dont Vincent Kartheiser (remarqué dans la série Mad Men) en magnat inhumain, Time Out perd toute l'originalité que son début laissait augurer, se classant comme un énième film de science-fiction que l'on risque d'oublier très vite. Il est loin le temps de la beauté et de la mélancolie de Gatacca... 

Antoine Jullien 



DVD et Blu-Ray disponibles chez 20th Century Fox

Le Stratège


Un film sur le baseball ? Ce sport typiquement américain, que mêmes nos amis anglo-saxons ne comprennent pas toujours, n'avait a priori aucune chance d'attirer le public français. D'ailleurs, le studio distributeur du film, Sony Pictures, n'a pas jugé bon d'en faire la promotion. Malgré sa sortie discrète, Le Stratège est une excellente surprise mais son générique prestigieux aurait déjà dû nous alerter : Bennet Miller, le remarqué cinéaste de Truman Capote aux commandes, Steven Zaillan et Aaron Sorkin, les auteurs des scripts de La liste de Schindler et The Social Network, au scénario, et Brad Pitt dans le rôle principal. Cette somme de talents vient de réaliser l'un des meilleurs films du genre. 

Le long métrage est inspiré d'une histoire vraie, celle de l'atypique manager de l'équipe de Oakland, Billy Beane, qui, confronté à une pénurie de joueurs attirés par les grands clubs et les gros salaires, va s'appuyer sur les théories statistiques de Peter Brand, un économiste issu de Yale. Cette association contre-nature révolutionnera les us et coutumes du baseball, donnant à des joueurs sous-évalués la possibilité d'une deuxième chance. Une démarche payante puisque les Oakland Athletics battront le record de victoires en championnat. 

Brad Pitt et Jonah Hill 

Raconter le sport en ne filmant que les coulisses, voilà un pari audacieux. A l'image de Billy Beane, reclus au vestiaire, qui ne veut (ou ne peut) assister aux matchs de son équipe, Le stratège avance à contre-courant. Bennet Miller s'est attaché à nous montrer les rouages d'un milieu où l'argent règne en maître, réglant de manière ahurissante les transferts, où les luttes d'influences et la pression des résultats accentuent le conflit entre les générations, les anciens contre les modernes. En bouleversant les habitudes, Billy Beane assume cet affrontement inéluctable car il est persuadé que seul sa nouvelle méthode permettra à son équipe de sortir la tête de l'eau. 

Son pouvoir de conviction gagne très rapidement le spectateur qui se trouve captivé devant ces échanges parfois musclés où l'ironie est toujours présente grâce à la plume aiguisée d'Aaron Sorkin qui offre aux personnages des répliques savoureuses, une partition idéale pour un casting haut de gamme dont se détache l'étonnant Jonah Hill et le taiseux Philip Seymour Hoffman. Mais le film n'atteindrait pas cette dimension sans le fascinant charisme de Brad Pitt. Le comédien confirme, film après film, sa place de plus en plus singulière dans le cinéma mondial. Incarnant Billy Beane avec une apparente décontraction, le comédien ne cherche jamais à glorifier son personnage, le rendant très (trop ?) humain par ses comportements et ses attitudes discutables. Son engagement et sa passion ne révèleront pas le mystère de ce personnage qui recherche autre chose qu'une victoire, un but impalpable que l'épilogue, en forme de pied de nez, ne laissera pas d'intriguer. 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Sony Pictures Entertainment.

mercredi 16 novembre 2011

L'ordre et la morale


Ne vous fiez pas au titre où à l'affiche qui voit Mathieu Kassovitz, tête baissée, tenir dans ses mains le drapeau français. Cet emballage pompeux pourrait être reproché au cinéaste qui s'est maintes fois fourvoyé dans le passé. Mais en racontant un sujet polémique en gommant le manichéisme facile, Kassovitz convainc. Il était temps. 

Avril 1988, île d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Trente gendarmes sont retenus en otage par un groupe d'indépendantistes kanak. Philippe Legorjus, capitaine du GIGN, est chargé de dialoguer avec Alphone Dianou, le chef des preneurs d'otages. Mais en pleine période présidentielle, les enjeux politiques dépassent de loin la réalité du terrain. 

Mathieu Kassovitz

Contrairement à ce que l'on pouvait légitiment craindre, Mathieu Kassovitz ne se pose pas en donneur de leçons. Son scénario, bien charpenté, laisse la parole aux deux parties en présence avec au milieu d'eux Philippe Legorjus qui va tenter de trouver une solution pacifique. Etablissant une relation de confiance avec Alphonse Dianou, il va peu à peu se heurter au ministre de la Défense de l'époque, Bernard Pons, et aux principaux généraux de l'armée. Le cinéaste filme sobrement les réunions avec le ministre et son état-major où la morale doit s'effacer devant la raison d'état. 


