lundi 28 mars 2016

Remember

 
Dans les années 90, Atom Egoyan avait la cote. Exotica, De beaux lendemains et Le Voyage de Felicia l'avaient imposé comme l'un des réalisateurs les plus brillants de sa génération. Au cours des années 2000, sa filmographie a progressivement décliné et le cinéaste a perdu une bonne partie de ses soutiens critiques. Les grands festivals (Cannes, Venise, Berlin), eux, ne l'ont pas abandonné, sélectionnant ses films pour le meilleur et surtout pour le pire. En effet, le souvenir de son dernier opus, l'accablant Captives présenté au festival de Cannes 2014, nous avait non seulement déçu mais irrité (voir la critique). Pour la première fois de sa carrière, le cinéaste adapte à l'écran un scénario qui n'est pas de lui pour traiter un sujet ô combien périlleux : l'Holocauste. Avec une lourdeur évidente contrebalancée par une vision angoissée du devoir de mémoire.

Dans une maison de retraite, Zev (Christopher Plummer), un homme de 90 ans, se réveille en appelant sa femme qui est morte quelques jours plus tôt. Un autre pensionnaire de la maison, Max (Martin Landau), lui rappelle sa promesse : retrouver l'ancien nazi qui a assassiné leurs familles à Auschwitz. Rescapés du camp tous les deux, ils sont les seuls à pouvoir le reconnaître. Zev s'échappe et part à sa recherche à travers les États-Unis.

Bruno Ganz et Christopher Plummer
 
Le film et le visage de Christopher Plummer sont comme indissociables, et l'on doit pouvoir décrypter Remember en parcourant la démarche vacillante et les traits usés de ce vieil homme hagard et sénile qui voit peu à peu sa mémoire le quitter et dont les souvenirs de la guerre semblent s'être distordus. La chasse aux nazis a donné lieu à des dizaines de films dont certains mémorables (Marathon Man ou Ces garçons qui venaient du brésil). Atom Egoyan lui confère un caractère presque dérisoire car son protagoniste semble bien incapable d'accomplir un tel forfait. Muni d'un révolver et de la lettre d'instructions de Max, il part à la rencontre de coupables potentiels mais se trompe plus d'une fois. Le réalisateur n'est pas très inspiré dans ces moments où l'emphase et le ridicule ne sont jamais très loin, notamment quand Zev se retrouve devant un ancien déporté.

La mise en scène très empesée du cinéaste dépasse l'entendement lorsque Christopher Plummer tombe sur un policier qui n'est autre que le fils d'un nazi convaincu (joué par l'acteur de Breaking Bad, Dean Norris). S'ensuit une scène invraisemblable, à la limite du grotesque, où les personnages contemplent la collection personnelle du paternel à la gloire du IIIème Reich. Pourtant, le minutieux travail sur les décors, proche des toiles d'Edward Hooper, et les réminiscences du passé nazi (la sirène hurlante, le chien qui aboie), interpellent. 

Le twist final, qu'il saurait vraiment coupable de révéler, remet soudain le film en perspective et nous interroge : faut-il croire à son propre mensonge au point de l'avoir chassé de sa mémoire ? Le Remember du titre prend un autre sens et le film devient très ambigu. Mais il ne s'agit pas simplement d'une astuce scénaristique, il est aussi question pour Egoyan d'explorer une mémoire collective prise d'amnésie. Et même s'il le fait avec de gros sabots, le résultat, vénéneux et troublant, ne laisse pas de marbre. 

Antoine Jullien

Canada / Allemagne - 1h34
Réalisation : Atom Egoyan - Scénario : Benjamin August
Avec : Christopher Plummer (Zev Guttman), Martin Landau (Max Rosenbaum), Dean Norris (John Kurlander), Bruno Ganz (Rudy Kurlander).  

Disponible en DVD chez ARP Sélection

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire