lundi 21 mars 2016

Midnight Special


En l'espace de trois films acclamés (Shotgun Stories, Take Shelter, Mud), Jeff Nichols est devenu l’icône d'un cinéma américain farouchement indépendant. Obsédé par les relations filiales, amoureux des grands espaces du sud des États-Unis et influencé par l’œuvre de Terrence Malick, il s'est construit une filmographie assez admirable. Il est d'ailleurs frappant de constater la grande fébrilité entourant la sortie de Midnight Special. Annoncé de longue date, le film marque deux étapes majeures pour Jeff Nichols : le grand plongeon au sein d'un studio (la Warner) et un changement de registre radical (la science-fiction). Mais le cinéaste se considère avant tout comme un auteur et il n'était pas question pour lui de céder un pouce de terrain à sa liberté créative et à son désir profond d'aller contre les canons du genre.

Fuyant les fanatiques religieux et les forces de police, Roy (Michael Shannon), père de famille et son fils Alton (Jaeden Lieberher), se retrouvent les proies d'une chasse à l'homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. Mais quel est le mystérieux pouvoir d'Alton ? 

Michael Shannon et Jaeden Lieberher

Dès la séquence d'ouverture où deux hommes retiennent un petit garçon, on est baigné dans une  quotidienne étrangeté. La manière dont Jeff Nichols filme l'americana avec ses motels et ses routes dégage une profonde authenticité, accentuée par son souci constant de tourner dans des décors réels. Et la façon qu'il a de déstabiliser le spectateur, lui faisant croire qu'un duo de kidnappeurs est en réalité deux hommes qui tentent de protéger un enfant d'une menace invisible, est une nouvelle fois la preuve de son talent de cinéaste. Malgré le genre nouveau qu'il explore, Jeff Nichols convoque encore la famille, ici aux prises avec un être que l'on imagine surnaturel. Il nous raconte la quête absolue d'un père pour son fils, rejoint ensuite par sa mère persuadée qu'il n'a peut-être plus sa place parmi eux. La famille, la valeur refuge supposée qu'il faudrait fuir ? Décidément, Jeff Nichols aime bousculer les conventions. 

Adam Driver

En tournant Midnight Special, il fait directement référence au cinéma de Steven Spielberg et John Carpenter. Mais ce n'est pas rendre service au cinéaste que de convoquer ces idoles car le merveilleux spielbergien de Rencontres du troisième type ou le romantisme naïf et désenchanté de Starman sont ici absents. Il est intéressant de comparer le film de Carpenter à celui de Nichols tant les similitudes sont nombreuses : un road-movie, un personnage de scientifique opposé à son gouvernement, un pouvoir extraterrestre. Mais à la différence de Carpenter, Nichols crée un scénario terriblement nébuleux où les personnages semblent n'être que des incantations. A l'image de celui interprété par Adam Driver à qui on demande : "Vous ne comprenez vraiment rien à ce qui se passe, hein ?" Nichols non seulement n'explicite rien mais ne donne pas le début d'une réponse, considérant que "ce n'est pas parce que le spectateur veut savoir qu'il doit savoir." Un mystère séduisant savamment entretenu qui finit par se retourner contre son auteur.

Car il serait malhonnête de parler d'absence de réponses audacieuse en n'évoquant pas le très problématique retournement de situation final qui, et ce n'est pas faire injure au cinéaste, est d'une accablante banalité, à la fois narrative et visuelle. Le mystère alors s'évanouit pour un propos beaucoup plus explicatif et  prévisible. Starman n'est toujours pas loin mais là où Carpenter signait une fin émouvante, Nichols échoue à nous toucher malgré ce beau dernier plan lancé par Michael Shannon, son acteur fétiche. A la différence de son aîné qui ne cherchait jamais à se croire supérieur au genre auquel il appartenait, Nichols, lui, est tombé dans ce piège. En dépit de tous ceux qui veulent le fantasmer, Midnight Special n'est donc pas le chef d’œuvre tant désiré.

Antoine Jullien

Etats-Unis - 1h50
Réalisation et Scénario : Jeff Nichols
Avec : Michael Shannon (Roy), Joel Edgerton (Lucas), Jaeden Lieberher (Alton), Kirsten Dunst (Sarah), Adam Driver (Sevier).

Disponible en DVD et Blu-Ray chez Warner

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire