mercredi 19 octobre 2011

The Artist


Michel Hazanavicius est un iconoclaste. Après avoir pastiché avec bonheur et quelques pointes de politiquement incorrect le film d'espionnage dans les irrésistibles OSS 117, le voilà résolu à entreprendre, en 2011, le tournage d'un film muet, en noir et blanc et au format d'origine 1.33. Ses références ne sont plus les séries B de sa jeunesse mais bien les illustres Friedrich Murnau, Fritz Lang et Ernst Lubitsch. Intimidé, Hazanavicius ne l'est nullement car il ne se contente pas de copier sagement ses prestigieux modèles mais réalise une entreprise personnelle hors norme dont il ne faudrait pas feindre l'importance malgré le succès annoncé. 

Nous sommes à Hollywoodland, en 1927. George Valentin (Jean Dujardin) est une immense star du cinéma muet. Il fait la rencontre d'une jeune figurante, Peppy Miller, dont il tombe amoureux. Mais l'avènement inexorable du parlant entraîne Valentin vers la mort artistique tandis que Peppy Miller atteint la célébrité. 

Jean Dujardin et Bérénice Béjo

La mise en abime opérée par Michel Hazavanicius débute dès la première séquence où Valentin admire le héros qu'il est dans le film "A Russian Affair" projeté dans une immense salle garnie de spectateurs hilares et dont il est l'incontestable vedette. Le film dans le film est très astucieusement mis en scène tout comme l'utilisation de la musique composée par Ludovic Bource est en parfaite adéquation avec l'époque. Ce prologue est déconcertant car il nous replonge dans un cinéma disparu dont on a la fugace impression qu'il renaît sous nos yeux. En s'inspirant de l'âge d'or hollywoodien, le réalisateur va créer un étrange décalage en confiant les deux rôles principaux à des comédiens so frenchy, Jean Dujardin et Bérénice Béjo. Elle, charmante et pimpante, espiègle à ses heures. Lui, justement récompensé par le prix d'interprétation à Cannes, un poil goguenard, séducteur et manifestement trop à son aise dans ses costumes trois pièces, ne tombe pas dans les mimiques à outrance que l'on pouvait craindre mais amène son personnage vers une gravité qui prendra corps dans le dernier tiers du film. 

Les idées visuelles, Michel Hazanavicius en a beaucoup à offrir au spectateur : cette suite de scènes de tournage ratées où Valentin tombe sous le charme de sa partenaire Peppy Miller qui, dans la séquence suivante, s'enlace elle-même avec le veston de Valentin. Où encore cet escalier que gravit Peppy Miller et qui la conduira au sommet alors que Valentin s'enfonce vers les tréfonds de la solitude. Comme Billy Wilder l'avait si bien décrit dans Sunset Boulevard (mais arrêtons les lourdes comparaisons), le film nous rappelle à juste titre que l'arrivée du parlant a broyé les carrières d'acteurs alors au firmament qui n'ont pas eu le droit à la parole. Le son, Hazanavicius le fait malicieusement intervenir dans une séquence de cauchemar où Valentin se retrouve soudain confronté au bruissement du plateau, au verre qui tombe et à tout un environnement qui n'existait jusque là que par l'image. The Artist nous parle d'un homme qui voit le progrès technique passer à côté de lui et non avec lui, et cette inaptitude à prendre le train en marche émeut. 

Jean Dujardin et Michel Hazavanicius sur le tournage de The Artist

Dans sa deuxième partie, le lent déclin, Hazavanicius perd la vivacité et le rythme qui l'avaient su si bien mener. Plus mécanique, le récit devient attendu et les péripéties s'enchaînent sans déplaisir mais avec un intérêt moindre. Puis le cinéaste fait entendre le morceau de Bernard Herrmann composé pour Vertigo d'Hitchcock. L'histoire du grand cinéma hollywoodien est soudain en harmonie avec l'histoire de George Valentin et Peppy Miller, qui, comme dans tout bon mélodrame, n'osent pas s'avouer leur amour. A cet instant, Michel Hazanavicius nous offre un écrin que le cinéma ne semblait plus capable de nous procurer : le silence absolu. Un silence magnifiquement long que l'on savoure avec un bonheur non dissimulé. Avant que le virevoltant numéro de claquettes de notre duo nous convainquent que la pari est gagné haut la main. Chapeau l'artiste ! 

Antoine Jullien



DVD et Blu-Ray disponibles chez Warner Home Vidéo. 

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