lundi 7 avril 2014

Eastern Boys

 
On lui doit la réalisation des Revenants, son premier long métrage sorti en 2004, à l'origine de la série multi récompensée de Canal Plus, et le montage et le scénario de plusieurs films de Laurent Cantet. Autant dire que Robin Campillo est un cinéaste discret qui revient par la grande porte avec Eastern Boys. Sous ce titre peu évocateur se cache une passionnante exploration du désir autant qu'une étude saisissante des migrants d'aujourd'hui. 

Le film débute par une longue séquence d'exposition à la gare du Nord où l'on voit des jeunes garçons déambuler dans les couloirs et sur les quais, à la recherche d'une proie. C'est là qu'un des leurs, Marek, rencontre Daniel, un quadragénaire qui est prêt à payer les services du jeune homme. Cette longue scène d'ouverture est filmée comme si un observateur scrutait les moindres faits et gestes de ces personnages. Le son est presque imperceptible et la caméra semble s'être substituée à une vidéo de surveillance. La puissance visuelle et sonore de ce prologue constitue le premier des quatre chapitres du scénario. Car en acceptant la venue d'un inconnu chez lui, Daniel va voir sa vie bouleverser.

Kirill Emelyanov, Olivier Rabourdin et Danil Vorobyev

Le deuxième chapitre est encore plus étonnant, où la bande de jeunes vue précédemment fait irruption dans l'appartement de Daniel et s'installe chez lui. Malgré sa stupéfaction, l'homme réagit mollement avant de laisser ses "invités" s'emparer de ses murs. On comprend qu'il s'agit de migrants d'origine russe en situation irrégulière menés par le bien nommé Boss dont la violence semble prête à exploser à chaque instant. Face à cette situation surréaliste, Daniel va rentrer dans leur jeu, danser avec eux et assister, impuissant et complice, au pillage de son appartement. Une scène qui fera date grâce à l'intelligence de la mise en scène du cinéaste qui ne cherche jamais à expliciter l'absence de réaction de son personnage. Il filme un homme perdu et lâche, fascinant par le mystère qu'il dégage, tomber amoureux. 


Le film nous entraîne alors dans une histoire entre deux hommes dans laquelle les scènes d'amour subjuguent par leur pudeur et leur délicatesse. Eastern Boys devient un huis-clos que Campillo sait rendre tangible grâce à sa science de l'espace qui lui permet d'amplifier le rôle majeur accordé au décor, devenu le cadre essentiel des bouleversements intérieurs de ses personnages. Daniel va peu à peu abandonner son rôle de "client" pour devenir celui de protecteur tandis que Marek a l'envie de quitter sa situation précaire. Le cinéaste a l'ingénieuse idée de ne jamais filmer la vie extérieure de ses protagonistes, concentrant toute son attention sur cette atmosphère de désir et de peur mélangées. Sans cesse surprenant, le récit se met à changer soudainement de direction, prenant les chemins de traverse du thriller. 

Un suspense redoutable se met en place dont on ne dévoilera pas les tenants et aboutissants. Robin Campillo livre un point de vue sans concession sur l'immigration qui sonne très juste, sans clichés ni compromis. Et ponctue son œuvre sur une note déstabilisante et quelque peu subversive. Film social, polar échevelé, chronique affective, Eastern Boys est tout cela, et bien plus encore, qui permet enfin à Olivier Rabourdin, cantonné jusqu'à présent aux seconds rôles, de montrer l'étendue de son jeu. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma français nous donne à voir et à entendre. Espérons seulement que Robin Campillo n'attendra pas dix ans avant de réaliser un nouveau coup de maître.

Antoine Jullien

France - 2h08
Réalisation et Scénario : Robin Campillo
Avec : Olivier Rabourdin (Daniel), Kirill Emelyanov (Marek), Danil Vorobyev (Boss).



Disponible en DVD et Blu-Ray chez Lumina Records.

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