mercredi 27 avril 2011

Il était une fois le cinéma allemand

JOHN RABE / IL ETAIT UNE FOIS UN MEURTRE / L'ETRANGERE

Trois longs métrages allemands sortent cette semaine. Une belle occasion de se plonger dans une cinématographie riche et variée qui a su trouver un nouveau vivier de réalisateurs talentueux. 


John Rabe de Florian Gallenberger relate un fait historique majeur et pourtant très peu connu. En 1937, John Rabe dirige l'entreprise allemande Siemens et vit à Nankin, la capitale de la Chine. Suite à un bombardement de l'aviation japonaise, il ouvre les grilles de son usine aux habitants terrorisés pour leur offrir un refuge, sauvant ainsi la vie de plusieurs centaines de personnes. Le lendemain, aidé de diplomates étrangers, John Rabe décide de mettre en place une zone de sécurité pour les civils de Nankin afin de protéger la population chinoise. Mais l'invasion japonaise et les massacres qui en découlent vont mettre Rabe et ses amis à rude épreuve... 

Le sujet se rapproche de La liste de Schindler où un individu se dresse contre la barbarie en devenant le sauveur de tout un peuple. L'image de John Rabe est restée longtemps controversée. Membre du parti nazi, il fut rapatrié de force en février 38 par le IIIème reich qui ne voyait pas d'un bon oeil cet opposant à l'allié japonais. A la fin de la guerre, sa demande de réhabilitation fut dans un premier temps refusée avant que le gouvernement chinois ne lui verse une petite pension jusqu'à sa mort, le 5 janvier 1950. Florian Gallenberger ne cherche nullement à héroïser davantage ce personnage que rien ne prédestinait à de tels actes. L'acteur Ulrich Tukur, vu dans La vie des autres et Amen, lui donne une touchante humanité, au départ peu concerné par la grave situation humanitaire qui l'entoure mais qui va, grâce à son autorité et son courage, résister à l'occupant nippon. Une image étonnante pourrait servir de symbole à ce film : le drapeau nazi tendu par John Rabe afin de stopper les bombardements de l'armée japonaise. Quant une barbarie en arrête une autre... 

On pourra regretter que les zones d'ombres du personnage et sa foi au nazisme soient mis de côté au profit d'un récit linéaire qui permet à des comédiens reconnus de se distinguer : Daniel Brühl en frêle diplomate, Anne Consigny dans le rôle de Valérie Duprès, la directrice de l'université de jeunes filles de Nankin, et Steve Buscemi en docteur américain qui aida Rabe à soigner et protéger la population. Un casting international au service d'une histoire dont le cinéma devait s'emparer. Même si le réalisateur fait preuve d'un certain académisme dans sa reconstitution, il filme le combat d'un homme avec sobriété et dénonce par la même les crimes odieux perpétués par l'armée japonaise. Une nécessaire leçon d'histoire.



Par une chaude journée d'été, une bicyclette est retrouvée dans un champ de blé. Une jeune fille a disparu depuis plusieurs jours. Vingt-trois ans plus tôt, au même endroit exactement, était assassiné Pia. Le cauchemar va t-il recommencer ? 

Pour son deuxième long métrage, Baran Bo Odar aborde de front le problème de la pédophilie. Un sujet hautement risqué que le cinéaste parvient à traiter de manière crue mais jamais complaisante, en tâchant de filmer l'humain derrière le monstre. Une atmosphère poisseuse colle à la peau du spectateur pendant ces deux heures d'enquête haletante que la multiplication des personnages et des points de vue enrichit. Des parents qui se disloquent sur le coup de la disparition de leur fille au flic obstiné qui veut à tout prix arrêter le tueur en passant par le mari idéal dissimulant une nature déviante, les destins de tous ces personnages vont être chacun emportés dans un tourbillon de sang et de larmes. 

D'une maîtrise confondante, s'attachant au moindre détail vestimentaire, le cinéaste récrée brillamment une époque qu'il sait rendre vivante, employant une musique malaisante très à propos, filmant les champs battus par le vent, théâtre de macabres découvertes. D'une grande densité, Il était une fois un meurtre captive de bout en bout et dérange à la fois. Le passé qui nous rattrape tôt ou tard, l'horreur située à quelques mètres de nous sans qu'on ne la voit, tout cela nous poursuit longtemps après la projection. Les faits divers récents s'entrecroisent soudain avec le film en nous rappelant que la bête immonde n'est malheureusement pas que dans les livres. A voir. 



La comédienne Feo Aladag s'est également attaquée à un sujet sensible. Elle nous raconte le combat d'Umay qui a fui la Turquie avec son petit garçon où elle était mariée de force et part retrouver sa famille à Berlin. Mais, prisonniers des valeurs de la communauté, ses parents et frères et soeurs la rejette. Elle est alors obligée de fuir à nouveau pour épargner le déshonneur des siens. 

S'affranchir des traditions tout en gardant l'amour et l'estime de ses proches : tel est le périlleux défi d'Umay. La réalisatrice filme très bien cette émancipation et le retour au sein d'une famille qui va progressivement la traiter comme une étrangère. La mère, compréhensive un temps puis distante et le père aimant mais rattrapé par ses "obligations" sont des personnages auxquels le scénario ne donnera aucune chance, enfermés dans des traditions d'un autre âge, incapables de se remettre en question. A partir du moment où la réalisatrice condamne tous ses protagonistes, le manichéisme pointe dangereusement. Bien qu'elle sache maintenir une tension permanente, pourquoi, alors qu'elle détenait un sujet aussi fort, Feo Aladag a-t-elle livré un film aussi démonstratif ? 

Tout semble en effet programmatique, de la victime expiatoire qui ne sortira pas de son rôle, martyrisée par une famille aveugle, au frère brutal et borné. Lors d'une scène de mariage, la réalisatrice insiste lourdement sur une situation déjà chargée dramatiquement. Elle filme son héroïne se faire humilier, à plusieurs reprises, implorant l'amour de ses parents et se confondant en excuses. A cet instant, la position de la cinéaste devient ambiguë. Soutient-elle son personnage, ou, dans un excès de masochisme, l'accable-t-elle car elle a osé enfreindre le code familial ? L'excès dans la souffrance est le ressort de tous les mélodrames sauf qu'il s'agit de notre époque et de problèmes très actuels qui ne permettent pas une mise en scène gorgée de pathos qui trouve son apothéose lors de la scène finale. Si le film est inspiré d'une histoire vraie avec le même dénouement, la surabondance de ralentis et l'utilisation de l'enfant sacrificiel pose question et agace. On ne doute pas de la sincérité de Feo Aladag qui veut soulever, à raison, notre indignation face à l'intolérance et l'archaïsme. Mais comme le dit l'adage "le mieux est l'ennemi du bien". 


Antoine Jullien

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