Film de guerre, L'ordre et la morale ne se complait pas dans un déferlement d'action. Si la direction d'acteurs alourdit des dialogues caricaturaux et que les empreints à Apocalypse Now sont un peu trop voyants (ah, le ventilateur dans la chambre du héros !) Kassovitz fait preuve, à deux reprises, d'une virtuosité qui sert son récit. Lors du flash-back sur l'attaque des kanaks dans la gendarmerie d'Oueva filmé dans un élégant plan séquence et l'assaut final que le cinéaste a eu l'intelligence de tourner de manière subjective et donc suggestive, en collant sa caméra à Legorgus et ses hommes lors de leur avancée dans la jungle. Une juste façon de ne pas raconter la vérité mais bien le point de vue de l'un des protagonistes essentiels de l'histoire. 

En se donnant le rôle du capitaine du GIGN, l'acteur Kassovitz dévoile son humanité mais aussi sa faiblesse. Considéré aujourd'hui comme un traître par de nombreux kanaks, le militaire voit le combat politique qui se joue à Paris lui échapper, ne se montrant pas capable de trouver une issue positive au conflit. Kassovitz en profite pour faire intervenir le fameux débat télévisé entre Chirac et Mitterrand qui est bien le révélateur du climat politique de l'époque et du rôle néfaste qu'à pu jouer la cohabitation dans cette affaire. Trouvant un souffle et une ampleur encore inédits dans son inégale filmographie (à l'exception de La Haine), Mathieu Kassovitz réalise un film intense et prenant auquel le son régulier des Tambours du Bronx vient chahuter les zones d'ombre de notre mémoire nationale. 

Antoine Jullien

DVD et Blu-Ray disponibles chez UGC Vidéo.



A l'occasion de la sortie de L'ordre et la morale, Mathieu Kassovitz s'est autorisé à diffuser le making-of jusqu'à présent inédit de Babylon A.D, son précédent long métrage. Intitulé Fucking Kassovitz, le document est un témoignage pris sur le vif d'un tournage qui s'est révélé être un véritable cauchemar. 

Budget en-dessous des exigences du cinéaste, caprices à répétition de Vin Diesel qui refuse de tourner les scènes de combat, organisation chaotique, manque de préparation, la caméra de François-Régis Jeanne a suivi pendant vingt-deux semaines les coulisses de cette superproduction qui s'est terminée dans un grand n'importe quoi, où Kassovitz faillit être renvoyé par l'équipe américaine de la star. Si le cinéaste essaye de se faire passer pour la grande victime, ses nombreux coups de gueule et son attitude vis-à-vis de son équipe montrent un réalisateur totalement dépassé par son entreprise. Après Lost In La Mancha, voici un making-of rare d'un film qui, lui, a pu voir le jour. Désespérant mais très instructif. 


FUCKING KASSOVITZ par MathieuKassovitz

Contagion


Le film de Steven Soderbergh est à regarder selon votre degré d'hypocondrie. En filmant la propagation d'un virus à la vitesse grand V, le réalisateur de Traffic a voulu rendre compte d'une possible pandémie avec un souci manifeste de réalisme. A moins d'être vacciné contre toute forme de maladie, il est difficile de ne pas se sentir concerné tant le caractère anxiogène du film est d'une redoutable efficacité. 

Après un séjour à Hong-Kong, une femme (Gwyneth Paltrow) rentre aux Etats-Unis retrouver son mari (Matt Damon) et son fils. Prise de malaise puis de convulsions, elle meurt quelques heures plus tard. Des milliers de cas sont recensés et les morts s'accumulent. La contagion est en marche et semble inexorable. 

Matt Damon

Depuis plusieurs films, Soderbergh a abandonné le 35 mm au profit de la caméra numérique Red. Mais c'est avec Contagion que le cinéaste en fait l'utilisation la plus pertinente. Accentuant ce réalisme froid et terriblement angoissant, la caméra scrute les visages, les rues désertes, les malades par dizaine en mêlant à la fiction une impression de reportage renforcée par la distance que met Soderbergh dans le traitement de son sujet. Aucun héroïsme ni sensiblerie ne viennent perturber une pandémie qui a pourtant comme ressort quelques clichés bien tenaces. Elle provient d'Asie et seuls les Américains semblent touchés par elle. Sur ce point, le cinéaste ne diffère pas de ses prédécesseurs. 

