mardi 13 octobre 2015

Sicario


De film en film, Denis Villeneuve se construit une filmographie singulière, jamais tout à fait là où on l'attend. Après le suffocant Prisoners et le surréaliste Enemy, le réalisateur québécois, en compétition à Cannes cette année (voir la vidéo), place sa caméra à la frontière américano-mexicaine, au sein des plus redoutables cartels de drogue. Imaginez la version sombre du Traffic de Soderbergh débarrassé de son glamour et de son esthétisme ostentatoire. Par sa rigueur et sa sécheresse, Sicario ringardise soudain le genre, habituellement rempli jusqu'à plus soif de mouvements frénétiques et de caméra à l'épaule incessante. A l'opposé de cet étalage d'effets, Denis Villeneuve impose définitivement sa marque et frappe les esprits.

Une jeune recrue du FBI est enrôlée pour aider un groupe d'intervention d'élite dirigé par un agent du gouvernement américain dans la lutte pour le trafic de drogue. Mené par un consultant énigmatique, l'équipe se lance dans un périple incertain et dangereux qui va fortement bousculer les convictions de Kate. 

Emily Blunt

Une séquence suffit à résumer l'ampleur de la mise en scène de Denis Villeneuve, celle du convoi des véhicules des autorités qui doit transporter un important chef de cartels afin de l'interroger. La minutie  et l'élaboration des plans, l'art du montage, le rythme incroyablement soutenu, la musique oppressante, procurent une tension qui ne quittera plus l'écran. Dénué de la moindre esbroufe, le film fonctionne par des ruptures savamment orchestrées, laissant le spectateur sans cesse en attente, déstabilisé, à l'image de ce rideau recouvrant Emily Blunt et l'isolant du danger qui la guette. Ou comment la mise en scène incarne l'idée même du récit : explorer l'indéfinissable zone de gris.

Benicio Del Toro

Le film se place du point du vue du personnage de Kate, c'est par elle que l'on découvre les manoeuvres de plus en plus troubles de son équipe. Chaque personnage devient opaque, à commencer par le plus intéressant d'entre eux, Alejandro (Benicio Del Toro), un envoyé du gouvernement colombien déterminé à faire la peau au méchant de l'histoire. Mais qui sont les méchants ? A mesure que l'intrigue se dévoile, les cartes sont rebattues, les motivations des uns et des autres deviennent nébuleuses et les raisons de garder confiance en quiconque de plus en plus ténues. 

Comme dans tout bon polar, Sicario (tueur à gages en espagnol) parle aussi du monde d'aujourd'hui et de ses inavouables compromissions. Une femme manipulée par sa hiérarchie comprend qu'elle est impuissante à lutter contre un monde sans règles ni barrières. "Une terre de loups" comme le résume Benicio Del Toro, une fois encore fascinant dans une sorte de double maléfique de son personnage de flic incorruptible de Traffic. Dévorer l'autre avant de se faire manger à son tour, un crédo qui devient force de loi. Sous les atours brillants du thriller haut de gamme, Denis Villeneuve nous confronte à la laideur qui nous entoure. Et laisse le dernier mot à ceux qui en sont les premiers touchés, victimes d'une guerre qui n'a malheureusement pas de raison de connaître le mot "Fin". 

Antoine Jullien

Etats-Unis - 2h02
Réalisation : Denis Villeneuve - Scénario : Taylor Sheridan 
Avec : Emily Blunt (Kate Macer), Benicio Del Toro (Alejandro), Josh Brolin (Matt Graver), Jon Bernthal (Ted). 
 
Disponible en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire