vendredi 29 juillet 2016

Les sorties de l'été

TONI ERDMANN / DERNIER TRAIN POUR BUSAN  / SIERANEVADA / LA COULEUR DE LA VICTOIRE / L'ECONOMIE DU COUPLE / THE WAVE / HÔTEL SINGAPURA / LITTLE BIG MAN

Comme chaque été, nous vous proposons une sélection des principales sorties estivales. Lors de vos déambulations cinéphiles, vous risquez de croiser des zombies très méchants, un couple en crise, un athlète mondialement célèbre, un anti-héros mythique, une famille agitée, une créature très très poilue et une vague meurtrière. Bonnes toiles ! 

TONI ERDMANN - Sortie le 17 août


Toni Erdmann est LA sensation du Festival de Cannes à ne rater sous aucun prétexte ! En auscultant la relation compliquée et conflictuelle entre une fille, business woman à cran, et son père, babacool farceur, la réalisatrice allemande Maren Aden bouscule les conventions et signe une sorte d'ovni fantaisiste et libérateur absolument jubilatoire. En s'inventant un double improbable nommé Toni Erdmann, le père va tenter de se réconcilier avec sa fille qui étouffe dans un monde financier qui n'est finalement pas le sien.

Le film regorge d'instants saugrenus et hilarants qu'il serait bien coupable de révéler. Les 2h42 de projection ne se ressentent à aucun moment tant Maren Ade déploie un éventail enthousiasmant d'humeurs et de sensations qui nous happe progressivement jusqu'à un final d'une telle beauté émotionnelle que l'on se met à chavirer sur son siège. Que les jurés du festival de Cannes l'aient ainsi snobé révèle au mieux de l'aveuglement, au pire de l’incompétence, ne serait-ce que pour le duo exceptionnel formé par Sandra Hüller et Peter Simonischek. Espérons que le public rattrapera comme il se doit cette cruelle injustice !

Allemagne / Autriche / Roumanie - 2h42
Réalisation et Scénario : Maren Ade
Avec : Peter Simonischek (Winfried Conradi / Toni Erdmann), Sandra Hüller (Ines), Thomas Loibl (Gerald). 




DERNIER TRAIN POUR BUSAN - Sortie le 17 août


Le film le plus excitant de l'été est un film de zombies coréen ! Dernier train pour Busan est une petite merveille du genre, formidablement rythmé, qui voit un virus inconnu se répandre en Corée du Sud. Les passagers d'un train vont alors devoir livrer une lutte sans merci afin de survivre jusqu'à Busan, l'unique ville où ils seront en sécurité.

A l'instar du récent Snowpiercer (dont l'action se situait également dans un train), le film de Yeon Sang-ho (en passe de devenir le plus gros succès de l'histoire de son pays), connu pour son travail dans l'animation, montre une fois encore la vitalité du cinéma coréen qui parvient à remettre en majesté des genres à bout de souffle. Exploitant parfaitement son décor, le cinéaste joue habilement avec les codes, saupoudrant par endroits son intrigue d'un humour bienvenu qui contient aussi un sous-texte social et politique pertinent dans lequel le réalisateur s'interroge sur l'identité réelle des monstres supposés. Sans recourir à une surenchère gore trop abondante, Yeon Sang-ho signe un excellent suspense qui ne relâche jamais la tension, parvenant à un équilibre assez miraculeux entre séquences spectaculaires et moments plus intimes, avec un final aux antipodes du produit hollywoodien standardisé. Pour les amateurs... et tous les autres ! 

Corée du Sud - 1h58
Réalisation : Yeon Sang-ho - Scénario : Park Joo-suk
Avec : Gong Yoo (Seok-woo), Kim Su-an (Su-an), Jung Yu-mi (Sang-hwa), Ma Dong-seok (Sang-hwa). 



SIERANEVADA - Sortie le 3 août


2h52 de conversations en famille n'est pas le meilleur des arguments pour donner envie de voir Sieranevada (présenté en compétition à Cannes) à un public de moins en moins enclin à s'aventurer hors de sa zone de confort. Mais c'est le prix à payer si l'on veut apprécier le nouveau film du roumain Cristi Puiu, révélé il y a une dizaine d'années grâce à La Mort de Dante Lazarescu. Nous sommes dans un appartement de Bucarest, au cœur d'une famille venue à l'occasion de la commémoration d'un défunt. Mais le déroulement de la journée ne va pas se passer comme prévu, perturbé par des disputes et des invectives, mettant à mal la cohésion familiale et le repas sans cesse différé.

Si l'on peut reprocher à Cristi Puiu d'utiliser toujours le même procédé de mise en scène, à savoir de longs plans séquence tournés au moyen de discrets panoramiques, il faut lui reconnaître une réelle acuité. La manière dont il scrute les états d'âme de ses protagonistes est assez admirable, filmant leurs échanges, leurs éclats de voix, leurs désaccords avec une retenue formelle qui permet au spectateur de s'intégrer parfaitement à cette famille, au point qu'il ait réellement l'impression de la connaître à l'issue de la projection. Le cinéaste ne révolutionne rien dans son propos et son point de vue sur la Roumanie d’aujourd’hui, tenaillée entre les fantômes de son passé communiste et les aspirations à une vie meilleure, n'est pas nouveau. Au delà des débats sur les thèses complotistes évoquées dans le film, Puiu s'intéresse avant tout à la sphère intime, incarnée magnifiquement par une galerie de personnages d'une vérité confondante. On pourra certes regretter que le réalisateur veuille quitter l'appartement pour une scène de confession un peu inutile, et ne finisse par être victime d'une durée excessive. Mais l'étonnante dernière image, celle d'un fou rire communicatif, dit tout de notre dérisoire existence. Il est bien temps de se mettre à table. 

Roumanie - 2h53
Réalisation et Scénario : Cristi Puiu
Avec : Mimi Branescu (Lary), Judith State (Sandra), Bogdan Dumitrache (Relu), Dana Dogaru (Madame Mirica).  




LA COULEUR DE LA VICTOIRE - En salles


Curieusement, le destin de Jesse Owens n'avait pas eu le droit à un biopic. Hollywood ne s'y était encore jamais intéressé car il comprenait sans doute trop de zones d'ombre qui pouvaient entacher la célébration positive du héros américain. Stephen Hopkins, honnête faiseur, s'en tire plutôt avec les honneurs, nous racontant comment un jeune athlète afro-américain issu d'un milieu populaire est allé défié Adolf Hitler aux jeux Olympiques de Berlin de 1936, récoltant quatre médailles d'or (100m, 200m, relais, saut en longueur).

L'entrée de Jesse Owens dans le stade olympique sous le regard haineux des nazis est la meilleure scène du film, tournée en plan séquence afin de capter toute l'intensité de ce moment historique. Le reste de la mise en scène, assez impersonnelle, est beaucoup plus lisse mais n'empêche pas l'évocation du racisme extrêmement violent qui sévissait aux États-Unis à cette époque, du conflit entre ceux qui voulaient boycotter les JO et ceux qui voulaient participer à tout prix, et du rôle ambigu joué par certains américains, notamment l'industriel Avery Brundage (Jeremy Irons) qui a entretenu des liens étroits avec le régime nazi, obligé même d'exclure des athlètes juifs sous la pression de Goebbels. Le film ne verse donc pas dans l'idéalisation et montre au contraire un Jesse Owens sans cesse ramené à sa condition de noir, particulièrement lors de la dernière scène où il est obligé de prendre la porte de service d'un hôtel alors qu'on le célèbre dans le monde entier. Même si certains aspects sont plus problématiques (une musique envahissante et pompeuse, le regard trop complaisant accordé à Leni Riefensthal), La Couleur de la victoire demeure un film de bonne facture, idéal en ces temps d'olympiades et d'exploits sportifs. 

Canada / Allemagne - 2h03
Réalisation : Stephen Hopkins - Scénario : Joe Schrapnel et Anna Waterhouse
Avec : Stephen James (Jesse Owens), Jason Sudeikis (Larry Snyder), Jeremy Irons (Avery Brundage), Carice van Houten (Leni Riefensthal).




L'ECONOMIE DU COUPLE - Sortie le 10 août


Depuis ses débuts, Joachim Lafosse est un poil-à-gratter. Objecteur de consciences (Les Chevaliers Blancs) ou explorateur de transgressions (Elève Libre), le cinéaste dérange. Cette fois, il s'est intéressé à un couple miné par les problèmes d'argent. En pleine séparation, et après 15 ans de vie commune, ils sont obligés de cohabiter dans la maison où ils vivent avec leurs deux enfants. A l'heure des comptes, aucun ne veut lâcher ce qu'il juge avoir apporté. 

L'appartement est presque filmé comme un troisième personnage, et l'importance du décor est ici éloquente. Grâce à la fluidité de sa caméra mobile, Joachin Lafosse l'investit de fond en comble, formant un quasi huis-clos. Une excellente idée car elle accentue l'impression de délitement d'un couple qui s'est aimé et qui n'a plus que le ressentiment comme seul moteur. Elle estime qu'il vit à ses crochets, lui est persuadé d'avoir contribué au couple en rénovant l'appartement. Joachim Lafosse laisse le spectateur juge et on se met à prendre parti successivement pour l'un ou l'autre protagoniste. Au milieu de ce déchirement, des petites filles perturbées par la situation mais compréhensives face aux règles édictées par leur mère. Durant une belle scène de danse improvisée, l'harmonie familiale semble avoir retrouvé ses droits avant que les choses ne dégénèrent inéluctablement. Cédric Kahn et Bérénice Béjo sont d'une grande justesse dans la peau de personnages pas toujours aimables qui finiront par trouver un fragile apaisement. 

France / Belgique - 1h40
Réalisation : Joachim Lafosse - Scénario : Mazarine Pingeot, Fanny Burdino, Joachim Lafosse
Avec : Bérénice Bejo (Marie), Cédric Kahn (Boris), Marthe Keller (Christine). 




THE WAVE - En salles


Au lieu de subir l'avalanche de blockbusters yankee qui envahit les écrans durant l'été, choisissez plutôt de faire un petit détour du côté de la Norvège. Le pays des fjords n'est pas réputé pour ses films catastrophe, et pourtant The Wave n'a pas à rougir de la concurrence. Doté du budget cantine d'une production Marvel, le long métrage s'avère néanmoins convaincant dans sa description minutieuse d'un tsunami qui dévaste une petite ville où un scientifique va devoir retrouver les membres de sa famille.

Roar Uthaug s'est inspiré d'un fait réel survenu en 1934 quand une vague de plus de 20 mètres a frappé la ville de Tafjord. Le réalisateur fait preuve d'un réalisme très efficace qui vient malheureusement buter sur des poncifs et de prévisibles rebondissements. Comme s'il voulait à tout prix obtenir son passeport pour Hollywood, évacuant la moindre singularité. C'est tout le mal qu'on lui souhaite mais il risque de se retrouver bien vite dans la catégorie guère gratifiante des faiseurs sans envergure.

Norvège - 1h50
Réalisation : Roar Uthaug - Scénario : John Kare Raake et Harald Rosenlow-Eeg
Avec : Kristoffer Joner (Kristian), Ane Dahl Torp (Idun), Thomas Bo Larsen (Phillip)



HÔTEL SINGAPURA - Sortie le 24 août


Voilà une œuvre curieuse que celle du réalisateur singapourien Eric Khoo, idéal en ces temps de torpeur estivale. Il raconte sur plusieurs décennies la vie de l'hôtel Singapura, prestigieux établissement des années 40, dans un entrelacs d'histoires au cœur de la suite n°27. Là, un chanteur de rock, un travesti, une touriste vont vivre des aventures sentimentales et sexuelles avec en point d'orgue le personnage d'Imrah, une femme de chambre. 