Laurence Fishburne et Kate Winslet

Là où le réalisateur s'est montré malin est dans l'usage qu'il fait des vedettes à l'écran. Si la pauvre Marion Cotillard, égarée au montage, ne sert malheureusement pas à grand chose, les rôles de Gwyneth Paltrow et Kate Winslet sont plus surprenants. La première disparaît rapidement, Soderbergh osant filmer son cadavre lors d'une sanguinolente autopsie. La seconde semble être un personnage moteur de l'intrigue avant que la maladie ne la rattrape à son tour. Le cinéaste a eu le talent de mêler ce casting de prestige à des acteurs moins connus et l'ensemble finit par trouver une cohérence que son affiche ne laissait pas forcément présager. 

S'entourant d'experts et de scientifiques réputés, Soderbergh veut nous dire qui si un tel virus venait à se propager, cela se passerait probablement de cette manière. Un constat qui fait froid dans le dos et qui peut provoquer d'inquiétantes sueurs froides. On peut regretter que le cinéaste n'aille pas au-delà de cet état de faits, déroulant son récit mécaniquement jusqu'à un happy-end forcé et peu crédible. Mais le film aura réussi une chose : vous passer durablement l'envie de serrer la main de votre voisin ! 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Warner Home Video.

mardi 15 novembre 2011

Billet d'humeur Intouchable


Comment peut-on expliquer un tel triomphe ? Avec cinq millions de spectateurs en à peine quinze jours, Intouchables est en train d'affoler les compteurs. Dépassant déjà le Tintin de Spielberg, le long métrage d'Eric Tolédano et Olivier Nakache pourrait, dans les semaines à venir, devenir le plus gros succès de l'année. Acclamé par une grande majorité de la presse à sa sortie, y compris par des journaux peu enclins à encenser une comédie française, et soutenu par un public aux anges, le film semble recueillir tous les suffrages. Mais devant ce succès inouï qui dépasse un peu l'entendement, quelques voix s'élèvent pour remettre aimablement les pendules à l'heure. 

Pourquoi jouer les rabats-joie, me direz-vous ? Après tout, ça n'est pas tous les jours que la critique et le public se retrouvent devant une oeuvre que beaucoup juge impertinente, politiquement incorrecte et surtout très drôle. Difficile de contester ce dernier point tant la tchatche d'Omar Sy écrase tout sur son passage. Entendre de sa bouche "pas de bras, pas de chocolat" à un François Cluzet tétraplégique ne manque pas de piquant. Dans la première partie, ces ressorts comiques sont réjouissants et il faudrait être d'une mauvaise foi caractérisée pour ne pas le reconnaître. Là où les réalisateurs ont été malins est dans l'appellation "inspiré d'une histoire vraie". En effet, l'histoire d'Intouchables est celle de Philippe Pozzo di Borgo, le dirigeant des champagnes Pomery, et Abdel (Driss dans le film), un jeune des banlieues, rôles tenus dans le film, est-il encore besoin de le rappeler, par François Cluzet et Omar Sy. Ce calquage à la réalité permet au tandem Tolédano-Nakache de s'engouffrer dans la brèche de la dérision sans pouvoir être accusés d'être insultants envers les handicapés puisque Pozzo di Borgo lui-même avait demandé aux auteurs de réaliser une comédie. Et chaque vanne lancée par un Omar hilare à un Cluzet riant de bon coeur met le spectateur dans sa poche. Comment ne pas rire si la "victime" s'esclaffe avec autant de bonheur ? 

Omar Sy et François Cluzet

Si la justesse de leur relation affleure souvent, notamment dans cette réplique de Cluzet : "je l'ai pris parce qu'il est sans pitié" qui résume bien la teneur de leurs rapports, les clichés qui parsèment leur histoire gênent aux entournures. Ni l'un ni l'autre n'ont de véritables failles. François Cluzet (dont la composition quasi immobile est à saluer) souffre physiquement mais arrive à dépasser sa situation de manière admirable, avec un calme olympien. Driss sort de prison mais à part le vol d'un oeuf de Farbergé, le jeune homme passe son temps à "recadrer" les méchants du film : le voisin qui se gare devant l'entrée de la propriété de Philippe, la fille de ce dernier, l'archétype de l'enfant gâtée insupportable, et son frère qui est mêlé à des trafics. 

Cette gentillesse pleine de bons sentiments n'est pour le coup pas la marque d'une grande audace. Et le politiquement correct reprend vite ses droits lorsque Driss se moque systématiquement des goûts culturels de Philippe. Art contemporain, opéra effeuillé en allemand (la scène est, il est vrai, assez irrésistible), musique classique, tout est tourné en ridicule de manière assez primaire alors que l'univers de Driss, lui, nourri de rap et de soul, est tellement plus cool. Un message subliminal mais néanmoins bien présent se glisse alors : l'art élitiste exigent n'est que ringardise alors tout ce qui est accessible et populaire est tellement mieux. Les cinéastes font même preuve d'un certain cynisme car l'art contemporain, si vilipendé, va permettre à Driss de toucher une petite fortune. L'argent roi ne pose d'ailleurs pas de cas de conscience aux personnages tant les biens matériels de Philippe (hôtel particulier, jet privé, voiture de sport...) sont acceptés bien volontiers par Driss sans qu'il ne les remette nullement en question. Là où le bat blesse, c'est ce que ce personnage n'évolue pas au fur et à mesure de l'intrigue. Autant on voit bien ce que Driss apporte à Philippe, autant le contact avec le milliardaire ne change pas vraiment la perception du jeune homme. 


