mercredi 10 novembre 2010

Ressorties : Lenny et Les Duellistes


Il est bon de faire un saut dans le temps pour mesurer à quel point le cinématographe est un art jeune qui a déjà beaucoup inventé. A la vision de Lenny et des Duellistes, on est stupéfait par leur modernité et leur faculté à des détourner des genres codifiés. 

Bob Fosse, connu pour ses adaptations cinématographiques de ses spectacles de Broadway (Cabaret, All that Jazz), s'est pris de passion pour le comique contestataire Lenny Bruce, mort d'overdose en 1966. Personnage insaisissable, polémiste acéré, il développait dans ses spectacles une vision nouvelle de la société qui a détonné dans l'Amérique très puritaine des années 50-60. Dustin Hoffman incarne Lenny de manière saisissante, étourdissant de charisme dans ses one man show, sensible avec les femmes mais finalement rattrapé par ses démons. Si le personnage réel était plus noir, Hoffman ne gomme pas pour autant ses côtés négatifs. Impulsif, parfois incontrôlable, le personnage devient une victime d'un état aveugle aux mutations culturelles et intransigeant devant toute pensée critique. Coupable d'obscénité, Lenny révéla à l'Amérique ce qu'elle ne voulait pas voir. 

Bob Fosse a su réaliser une sorte de faux documentaire dans lequel il entrecoupe habilement des extraits de spectacles de Lenny Bruce avec certains épisodes de sa vie privée. Filmant magistralement l'atmosphère ténébreuse des cabarets dans un noir et blanc d'une beauté à couper le souffle, captant au plus près les saillies violentes de Lenny, il montre un homme en avance sur son temps, ne reculant jamais devant les pressions au risque d'en payer le prix fort. Un grand film. 


Il faut se souvenir qu'en d'autres temps, Ridley Scott était un grand cinéaste. Oublions le bon faiseur qu'il est devenu pour s'intéresser à l'artiste inspiré qu'il était jadis. Avant ses deux pièces maîtresses Alien et Blade Runner, il signait en 1977 Les Duellistes, son premier long métrage. Un affrontement aussi brutal qu'étrange entre deux capitaines de l'armée napoléonienne se livrant à des duels pendant quinze ans jusqu'à ce que le cours de l'histoire en fasse un vainqueur. 

Sorti deux ans après Barry Lyndon, Les Duellistes s'en rapproche dans le style visuel, avec ses paysages embrumés du petit matin, ses couleurs chaudes et l'utilisation de la caméra mobile. Mais Ridley Scott trouve déjà son propre style en racontant cette histoire de manière non conventionnelle. En effet, on ne sait pas très bien pourquoi ces deux hommes se battent. Partant d'un prétexte futile, le film explore la soif de pouvoir, l'engagement jusqu'au boutiste et la trahison. Magnifiquement interprété par Harvey Keitel et Keith Carradine, le film regorge de moments décalés, comme lorsque Carradine éternue avant de commencer son combat ou quand il déclare son amour à sa future femme hilare sans que l'on sache pour quelle raison (s'agissait-il d'une prise ratée ?). 

Plastiquement éblouissant, Les Duellistes, comme Lenny, est une des pépites des années 70, une décennie qui n'en finit plus d'inspirer des générations de spectateurs et de cinéastes, une période où la créativité artistique primait sur tout le reste. Une époque qui, heureusement, n'est pas totalement révolue.

Antoine Jullien

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