Le film débute comme un drame en noir et blanc un peu compassé puis on bascule soudain dans le kitsch années 60 avec un cours d'éducation sexuelle ! Eric Khoo nous piège car l'érotisme qui découle de son histoire laisse place progressivement à une réflexion plus grave et mélancolique sur la mort, omniprésente par le fantôme du chanteur qui traverse toutes les époques. Un film assez douloureux sur les occasions manquées à travers le parcours de cette femme qui voit son amant lui échapper et qui couchera frénétiquement afin de retrouver son amour perdu. Le cinéaste verse aussi dans l’ambiguïté lorsqu'il filme une jeune femme insatisfaite en quête désespérée de plaisir. Des âmes échouées perdues dans les décombres d'un lieu en perdition. Une œuvre étrange, inégale mais fascinante. 

Singapour - 1h44
Réalisation : Eric Khoo - Scénario : Jonathan Lim et Andrew Hook
Avec : Nadia Ar (Imrah), Ian Tan (Damien), Show Nishino (Mariko), Lawrence Wong (Boon).  



LITLLE BIG MAN - En salles


Parmi les nombreux ressorties estivales, celle de Little Big Man d'Arthur Penn est immanquable. Pour la première fois en version restaurée, ce western atypique, réalisé en 1970, retrouve toute sa splendeur. En racontant les confessions d'un vieillard sur sa vie au milieu des indiens, son adoption par les Cheyennes puis son retour parmi les Blancs en pleines guerres indiennes, Arthur Penn démythifie magistralement la légende de la conquête de l'Ouest. 

C'est un récit d'apprentissage et un conte picaresque qui voit un anti-héros balloté entre deux cultures. Dustin Hoffman, irrésistible, rencontre tour à tour un charlatan, la femme d'un pasteur et un général sanguinaire dans une succession d'aventures regorgeant de scènes mémorables (la séquence de la baignoire où Faye Dunaway lave un Dustin Hoffman ahuri) et d'instants cocasses (Hoffman en improbable gâchette de l'Ouest). Arthur Penn dénonce très clairement le massacre des indiens, jusqu'à alors plutôt caricaturés dans le cinéma américain, et qui trouvent enfin une dignité et une noblesse à mille lieux de la brutalité forcenée des colons. Un western comique et métaphysique qui fourmille d'idées de mise en scène, une fresque grandiose, l'un des joyaux du grand cinéma américain des années 70. 

Antoine Jullien

États-Unis, 1970 - 2h19
Réalisation : Arthur Penn - Scénario : Calder Willingham d'après le roman de Thomas Berger
Avec : Dustin Hoffman (Jack Crabb), Faye Dunaway (Mme Pendrake), Martin Balsam (M. Merriweather). 

lundi 25 juillet 2016

La Grande Séance de l'été


Pour la dernière émission de la saison, votre serviteur a de nouveau eu le plaisir d'animer La Grande Séance en compagnie des blogueurs Antoine Corté (Bulles de Culture) et Tiffany Deleau (ScreenReview). Nous avons eu la chance de recevoir le producteur Marc Missonnier, directeur, avec son compère Olivier Delbosc, de la société Fidélité Productions, à qui l'on doit une soixantaine de longs métrages, de Podium à 8 femmes en passant par Molière, Marguerite, Le Petit Nicolas et le récent Bienvenue à Marly-Gomont

Un entretien passionnant dans lequel Marc Missonnier a largement évoqué le prochain film très attendu de Jérôme Salle, L’Odyssée, sur la vie du commandant Cousteau, avec Lambert Wilson, Pierre Niney et Audrey Tautou, qui sortira sur les écrans le 12 octobre. Nous sommes revenus avec lui sur l'aventure du tournage mais aussi sur son rôle clé de producteur et la diversité du cinéma français qu'il défend mordicus, lui qui aime alterner cinéma d'auteur (Elle s'en va) et films plus grand public (Astérix : Au Service de Sa Majesté).  

Le débat de l'émission portait sur l'avalanche de blockbusters franchisés (suites, remakes, reboots...) qui envahit les écrans cet été et qui commence sérieusement à lasser le public.

Antoine Jullien

L'émission est à retrouver ICI et disponible également en podcast sur Seanceradio.com

mercredi 20 juillet 2016

Ryan Gosling et Emma Stone dansent et chantent La La Land

 
Damien Chazelle va t-il définitivement entrer dans la cour des grands ? Après l'exceptionnel Whiplash qui avait provoqué un enthousiasme quasi unanime et récolté 3 Oscars, l'attente est immense. Un tel coup de maître peut-il se produire une seconde fois ? Pour son troisième long métrage, le cinéaste prodige s'est entouré d'un couple glamour, Ryan Gosling et Emma Stone, épris de danse et de chant dans un hommage revendiqué aux grandes comédies musicales.

La La Land raconte l'histoire de deux doux rêveurs à Los Angeles. Elle est une actrice débutante, lui un pianiste de jazz un peu prétentieux qui vont tomber amoureux dans la Cité des Anges. Damien Chazelle octroie donc encore une place centrale à la musique qui devrait rythmer les élans du cœur de Ryan Gosling et Emma Stone qui, on l'espère, s'accorderont à merveille. Des premières images du film se dégage déjà une atmosphère à la fois magique et mélancolique, un spleen féérique et aérien qui s'annonce emballant. Alberto Barbera, le directeur de la Mostra de Venise où le film fera l'ouverture, en compétition, dit de La La Land que "c'est un film qui, en plus de réinventer le genre, lui donne un vrai nouveau souffle. Si Whiplash était la révélation d'un nouveau réalisateur, La La Land est, bien que précocement, sa consécration parmi les grands réalisateurs du nouveau paysage hollywoodien". 

Le film sortira dans les salles le 25 janvier 2017.




Vous pouvez revoir l'interview de Damien Chazelle réalisée lors de la sortie de Whiplash.






lundi 11 juillet 2016

Interview d'Abel Ferrara au Champs-Elysées Film Festival

 
A l'occasion du 5ème Champs-Elysées Film Festival, le réalisateur Abel Ferrara était de passage à Paris pour un hommage qui lui était rendu et la présentation de son documentaire, A la recherche de Padre Pio, consacré à un prêtre italien connu pour être l'un des rares hommes à qui l'on a attribué des stigmates, bien que son origine miraculeuse soit aujourd'hui fortement remise en question.

Ce documentaire est en fait le prémisse à un film qu'Abel Ferrara devrait tourner prochainement. Le réalisateur culte de Bad Lieutenant et Nos Funérailles a également évoqué les nombreux cinéastes qui l'ont influencé, son film King of New York, l'un de ses plus emblématiques, et aussi le financement participatif car il voulait réaliser pendant un temps un film d'horreur, Siberia, avec la plateforme KickStarter. Une démarche qui n'a finalement pas aboutie. 


Nous avons eu le privilège de rencontrer un homme peu disert sur une œuvre inégale, introspective et viscérale, où se côtoie les flics pourris et les gangster flamboyants emportés dans un même élan de culpabilité et de destruction. Amateur de polémiques (Welcome To New York) et de scandales (The Blackout), Ferrara peine désormais à retrouver le souffle et la puissance de ses meilleurs films, s'enfermant dans un cinéma stérile (voir le raté Pasolini) moins convaincant. Reste une personnalité unique et inclassable, éternel enfant terrible d'un cinéma américain qui ne l'a jamais véritablement reconnu.

Antoine Jullien

jeudi 7 juillet 2016

The Strangers

 
A quelque exceptions près, les réalisateurs américains se contentent aujourd’hui de répéter les motifs récurrents de l'horreur et du fantastique. Seul le cinéma coréen semble encore capable de transcender ces genres cinématographiques à bout de souffle. Na Hong-Jin, qui avait secoué le polar avec The Chaser, allait-il, dans son nouvel opus, The Strangers, rabattre toutes les cartes ? La réponse est délicate tant le cinéaste nous malmène pour nous plus grand plaisir sans parvenir toutefois à atteindre le pic d'amplitude espéré.

La vie d'un village coréen est bouleversée par une série de meurtres, aussi sauvages qu'inexpliquées, frappant au hasard une petite communauté rurale. La présence d'un vieil étranger qui vit en ermite attise la rumeur et les superstitions. Pour Jon-Gu, un policier dont la famille est directement menacée, il est de plus en plus évident que ces crimes ont un fondement surnaturel... 


Na Hong-Jin ne veut à aucun moment installer le spectateur dans un genre dont il connaîtrait les moindres subterfuges. A ce titre, le pari du cinéaste est tenu haut la main. Désarçonnés par une intrigue en forme de jeu de pistes, sinueuse et parfois illisible, nous sommes brillamment baladés par un cinéaste qui maîtrise parfaitement les rouages de son art. Par sa seule mise en scène, il parvient à nous plonger dans une atmosphère inconfortable, entre cauchemar et réalité, qui exerce un incontestable pouvoir de fascination. Baigné par le chamanisme et les forces occultes, le récit nous entraîne dans une spirale infernale où le Démon semble s'ingénier à nous mener en bateau. Mais qui est-il vraiment ? Na Hong-Jin refuse toute rationalité et le doute ne se dissipera pas à l'issue de la projection.

Comme souvent dans le cinéma coréen, le comique le plus saugrenu vient soudain rompre la tension. Il est cette fois personnifié par ce flic empoté qui semble toujours avoir un train de retard sur une situation de plus en plus insaisissable, au milieu d'un village, Goksung (le titre original), soufflé par les intempéries, que Na Hong Jin filme magistralement. Mais cette virtuosité dessert aussi le métrage qui souffre d'une durée excessive (2h36), de coups de théâtre narratifs superflus et d'un mélange des genres qui convoque tour à tour la figure du zombie et la petite fille possédée de L'Exorciste dans une accumulation un peu fatigante. Malgré ces réserves qui contrarient notre impression d'ensemble, le film, par sa profusion et sa démesure, prouve une nouvelle fois qu'il faudra compter encore longtemps sur ces diables de coréens. 

Antoine Jullien

Corée du Sud - 2h36
Réalisation et Scénario : Na Hong-Jin
Avec : Kwak Do Won (Jon-Gu), Hwang Jung Min (Il-Gwang), Kunimura Jun (L'Etranger), Chun Woo hee (La femme anonyme).  


lundi 4 juillet 2016

Michael Cimino ou les rêves de grandeur du Nouvel Hollywood

 
Au milieu des personnalités illustres qui ont tiré leur révérence ce week-end, l'annonce de la mort de Michael Cimino a fait un flop. Le cinéaste avait certes abandonné les plateaux de cinéma depuis une vingtaine d'années, rattrapé constamment par le désastre financier de La Porte du Paradis (l’œuvre a été largement réhabilitée depuis). Par les effets indésirables de la chirurgie esthétique, il s'était peu à peu transformé, au point que certains murmuraient qu'il avait changé de sexe. Mais tout cela parait dérisoire en comparaison de l’œuvre qu'il a su créer et qui ne méritait certainement pas cette indifférence polie. 

Après des études d'art à Yale et l'écriture de scénarii dont Silent Running réalisé par le maître des effets spéciaux Douglas Trumbull, Cimino tourne en 1974 son premier long métrage, Le Canardeur, avec en vedette Clint Eastwood et le jeune Jeff Bridges. Un road movie en forme de coup de maître qui l'installe parmi les cinéastes les plus prometteurs du Nouvel Hollywood, cette horde de réalisateurs prêts à en découdre avec les studios afin d'imposer leur vision artistique, et qui trouva comme illustres représentants Coppola, Scorsese, Friedkin, Lucas et Spielberg. 

Robert De Niro dans Voyage au bout de l'enfer

En 1978, il signe son deuxième film, son plus grand à nos yeux, Voyage au bout de l'enfer, qui est l'un des premiers à aborder frontalement la guerre du Vietnam. Mais en racontant la destinée d'une bande d'amis d'origine ukrainienne, ouvriers de Pennsylvanie, en proie au cauchemar vietnamien, Cimino scrute avant tout l'Amérique avec une intensité inouïe, filmant une galerie de personnages inoubliables et des scènes qui sont restées dans la mémoire collective (la scène de la roulette, la bouleversante séquence finale), magnifiées par la lumière du grand chef opérateur Vilmos Zsigmond. Les attaques d'une partie de la presse de gauche de l'époque paraissent aujourd'hui absurdes tant les accusations de patriotisme nauséabond lancées à l'encontre du cinéaste se trouvent réduites à néant devant la vision lucide et juste d'une Amérique qui tente de panser ses plaies, à jamais béantes. L'Académie des Oscars se montra avisée en le couvrant d'honneur, le film récoltant 5 statuettes dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur. 

La Porte du Paradis

La Porte du Paradis en 1980 est le chant du cygne de Michael Cimino. Le tournage à rallonge et l'explosion du budget mettent à mal la réputation du cinéaste qui propose à United Artists un premier montage de 5h25. Ramené à une durée de 3h40, le film est vilipendé par les critiques et connaît un très lourd échec au box-office, conduisant le studio à la banqueroute. Un naufrage, entré depuis dans la légende, qui ruinera la carrière de Cimino et marquera la fin du Nouvel Hollywood. En 2012, une version director's cut, supervisée par le réalisateur, témoigne de l'incroyable ambition du cinéaste et rend enfin compte de l'importance de La Porte du Paradis dans le cinéma américain. Son propos sans concession sur une lutte des classes qui voit, dans les années 1890, des immigrants se faire chasser de leur terre avec violence et fracas, demeure en effet bien éloigné des mythes fondateurs du pays de l'Oncle Sam. 

L'Année du Dragon
 
Cimino attendra cinq ans avant de réaliser le thriller L'Année du Dragon avec un Mickey Rourke qui ressemblait encore à quelque chose. Le cinéaste est de nouveau attaqué par la presse américaine, accusé de racisme dans sa description de la mafia chinoise de New-York. L'énième secousse d'une carrière décidément chaotique : "Quand j'ai fait Le Canardeur, on m'a traité d'homophobe (je ne sais toujours pas ce que ça veut dire). Quand j'ai fait Voyage au bout de l'enfer, on m'a traité de fasciste, après La Porte du Paradis, j'étais marxiste, après l'Année du Dragon, raciste". Le film est mieux reçu en France où il remporte un beau succès et une nomination au César du meilleur film étranger. 

Ces trois derniers films (Le Sicilien, Desperate Hours, Sunchaser) sont des échecs critique et public. Après plusieurs projets avortés (dont une adaptation de La Condition Humaine de Malraux), le cinéaste n'apparait plus que lors d'hommages qui lui sont consacrés. Avec sa disparition à 77 ans et seulement sept longs métrages au compteur, c'est comme si Le Nouvel Hollywood mourrait une seconde fois.

Antoine Jullien 


Filmographie

1974 : Le Canardeur (Thunderbolt and lightfoot)
1978 : Voyage au bout de l'enfer (Deer Hunter)
1980 : La Porte du Paradis (Heaven's Gate)
1985 : L'Année du dragon (Year of the dragon)
1987 : Le Sicilien (The Sicilian)
1990 : Desperate Hours
1996 : Sunchaser