Pinaillage, mauvais esprit, décorticage stérile, peut-être. Mais sous ces aspects de divertissement sympathique, le film nous dit bien quelque chose. Une grande majorité retiendra la complicité qui unit ces deux hommes et le message d'espoir filmé sans effusion de larmes ni pathos dégoulinant. Une faible minorité trouvera cette dérision un peu fatigante délivrant au final un propos extrêmement rassurant et réconfortant sur notre société où deux mondes qui dans la vraie vie s'ignorent vont s'épauler pour la plus grande satisfaction du public. Qui en redemande. 

Antoine Jullien 



DVD et Blu Ray disponibles chez Gaumont Vidéo. 

samedi 12 novembre 2011

Rencontre avec Jean-Paul Rappeneau


A l'occasion du festival d'Arras, le réalisateur Jean-Paul Rappeneau a donné une leçon de cinéma animée par le journaliste et critique Michel Ciment. Revenant film par film sur sa carrière menée sous le signe de la comédie et du mouvement, le réalisateur a d'abord évoqué sa jeunesse provinciale et la guerre qui fut "la grande histoire de son enfance". Découvrant un soir au théâtre Hamlet, il eut soudain l'envie de devenir comédien. Mais c'est à la fin des années 40 lorsqu'il découvrit Citizen Kane d'Orson Welles que naquit son amour pour le cinéma. 

Après de brèves études de droit, le futur cinéaste devient assistant réalisateur, une expérience qui selon lui, "n'a pas grand chose à voir avec le métier de metteur en scène." Puis Louis Malle, le premier, lui demande de venir l'épauler sur l'adaptation de Zazie dans le métro. Par la suite, Rappeneau collabora en tant que scénariste à plusieurs films d'Alain Cavalier et Philippe De Broca. 

C'est en 1965 qu'il décide de se jeter à l'eau en réalisant La vie de château avec Philippe Noiret et Catherine Deneuve. Comédie ayant pour toile de fond l'occupation allemande, le film permet à Rappeneau de révéler son penchant pour les situations cocasses qu'il n'aura de cesse de mettre en scène dans ses oeuvres ultérieures : Les mariés de l'an II, Le Sauvage, Tout feu, tout flamme, Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit et Bon Voyage, son film le plus personnel. 

Gregori Derangère et Isabelle Adjani dans Bon Voyage (2003)

Sept longs métrages en près de cinquante de carrière, un rythme d'escargot que Rappeneau explique par  de nombreux projets avortés ou abandonnés, notamment celui qu'il devait tourner en 2010 et intitulé Liaisons étrangères qui a été brutalement interrompu à quatre semaines du tournage car le budget devenait trop élevé. 

Jean-Paul Rappeneau 

Evoquant ses difficultés d'adaptation sur Cyrano, le cinéaste s'est permis quelques libertés avec la pièce, aidé par son co-scénariste Jean-Claude Carrière.  Il a également su éviter le piège de la théâtralité par son obsession du mouvement et "le bonheur du travelling" qui demeure l'une de ses figures de style favorites. Il en a profité pour confier au public arrageois que le siège d'Arras dans le film avait été en réalité tourné à Budapest ! 

Enfin, il s'est longuement entretenu sur son rapport avec les comédiens. Persuadé que le bon casting contribue grandement à la réussite d'un film, il a privilégié les stars : Deneuve, Adjani, Binoche. Malgré des relations tendues avec Yves Montand sur Le Sauvage, le cinéaste collabora de nouveau avec l'acteur sur Tout feu, tout flamme six ans plus tard. Mais le réalisateur a aussi exprimé ses regrets dont celui d'avoir choisi Olivier Martinez pour le rôle d'Angelo dans Le Hussard sur le toit. Moquant avec une certaine délectation l'accent du comédien, Rappeneau avait failli à l'époque le doubler avant d'y renoncer. Quant à Gérard Depardieu auquel un hommage a été rendu récemment à l'institut Lumière en présence du cinéaste, celui-ci a dit toute son admiration pour l'ogre du cinéma français tout en reconnaissant que Cyrano devait être l'un des derniers films dans lequel le comédien avait appris son texte ! 

