mardi 29 avril 2014

Exposition Henri Langlois

 
Programmateur, défricheur, explorateur, artiste, architecte : Henri Langlois était tout cela à la fois. A l'occasion du 100ème anniversaire de sa naissance, la Cinémathèque française lui consacre une grande exposition supervisée par Dominique Païni, ancien directeur de l'institution. 

 Henri Langlois et Georges Franju, (s.d.), DR © Collection La Cinémathèque française

A travers une série d'écrits, de films, de peintures, on redécouvre l'importance de Langlois dans l'histoire du cinéma. Après son arrivée en France en 1922, il rencontre le cinéaste Georges Franju (l'auteur des Yeux sans Visage), avec lequel il crée un ciné-club "Le cercle du cinéma" et tourne un court métrage Le Métro que l'on peut découvrir dans les allées de l'exposition. Sa passion du cinéma devient grandissante et il se met en tête de retrouver des films rares ou perdus, principalement issus de la période du muet. Il fonde la Cinémathèque en 1936 et collabore avec Lotte H. Eisner qui deviendra conservatrice en chef de la Cinémathèque et avec laquelle il entretiendra une forte amitié. Durant l'occupation, il sauvegarde de nombreuses œuvres et en protège certaines de la censure allemande grâce à son habileté diplomatique. En 1955, il réalise "300 années de Cinématographe" à l'occasion des 60 ans du cinéma. Il inaugure une salle rue d'Ulm où se succèdent les rétrospectives de Keaton, Renoir et Jean Vigo dont il considérait L'Atalante comme le chef d’œuvre indépassable. En 1963, la nouvelle cinémathèque est inaugurée au palais de Chaillot en présence de Charlie Chaplin, son cinéaste préféré. 

Christian Rochefort, Jean Rouch, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard et Henri Attal lors d'une manifestation de soutien à Langlois, rue d'Ulm, le 11 février 1968, DR © Collection La Cinémathèque française

Puis survient en février 1968 l'affaire Langlois. Le ministre de la culture, André Malraux, décide, sous la pression du gouvernement, de limoger Henri Langlois de la direction de la Cinémathèque à cause de sa gestion jugée "artisanale". La contestation, emmenée par François Truffaut et Jean-Luc Godard, prend une ampleur considérable (Elia Kazan et Samuel Fuller refusant même que leurs films soient diffusés en signe de protestation) et Langlois est finalement maintenu à ses fonctions mais avec des crédits amoindris. Cette affaire lui donne une aura mondiale et il va multiplier les conférences aux États-Unis et recevoir un Oscar d'honneur en 1974. Deux ans auparavant, il avait créé le musée du Cinéma dans lequel il regroupait une partie de ses collections, des costumes de films et des recréations de décors. Il meurt le 18 janvier 1977. 

Henri Langlois reçoit un Oscar, entouré de Gene Kelly et Jack Valenti à Hollywood, le 2 avril 1974. 
© Julian Wasser / Hulton Archives 

L'entrée de l'exposition est un peu intimidante avec tous ses génériques de films et des extraits des Histoire(s) de Cinéma de Godard. Langlois se faisait une haute idée du cinématographe mais on découvre un homme plutôt facétieux, épris de cinéma expressionniste et d'artisans de l'imaginaire et de la fantaisie (Feuillade, Méliès). On remarque sur les murs de l'exposition les nombreux programmes qu'il élaborait pour la cinémathèque et plusieurs clichés le montrant aux côtés des plus grands réalisateurs dont Alfred Hitchcock à qui il remit la légion d'honneur en 1971, le cinéaste lui offrant en échange la tête de la mère empaillée de Psychose ! Sur plusieurs vidéos, on voit Orson Welles et Roberto Rosselini venir s'adresser au public de la cinémathèque ainsi que Buster Keaton, alors délaissé et à l'air impassible, participer à un hommage. 

Henri Langlois remet la Légion d'honneur à Alfred Hitchcock, le 14 janvier 1971 © SIPA

Langlois souhaitait plus que tout rendre justice à ces cinéastes majeurs mais il a aussi contribué à l'éveil cinéphilique de la jeune génération incarnée par la Nouvelle Vague. Dans une des archives, Truffaut se définit comme "un fanatique des premiers rangs" de l'avenue de Messine (ancien siège de la cinémathèque installé en 1945). Langlois est depuis considéré comme l'un des pères de la Nouvelle Vague, accordant une importance capitale à la transmission et à l'enseignement. 

Fernand Léger. Affiche de l'expo "Trois quart de siècle de cinéma mondial" qui inaugure le musée du Cinéma 
au palais de Chaillot, juin 1972 © ADAGP, Paris 2014

Les dernières salles de l’exposition sont les plus surprenantes car l'on apprend que Langlois était aussi l'ami des peintres (Magritte, Chagall) avec lesquels il entretenait des rapports étroits. Ainsi, Le Ballet Mécanique de Fernand Léger (présent dans l'exposition) fut pour lui une révélation déterminante. Son admiration pour tous ces artistes se ressent à travers le film qu'il réalisa sur Henri Matisse, filmant le peintre au travail, dans son atelier. On découvre également le goût de Langlois, féru de surréalisme, pour l'expérimentation dans l'avant-dernière salle de l’exposition à l'ambiance très psychédélique. 

Langlois transportant des bobines de films © Enrico Sarsini

Personnage hors du commun, Henri Langlois avait l’obsession de tout sauver et c'est en grande partie grâce à son obstination que l'on peut admirer tant de films autrefois oubliés. Si l’exposition n'est pas hagiographique, laissant place à ses contempteurs, elle permet de se plonger dans une époque où la cinéphilie était une affaire de la plus haute importance. Sa disparition laissera un vide profond, comme le déclarait Jean Renoir à ses funérailles : "Nous perdons notre guide et nous nous sentons seuls dans la forêt". 

Antoine Jullien

Le Musée imaginaire d'Henri Langlois jusqu'au 3 août à la Cinémathèque française. 
Journée d'études "Henri Langlois aujourd'hui" le 2 juin. 
Cycles "Les femmes d'Henri Langlois" jusqu'au 7 mai et "Classiques du cinéma" jusqu'au 26 mai.
51, rue de Bercy - 75012 Paris. Informations : 01.71.19.33.33 et www.cinematheque.fr

 

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