mercredi 2 novembre 2011

Il était une fois en Anatolie


Au coeur des steppes d'Anatolie, un meurtrier tente de guider une équipe de policiers vers l'endroit où il a enterré le corps de sa victime. Au cours de ce périple, une série d'indices sur ce qui s'est vraiment passé fait progressivement surface. 

La puissance cinématographique ne s'explique pas toujours. Quels éléments font que l'on se retrouve devant une oeuvre d'une beauté et d'une complexité rares ? Le rythme extrêmement lent du film devrait pourtant rebuter. C'est l'effort que l'on consent à faire et que nous demande Nuri Bilge Ceylan, auteur vénéré dans les grands festivals internationaux (il a obtenu le Grand Prix à Cannes cette année) et par une poignée de fidèles, clamant haut et fort le mot galvaudé de "chef d'oeuvre" à chaque film du monsieur. A contrario d'un objet pour esthètes froid et désincarné, Il était une fois en Anatolie nous emmène ailleurs, dans des paysages étrangers de nous qui exercent, grâce au pouvoir de la caméra, une irrésistible fascination. 


Pendant une bonne partie du métrage, Ceylan filme, de nuit, ses protagonistes chercher une victime, aidés par le coupable présumé sans que l'on ne comprenne clairement le contexte ni les motivations des uns et des autres. Peu à peu, plusieurs personnages se dessinent dont un procureur et un médecin qui vont à plusieurs reprises débattre de l'histoire d'une femme morte peu après son accouchement et de manière inexplicable. Le premier croit à la thèse du décès anormal tandis que l'autre bouscule les certitudes du procureur en décelant une vérité cachée. Ce récit est la métaphore de tout le film, des êtres en proie aux doutes qui vont essayer, dans ce dédale d'obscurité, d'apercevoir un peu de lumière au bout du chemin. 

Muhammed Uzuner 

"Ce que je cherchais, c'était de restituer la noirceur de la nuit"*. Rarement un cinéaste ne l'aura aussi bien filmée en amenant le spectateur à apprivoiser les quelques sources lumineuses provenant des phares de voiture légèrement voilés par la poussière des steppes ou bien des éclats de la lune qui nous font découvrir des inquiétantes sculptures taillées dans la roche. Un univers incertain et mystérieux que Nuri Bilge Ceylan transcende grâce à une véritable science de la mise en espace, en témoigne la scène où les policiers retrouvent le corps de la victime. Le montage alternant les constatations du procureur et la colère du commissaire traduit la tonalité à la fois tragique et grotesque de l'oeuvre. 

"C'est la violence intérieure qui m'intéresse, ou la violence telle qu'elle est ressentie par les personnages." Cette violence, Nuri Bilge Ceylan l'évoque magistralement lors d'une autopsie, un modèle absolu de mise en scène. En mettant l'accent sur l'ambiance sonore du lieu et en ne filmant que les visages, le cinéaste scrute la brutalité de l'instant avec une force stupéfiante, révélant une vérité que le médecin dissimulera à son tour afin de ne pas enflammer les consciences. En sondant l'âme de son personnage, Ceylan finit par représenter une figure de l'humanité dans sa réalité la plus vraie, la plus douloureuse aussi.

Antoine Jullien

* Les propos de Nuri Bilge Ceylan sont extraits de l'interview accordée à Michel Ciment et Yann Tobin pour le n°609 de la revue Positif.



DVD et Blu-Ray disponibles chez Mémento Films.

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