Gérard Depardieu dans Cyrano De Bergerac (1990) 

Réalisateur méthodique, scrupuleux mais aussi facétieux et plein d'humour, Jean-Paul Rappeneau est une figure originale de notre paysage cinématographique hexagonal, auteur de grands spectacles populaires de qualité qui prouvent que le divertissement, lorsqu'il est nourri avec passion et intelligence, est un art noble.

Antoine Jullien

Festival international du film d'Arras jusqu'au 13 novembre.
Retrouvez le programme du festival ici.
Renseignements :  http://www.plan-sequence.asso.fr/festival.php

mercredi 9 novembre 2011

Toutes nos envies


Philippe Lioret est en train d'occuper une place à part dans le paysage français, poursuivant dans la veine d'un cinéma en proie aux réalités sociales d'aujourd'hui mais empreint d'un romanesque diffus. Si ses personnages se battent contre un système, leur combat est toujours lié à un affection personnelle. Dans Welcome, Vincent Lindon, en aidant le jeune réfugié, cherchait à reconquérir sa femme. Dans Toutes nos envies, librement adapté du roman d'Emmanuel Carrère D'autres vies que la mienne, le cinéaste tend vers davantage de sentimentalité tout en conservant sa pudeur si caractéristique. 

Claire, jeune juge au tribunal de Lyon, rencontre Stéphane, juge chevronné et désenchanté. Elle décide de l'entraîner dans son combat contre le surendettement dont est victime une jeune femme. Mais elle doit aussi lutter contre une tumeur au cerveau qui ne lui laisse plus beaucoup de temps...

Marie Gillain

Lioret a cette capacité étonnante de "fabriquer" des drames en sourdine. Ni hurlements ni torrents de larmes dans cette histoire qui a pourtant tous les attraits du mélo. En faisant confiance à ses personnages dont on peut difficilement ne pas s'identifier, Lioret ne cherche nullement à apitoyer mais à donner une dignité à ces êtres qui se battent pour des causes qu'ils croient justes. Si le film est moins ouvertement engagé que le précédent, il nous parle à bon escient d'une société qui asphyxie des personnes de bonne volonté sans la moindre considération humaine. Le cinéaste ne juge pas, il filme une mécanique judiciaire que Claire et Stéphane vont tenter de bousculer et qu'ils vont finir par dynamiter. 

Philippe Lioret sur le tournage avec Marie Gillain et Vincent Lindon 

Le réalisateur a toujours su établir les bons castings et celui-là ne relevait pas de l'évidence. En confiant ce personnage de femme libre et déterminée à Marie Gillain, Lioret casse l'image trop juvénile que l'on avait de la comédienne en la filmant frontalement, sans artifices. L'actrice renaît sous nos yeux et Vincent Lindon accompagne superbement cette renaissance. Si l'acteur ne se départit pas de ses rôles d'hommes entiers et secrets, il apporte un supplément d'humanité, se montrant chaleureux et tendre comme rarement il a été à l'écran. 

Le long métrage nous raconte une histoire d'amitié qui n'en est pas tout à fait une, où une forme incertaine d'amour surgit au détour d'un plan, d'un regard. Lioret conduit son récit avec la maîtrise qu'on lui connaît, ne cherchant pas une virtuosité vaine, attaché à coller à ses protagonistes en ne perdant rien de leurs réactions, contradictoires parfois, sincères et touchantes le plus souvent. Cette précision d'orfèvre, que l'on ne peut s'empêcher de comparer à celle de Claude Sautet, pourrait être aussi la limite du film. A trop vouloir contrôler le scénario et la mise en scène, le cinéaste risque de réfréner son intrigue en ne lui laissant pas des moments d'échappements bien venus. Mais son savoir-faire indéniable lui permet de rester en équilibre entre la maladie de Claire et l'épreuve judiciaire qu'elle traverse. Et le cinéaste en profite pour parsemer son récit de détails qu'on n'oublient pas, comme l'odeur du parfum de Claire caché dans le creux de ses seins ou cette réplique qui résume à elle seule la teneur du film : "J'ai adoré ça, vous rencontrer". 

Antoine Jullien 



DVD et Blu-Ray disponibles chez Warner Home Vidéo.

mardi 8 novembre 2011

Une Séparation en DVD


Avec près d'un million d'entrées, Une Séparation est un phénomène que personne n'aurait pu prévoir. Porté à sa sortie par une presse unanime, lauréat de l'Ours d'or au festival de Berlin, le film d'Ashgar Farhadi était une production iranienne, tournée en persan avec des comédiens inconnus. Mais la force incroyable qui se dégage du film, sa finesse et son extraordinaire densité ont captivé les spectateurs. A l'occasion de sa sortie en DVD et Blu-Ray, revenons sur ce grand film à travers les bonus de cette édition. 

Le complément le plus intéressant est une interview du réalisateur menée par le critique N.T. Binh. Malgré sa durée un peu trop courte (15 mn), l'entretien nous révèle de précieuses clefs sur le travail de Farhadi. Il revient d'abord sur sa mise en scène qu'il juge plus élaborée que ses précédents longs métrages. Ayant la volonté que le spectateur ne ressente ni réalisateur, ni caméra, le cinéaste a délibérément opté pour une approche documentaire des évènements en accordant une importance cruciale à chaque détail, les indices disséminés tout au long du récit renvoyant même au film policier. Il nous révèle également que le personnage de Termeh, la fille de Simin et Nader, est interprété par sa propre fille. Analysant avec pertinence la première scène saisissante chez le juge qu'il compare aux Scènes de la vie conjugale de Bergman, Fahradi parle aussi de son travail intense avec les comédiens (tous admirables) et se réjouit que son film puisse, comme il le dit, "avoir autant d'interprétations que de spectateurs." 


Asghar Farhadi recevant l'Ours d'or lors du festival de Berlin © Memento Films

Dans les autres bonus, vous découvrirez la cérémonie de remise des prix à la Berlinale où l'on voit le cinéaste remercier chaleureusement ses pairs, une revue de presse des critiques les plus dithyrambiques, les habituelles bandes annonces sans oublier un livret de 24 pages qui est un entretien entre Asghar Farhadi et Michel Ciment. 



A noter que les deux précédents longs métrages du cinéaste, La fête du feu et A propos d'Elly, sortent simultanément en DVD.

Antoine Jullien

Une Séparation en DVD et Blu-Ray chez Memento Films Distribution.
Retrouvez la critique du film ICI.

lundi 7 novembre 2011

Festival d'Arras


PROGRAMME 

Jusqu'au 13 novembre se tient le festival d'Arras qui fête cette année sa douzième édition. Ardent promoteur du cinéma européen, le festival propose une compétition de neuf longs métrages inédits du Vieux Continent qui concourent pour l'Atlas d'or que remettra le jury présidé par Claude Lelouch. 

Parmi les temps forts de la manifestation, citons les venues de deux invités de prestige. Jean-paul Rappeneau, le virevoltant cinéaste du Sauvage et de Bon Voyage, se prêtera à une leçon de cinéma dans le cadre d'une discussion avec le journaliste Michel Ciment, le jeudi 10 novembre à 14h30. 

La comédienne Jacqueline Bisset, l'heroïne de La Nuit Américaine de François Truffaut et du Magnifique de Philippe De Broca évoquera sa carrière où son charme et sa classe inimitables ont séduit les réalisateurs des deux cotés de l'Atlantique. Elle en profitera pour présenter au public Au-dessous du Volcan de John Huston (le jeudi 10 à 21h30) et Riches et célèbres de George Cukor (le vendredi 11 à 16h30). 

De nombreuses avant-premières sont également proposées au public parmi lesquelles L'ordre et la morale de Mathieu Kassovitz (le lundi 7, en présence du réalisateur), Le Havre d'Aki Kaurismaki (le mardi 8) et La désintégration de Philippe Faucon (le jeudi 10). 

Enfin, deux grandes rétrospectives traiteront, d'une part, de La France de l'occupation à travers des classiques tels que Le corbeau d'Henri-Georges Clouzot, La traversée de Paris de Claude Autant-Lara et L'armée des ombres de Jean-Pierre Melville, tous trois présentés en version restaurée, et d'autre part, Sixties folies, un panorama du cinéma comique et burlesque anglo-saxon des années 60. 

Festival international du film d'Arras du 4 au 13 novembre.
Renseignements et programme complet sur http://www.plan-sequence.asso.fr/festival.php


RENCONTRE AVEC JEAN-PAUL RAPPENEAU



A l'occasion du festival d'Arras, le réalisateur Jean-Paul Rappeneau a donné une leçon de cinéma animée par le journaliste et critique Michel Ciment. Revenant film par film sur sa carrière menée sous le signe de la comédie et du mouvement, le réalisateur a d'abord évoqué sa jeunesse provinciale et la guerre qui fut "la grande histoire de son enfance". Découvrant un soir au théâtre Hamlet, il eut soudain l'envie de devenir comédien. Mais c'est à la fin des années 40 lorsqu'il découvrit Citizen Kane d'Orson Welles que naquit son amour pour le cinéma. 

Après de brèves études de droit, le futur cinéaste devient assistant réalisateur, une expérience qui selon lui, "n'a pas grand chose à voir avec le métier de metteur en scène." Puis Louis Malle, le premier, lui demande de venir l'épauler sur l'adaptation de Zazie dans le métro. Par la suite, Rappeneau collabora en tant que scénariste à plusieurs films d'Alain Cavalier et Philippe De Broca. 

C'est en 1965 qu'il décide de se jeter à l'eau en réalisant La vie de château avec Philippe Noiret et Catherine Deneuve. Comédie ayant pour toile de fond l'occupation allemande, le film permet à Rappeneau de révéler son penchant pour les situations cocasses qu'il n'aura de cesse de mettre en scène dans ses oeuvres ultérieures : Les mariés de l'an II, Le Sauvage, Tout feu, tout flamme, Cyrano de Bergerac, Le Hussard sur le toit et Bon Voyage, son film le plus personnel. 

Gregori Derangère et Isabelle Adjani dans Bon Voyage (2003)

Sept longs métrages en près de cinquante de carrière, un rythme d'escargot que Rappeneau explique par  de nombreux projets avortés ou abandonnés, notamment celui qu'il devait tourner en 2010 et intitulé Liaisons étrangères qui a été brutalement interrompu à quatre semaines du tournage car le budget devenait trop élevé. 

Jean-Paul Rappeneau 

Evoquant ses difficultés d'adaptation sur Cyrano, le cinéaste s'est permis quelques libertés avec la pièce, aidé par son co-scénariste Jean-Claude Carrière.  Il a également su éviter le piège de la théâtralité par son obsession du mouvement et "le bonheur du travelling" qui demeure l'une de ses figures de style favorites. Il en a profité pour confier au public arrageois que le siège d'Arras dans le film avait été en réalité tourné à Budapest ! 

Enfin, il s'est longuement entretenu sur son rapport avec les comédiens. Persuadé que le bon casting contribue grandement à la réussite d'un film, il a privilégié les stars : Deneuve, Adjani, Binoche. Malgré des relations tendues avec Yves Montand sur Le Sauvage, le cinéaste collabora de nouveau avec l'acteur sur Tout feu, tout flamme six ans plus tard. Mais le réalisateur a aussi exprimé ses regrets dont celui d'avoir choisi Olivier Martinez pour le rôle d'Angelo dans Le Hussard sur le toit. Moquant avec une certaine délectation l'accent du comédien, Rappeneau avait failli à l'époque le doubler avant d'y renoncer. Quant à Gérard Depardieu auquel un hommage a été rendu récemment à l'institut Lumière en présence du cinéaste, celui-ci a dit toute son admiration pour l'ogre du cinéma français tout en reconnaissant que Cyrano devait être l'un des derniers films dans lequel le comédien avait appris son texte ! 

Gérard Depardieu dans Cyrano De Bergerac (1990) 

Réalisateur méthodique, scrupuleux mais aussi facétieux et plein d'humour, Jean-Paul Rappeneau est une figure originale de notre paysage cinématographique hexagonal, auteur de grands spectacles populaires de qualité qui prouvent que le divertissement, lorsqu'il est nourri avec passion et intelligence, est un art noble.

Antoine Jullien

mercredi 2 novembre 2011

La source des femmes


Traiter la gravité par la légèreté. Transcender la douleur par le rire. En douceur et si possible en chansons. Depuis Caramel qui jouait à fond cet atout de la drôlerie pour évoquer les souffrances et interrogations des femmes musulmanes, le cinéma nous offre régulièrement, sur cette même trame, un film nouveau. Il en fut récemment ainsi avec Et maintenant on va où ?. Le schéma narratif change, les procédés techniques demeurent : un film choral où la lumière inonde chaque plan, où la musique joue un personnage à part entière et où les comédiennes irradient l’écran.

On ne s’attendait pas à voir le Roumain Radu Mihaileanu se lancer dans un projet aussi éloigné de ses racines. Rappelons que ses deux premiers films Train de vie et Va, vis deviens évoquaient les déboires du peuple juif avec pour le premier une démythification du drame qui l’a touché de près. Mais ce sont surtout les thématiques de ces films (l’exil, l’identité) qui, plus que tout, constituent le lien d’une œuvre déjà solide dont l’avant-dernier opus était le quelque peu surestimé Concert.

Leïla Bekhti

Nous sommes dans un petit village d’Afrique du nord. Qu’importe son nom, qu’importe même le pays où il se trouve. Un village comme on suppose qu’il en existe des dizaines. Depuis la nuit des temps, les femmes ont la charge d’aller chercher à des kilomètres l’eau à la source. Les sentiers accidentés transforment en cauchemar cette corvée. Les chutes provoquant des fausses couches y sont nombreuses. La rébellion va gronder. Les hommes vont devoir mettre la main à la pâte sinon ils seront privés d’amour… Dans le village, les clans se dessinent entre gardiennes des valeurs ancestrales et désireuses de balancer un grand coup de pied dans les traditions…

Hafsia Herzi 

Mihaileanu a réussi le pari de nous embarquer au cœur de cette région aride et de nous inonder le cœur de cette histoire qu’il mène avec une formidable ferveur. Le récit, étalé sur plus de deux heures, ne laisse aucun temps mort. Le scénario, extrêmement bien ficelé, réserve son lot de surprises, décortiquant, tel un entomologiste, les péripéties qui jalonnent le récit. On retiendra en particulier l’idée géniale d’utiliser le voile intégral dans une fonction complètement inattendue qu’il ne faut pas déflorer ici. Mais c’est surtout, à travers l’exemple de ces femmes-là, de toutes les suppliciées des traditions que le cinéaste s’est fait le porte-parole. Et si la source du titre est évidemment porteuse de vie, elle s’avère aussi la splendide métaphore de ce qu’incarne ces femmes : le renouveau coulant sans cesse, le mouvement vers un avenir meilleur revendiqué comme aussi vital que cette eau.

Soutenu par un chef opérateur dont le travail mériterait largement d’être récompensé aux prochains Césars, le cinéaste s’est par ailleurs entouré d’une éblouissante brochette de comédiens et surtout de comédiennes. Leur ravageuse beauté, l’abnégation avec laquelle elles défendent chacune leur rôle, dans le jeu, dans le chant, dans la danse confèrent à ce film toute l’humanité qu’un tel sujet méritait. A la fois drôle et bouleversant, pacifique et violent, cette source-là, sans sentimentalisme, est un déluge de talents.

Erik Dzarli

Il était une fois en Anatolie


Au coeur des steppes d'Anatolie, un meurtrier tente de guider une équipe de policiers vers l'endroit où il a enterré le corps de sa victime. Au cours de ce périple, une série d'indices sur ce qui s'est vraiment passé fait progressivement surface. 

La puissance cinématographique ne s'explique pas toujours. Quels éléments font que l'on se retrouve devant une oeuvre d'une beauté et d'une complexité rares ? Le rythme extrêmement lent du film devrait pourtant rebuter. C'est l'effort que l'on consent à faire et que nous demande Nuri Bilge Ceylan, auteur vénéré dans les grands festivals internationaux (il a obtenu le Grand Prix à Cannes cette année) et par une poignée de fidèles, clamant haut et fort le mot galvaudé de "chef d'oeuvre" à chaque film du monsieur. A contrario d'un objet pour esthètes froid et désincarné, Il était une fois en Anatolie nous emmène ailleurs, dans des paysages étrangers de nous qui exercent, grâce au pouvoir de la caméra, une irrésistible fascination. 


Pendant une bonne partie du métrage, Ceylan filme, de nuit, ses protagonistes chercher une victime, aidés par le coupable présumé sans que l'on ne comprenne clairement le contexte ni les motivations des uns et des autres. Peu à peu, plusieurs personnages se dessinent dont un procureur et un médecin qui vont à plusieurs reprises débattre de l'histoire d'une femme morte peu après son accouchement et de manière inexplicable. Le premier croit à la thèse du décès anormal tandis que l'autre bouscule les certitudes du procureur en décelant une vérité cachée. Ce récit est la métaphore de tout le film, des êtres en proie aux doutes qui vont essayer, dans ce dédale d'obscurité, d'apercevoir un peu de lumière au bout du chemin. 

Muhammed Uzuner 

"Ce que je cherchais, c'était de restituer la noirceur de la nuit"*. Rarement un cinéaste ne l'aura aussi bien filmée en amenant le spectateur à apprivoiser les quelques sources lumineuses provenant des phares de voiture légèrement voilés par la poussière des steppes ou bien des éclats de la lune qui nous font découvrir des inquiétantes sculptures taillées dans la roche. Un univers incertain et mystérieux que Nuri Bilge Ceylan transcende grâce à une véritable science de la mise en espace, en témoigne la scène où les policiers retrouvent le corps de la victime. Le montage alternant les constatations du procureur et la colère du commissaire traduit la tonalité à la fois tragique et grotesque de l'oeuvre. 

"C'est la violence intérieure qui m'intéresse, ou la violence telle qu'elle est ressentie par les personnages." Cette violence, Nuri Bilge Ceylan l'évoque magistralement lors d'une autopsie, un modèle absolu de mise en scène. En mettant l'accent sur l'ambiance sonore du lieu et en ne filmant que les visages, le cinéaste scrute la brutalité de l'instant avec une force stupéfiante, révélant une vérité que le médecin dissimulera à son tour afin de ne pas enflammer les consciences. En sondant l'âme de son personnage, Ceylan finit par représenter une figure de l'humanité dans sa réalité la plus vraie, la plus douloureuse aussi.

Antoine Jullien

* Les propos de Nuri Bilge Ceylan sont extraits de l'interview accordée à Michel Ciment et Yann Tobin pour le n°609 de la revue Positif.



DVD et Blu-Ray disponibles chez Mémento Films.